3- La dimension culturelle de la publicité:
Nous tentons de traiter dans ce point la portée
culturelle de la publicité, et ce en essayons d'examiner les questions
suivantes: quels sont les facteurs qui interviennent dans le choix du produit
par le consommateur, les attitudes rationnelles ou les valeurs culturelles?
Y-t-il une relation entre le choix d'un produit ou d'un service, les valeurs
sociales et/ou culturelles et l'identification sociale du consommateur ( genre,
âge, profession, religion, etc.) ? Le choix d'un produit ou d'un service
reflète-t-il la personnalité du consommateur? La consommation
d'un produit traduit-elle un mode de vie, la culture d'une époque ou
d'une zone géographique donnée?
Avant d'explorer ces interrogations, il serait utile de
mettre en lumière le concept de "culture". Dans son acception
anthropologique, la culture est définie par Edward Burnett
Tylor en 1871 comme " un tout complexe qui englobe les connaissances,
les croyances, l'art, la morale, la loi, la tradition et toutes autres
dispositions et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une
société". ("culture (anthropologie)", Encarta 2009). Quelques
années plus tard, l'anthropologue américain Franz
Boas a remis en cause cette définition et proposa "une
approche résolument particulariste de la culture." Il affirme que les
formes et les modes de vie des hommes n'évoluent pas selon un
modèle linéaire et en fonction du niveau de leur
développement mental, mais qu'elles sont les produits de processus
historiques locaux. Ces processus historiques sont déterminés non
seulement par les conditions environnementales dans laquelle vit la
société considérée, mais également par les
contacts qu'elle entretient avec les sociétés avoisinantes. La
culture est définie également par Lévi-Strauss comme
«...un ensemble de systèmes symboliques dont le langage, les
règles matrimoniales, les rapports économiques, l'art, la
science, la religion et dans lesquels l'aspect rationnel est
déterminant. » (cité dans Hazar Maiche, 2010, p. 292).
Ceci dit, la culture est un concept complexe et supporte des
acceptions variées, mais, pour le relier à notre sujet, nous ne
le prendrons, ici, que dans le sens de phénomènes sociaux
caractérisant les sociétés en général. Etant
donné que la publicité est un phénomène qui
caractérise la vie commerciale de toute société. Or la
publicité a un discours, le discours est fait de mots, les mots sont de
la langue, et la langue véhicule une culture. Ainsi, faire de la
publicité d'un produit, d'une association, d'un service, d'une
entreprise, d'une institution, etc. c'est transmettre au public, tacitement, un
modèle culture. Le discours publicitaire est, donc, porteur d'une
culture, parce que « toute publicité, pour qui veut la
décoder, offre un modèle de culture » (B. Cathelat, 2001 ,
p. 268, in Hazar Maiche, 2010, p. 290).
En ce qui concerne les facteurs qui sont derrière le
choix d'un produit par le consommateur, est-ce un choix basé sur des
attributs rationnelles et scientifiques ou sur des attributs culturelles,
c'est-à-dire un choix basé sur la culture répandue dans la
société. Par exemple si une femme veut acheter un produit
cosmétique, est-ce- qu'elle consulte un médecin
spécialiste qui lui prescrirait le produit convenable, elle se
contenterait de prendre des informations de ses amies, elle achèterait
la marque la plus utilisée par les femmes, ou elle opterait pour une
marque utilisée par une femme fameuse qu'elle a vue dans une
publicité (athlète, actrice, artiste, etc.). Et cet exemple est
valide pour tout le monde. Dans ce sens, Sheehan (2004, p.
24, in Chafai, op.cit., p. 34) avance que " puisque nous voyions le monde
à travers ce prisme culturel, il est difficile de prendre des
décisions basées sur les attributs rationnels d'un produit. La
lentille culturelle nous permet de créer du sens à partir du
produit et des services qui entrent dans notre point de vue". "since we
are viewing the world through this cultural lens, it is difficult to make
decisions based on the rational attributes of a product. The cultural lens
allows us to create meaning from the product and services that come into our
view." Tout compte fait, c'est la dimension culturelle qui oriente nos
choix parce que "les besoins des gens n'ont jamais été naturels,
mais toujours culturels, toujours sociaux, toujours définis selon ce qui
est normal et courant dans leurs sociétés" "People's needs
have never been natural, but always cultural, always social, always defined
relatives to the standard of their societies" (Schudson, 1984, p. 145, in
Sheehan, 2004, p. 24, in Chafai, 2008, p. 33).
Concernant la relation entre le choix d'un produit ou d'un
service, les valeurs sociales et/ou culturelles et l'identification sociale du
consommateur ( genre, âge, profession, religion, etc.),
Leiss (1997,p. 13, in Chafai, op.cit., p. 34) affirme que "les
objets matériels transmettent toujours une signification et des messages
sur la position sociale des gens (rang, statut, privilèges, fonction,
caste, genre), et sur la façon dont ces sous-groupes sociaux ont
été formés et sur ce que les règles conçues
pour les groupes dictent leur conduite les uns aux autres". Ainsi, les produits
ont pour fonction non seulement la satisfaction des besoins des individus mais
aussi, ils communiquent un certain sens. Ils reflètent un
système de valeurs, un mode de vie et une vision du monde. Dans cette
même optique Baudrillard précise qu'« On ne consomme jamais
l'objet en soi (dans sa valeur d'usage) - on manipule toujours les objets (au
sens le plus large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant
à votre groupe pris comme référence idéale, soit en
vous démarquant de votre groupe par référence à un
groupe de statut supérieur » (1996, p. 79) et ajoute que « la
valeur stratégique en même temps que l'astuce de la
publicité est précisément de toucher chacun en fonction
des autres, dans ses velléités de prestige social
réifié. Jamais elle ne s'adresse à l'homme seul, elle le
vise dans sa dimension différentielle, et lors même qu'elle semble
accrocher ses motivations « profondes », elle le fait toujours de
façon spectaculaire, c'est-à-dire qu'elle convoque toujours les
proches, le groupe, la société, dans le procès de lecture,
d'interprétation et de faire-valoir qu'elle instaure. » (p. 86,
cité par H. Maiche, 2010, p. 291).
Pour mettre en exergue les propos de Leiss
concernant la corrélation entre le choix du produit et l'identification
sociale du consommateur, nous prenons l'exemple de quelqu'un, au Maroc bien
sûr, qui allait acheter une voiture de la marque "DACIA LOGAN". Celui-ci,
par ce choix, communiquait implicitement certains renseignements à
propos de son identification sociale précisément sur son statut
économique, il est généralement fonctionnaire public ou
privé, qui appartient à la classe moyenne. Or si vous voyez
quelqu'un avec une Bugatti Veyron Super Sport c'est tout
à fait le contraire.
Un autre exemple qui reflète cette relation
étroite entre la publicité et la culture, la publicité au
Maroc des produits ou des services interdits par la religion (Islam) comme
l'alcool et le porc n'existe plus, contrairement aux pays occidentaux. Cela
communique une des dimensions culturelles du pays qu'est la religion,
malgré que ces matières sont consommés en cachette.
A propos de la question de la relation entre le choix du
produit et la personnalité du consommateur, elle se manifeste clairement
dans le type de publicité intégrative ou projective (voir
2.2.4 du 1er Chap.) qui vise à mettre en
valeur les normes d'un groupe social et les attribuant au produit en question.
C'est une technique qui cherche aussi à modifier le style de vie du
consommateur. Dans ce cadre Jacques Nantel (1998), en étudiant le
comportement des consommateurs d'un point de vue psychologique et social,
distingue entre deux types de consommateurs fidèles d'un même
produit de la même marque, dont l'un a adopté ce produit
après l'expérience de plusieurs produits, il a donc trouvé
la satisfaction qu'il attendait. L'autre consomme ce même produit
simplement par sentiment d'appartenance à un groupe social. Bien
entendu, le processus décisionnel pour le premier consommateur a
beaucoup à voir avec la recherche d'attributs et de
bénéfices tels le goût, la teneur, le design de
l'étiquette, alors que pour le second, le processus décisionnel
est davantage fonction du groupe social auquel il appartient. Et dans cette
perspective, la stratégie de commercialisation de ce produit dans chacun
des cas est différente; elle est plutôt soucieuse
présenter le produit tel qu'il est, à vanter ses qualités,
tandis qu'elle met l'accent sur le mode de diffusion dans le second cas. En
outre, Jacques Nantel souligne que outre les variables
sociodémographiques (âge, revenu, cycle de vie de la famille,
sexe, éducation) qui ont un effet non négligeable sur les
comportements des consommateurs, la variable personnalité
est la plus séduisante mais la moins concluante sur le plan
scientifique. Il confirme, aussi, que si " la plupart des traits de
personnalité ne permettent pas d'expliquer de façon exhaustive
les comportements des consommateurs, certains ne sont pas dénués
d'intérêt.", étant donné que certains consommateurs
se comportent le plus souvent en fonction des attentes de leurs pairs alors que
d'autres ont tendance à agir suivant leurs propres
prédispositions. Cette caractéristique de personnalité
influe bien sur le choix du processus décisionnel. En somme, la relation
entre le choix du produit et la personnalité du consommateur demeure
indiscernable et difficile à comprendre parce que "l'achat d'un
même produit admet, par exemple, des motivations très
différentes selon les acteurs considérés, au même
titre qu'un besoin identique peut conduire à l'achat de produit
très différents." (Richard Ladwein, 2003, p. 7).
En termes de conclusion, nous soulignons que plusieurs sont
les mécanismes, généralement psychologiques et sociaux,
qui interviennent dans le processus d'achat et de consommation. Le choix du
produit n'est pas systématique pour l'ensemble des individus appartenant
au même groupe social et varie d'après les perceptions et les
contentements de chacun.
Enfin, concernant la question de la relation entre la
consommation d'un produit et les modes de vie, la culture d'un moment
historique ou d'une zone géographique, nous tenterions de mettre en
exergue dans quelle mesure la consommation d'un produit donné pourrait
traduire les modes de vie et la culture d'un temps et/ou d'un espace. En effet,
il existe autant de cultures que de sociétés. Chaque
société se distingue de l'autre par sa propre culture. Ainsi,
culture est un concept multidimensionnel qui recouvre à la fois les
habitudes, les connaissances, les rites, l'art, la morale, les traditions, les
modes de vie, le langage, la religion, etc.. En outre, personne ne peut
dénier que la consommation des produits faisait partie de la vie des
individus partout dans le globe. Or, le développement et
l'évolution de la société mène également au
changement des modes de vies des personnes. Les produits qui existent et
consommés au XIXe siècle ne sont pas les mêmes
qu'aujourd'hui. Par exemple, on ne parlait plus d'ordinateurs au
XVIIIe siècle alors que de nos jours ces machines devenaient
quelque chose de banal.
Dans cette perspective, «L'image publicitaire peut
exprimer la totalité d'une «culture » déterminée
à un moment historique donné et en un lieu donné» (L.
Porcher, 1976, p. 120, in H. Maiche, op.cit., p. 290). Prenons un autre
exemple, l'opérateur de télécommunication
Inwi au Maroc n'existait plus dans les premières
années du siècle présent, ce n'est qu'en 2009 qu'il a
été apparu suite au décrochement sous cette marque de
l'opérateur de télécommunication Wana.
C'était un exemple concernant la relation entre un moment historique et
le produit, pour sa relation avec le lieu nous citons l'exemple de la
société de construction immobilière ADDOHA au Maroc qui ne
saurait être exister dans un autre pays. La marque du couscous "DARI" en
est un bon autre exemple. De même le couscous représente une
caractéristique de l'art culinaire du Nord de l'Afrique principalement
le Maroc.
La consommation des produits traduit, en effet, des modes de
vie et des modèles culturels. Ces modèles culturels et modes de
vie sont transmis par la publicité en se servant des produits pour cette
fin. La publicité promet, au consommateur, le bonheur et la jouissance
s'il consommerait la marchandise publiée en modifiant son comportement
par le biais de son discours attractif. Dans ce sens, Cathelat B. (2001, p.
268) voit que le message publicitaire ne pourrait être neutre mais il
fait circuler une certaine culture, ainsi « Derrière le dialogue
d'influence commerciale entre annonceur et consommateur, se manifeste un autre
dialogue et un autre rapport de force entre la société et le
sujet social. Sous le message de consommation se lit en filigrane le message de
civilisation». (cité par H. Maiche, Ibid.)
En concluant ce point, nous avançons : la
publicité et la culture ne pourraient être dissociées,
elles sont comme les deux faces d'une pièce de monnaie car le choix du
produit par le consommateur est basé, dans la plupart des cas, sur des
facteurs et des attributs culturels plutôt que rationnels. De même,
il y a une corrélation entre la consommation des produits et
l'identification sociale des consommateurs , voire avec la psychologie de ces
derniers. La consommation d'un produit est signe aussi d'une civilisation qui
se traduit par des modes de vie et se rapporte à un moment donné
de l'histoire et/ou d'un espace géographique. En outre , la
publicité, pour transmettre son message, utilise le langage, partie
intégrante de la culture. Chose qui démontre une
interdépendance globale entre les deux concepts.
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