Chapitre IV: Analyse sociolinguistique
Notre attention sera orientée dans ce dernier
chapitre à l'affichage publicitaire du côté
sociolinguistique. Nous mettons en évidence en premier lieu la question
de la répartition des affiches publicitaires dans les trois quartiers
dans lesquels nous avons collecté notre corpus. Ainsi, nous tentons
d'établir des corrélations entre l'objet des annonces et leur
distribution dans ces trois quartiers socialement et économiquement
hétérogènes. Nous mettons en question en deuxième
lieu la relation entre les publicités et les publics visés. Nous
nous attardons par la suite sur les enjeux du choix des langues dans le
discours publicitaire des affiches. Et nous abordons enfin la question de la
présence de l'arabe marocain, qui vient d'émerger
intensément ces dernières années dans les médias et
principalement dans la publicité.
1- Répartition des affiches publicitaires à
Tanger
Considérées comme nouvelles techniques de
marketing de tout produit, institution, association ou service dans le monde
d'aujourd'hui, les affiches publicitaires se trouvent partout sur le long des
avenues de nos villes de manière à ce qu'elles constituent une
partie intégrante de l'espace urbain. Cependant, les quartiers de nos
villes ne sont plus du même niveau socioéconomique, il y a des
quartiers dits populaires, occupés généralement par des
couches sociales modestes, des quartiers habités par des classes
moyennes et des quartiers dits prospères abrités par des classes
aisées et riches. Dans cette perspective, peut-on parler d'une
stratification sociale des affiches publicitaires? Quels produits ou services
sont-ils publiés dans chacune des catégories des trois
quartiers? Y-a-t-il une stratification des langues selon les quartiers?
Dans la perspective de répondre à ces
questions, nous nous basons sur les résultats d'un travail de terrain
mené dans trois quartiers socioéconomiquement différents
dans la ville de Tanger. Le premier quartier (type 1) est Mghogha,
quartier populaire, il s'étale de Marjane route de
Tétouan au Siège Arrondissement Mghogha, le deuxième
quartier (type 2) est Hay Zoufri, quartier moyen, il comprend les avenues
Yacoub El Mansour, Plaza de Toro (arène des taureaux) jusqu'à
Place Jamia El Arabia prés de la gare routière, et le
troisième quartier (type 3) est le centre ville, il comprend Boulevard
Van Louis Bethoven, avenue Imam Ibn Taymya, Place des Nations, Avenue Mohamed
V, Tanger Boulevard, Avenue Pasteur.
Dans le quartier de type 1, les affiches se
répartissent de la manière suivante : au niveau de leur
accumulation, elles sont peu nombreuses et espacées. Pour ce qui est de
leur objet, il s'agit, dans une grande portion, des publicités des
groupes de construction immobilière tels ADDOHA, Groupe SBN Immobilier,
construction Mobetradico, ELOMRAANE, La Colina ; des publicités des
opérateurs de télécommunication (Inwi, Méditel) .
Dans le quartier de type 2, les affiches sont plus
nombreuses par rapport au quartier populaire, ce sont des publicités des
opérateurs de télécommunication (Bayn, Inwi, Maroc
Télécom), publicités des institutions bancaires (Attijari
Wafabank, Société Générale, Albarid Bank),
publicités des magazines (VH, Lalla Fatima), publicités de
marques automobiles (Dacia Logan, Nouvelle Polo, AY'GO Toyota, Chevrolet),
publicités de marques des PC portables (Acer), publicités de
produits de cuisson (huile Cristal), des boissons (coca cola),
publicités de sociétés d'ameublement (EZIO DESIGN),
publicités de chaines radios (Hit Radio).
Dans le quartier de type 3, les affiches publicitaires sont
plus abondantes que dans les deux quartiers précédents. Au
niveau de leur objet, il y a publicités des groupes de construction
immobilière (ADDOHA, ESPACES SAADA, VAL FLEURI), publicités des
opérateurs de télécommunication (Inwi, Méditel,
Maroc Télécom), publicités des marques automobiles (Dacia
Duster 4x4, AY'GO Toyota), publicités de compagnies de transport marin
(Comarit), publicités de marques de téléphones portables
(Samsung Galaxy), publicités de produits cosmétiques (Nivea),
publicités de marques ordinateurs portables (HP), publicités de
centres commerciaux ( Marjane, Acima), restaurants (MC Do), marques de chocolat
(Galaxy Smooth Milk), bonbons (Halls), boissons (Fanta), ameublements (M.
Bricolage), services de surveillance (Groupe 8x8), institutions d'assurances
(RMA Wataniya) .
Afin de mettre en question cette distribution des objets
des affiches publicitaires, laquelle révèle une
hiérarchisation des produits annoncés, nous considérons
ces objets comme des besoins que la publicité vise leur satisfaction.
Ainsi, à l'image de la théorie de " La pyramide des besoins "
élaborée par Maslow (1943), nous segmentons ces besoins en trois
catégories de manière que, systématiquement, chaque
catégorie correspond à un type des quartiers
désignés ci-dessus : La première catégorie comprend
les "besoins de premier degré", tout ce que l'individu ne peut renoncer
à savoir le logement, la communication avec ses proches par
téléphone. Ensuite, la deuxième catégorie est celle
de " besoins de deuxième degré ", tout objet pouvant
améliorer la vie de l'individu tel l'appropriation d'une voiture,
ameublement de qualité, loisirs (lecture de magasines), être
titulaire d'un compte bancaire, défoulement (assister à des
soirées musicales), abonnement d'un opérateur de
télécommunication, des technologies d'information et de
communication (PC portable), avoir une bonne nourriture. Enfin, la
troisième catégorie, que nous qualifions "
besoins de troisième degré ", elle comprend tout ce qui constitue
un luxe pour l'individu : s'approprier une voiture de luxe, avoir un
téléphone portable de luxe avec abonnement, posséder des
chaines de télévision avec abonnement (Aljazeera Sport), voyage
à l'étranger via un moyen de transport marin (Compagnie Comarit),
produits cosmétiques, logement de luxe au littoral (Groupes Sable d'Or
(seuil de bonheur), Espaces Saada (Les jardins de L'Atlantique), Val Fleuri
(Tanger centre ville)), et d'autres produits bien qu'ils ne sont pas chers,
mais leur consommation est considérée comme un signe de
somptuosité dans la société marocaine ( chocolat Galaxy
Smooth Milk, bonbons Halls).
Après cette description de la répartition des
affiches, nous mettons en avant la corrélation entre le niveau
socioéconomique du consommateur et le produit objet d'annonce
publicitaire. Ainsi, dans un quartier populaire, le consommateur est, plus ou
moins, préoccupé par la satisfaction des besoins de premier
degré. Il ne dispose pas de moyens pour s'acquitter des besoins de
deuxième et de troisième degré. Certes, le publicitaire
distribue ses dans des emplacement bien choisis pour atteindre le maximum
d'audience. Par exemple, il est superflu pour l'annonceur de placer une affiche
d'une voiture de 300000 Dhs dans un quartier populaire. Vice versa pour
l'emplacement au centre ville d'une affiche annonçant la vente
d'appartements situés dans un quartier périphérique.
Dans un quartier de type 2, la plupart des habitants
appartiennent à la classe moyenne. Ils ont déjà satisfait
leurs besoins de premier degré et, cherchent à convenir les
besoins de deuxième degré. Signe est l'absence totale d'affiches
de construction immobilière, cependant l'existence de celles des
opérateurs de télécommunication est pertinente dans les
trois types de quartiers, étant donné que le besoin de
communication demeure perpétuel pour tout individu. La plupart des
produits annoncés dans le quartier moyen sont à la portée
du consommateur, ils constituent le centre de ses intérêts. Cela
confirme la réalité d'une interdépendance du statut
socioéconomique des consommateurs avec la distribution des affiches
publicitaires dans la ville de Tanger.
En ce qui concerne le quartier de type 3, centre ville de
Tanger, il est caractérisé par une plus grande concentration des
habitants, ces derniers sont aisés et généralement cossus.
Mais, il convient de noter que le centre ville est un espace
caractérisé, également, par un groupement
considérable de lieux de commerce, cela fait de lui un emplacement
visité par des individus hétérogènes malgré
que les produits publiés appartiennent aux besoins de troisième
degré, tels les annonces de l'immobilier (ADDOHA avec Sable d'Or,
Espaces Saada avec Groupe Palmeraie) sur la côte, Dacia Duster type 4x4,
Club des conducteurs responsables, menu hamburger de McDo, etc. Nous notons,
aussi, l'occurrence des affiches de l'immobilier dans les deux quartiers
populaires et prospères, mais la différence consiste dans le
produit annoncé et dans leur emplacement bien que les affiches soient du
même annonceur. Cette nuance au niveau de la qualité du produit
est signe de stratification des annonces publicitaires. Ceci confirme nos
hypothèses et démontre l'interdépendance entre les types
et la qualité des produits et le niveau socioéconomique des
consommateurs.
Cette interrelation ne se manifeste pas uniquement au niveau
des produits annoncés, mais également sur le plan linguistique
principalement au niveau de la langue ou les langues utilisées dans
l'affiche publicitaire.
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