INTRODUCTION
Pourquoi l'homme s'intéresse-t-il au ciel ? Pourquoi
cherche-t-il à connaître la composition de Mars, le nombre
d'étoiles qui forment notre galaxie, l'âge de l'univers ? Il est
difficile de répondre à ces questions, et nombre d'entre nous
renoncent devant ce qui apparaît comme une entreprise trop difficile,
trop éloignée de notre vie quotidienne. Pourtant, le ciel
étoilé attire irrésistiblement l'attention de tout
être humain, aussi bien le plus réticent aux développements
scientifiques, que le plus préoccupé des affaires terrestres. La
tension est inévitable, elle est humaine et se trouve sous des formes
différentes à travers toute l'histoire de l'humanité. On
voit donc par là que la préoccupation astronomique rejoint celle
de l'existence humaine ; au point que l'on peut dire que s'intéresser
à l'astronomie est une autre façon de s'interroger sur le sens de
la vie. D'où, c'est à travers la question du sens de la vie que
l'on peut trouver un lien entre l'astronomie et la philosophie.
Comme cela était de coutume chez Aristote, il est
toujours bon, selon notre avis, d'aborder une science en partant de son
histoire, et l'astronomie en particulier, ancienne science s'il en est. En
effet, la meilleure façon de comprendre l'état actuel de cette
discipline, est de suivre en quelque sorte le progrès de sa logique
depuis ses premiers balbutiements, jusqu'aux idées les plus savamment
élaborées de nos contemporains. En vérité, l'image
du Monde, de ce que nous appelons aujourd'hui l'univers, s'est progressivement
construite, entre dogmes, paradigmes et scepticisme, pas à pas, comme un
édifice à l'architecture superbe, mais si complexe qu'elle risque
d'être tout à fait incompréhensible à qui ne suit
pas ses avatars successifs dans le temps.
Mais avant toute réflexion sur l'univers,
commençons par poser la distinction suivante entre l'univers et le
monde. L'univers peut se définir comme l'ensemble, non pas de tout ce
qui existe, mais de ce que nous voyons se dessiner en perspective dans le ciel.
Quant au monde, il n'est qu'une unité dans l'ensemble de l'univers,
c'est un système de corps unis par les liens d'une attraction mutuelle.
Tel est le système solaire, notre monde, qui se compose d'une
étoile centrale, le Soleil, et d'une foule de petits corps froids, les
planètes et leurs satellites. Comme le note si bien Paul Clavier, «
L'univers nous contient comme de simples objets : nous n'avons pas
directement affaire à lui. Nous n'habitons pas immédiatement
l'univers comme nous habitons le
monde. Nous sommes au monde ; tandis que nous sommes dans
l'univers. Comment dés lors donner à cette idée d'univers
un contenu plus déterminé ? »1
Si l'on regarde l'histoire de la pensée occidentale, on
se rend compte que le développement des sciences aussi bien cosmologique
qu'astronomique a connu trois grandes étapes, chacune marquée par
une image particulière que l'homme se faisait de l'univers. La
première grande étape, particulièrement marquée par
la conception aristotélicienne, a connu son apogée avec les
travaux astronomiques de Ptolémée. En effet selon la conception
aristotélicienne, l'univers était clos, fini et
hiérarchisé. Aristote considérait en fait une organisation
qui était basée sur la Terre qui selon lui était fixe et
immobile, d'où ce dernier plaçait celle-ci au centre de
l'univers. A côté de ce fait caractéristique de la
cosmologie d'Aristote, il faut aussi noter que ce dernier concédait une
division de l'univers en deux mondes séparés l'un et l'autre par
la position de la Lune. Ce qui fait, qu'au dessous de la Lune se trouve le
monde sublunaire caractérisé par le changement et la corruption ;
tandis qu'au dessus de la Lune était le monde supra lunaire
limité par la sphère des étoiles fixes, et
caractérisé par la stabilité et la perfection. C'est cette
conception de l'univers qui va pendant prés de vingt siècles
dominer la science astronomique jusqu'au 16ème
siècle.
Sans entrer dans les détails de l'univers d'Aristote,
on peut souligner le fait que cette conception a influencé la
pensée occidentale dans son aspect le plus profond. En effet, à
la moitié du 16ème siècle, la crise politique
qui sévissait en Europe va entraîner un bouleversement des valeurs
intellectuelles et religieuses qui, par sa profondeur a conduit à la
naissance de nouvelles conceptions aussi bien sur le plan intellectuel que sur
celui de la religion. C'est à cette époque en effet, que vont
naître les doctrines réformistes, telles que celle de Luther et de
Calvin, mais aussi dans le domaine intellectuel, on assiste à la
réhabilitation d'anciennes idées qui vont rivaliser avec
l'aristotélisme : c'est l'époque de la Renaissance.
L'étape de la renaissance n'a en fait épargné aucun
domaine de connaissance. Dans le domaine de l'astronomie, c'est à cette
époque, qu'on a assisté à l'émergence de nouvelles
théories qui, par les conséquences qu'elles ont
entraînées, sont restées sans précédentes. En
effet, en 1543 va paraître dans le domaine de l'astronomie un ouvrage qui
va bouleverser totalement la conception que l'on se faisait de l'univers.
Imprimé à Nuremberg, le livre Des
révolutions des orbes célestes de Copernic va marquer un des
tournants essentiels de la pensée cosmologique moderne. Car avec lui
s'ouvrent les temps
1 Paul Clavier « L'idée d'univers
», in Notions de philosophie I, sous la
direction de Denis Kambouchner, Folio essais, 1995, p32
modernes, non seulement pour l'astronomie, mais aussi pour la
philosophie. Dans le dixième chapitre de l'ouvrage, Copernic
présente l'ordre nouveau de l'univers qu'il propose. Au centre du
système, centre aussi du monde, se tient le Soleil, astre fixe
entouré des orbes solides lesquels emportent les planètes dans
leur révolution. Copernic y montre que la Terre, mobile, tourne sur
elle-même en vingt-quatre heures et, prenant rang parmi les
planètes, elle parcourt en un an sa trajectoire autour de
l'écliptique. Cependant, comme dans l'univers d'Aristote, le nouvel
univers de Copernic est limité par la sphère des étoiles
fixes, sphère qui selon Copernic est immobile.
La nouvelle image de l'univers proposée par Copernic,
va très tôt soulever des interrogations qui vont très vite
dépasser les préoccupations cosmologiques. La plus fondamentale
de ces questions est celle de la décentralisation de la Terre. En effet,
en ôtant la Terre de la place centrale qui lui était
assignée, la conception cosmologique de Copernic ouvrait un débat
dont les conséquences tournaient non seulement autour de l'idée
que l'homme se faisait de sa propre existence, mais aussi de la relation que ce
dernier entretenait avec l'univers et Dieu.
Car si l'homme n'est géographiquement plus au centre de
l'univers, comment peut-on expliquer le fait que ce dernier se considère
comme étant au centre de la création ? En plus, si la Terre est
ontologiquement semblable aux autres planètes, ne serait-il pas
légitime de croire à l'existence d'une multiplicité de
mondes identiques au nôtre. Toutes ces questions qui transcendent la
révolution amorcée par Copernic, vont au cours des siècles
qui vont succéder à la révolution copernicienne, trouver
plusieurs intérêts.
Comme pour la première étape, nous n'allons pas
ici souligner toutes les conséquences de la révolution
copernicienne. C'est ainsi que nous allons sans outre mesure, passer à
la troisième grande révolution de la cosmologie qui, a vu
naître l'univers du big bang. En effet, parti des travaux de
Lemaître et de Friedmann, l'univers du big bang tout en concédant
une illimitation à l'univers, souligne que celui-ci est né d'une
explosion initiale à partir de laquelle l'univers a évolué
en engendrant sur son passage les différentes formes ; allant de la
formation des étoiles et galaxies à celle des planètes, et
de l'apparition de la vie à l'émergence de l'homme et de la
conscience. Comme pour les deux révolutions qui ont été
décrites ci-dessus, l'univers du big bang pose en lui-même des
interrogations qui ne sont pas seulement propre à la cosmologie.
Dans la dernière décennie du
20ème siècle, les développements de la
recherche astronomique nous ont entraînés vers la
découverte des exoplanètes. Depuis la première
réalisée en 1992, on s'est rendu compte désormais que le
phénomène de la formation des systèmes solaires n'est
pas
seulement propre à notre galaxie. Ce dernier constitue
un fait universel, dans la mesure qu'il est inhérent à la nature
elle-même : donc relevant des lois du cosmos. Or, tenons-nous bien,
l'existence de ces exoplanètes, de nos jours indubitables, tout en
ouvrant le débat jadis posé de l'hypothèse de la vie
extraterrestre, bouscule dans une certaine mesure le statut
privilégié de l'homme ; c'est-à-dire un être au
centre de la biosphère.
Même si avec les instruments disponibles de nos jours,
il n'est pas possible de découvrir des planètes semblables
à la Terre, rien ne nous dit que dans l'avenir la technologie
d'observation ne nous permettra pas de découvrir des traces de vie dans
un autre système solaire. C'est au regard de toutes ces interrogations
philosophiques et métaphysiques que pourraient soulever les
progrès ultérieurs de la science, que nous avons choisi cette
esquisse de recherche.
C'est ainsi que dans le souci d'une élucidation de
notre propos, nous nous sommes proposé de traiter ce sujet en deux
grands axes ? La première partie essentiellement consacrée
à la science classique, va montrer comment à partir de la
cosmologie d'Aristote, la révolution copernicienne va remodeler l'image
que l'homme s'est fait de l'univers. Dans la deuxième partie axée
sur l'univers du big bang, nous allons discuter des diverses questions que
soulèvent les progrès scientifiques du 20ème
siècle. De ces questions vont figurer par exemple l'interrogation sur
l'origine de l'univers, ainsi que l'hypothèse des autres mondes.
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