CONCLUSION
Nous voici au terme de notre travail consacre a la reflexion
sur les elements d'un rapprochement possible entre la morale et la politique
chez Kant, A travers le republicanisme. L'enjeu de cette reflexion, faut-il le
rappeler, est, au regard de la crise des valeurs qui secoue le monde politique
actuel tant au plan national qu'international, a trouver une forme de
gouvernement, a meme de creer les conditions d'une bonne pratique politique.
Celle-ci doit favoriser une bonne expression de la citoyennete et un
rapprochement entre les peuples et les nations, dans un monde de paix.
Notre demarche a consiste d'abord a faire un point d'histoire
sur les doctrines politiques qui consacrent soit un rapport de disjonction,
soit un rapport de conjonction entre la morale et la politique, en nous basant
sur la philosophie politique de Hobbes et Rousseau principalement. C'est ainsi
qu'en partant du pacte de soumission de Hobbes et celui d'association de
Rousseau, nous sommes parvenus aux formulations du totalitarisme et de la
democratie. L'analyse de ces deux systemes politiques nous a amene a dire que
la democratie constitue la meilleure forme de gouvernement, en ce sens qu'elle
garantit l'epanouissement materiel et spirituel de l'homme.
Il s'etait ensuite agi pour nous d'introduire Kant dans le
debat, en essayant de montrer son apport pour une autre lecture des rapports
entre la morale et la politique. C'est ainsi que nous avons expose le
republicanisme kantien comme etant la condition d'un accord entre la morale et
la politique et aussi la concordance des memes notions d'apres la doctrine du
droit. Dans les deux cas, il a ete respectivement question de l'affirmation du
citoyen comme sujet moral, de la moralite de l'action politique du citoyen par
une analyse comparative entre l'autorite de la loi orale et la rigueur de la
juridique, de la liberte de presse comme mode d'expression d'une opinion
publique moralisatrice. L'interdependance entre le prive et le public comme
totalite fonctionnelle, de meme que l'examen des concepts de juste et de bien
dans une relation de complementarite mettant en relief l'accord entre la
politique te la morale, furent egalement debattus.
Enfin, nous avons parle de l'actualite des idees kantiennes,
au regard de la situation politique actuelle. A ce niveau, nous avons evoque la
question de la souverainete des Etats dans cette ere de mondialisation et de la
recherche de la paix. Nous avons aussi aborde la problematique de l'Etat de
droit et de l'exigence morale de l'action de l'homme d'Etat. Cette partie nous
a permis de saisir la pertinence de certaines idees kantiennes par rapport a
nos preoccupations actuelles, ayant trait surtout au renforcement de l'Etat de
droit et
du respect des droits et libertes essentiels des citoyens, de la
paix mondiale, des relations economiques, etc.
Au regard de ce qui precede, nous pouvons affirmer que le
republicanisme porte en lui les bases juridiques d'une vie politique favorisant
la pleine et effective expression de la citoyennete. En effet, la constitution
republicaine en garantissant les droits et libertes des citoyens, les amene a
developper en euxmemes la vertu, consideree comme force de la volonte. Il
s'agit lA, d'un processus de responsabilisation du citoyen, etant entendu qu'un
citoyen libre et vertueux "developpera ses meilleures capacites (...) et sera
pret a chaque fois que cela est necessaire de les mettre au service du bien de
l'Etat"109.
Le republicanisme reste et demeure pour Kant, la forme du
gouvernement qui favorise le rapprochement entre la politique et la morale. Il
souligne qu'il est une obligation pour les hommes de tendre vers une telle
forme de gouvernement, car "c'est un principe de la politique morale qu'un
peuple doive se reunir en un Etat d'apres les seuls concepts de droit de
liberte et d'egalite et ce principe n'est pas fonde sur la prudence, mais sur
le devoir"110.
Il est courant d'entendre certaines personnes dire et soutenir
qu'en politique, il n'y a pas de morale. Mais, de quelle politique s'agit-il ?
Sommes nous tentes de nous demander. Est-ce celle qui promet a tous les hommes
le bonheur, la satisfaction, l'obtention de leur place naturelle dans un monde
parfaitement organise, ou celle qui se veut egoiste et qui ne vise que la
conservation du pouvoir a tout prix pour la satisfaction des interets exclusifs
des gouvernants. A cet egard, notre conviction est que toute politique qui
n'humanise pas ses moyens, qui n'est pas respectueuse des droits, des libertes
et de la dignite de citoyens est source des conflits, d'instabilite et
d'insecurite.
Il ne s'agit pas ici de pr8ner une subordination totale de la
politique a la morale, mais qu'on s'accorde que "l'exigence morale derniere est
celle d'une realite politique telle que la vie des individus soit morale et que
la morale visant l'accord de l'individu raisonnable avec lui-meme devient une
force politique, c'est-A-dire un facteur historique avec lequel l'homme
politique ait a compter quand bien lui-meme ne se voudrait pas
moral"111.
Il est certes difficile de vouloir que les hommes agissent
toujours dans le sens de conferer a leurs actions une valeur morale. Mais, ce
n'est pas un vceu pieux, car l'homme etant perfectible, il peut faire preuve de
depassement de soi, d'actes desinteresses. Kant affirmait a juste titre que "le
principe moral ne
109 Principe de responsabilite, op cit, p 172.
110 Kant, Vers le projet de la paix
perpetuelle, Flammarion 1991, p 120.
111 Philosophie politique, op cit, p 12.
s'eteint jamais dans l'homme. La raison capable
pragmatiquement de mettre a execution l'idee du droit d'apres ce principe, se
developpe constamment dans cette direction grace aux progres continuels de la
civilisation"112.
Le domaine du politique doit cesser d'être considere
comme lieu privilegie d'actions immorales, c'est-a-dire le lieu ou tous les
coups sont permis, le lieu de toutes les intrigues, de tous les crimes, de tous
les complots, un domaine ou pense-t-on n'operent que des hommes souvent sans
scrupules, abusant de la raison d'Etat. Le domaine du politique doit retrouver
ses lettres de noblesse structurelles comme activite publique en vue de
l'epanouissement des citoyens.
Il est admis que la politique n'implique pas necessairement la
morale, car on peut aisement comprendre les faits politiques sans reference a
la morale. Cependant, il y a lieu de reconnaitre que "ni leur difference, ni
non plus leur mutuelle autonomie ne suppriment leur unite radicale sur leur
origine commune dans l'homme regarde et se regardant comme etre
agissant"113.
Au commencement et a la fin de toute politique, nous
retrouvons l'homme, car elle est exercee par lui et pour lui-meme. Par
consequent, la politique ayant pour finalite l'epanouissement de l'homme, ne
peut pas ne pas etre analysee d'un point de vue moral, au regard notamment de
la nature des moyens et des fins qu'elle utilise et qu'elle vise. En tout point
de vue, la politique comme art de conduire les affaires de l'Etat, ne peut pas
omettre que "ce qui est premier c'est le rapport de l'homme envers
l'homme"114. La vraie politique comme le dira Kant "ne peut faire un
pas sans avoir rendu d'abord hommage a la morale"115.
Dans le contexte actuel de democratisation et de
l'instauration d'un Etat de droit, il doit etre entendu que seule la juste
application du droit et de la loi, est la condition necessaire pour la paix
sociale et la stabilite politique dans nos Etats. Les hommes sont epris de
justice, sont soucieux du respect de leurs droits fondamentaux, ils ne
sauraient donc admettre d'être encore et toujours traites comme des
sujets, par un pouvoir dont ils sont la source de legitimite. La saine lecture
du droit et la juste application de la loi sont un signe evident de loyaute, de
justice et d'honnetete. Or, comme le dit Kant, "admettre que l'honnetete est
meilleure que toute politique est au dessus de toute objection, voire est la
condition inevitable de la philosophie"116.
112 In, Critique et morale chez Kant, Gerard
Kruger, ed Bauchesne, Paris 1961, p 120
113 Philosophie politique, op cit, p 12.
114 Ibidem, p 19.
115 Kant, Vers le projet de la paix
perpetuelle, Flammarion, Paris 1991, p 123.
116 Kant, Projet de paix perpetuelle,
Flammarion 1991, p 111
En considerant la politique comme "doctrine du droit pratique"
et la morale comme "doctrine du droit theorique", Kant etabli dejà un
lien etroit entre les deux. Il est en effet, inconcevable d'envisager une
pratique independamment de toute theorie. La politique en tant qu'elle met en
rapport d'un cote les citoyens entre eux et de l'autre les Etats entre eux, ne
peut que se baser en tout premier lieu sur la regle du droit tant au plan
national qu'international. Poser des actes politiques en violation des lois de
la Republique ou du droit international releve de l'immoralite, car elle
suppose en definitive non respect de la parole donnee, partant, un acte de
trahison a l'egard de ses concitoyens.
L'instabilite sociopolitique observee dans nos jeunes
democraties, de meme que les guerres, les genocides qui ont eu lieu ou qui sont
en cours, sont dus non seulement au manque de culture democratique, mais aussi
a la violation repetee du droit et a une non application du droit. Or, le degre
de moralite d'un peuple se mesure aussi par la disposition de celui-ci a
respecter les lois qu'il s'est donne. Le premier devoir des citoyens consiste a
eriger une veritable education civique qui ne craigne pas de montrer le lien
entre le sujet de droit et le sujet moral.
En somme, faut-il se convaincre que la paix n'est realisable
que dans le respect de la liberte et de l'egalite qui assure la securite. Dans
un monde dechire par le danger des integrismes, des egoismes de toutes sortes,
des extremismes politiques, l'Etat de droit apparait comme le dernier espoir
pour sauver les valeurs fondamentales pouvant faire progresser l'humanite dans
le sens du bien. Mais acceptons-nous d'en assumer les conditions politiques et
morales ?
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