4) Le fait religieux, un sujet difficile à
traiter de manière générale :
« Le traitement médiatique du religieux
fait-il preuve d'assez d'objectivité et d'exactitude dans
l'observation ? De l'impartialité et de la justesse souhaitable
dans l'interprétation ? [...] Ces questions se posent [...]
tout particulièrement dans [le domaine du] religieux, qui plus que
d'autres en appelle aux croyances et aux convictions [ce à] quoi
s'ajoute une autre difficulté [ : ] l'impréparation. "
Pierre Olivier Monteil, Les Exigences de
laïcité.
Les deux derniers points à aborder sont
également les plus « primitifs » puisqu'ils se trouvent en
amont de l'ensemble des autres problématiques traitées dans ce
mémoire. La difficulté à aborder le fait religieux et
l'« inadaptation " naturelle de la religion aux formats médiatiques
font en effet certainement partie des principales causes d'un mauvais
traitement médiatique du religieux.
La religion nécessitant de « prendre le temps ",
le temps de la lecture des textes, le temps de l'apprentissage des rites, etc.,
elle ne peut qu'être inadaptée aux médias qui sont
obligés de sélectionner des temps forts, pas toujours
fidèles à la réalité.
Une religion comme l'islam, particulièrement
présente dans la vie quotidienne, ne peut être comprise si l'on
n'en montre que les « temps forts " comme la prière, le mariage ou
le ramadan. En plus de cela, les journalistes, très socialement
homogènes et peu représentatifs de la société
française (donc des musulmans) vont devoir sélectionner encore
une partie de cette information déjà tronquée, selon leurs
convictions personnelles. Le résultat ? Une image souvent empreinte de
préjugés et très loin de la réalité.
4-1) La religion dans les médias, entre
sélection de l'information et convictions personnelles:
Pour Pierre Olivier Monteil (NDA : rédacteur en
chef de la revue Autre Temps de 1991 à 2004 et auteur de
plusieurs ouvrages sur le rapport entre le protestantisme et la
modernité), cette « inculture " religieuse journalistique
« est aussi bien le fait d'une lacune de l'enseignement que d'un rejet de
la transmission ». Comme il l'explique, il n'y a pas que les journalistes
ayant une appartenance religieuse qui peuvent porter un regard biaisé
sur les religions autres que la leur, les athées également, tout
en croyant être totalement libres de penser, ne le sont en fait souvent
pas. « Nombre d'agnostiques ou d'athées, qui se sont jadis
démarqué de la religion dans laquelle ils avaient grandi,
échouent maintenant à repérer ce qui en elle les influence
encore, lorsqu'ils en prennent le contre-pied ou lorsqu'ils lui restent
fidèles sans le savoir. "
Aussi, que l'on soit un journaliste croyant ou athée,
« difficile de trouver la bonne distance ".
Dans un monde médiatique où tout va de plus en
plus vite et où l'on a de moins en moins de temps pour traiter des
informations pourtant toujours plus complexes, comment ne pas
sélectionner l'information en fonction de ses convictions ?
Un journaliste pressé, a-t-il vraiment le temps de
faire la part des choses et de se poser la question « suis-je en train de
sélectionner cette information selon mon opinion ou selon la
réalité de ce que je vois ? ". La réponse est certainement
: non.
Ce qui en temps normal est déjà difficile
à mettre en application (NDA : prendre de la distance avec
l'information à traiter) devient logiquement et tout bonnement
mission impossible dans l'urgence. Aussi, voilà pourquoi trop souvent,
l'information religieuse, à la base difficile à traiter car
n'évoluant pas au « même rythme " que la
société contemporaine, se retrouve évoquée dans les
médias au travers d'images tronquées.
Comme le rappelle Jean-Paul Willaime, directeur d'étude
à la section des sciences religieuses à la Sorbonne, « la
religion au rythme médiatique c'est [...] des temps forts, suivis de
périodes de latence, comme si on était religieux par
intermittence ", par conséquent « la représentation
télévisuelle du religieux est [...] décalée par
rapport aux évolutions religieuses actuelles " ce qui conduit à
une transformation du religieux par les médias, qui, de même
qu'ils ont « transformé le rapport au politique ", «
transforment le rapport au religieux. " (« Les Médias et les
mutations contemporaines du religieux », Autres Temps, n°69,
p.64-75).
Finalement encore une fois, l'« islam " que l'on
évoque dans les médias n'a que très peu de rapport avec
l'islam de la réalité. Le sens que l'on fait recouvrir aux termes
« islam " et « musulman " dans la presse écrite, à la
radio ou à la télévision relève plus de la vision
partielle que nous en présente les journalistes que de l'authentique
réalité.
Les journalistes nagent dans le bain de la modernité.
Portés par les courants de pensée « en vogue ", il leur est
souvent difficile de lutter contre. Aussi, quand un raz-de-marée mondial
s'abat sur l'islam, au point de l'engloutir sous le poids des reproches et des
accusations, difficile de distinguer ce qui se dit de ce qui
est. Difficile, pour un journaliste balloté au coeur du
rouleau, de s'en extraire pour prendre de la hauteur. Difficile, finalement, de
présenter une vision nuancée, complexe et donc moins «
attirante " pour le spectateur quand l'on fait face à une tendance
simpliste et racoleuse qui s'est imposée depuis une dizaine
d'années.
La religion telle qu'observable par le prisme
médiatique n'est que le produit d'une sélection préalable
de l'information, elle-même effectuée selon les opinions
personnelles des journalistes. Cette image n'est donc jamais parfaitement
représentative de la réalité. Ajoutez à cela un
courant de pensée dominant et vous obtiendrez souvent une information
qui va dans le sens de la pensée majoritairement admise.
Aussi, quand un journaliste se trouve face à une lame
de fond aussi importante que celle qui nous occupe aujourd'hui, ses seules
armes sont d'y être bien préparé et d'avoir les
idées claires. De s'être documenté et un minimum
informé avant la tempête pour pouvoir, une fois qu'il en est en
plein coeur, réfléchir par lui-même, sans se laisser
influencer par tel ou tel courant. C'est pourquoi il apparaît
désormais indispensable de former les nouvelles
générations de journalistes au fait religieux et à la
distinction entre ce qui en relève et ce qui n'en relève pas.
|