Section 2/ La conquête des exoplanètes et
l'hypothèse des autres mondes
«Existe-t-il plusieurs mondes, ou n'y en a-t-il qu'un
seul ?
C'est là l'une des plus nobles et des plus exaltantes
questions dans l'étude de la nature. »
Albert le Grand (XIIIe siècle)
Si la quête des exoplanètes fascine tant, c'est
qu'elle recèle un espoir immense. Celui de trouver un jour
peut-être une vie ailleurs, qui aura germé à la
lumière d'un autre Soleil. Cette perspective donne le vertige. Apprendre
que nous ne sommes pas seuls à vivre dans cet univers, quel
bouleversement ce serait pour l'humanité !
En cette aube du troisième millénaire, nous
sommes habitués à évoquer l'immensité de l'univers.
L'infini nous est presque familier. Les télescopes de la dernière
génération nous livrent des images sur les joyaux les plus
lointains de l'univers. L'exercice est ardu, mais possible, grâce
notamment aux progrès de la théorie depuis le début du
20ème siècle, grâce au génie d'hommes
comme Georges Lemaître, Alexandre Friedmann ou encore Edwin Hubble, qui
ont montré que l'univers n'est pas statique, mais qu'il pousse, qu'il
s'étend, qu'il gonfle comme un ballon. Les conséquences de cette
découverte sont presque infinies que l'univers lui-même. Car si ce
dernier grandit, c'est qu'il a été plus petit, plus jeune, qu'il
a même dû naître, à partir d'une «
singularité », disent les spécialistes.
En effet l'hypothèse de la pluralité des mondes
est beaucoup plus ancienne que nous le croirons, elle est aussi ancienne que la
pensée sur l'univers. Au 16ème siècle déjà
Giordano Bruno, avait soutenu l'existence d'une multitude de mondes. Dans son
ouvrage, De l'infini, de l'univers et des mondes, Giordano Bruno se
refuse à l'idée que Dieu puisse limiter sa puissance pour ne
créer qu'une seule Terre. Convaincu que les étoiles du ciel sont
autant de Soleils autour desquels dansent des planètes pleines de vie,
ce théologien Dominicain affirme avec force qu'il est bien plus probable
que Dieu eut engendré des milliers et des milliers de Terres et que
chacune d'entre elles porte la vie.
1 Cité par Igor et Grichka Bogdanov, in
Avant le big bang : la création du monde, Grasset, Paris, 2004,
p 70
Ce qui l'amena à une telle conviction, c'est que
Giordano Bruno, comme l'avait fait Nicolas de Cues, s'était
interrogé sur la toute puissance divine. Il se disait en fait, si Dieu
crée tout ce qu'il peut faire, l'univers ne saurait être fini. Et
si l'Univers est infini, cela implique l'existence d'autres systèmes
solaires. A partir de cette argumentation, Bruno déduit que, «
C'est ainsi que l'excellence de Dieu se trouve magnifiée et se
manifeste la grandeur de son empire. Il ne se glorifie pas dans un seul, mais
dans d'innombrables Soleils, non pas en une seule Terre et un monde, mais en
mille de mille, que dis-je ? Une infinité de mondes. »1
De là Bruno ne doute pas que certains de ces mondes
sont habités par des êtres « semblables ou meilleurs que les
hommes ». Pour lui, la vie est partout, elle peuple les infinis.
Mêmes les étoiles et les planètes ont des âmes. C'est
en fait ce vitalisme, à la limite exagérée, qui contribua
à lui coûter la vie. La mort de Bruno sur le bûcher rappelle
que les dogmes sont prêts à vendre chèrement leur peau.
Seulement la révolution est en marche, même si elle prend parfois
un visage de douce réforme, poudré de tradition et de
modernité.
Après Giordano Bruno, l'idée des autres mondes
va continuer à hanter les esprits des astronomes et philosophes. En 1686
le Secrétaire perpétuel de l'Académie royale des sciences
française, Bernard Le Bouyer de Fontenelle va dans son livre
intitulé Entretiens sur la pluralité des mondes
réhabiliter les imaginations de Bruno. Fontenelle était lui aussi
de ceux qui, comme Giordano Bruno, pensaient que la vie n'est pas le
privilège de la Terre ; d'où il affirme qu'il existe d'autres
mondes autour d'étoiles autres que le Soleil.
Fontenelle affirmait même que les autres planètes
de notre système solaire étaient habitées par des
populations. C'est ainsi qu'il pensait qu'à côté des hommes
habitant la Terre, il existait des « luniens », des «
vénusiens », des « marsiens » etc. Sans faire un
éventail de toute cette panoplie de défenseurs de
l'hypothèse des autres mondes (Galilée, Kepler, John Wilkins,
Cyrano de Bergerac, Pierre Borel, Fatouville, Christian Huygens etc.), nous
pouvons dire que c'est de nos jours que ce débat devient plus que jamais
à l'ordre du jour, car aujourd'hui l'astronomie a découvert plus
d'une cinquantaine de systèmes planétaires autour d'autres
étoiles.
1 Cité par Michel Mayor et Pierre-yves Frei, in
Les nouveaux mondes cosmos : à la découverte des
exoplanètes, Seuil, Paris, 2001, p 46
Même s'il est vrai que la simple découverte
d'exoplanètes ne peut en aucune manière déduire
l'existence d'une vie extraterrestre, le rythme avec lequel progresse la
technologie met l'eau à la bouche de ceux qui nourrissent encore la
conviction que nous ne sommes pas seuls dans l'univers.
Trouvera-t-on de la vie ailleurs que sur Terre ? Une autre
planète dans l'univers a-t-elle réussi à rassembler
l'extraordinaire éventail de conditions que la vie semble exiger pour
paraître ? C'est la question ultime, celle qui se tient en embuscade
derrière la quête des exoplanètes. Mais pour peu qu'on
appartienne au cercle de ceux qui sont convaincus que la vie n'est pas le
privilège de la Terre et qu'elle s'est sans doute
développée sur d'autres planètes, dans d'autres
systèmes solaires, il reste à affronter une autre interrogation.
Comment, par quels moyens techniques serait-il possible de prouver l'existence
d'une vie extraterrestre ?
Si un jour l'homme parvenait à trouver une telle
preuve, il devra affronter le quatrième choc culturel de son histoire.
Après avoir appris avec Copernic qu'il n'est pas au centre de l'univers,
avec Darwin qu'il est le « descendant » d'un primate qui
lui-même est le très lointain petit-fils d'une simple cellule, et
avec Freud qu'il est soumis aux caprices de son inconscient, il lui faudra se
faire à l'idée qu'il n'est pas le seul être vivant dans
l'univers. A la lumière des développements scientifiques, il est
de plus en plus difficile d'imaginer que la Terre soit le seul havre de vie du
cosmos. Dans notre seule galaxie, plus de cent milliards d'étoiles se
côtoient, et des galaxies, on en compte par milliards dans l'univers.
Pourquoi la vie se serait-elle contentée d'apparaître sur une
seule planète aussi belle et aussi bleue soit-elle ? Chaque
étoile naît de la même façon, par la fragmentation
d'un nuage interstellaire, et crée autour d'elle un disque
d'accrétion. Même si seule une petite fraction de ces disques
donne naissance à des planètes, cela suffit pour imaginer que ces
dernières existent également par milliards et qu'une partie
d'entre elles, aidée par le hasard, a réuni les conditions
nécessaires à l'apparition de la vie.
Evidemment, il reste à trouver cette supposée
vie extraterrestre. D'après les astronomes, le plus simple dans cette
investigation, serait de capter les signaux radio en provenance d'une autre
civilisation, s'il en existe. Leur nature artificielle serait facilement
identifiable et ne laisserait guère de doute sur leur origine. Or,
jusqu'ici, les programmes (américains surtout) de recherche de signaux
extraterrestres intelligents, communément notées SETI, n'ont rien
fourni. La tâche est colossale, et ceux qui l'ont entreprise comptent sur
les chercheurs d'exoplanètes pour les aider à cibler leurs
recherches. Ils attendent notamment qu'on leur désigne les
étoiles autour desquelles
on aura détecté des planètes telluriques
situées dans la zone habitable, une zone définie autour de chaque
étoile, en fonction de sa luminosité propre, où l'eau peut
exister à l'état liquide.
Les aspects les plus naïfs de cette recherche sont
certainement les tentatives de détection de signaux radio provenant
d'éventuels êtres intelligents. La plus connue est le programme
SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) lancé aux Etats-Unis
par Frank Drake en 1960. Ce programme mobilise depuis cette époque une
partie du temps d'observation d'un certain nombre de radiotélescopes, ce
qui a ainsi permis leur perfectionnement. Cette recherche postule donc que ces
êtres connaissent, la technologie scientifique de communication par ondes
inter changées. Jusqu'à présent aucun résultat n'a
été obtenu, et il faut reconnaître que de notre
côté nous n'avons fait que très peu d'efforts pour envoyer
des signaux à destination d'autres étoiles. Parmi toutes ces
tentatives, il semble que les essais de détection de traces de vie
passées dans notre système solaire paraissent plus
sérieux, et bénéficient sans doute de plus grandes chances
de succès. Nous précisons « traces de vie passées
», car les conditions actuelles sur les planètes et satellites en
dehors de la Terre, paraissent aujourd'hui très peu propices à
l'émergence de la vie.
Les premiers essais réalisés par le programme
VIKING sur Mars en 1975, étaient, d'après les
spécialistes, trop rudimentaires pour que l'on ait pu en espérer
sérieusement un résultat positif. Les diverses recherches de
traces de vie dans les roches lunaires et les météorites, n'ont
également fourni aucun résultat convaincant. Il nous faut, pour
espérer quelque chose dans cette tentative, maintenant attendre
l'analyse d'échantillons martiens.
Mais d'abord, qu'est-ce que la vie ? Les spécialistes
s'accordent à la définir par l'existence de cellule, qui peut se
reproduire, évoluer et s'autoréguler face au milieu ambiant. Ces
mêmes spécialistes estiment aussi qu'il ne peut y avoir d'autre
chimie du vivant que celle du carbone ; d'ailleurs, les molécules
peut-être pré-biotiques que l'on trouve dans le milieu
interstellaire et les comètes sont des hydrocarbures et des
molécules azotées, dotées de la même chimie
organique que celle terrestre. Stanley Miller et Harold Urey en 1953, puis
ultérieurement d'autres chercheurs, ont synthétisé des
acides aminés, brique de base de l'ADN et des protéines qui sont
des constituants essentiels de la cellule, en faisant agir différentes
sources d'énergie sur un mélange de molécules simples avec
de l'eau. Malgré l'expérience de Miller et Urey, l'apparition de
la vie sur Terre continue de rester un mystère.
Quoiqu'il en soit, les premières cellules sont apparues
très tôt, moins d'un milliard d'années après la
formation de la Terre il y a 4,6 milliards d'années. Un autre fait
établi est que, c'est la vie qui a formé via l'assimilation
chlorophyllienne, l'oxygène libre qui constitue prés de 20% de
l'atmosphère terrestre, et indirectement de l'ozone qui n'est que de
l'oxygène enrichie par réactions photochimiques.
Dés lors, on peut chercher à détecter
indirectement des traces de vie sur les planètes extrasolaires en y
recherchant par la spectroscopie, les traces d'oxygène, d'ozone ou
même de chlorophylle. Il existe des projets de ce genre (le programme
DARWIN de l'ASE, Agence Spatiale Européenne, et le programme Terrestrial
Path Finder, TPF, de la NASA, qui seront probablement amenés à se
fusionner), qui envisagent de voir directement des planètes autour
d'étoiles proches avec plusieurs télescopes satellisés,
pour en faire la spectroscopie. Ces projets, même s'ils sont ambitieux,
sont d'une grande difficulté, car une planète comme la Terre est,
des millions de fois, moins lumineuse que l'étoile autour de laquelle
elle gravite. Il s'agit pourtant de la meilleure, et peut-être de la
seule façon de détecter la vie dans d'autres systèmes
planétaires que le nôtre.
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