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Cosmologie de l'émergence et pensée du chaos : au-delà  de la science classique..

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par Bernard Coly
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2005
  

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Résumé

Nous avons assisté en cette fin de 20ème siècle à un véritable bouleversement dans notre façon de concevoir le monde. Après avoir dominé la pensée occidentale pendant 300 ans, la vision newtonienne d'un univers fragmenté, mécaniste et déterministe a fait place à celle d'un monde holistique, indéterministe et exubérant de créativité.

Pour Newton, l'univers n'était qu'une immense machine composée de particules matérielles inertes, soumises à des forces aveugles. A partir d'un petit nombre de lois physique, l'histoire d'un système pouvait être tout entière expliquée et prédite si l'on pouvait le caractériser à un instant donné. Le futur était déjà contenu dans le présent et le passé, et le temps était en quelque sorte aboli. Si bien que nous nous retrouvions face à une étrange dichotomie : d'une part, des lois de la Nature invariantes et intemporelles ; d'autre part, un monde changeant et contingent ; d'une part, des lois de la physique qui ne connaissent pas la direction du temps ; d'autre part, un temps thermodynamique et psychologique qui va toujours de l'avant. Un château non entretenu tombe en ruines, une fleur se fane et nos cheveux blanchissent au fil du temps, jamais l'inverse. L'univers était enfermé dans un carcan rigide qui lui ôtait toute créativité et lui interdisait toute innovation. Tout était irrémédiablement fixé à l'avance, aucune surprise n'était permise. Ce qui provoqua la célèbre phrase de Friedrich Hegel : « Il n'y a jamais rien de nouveau dans la nature. » C'était un monde où le réductionnisme régnait en maître. Il suffisait de décomposer tout système complexe en ses éléments les plus simples et d'étudier le comportement de ses parties pour comprendre le tout. Car le tout n'était ni plus ni moins que la somme des composantes. Il existait une relation directe entre la cause et l'effet. L'ampleur de l'effet était invariablement proportionnelle à l'intensité de la cause et pouvait être déterminé à l'avance.

Ce déterminisme contraignant et stérilisant, ce réductionnisme rigide et déshumanisant prévalurent jusqu'à la fin du 19ème siècle. Ils furent bousculés, transformés et, en fin de compte, balayés par une vision beaucoup plus exaltante et libératrice au cours du 20ème siècle. La dimension historique entra en force dans nombre de disciplines scientifiques. La contingence occupa une place à part entière dans des domaines aussi variés que la cosmologie, l'astrophysique, la géologie, la biologie et la génétique. Le réel n'était plus seulement déterminé par des lois naturelles appliquées à des conditions initiales particulières ; il était aussi modelé et façonné par une suite d'événements contingents et historiques. Certains de ces épisodes, modifiant et bouleversant la réalité à son niveau le plus profond, étaient à l'origine même de notre existence. Ainsi celui du bolide rocailleux venu percuter la Terre il y a quelques 65 millions d'années : en provoquant la disparition des dinosaures et favorisant ainsi la prolifération de nos ancêtres les mammifères, ce choc contingent fut responsable de notre émergence. Le rêve formulé par Laplace au 18ème siècle d'une intelligence qui « embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome. », et pour laquelle « rien ne serait incertain.... et l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux », volait en éclats.

L'intrusion de l'histoire ne fut pas seule responsable de la libération de la nature. Les lois physiques perdirent elles-mêmes de leur rigidité. Avec l'avènement de la mécanique quantique au début du 20ème siècle, le hasard et la fantaisie entrèrent en force dans le monde subatomique. Et à l'ennuyeuse certitude déterministe se substitua la stimulante incertitude du flou quantique. Le réductionnisme étroit et simpliste fut balayé et la réalité morcelée et localisée devint holistique et globale. Le monde macroscopique ne fut pas épargné : avec la théorie du chaos, le hasard et l'indétermination envahirent non seulement la vie de tous les jours, mais aussi le domaine des planètes, des étoiles et des galaxies. L'aléatoire fit irruption dans un monde par trop minutieusement réglé. Une simple relation de cause à effet n'était de mise. L'ampleur des effets n'était plus toujours en proportion avec l'intensité des causes. Certains phénomènes étaient si sensibles aux conditions initiales qu'un infime changement au début pouvait conduire à un changement tel, dans l'évolution ultérieure du système, que toute prédiction devenait vaine. Les propos tenus par Henri Poincaré en 1908 -« Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard » - ne pouvait être plus éloignés de formulations laplaciennes.

Débarrassée de son carcan déterministe, la Nature peut donner libre cours à sa créativité. Les lois intemporelles de la physique lui fournissent des thèmes généraux autour desquels elle peut broder et improviser. Elles délimitent le champ du possible et offrent des potentialités. C'est à la nature de les réaliser. C'est à elle de décider de son destin et de définir son futur. Pour fabriquer la complexité, la nature va miser sur le non-équilibre, dans la mesure où les structures ne naissent qu'à partir de situations hors d'équilibre. La symétrie n'est intéressante que dés l'instant où elle est brisée. C'est éloigné de l'équilibre, que la matière génère de l'inédit. L'ordre parfait est stérile, alors que le désordre contrôlé est créatif, le chaos déterministe, porteur de nouveautés. La nature innove ; elle crée des formes belles et variées qui ne peuvent plus être représentées par des lignes droites ou de simples figures géométriques, mais par des courbes plus complexes que Benoît Mandelbrot a appelées « fractales ».

La matière s'organise selon des lois d'organisations et des principes de complexité, et acquiert des propriétés « émergentes » qui ne peuvent être déduites de l'étude de ses composantes. Le réductionnisme est bien mort. Cette liberté recouvrée de la nature jette un éclairage nouveau sur l'ancienne dichotomie entre les lois physiques intemporelles, éternelles et immuables, et le monde temporel, changeant et contingent : la nature est dans le temps car elle peut innover et créer autour de lois hors du temps.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus