III) L'INFLUENCE MEDIATIQUE, UN PHENOMENE QUI N'EST PAS
SANS CONSEQUENCES
Les mots et les images, on vient de le voir, ont un pouvoir.
Fort de celui-ci, les médias influencent l'opinion de millions de
téléspectateurs, lecteur ou auditeurs. Consciemment ou
inconsciemment, ils véhiculent des images, des idées et des
théories qui viennent ensuite s'insérer dans le débat
public. Par là-même, les médias ont de fortes
responsabilités. En choisissant de mettre en avant tel ou tel fait
d'actualité, ils orientent le regard de la majeure partie de la nation
vers l'objet de leur choix.
Les thématiques sur lesquelles ils décident de
se focaliser font soudainement l'objet d'une attention toute
particulière (qui s'amenuise généralement en méme
temps que s'amenuise l'intérêt médiatique). Ainsi, tout ce
qui se trouve hors du champ médiatique et de sa couverture à
tendance à être considéré comme inexistant ; car
invisible aux yeux de la plupart des individus. A tort, ceci conduit souvent
à considérer que le temps de présence médiatique
d'un phénomène et son étendue réelle sont
proportionnels. Comme si, parce que l'on parle souvent d'un fait dans les
médias ce ne peut qu'être parce qu'il a une grande importance dans
la réalité.
Or, comme le chapitre précédent le
décrit, les règles du « jeu médiatique " poussent par
nature à mettre l'accent sur l'inhabituel, le marginal, le remarquable ;
parfois même en dépit de toute conscience professionnelle. Cela,
la majorité du public l'ignore ou ne peut se le figurer tant il a une
confiance aveugle en la « neutralité » et le sérieux de
ceux sensés l'informer.
De nos jours, l'un des sujets très présents dans
les médias est l'islam, et les premiers à ressentir les effets de
cette focalisation médiatique sont bien sûr les musulmans
eux-mêmes (qu'ils soient d'ailleurs réellement croyants ou pas).
Car en effet, les termes « islam " ou « musulman » tels
qu'employés dans le discours médiatique cachent souvent des
significations bien plus étendues que leur sens strict.
Rattachés à de nombreux
stéréotypes, l'« islam " et les « musulmans " des
médias ne ressemblent que de très loin à l'islam et aux
musulmans de la réalité. Malgré tout, la majeure partie de
l'opinion publique reste réceptive au discours médiatique et ne
semble pas vraiment être consciente de cet état de fait.
Un dessin satirique de l'américain Donald Addis
illustrant le pouvoir des médias sur l'esprit des spectateurs.
1) Un malaise palpable :
« Le " milieu " musulman (considéré par
beaucoup comme l'incarnation de l'archaïsme, du sexisme,
de l'antisémitisme, etc.) est isolé du reste de la
population, c'est-à-dire, en langage médiatique, d'un «
nous » exclusif censé incarner la modernité, la
modération, la tolérance »
Thomas Deltombe, journaliste.
1-1) Des musulmans irrités et blessés par la
vision de leur religion dans les médias français :
Comme l'indiquent très nettement les résultats
du sondage réalisé au cours de ce mémoire (cf.
annexe 1), les musulmans souffrent du regard que les médias
français portent sur leur religion. En effet, à la question
« Comment ressentez-vous, comment vivez-vous le regard des médias
français envers l'islam et les musulmans? ", 41 % ont répondu
« il m'énerve ", 23 % « il me blesse " et 19 % « il
m'attriste ".
En majorité, les musulmans français croyants,
âgés de 18 à 50 ans, sont donc plutôt
énervés du regard que portent les médias sur leur
religion.
Par ailleurs, 49 % des répondants déclarent ne
pas se sentir à l'aise aujourd'hui, en France, en tant que musulmans.
Nous avons donc, aujourd'hui en France, près de la moitié des
jeunes musulmans qui sont gênés et incommodés uniquement en
raison de leur appartenance religieuse.
Et quand plus de la moitié de ces 49 % affirment que
c'est en partie à cause de l'image que les médias peuvent donner
d'eux qu'ils ne se sentent pas à l'aise en tant que musulmans, l'on
mesure les conséquences de l'influence médiatique.
Au final, d'après ce sondage, ce sont donc environ un
quart des musulmans français qui déclarent tout bonnement ne pas
se sentir à l'aise dans leur pays, à cause de l'image que donnent
les médias de leur religion. Cela peut paraître mineur comme
phénomène, puisque cela concerne « seulement " un quart des
musulmans mais, premièrement nous allons le voir, bien d'autres
phénomènes viennent se greffer à celui-ci et,
deuxièmement, est-ce bien acceptable pour autant ?
D'après Deltombe en effet, l'on assisterait donc en
France à la création médiatique d'un « racisme
respectable ". Éternellement vu comme des immigrés, et devant
assister à un questionnement permanent sur leur religion, les musulmans
français ont à faire face à un comportement
médiatique inédit, qui serait d'ailleurs certainement vivement
condamné s'il s'appliquait aux autres religions. Cette « phobie
», comme la qualifie l'auteur, « pose problème " car il est
difficile de déterminer « ce qui tient de la critique parfaitement
légitime de la religion musulmane, et ce qui relève de la haine
ou du mépris des musulmans. "
Dépossédés de leur rapport à l'islam,
en plus d'être stigmatisés comme nous allons le voir, les
musulmans doivent en définitive faire face à une critique
chronique de leur religion.
Particulièrement focalisés sur l'islamisme
(cf. glossaire), c'est-à-dire un islam minoritaire, radical et
politique, nos médias semblent être à la recherche d'un
« ennemi invisible " duquel ils n'arrivent finalement qu'à donner
une image floue, agrémentée d'assez peu de preuves
concrètes quant à sa prétendue « propagation ". A
leur décharge, il est utile de rappeler que l'islamisme est bien
évidemment un phénomène réel, tout à fait
visible et palpable, mais qu'il n'a qu'une portée très marginale
en France, d'après les études de terrain.
Le journaliste Thomas Deltombe est loin d'être le seul
à aborder cet état de fait. Actuellement, de plus en plus
d'observateurs et acteurs du monde médiatique dénoncent une
certaine stigmatisation de l'islam par les médias. Aussi, la
théorie (assez répandue) voulant qu'il s'agisse là d'un
faux débat, lancé à l'initiative des musulmans
eux-mêmes, est infondée. En effet, la dénonciation d'un
« mauvais » traitement médiatique de l'islam en France n'est
pas l'apanage des musulmans eux-mêmes, loin de là.
C'est ce que nous prouvent des personnalités comme
Robert Badinter, célèbre avocat, universitaire et homme
politique, qui poussait un cri du coeur à ce sujet en mars 2001 au micro
de France Inter. S'insurgeant du fait que l'on arrive en France «
à isoler, à stigmatiser, ou à ce qu'ils se ressentent
comme tel, des millions de Français " et, se remémorant le
principe d'égalité mis en avant par la République, il
s'« interroge sur la raison de tous ces colloques sur l'identité ",
leur raison, leur but et se demande « à quoi [ils sont
censés nous préparer] sinon à donner chaque fois le
sentiment à ces femmes et ces hommes qu'ils sont mis à part. "
Pour lui, clairement l'on assiste aujourd'hui en France à une «
espèce de ghettoïsation morale " insupportable avec laquelle «
il est temps d'en finir ".
De son côté la rédaction de Midi
Libre, dans son édition du 8 janvier 2011, propose en la
matière un témoignage intéressant. L'article,
intitulé Pourquoi suis-je vu comme une menace ? retranscrit le
témoignage d'un musulman montpelliérain, âgé d'une
quarantaine d'années et conseiller régional. Réagissant
à un sondage qui révèle que 42 % des Français
considèrent la « communauté musulmane » comme une
menace, il s'avoue « stressé " et « dans tous [s]es
états ». Comme il l'exprime, « [lui], Français, citoyen
musulman qui aimerait bien être enterré ici, [il] constituerai[t]
une menace pour la France ? "
Ainsi, comme de nombreux autres, cet homme déplore de
devoir constater que « dès qu'il y a un problème ", les
musulmans ont tendance à être désignés en «
boucs émissaires ".
Pensant que les musulmans ne sont en réalité
qu'un « leurre ", un « ennemi imaginaire ", ce citoyen regrette que
l'islam soit instrumentalisé de la sorte, dans un cercle vicieux de la
« surenchère ".
Ces quelques exemples non exhaustifs résument
globalement les principaux reproches adressés aux médias
français dans leur traitement des actualités liées
à l'islam. Scientifiques, sociologues, chercheurs, journalistes, hommes
politiques, etc., ils sont très nombreux aujourd'hui à ne plus
hésiter à pointer du doigt ce qu'ils estiment être un
réel problème, une réelle injustice.
Si l'on en arrive aujourd'hui à une telle «
levée de boucliers », c'est certainement parce que le malaise se
fait de plus en plus sentir. Alors que ce soient les effets de la crise
économique qui accentue les tensions, ou tout simplement une
évolution naturelle du phénomène, il n'empêche que
74 % des musulmans français (de la tranche 18/50 ans) pensent que le
regard des médias français sur les musulmans constitue un «
problème ", que 83 % sont énervés, blessés ou
attristés par ce regard, et que 15 % pensent que ce regard est en partie
responsable du fait qu'ils ne soient pas à l'aise aujourd'hui en France
en tant que musulmans.
En l'occurrence, les plus grands responsables de ce «
mal-être musulman ", sont certainement, plus que toute autre chose, les
stéréotypes attribués à l'islam et à ses
fidèles. Relayés quotidiennement et plutôt abondamment dans
nos médias hexagonaux, ces derniers ne peuvent que participer à
la stigmatisation d'une partie de la population pourtant déjà
bien assez fragilisée par son implantation récente et sa mise
à l'écart géographique découlant de politiques
appliquées il y a plus cinquante ans déjà mais dont les
traces persistent.
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