Chapitre I : Les incidences législatives et
conventionnelles.
Il faut préciser ici que si le constat unanime est
qu'il y a une résistance de la pratique des mariages précoces,
celle-ci peut être liée à la façon dont on applique
les normes nationales et internationales et du fait que les Etats n'appliquent
pas la législation nationale conformément aux normes
universelles. Il est important de voir, d'une part, la loi nationale (section
I) et d'autre part, les instruments internationaux et régionaux de
droits humains (section II).
Section I : La loi nationale.
S'il n'y a pas de doute que l'un des rôles de la loi est
de rendre la société stable. Il convient de voir si l'impact de
la loi nationale (paragraphe I) et la nature de la sanction civile et
pénale (paragraphe II) nous permettent de dire que la loi nationale joue
véritablement son rôle, qui est de stabiliser la
société sénégalaise. Relativement à la
résistance de ce phénomène qu'est le mariage d'enfant,
autrement dit, le non-respect de l'âge légal pour se marier.
Paragraphe I : L'impact de la loi nationale.
« Le mariage précoce est tout mariage
contracté avant l'âge de 18 ans, avant que la jeune fille ne soit
physiquement, physiologiquement et psychologiquement prête à
assumer les responsabilités du mariage et de la reproduction
».5 En vérité, si
5 Op. cit
on prend en considération cette définition du
mariage précoce on peut dire que le législateur
sénégalais a donné une base légale au mariage
d'enfant à travers l'article 111 du Code de la famille qui dispose que :
« le mariage ne peut être contracté qu'entre un homme
âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16
ans sauf dispense d'âge accordée pour motif grave par le
Président du tribunal régional après enquête ».
Même si, par ailleurs, on se félicite qu'au Sénégal
il y a une législation relative à la réglementation de
l'âge du mariage, ce qui n'est pas le cas dans beaucoup d'autres pays.
Cependant, il est important de se demander si à l'époque
où le Code de la famille du Sénégal était
élaboré la législation relative à l'âge
minimal du mariage n'était pas conforme avec les réalités
de notre société de l'époque. En revanche cela ne dispense
pas le législateur de tout critique, car ce qui n'est pas
tolérable et constitue une véritable atténuation à
l'impact qu'aurait dü avoir la loi nationale relative à la
réglementation de l'âge du mariage c'est la lenteur dans la
procédure de correction des incohérences des lois, qui sont
inadaptées relativement à l'évolution de la
société. De plus, ce qui est également regrettable et
constitue une atténuation à l'impact de la loi nationale sur la
pratique du mariage précoce est qu'on observe l'existence de ce dernier,
cependant, on note aussi l'existence d'une loi qui le prohibe ce qui
n'empêche pas les individus de se marier à un âge
précoce. Par conséquent, nous soulignons une persistance de ce
phénomène. A notre avis cette situation appelle de multiples
questions à savoir : si la loi nationale a un impact réel sur les
mariages d'enfant? Si l'Etat du Sénégal est capable de faire
application des lois existantes et de corriger les incohérences entre
les lois nationales relatives à l'âge du mariage et les coutumes
et pratiques religieuses enracinées? Si l'Etat a la volonté
politique de résoudre le problème relatif à la pratique du
mariage précoce ? Il convient de préciser que toutes ces
questions constituent un indicateur qui nous permettra de mesurer l'impact de
la loi nationale relative au mariage précoce, si toutefois nous
parvenons à y répondre convenablement.
D'abord, il convient de dire que la législation
nationale relative à l'âge légal du mariage n'a pas eu
l'effet escompté sur la pratique du mariage précoce malgré
une législation claire, on observe la persistance du
phénomène. Il est important de noter
que cette persistance du mariage précoce est
favorisée en partie par une carence dans l'application de la loi ou bien
parce que les praticiens du droit n'ont pas souvent eu l'occasion de statuer
sur la question, car on note qu'au niveau de nos juridictions rares sont les
cas de contentieux, relatifs au mariage précoce, qui atterrissent devant
le prétoire. En réalité cette situation est
favorisée du fait que les mariages précoces sont
célébrés de façon religieuse ou coutumière
sans que les époux n'aillent, par la suite, le faire constater devant
l'officier de l'état civil soit ils persistent dans cette situation
jusqu'à ce que la femme ait conçu ou atteint l'âge requis
pour se marier. Et en cas de problème dans le couple pour divorcer ils
sont obligés d'aller devant le juge qui, malheureusement, ne pourra que
régulariser le mariage pour ensuite prononcer le divorce demandé
par les époux et tout cela sous le couvert de l'article 142
alinéa 4 du Code de la famille6 qui dispose que : «
lorsque l'un des époux n'avait pas l'âge requis, la nullité
ne peut être invoquée après qu'il ait atteint cet âge
ou lorsque la femme a conçu, à moins que l'action ne soit
intentée par la femme elle-même ». L'autre aspect du
problème consiste en ce que les futurs époux se marient de
façon coutumière ou religieuse précocement sans
constatation ni régularisation. Ainsi, une fois le mariage
consommé avec la personne encore mineure et que cette consommation
précoce du mariage occasionne pour cette dernière des
problèmes de santé très graves du fait que l'épouse
n'était pas physiologiquement mature pour entretenir des rapports
sexuels. Le problème sera résolu dans la famille, parce que
très souvent ce sont des mariages entre parents (cousin et cousine), ce
qui exclut l'option de saisir les tribunaux.7
Ensuite, il convient d'expliciter la position de l'Etat,
autrement dit, si celui-ci a la volonté politique de mettre un terme aux
mariages précoces ; car il faut préciser que la volonté
politique réside dans les actes et nullement dans les paroles. Par
ailleurs on ne manque pas de constater l'abondance des programmes, des
études et des séminaires, pour ne citer que cela, afin d'exprimer
théoriquement la volonté de l'Etat pour lutter contre la pratique
des mariages précoces mais tout cela finira au
6 Entretien avec le Président du tribunal
départemental de Tambacounda. 7Entretien avec le
Président du tribunal départemental de Kanel (Matam).
mieux par être consigné dans des rapports, qui
seront oubliés au fond des tiroirs. La volonté politique de
l'Etat doit résider dans la mise en oeuvre des actions concrètes
à savoir un cadre juridique efficace, appuyé par des ressources
et des mécanismes d'application de la loi ce qui pourra constituer une
garantie de la volonté politique de nos gouvernants en faveur de la
lutte contre le mariage d'enfant.
Enfin, il serait intéressant de voir la capacité
de l'Etat à faire appliquer les lois existantes et de corriger les
incohérences entre les lois nationales relatives à l'âge du
mariage et les coutumes et pratiques religieuses. La capacité de l'Etat
à corriger les incohérences est plus facilement concevable, car
il s'agira sur le plan organisationnel de mettre en place une commission qui
étudie et relève les incohérences notées afin de
proposer des réformes, qui seront mises à la disposition du
parlement qui se chargera de traduire ces propositions en lois de la
République qui seront applicables dans l'ordre juridique
sénégalais. Mais, il va de soi que toutes ces réformes
seront accompagnées d'un budget, l'Etat doit prévoir cela et y
mettre les moyens qu'il faut. L'autre problème qui mérite une
attention particulière, car très délicat, est
l'application de la loi nationale qui n'est pas toujours conforme avec les
aspirations coutumières et religieuses de la population. Il faut dire
que c'est là le noeud du problème que l'Etat doit résoudre
avec fermeté, car si chacun se prévaut de l'application de ses
propres règles coutumières ou religieuses on risque de voir la
continuation de la pratique du mariage précoce, qui est un
problème sensible et tabou mais cela ne doit pas constituer un obstacle
pour les autorités publiques afin qu'elles prennent leurs
responsabilités en abrogeant toutes les lois et pratiques
coutumières et religieuses qui ne sont pas conformes aux normes
nationales et internationales, du reste, il nous faut un Etat fort dont les
convictions vont dans le sens de mettre en place une législation
garantissant les droits humains et plus particulièrement ceux des femmes
et des enfants qui se trouvent être les catégories les plus
vulnérables.
Par ailleurs, s'il est vrai que la pratique du mariage
précoce est sanctionnée clairement au civil, il convient de noter
que ce n'est pas le cas au pénal. Donc, il est intéressant de
voir la nature de la sanction civile et pénale.
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