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Morale et politique chez Kant: le républicanisme comme fondement de la responsabilité morale en politique

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par Moussa Sahirou Tchida
Université de Ouagadougou - Maà®trise ès lettres et philosophie 1998
  

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DEUXIEME PARTIE :

L'APPORT DE KANT POUR UNE AUTRE LECTURE DES
RAPPORTS ENTRE LA MORALE ET LA POLITIQUE

CHAPITRE I : DU REPU BLICANISME COMME CONDITION D'UN ACCORD POSSIBLE ENTRE MMORALE ET POLITIQUE

La pensee politique de Kant est manifestement l'une des plus exigeantes dans l'histoire des idees politiques en ce qui concerne la consideration accordee au respect des libertes et droits de l'homme, et aux valeurs morales d'une maniere generale. Sa preference pour une constitution republicaine s'explique par le fait qu'elle soit compatible avec la liberte, la soumission de tous a une legislation commune et enfin avec le droit d'egalite devolu a tous.

La constitution republicaine renferme en elle le droit public que Kant definit comme "un systeme des lois a l'usage d'un peuple, c'est-à-dire d'une multitude d'hommes ou d'une multitude de peuples qui, entretenant des rapports d'influence reciproque, ont besoin pour que leur echoit en partage, ce qui est droit, d'un Etat juridique obeissant a une volonte qui les unifie"33.

Cette volonte unificatrice qui est la constitution republicaine represente donc la reference juridique d'un peuple, lorsque celui-ci decide de vivre sous une republique, c'est-à-dire une communaute politique ou les rapports entre les membres sont fondes et regis par des lois. Il s'agit alors des lois emanant de la volonte des citoyens et devant donc être respectees par tous. C'est pourquoi la constitution republicaine garantit une bonne legislation pour un peuple.

La vie politique, faut-il le souligner, est faite essentiellement de relations humaines ; elle est un ensemble d'interactions entre differentes consciences dans leurs diversites et particularites.

L'espace politique se trouve être le lieu de formation et de codification des rapports entre citoyens, assignant a chacun d'eux des droits et des devoirs publics. Ces droits et devoirs publics sont fondes sur la recherche d'une meilleure existence assurant a tous la securite, la liberte et l'epanouissement. Or nous percevons comment chez Kant, la liberte, la raison et le devoir sont requis dans la vie morale.

A ce egard, la democratie comme forme agissante du republicanisme, cesse d'être alors seulement une manière de gerer la cite, pour être egalement plus une exigence morale en incluant les valeurs de la liberte, de la responsabilite, du respect d'autrui et de la recherche de la paix parmi les hommes et entre les nations. C'est en cela que Kant peut être considere comme une reference dans l'approche des rapports entre la morale et la politique : il nous indique pratiquement des prealables ethiques d'une politique digne des êtres humains.

33 Kant, Euvres philosophiques, Flammarion 19 86, p 575.

1. RAPPORT ENTRE LI BERTE INTERNE ET LI BERTE EXTERNE OU L'AFFIRMATION DU CITOYEN COMME SUJET MORAL.

Hannah Arendt affirmait que "les régimes totalitaires ne sont pas contentés de mettre un terme a la liberté d'exprimer ses opinions, mais ont fini par anéantir dans son principe la spontanéité de l'homme dans tous les domaines"34. En d'autres termes, le citoyen sous un régime totalitaire est un individu dépouillé de la faculté de penser et de décider par lui-même, du fait notamment de l'état de soumission dans lequel il se trouve. Il s'agit alors d'un homme dont la pensée et l'acte sont tributaires de la volonté d'un autre : c'est un etre aliéné.

L'homme ainsi soumis perd le droit de décider par lui-meme, perd tout sens d'initiative. L'autonomie dans l'action désigne l'accomplissement d'une action par l'homme lui-meme, sans contrainte extérieure. Elle est aussi cette faculté d'initier par soi meme une action, parce qu'on jouit de la liberté.

Il se trouve ainsi que l'autonomie dans l'action, comme liberté dans l'initiative de l'action, engendre souvent des conduites nouvelles qui doivent cependant respecter une éthique acceptable par les autres etres raisonnables. C'est en cela que la morale kantienne incluant les concepts d'autonomie et de liberté, exige pour nos actions des maximes qui puissent etre "érigées en lois universelles de la nature". En d'autres termes, elles doivent etre valables et acceptables par toute autre conscience raisonnable.

Il n'y a donc pas d'action raisonnable sans liberté et sans autonomie de la volonté, concepts fondateurs de la morale kantienne. Il existe deux niveaux de liberté qui se rapportent respectivement a la regle du droit et a la regle morale. Pour Kant, le rapport entre liberté externe et liberté interne, entre liberté politique et autonomie du sujet moral, entre droit politique et moral, est plutôt un rapport de complémentarité que d'exclusion. L'un ne peut en principe contredire l'autre, car il ne peut y avoir conflit entre le bien moral de l'homme et le bien moral de la communauté des hommes.

La pensée morale et politique de Kant, cherche donc a concilier la morale et le droit dans la perspective de conférer a l'agir humain un caractere éthique et sociable. Cette approche revêt tout son sens lorsqu'on se réfère a cette maxime : "agis extérieurement de telle sorte que le libre usage de ta volonté puisse coexister avec la liberté de chacun suivant une loi universelle"35.

34 Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique ? Seuil 1995, pp 61-66

Mais l'applicabilite d'une telle maxime suppose d'abord que les hommes se considerent comme egaux en dignite et egalement soumis aux exigences du devoir. Ainsi, chacun en fonction de son statut, s'oblige a accomplir ses devoirs sans cela ne lui soit ordonne ailleurs. Chacun doit faire son devoir dans le poste qui lui est assigne de telle sorte que nul n'ait uniquement l'obligation d'obeir et l'autre le droit de commander. Or, cela n'est possible que dans le contexte ou chaque citoyen est effectivement libre et qu'il est aussi conscient que cette liberte lui impose des devoirs, notamment ceux d'agir promptement, au nom de l'interet general.

En effet, le citoyen comme le souligne Kant est celui qui ne veut pas etre une simple partie de la chose publique, mais qui veut etre egalement membre, c'est-a-dire partie agissant de son propre chef en communaute avec les autres. Il est celui qui a le droit d'agir sur l'Etat, de participer a son organisation et de contribuer a sa legislation. Il resulte de cela que le citoyen ne doit obeir qu'a l'Etat et le gouvernement en tant "qu'autorite qui exerce le pouvoir politique doit le traiter suivant les lois de son independance personnelle, qui fait que chacun se possede lui-meme et ne depend point de la volonte absolue d'un autre, a cote ou au dessus de lui"36. Aussi, la citoyennete n'est pas une simple integration sociale d'un individu dans une communaute politique donnee, elle est la reconnaissance d'un individu comme etre libre, jouissant de tous ses droits fondamentaux et s'acquittant de ses devoirs.

La constitution republicaine instaure une forme de gouvernement qui responsabilise au mieux le citoyen, face a ses devoirs. A ce titre, le citoyen doit pouvoir s'elever au-dessus de ses interets egoistes, en faisant preuve de maitrise de soi, car comme le dit Durkheim "la maitrise de soi, voila la premiere condition de tout pouvoir vrai, toute liberte digne de ce nom"37.

On peut aussi dire que la constitution republicaine est un pari sur la liberte et si nulle autre entrave n'est apportee par le pouvoir a l'exercice des libertes individuelles, la condition humaine ne pourrait qu'etre amelioree. Le dynamisme d'une societe, sa capacite a se hisser au rang des nations qui prosperent sont tributaires de la liberte d'action des citoyens, de leur engagement personnel et de leur bonne volonte. Pour ce faire, les institutions politiques doivent creer les conditions d'un exercice effectif des volontes autonomes des citoyens.

De ce fait, tout Etat qui se veut rationnel, digne des hommes doit faire des citoyens, des hommes pleinement libres et par consequent responsables. La ou

36 Kant, Euvres philosophiques, T03, Gallimard, 1976, p 5 83.

37 He, Kheim, Textes, T2 Religion, morale, anomie ed. De minuit, Paris 1975, p 1 82.

les citoyens n'ont aucune initiative de l'action, oil toutes les actions se realisent dans la peur et la terreur, les chances d'un developpement durable sont hypothequees. En effet, on ne peut pretendre realiser le bonheur d'un peuple, en traitant les citoyens comme des "enfants mineurs qui ne peuvent distinguer ce qui est pour eux veritablement utile ou pernicieux, de se comporter de faMon simplement passive pour attendre uniquement du jugement du chef de l'Etat, la faMon dont ils doivent etre heureux"3 8.

Une telle faMon de conduire les affaires de la cite est celle comme le dit Kant, du gouvernement despotique qui denie toute liberte et tout droit aux citoyens. L'Etat ayant pour vocation premiere de veiller a la securite des citoyens, doit creer les conditions de leur epanouissement materiel et spirituel en amenageant les espaces de libertes necessaires.

La citoyennete, incompatible avec un Etat de contrainte et de privation des libertes, suppose une charge, une responsabilite pour tout citoyen au titre de membre actif, de co-gestionnaire de la cite et des interets de la communaute politique.

Ainsi, l'affirmation du citoyen comme sujet moral au regard de sa responsabilite dans la gestion de la cite, se trouve partagee entre sa liberte interne ou l'autonomie de sa volonte et sa liberte politique en ce sens que celleci lui cree les conditions empiriques d'exprimer et d'executer sa volonte. En d'autres termes, la liberte politique permet au citoyen de traduire dans les faits, les deliberations de sa volonte, dans le respect des droits et volontes des autres, dans la recherche de ce qui est bien et juste pour la societe.

Il y a manifestement ici, une volonte de synthese de Kant, qui tout en distinguant legalite et moralite, tente tout de meme de trouver une solution de continuite entre l'obligation juridico-politique d'accepter la loi et l'obligation morale d'agir par devoir. Ainsi, partant de la constitution comme loi fondamentale, il y a comme une sorte d'unification des volontes legislatrices des citoyens.

Par ailleurs, dans une republique oil chacun est electeur et eligible, l'egalite politique fait qu'il n y pas de domination, de soumission que par rapport a la loi qui fixe a chacun ses droits et ses devoirs. Aussi, si dans la societe chacun respecte la loi, occupe effectivement la place qui lui revient et joue le role qui lui est assigne, les chances sont grandes d'eloigner l'arbitraire et l'injustice.

Il se trouve ainsi que dans une republique, tout tient au respect de la loi et Kant ne manque pas de le dire lorsqu'il souligne qu'"il faut qu'il ait dans toute communaute, une obeissance au mecanisme de la constitution politique d'apres des lois de contrainte, mais en meme temps, un esprit de liberte etant donne que chacun exige, en ce qui touche au devoir universel des hommes, d'être convaincu par la raison que cette contrainte est conforme au droit, afin de ne pas se trouver en contradiction avec soi-meme"39.

Les citoyens sont donc tenus de se conformer a la loi communement acceptee et c'est en cela aussi qu'il y a une dimension morale de la vie politique. Il apparait ainsi que pour que le citoyen s'affirme comme sujet moral, il lui faut savoir concilier ses principes pratiques avec la loi de la communaute, qui est avant tout sienne aussi, et Eric Weil le dit ainsi : "la morale pour etre praticable exige de moi que j'agisse selon la loi de concrete de ma communaute"40

. L'essentiel ici est que cette loi (qualifiee de positive) ne soit pas en contradiction avec le principe de la morale qui se fonde sur le bien et le juste.

C'est d'ailleurs cette question que nous evoquerons en relevant qu'il existe une certaine similitude entre l'autorite de la loi morale et la rigueur de la loi juridique.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo