2. Les publics des bibliothèques
a. Analyse des publics
Le public est aujourd'hui un facteur dominant des
politiques culturelles et est un enjeux du métier de
bibliothécaire. En effet, depuis les années 1970 et le
début de l'évaluation des pratiques culturelles des
français, on classe et on évalue annuellement les
différents publics qui fréquentes les bibliothèques et
participent à leurs activités culturelles. En comparant les
résultats de ces statistiques, qui offrent un aperçu
numérique de la fréquentation, des pratiques et des besoins
culturels, de l'âge, de la catégorie socioprofessionnelle, du sexe
des usagers des bibliothèques, les collectivités territoriales
peuvent élaborer des politiques culturelles spécifiques,
adaptées à chaque public.
A l'image des enquêtes de l'INSEE, les
bibliothécaires analysent les publics de leurs instituts par la
méthode qualitative ou bien par la méthode quantitative. Celle-ci
est basée sur la comptabilité mathématique de
réponses à un questionnaire distribué à 200
personnes minium, tandis que la méthode qualitative est établie
sur un échantillon de 20- 25 personnes. Une interview permet alors de
rassembler les représentations sociales des usagers et de définir
leurs pratiques et leurs besoins. Dans le cadre de notre enquête nous
avons choisi d'utiliser la seconde méthode, qui place les demandes du
public dans un cadre plus spécifiquement sociologique. A cette
méthode qualitative nous avons joint le listage de l'offre des
bibliothèques interrogées selon des facettes spécifiques
(les catégories d'usagers segmentées par l'âge, les
contenus des collections, les supports proposés, le temps de l'offre,
etc.). La représentation des usagers de la bibliothèque a la
forme d'une grille qui permet d'analyser chaque besoin et d'exploiter la
relation de l'organisme aux groupes étudiés.
b. Le public âgé dans les
bibliothèques
·:. La fréquentation du public
âgé
L'âge est le critère principal des
segmentations analytiques faites par les bibliothécaires lors des
enquêtes sur les publics. Parmi les autres catégories d'usagers,
celle des personnes âgées est traditionnellement divisée en
deux tranches d'âges (les 55 à 64 ans et les 65 ans et plus) bien
qu'aujourd'hui, suite à l'allongement du vieillissement et de
l'espérance de vie, on distingue trois sous-catégories : 60-69
ans pour les retraités, 70 à 84 ans pour le 2ème âge
et les plus de 85 ans pour le << grand âge ».
L'articulation entre personnes âgées et
bibliothèques est problématique, car elles représentent la
catégorie de lecteurs la plus éloignée des structures
publiques de lecture. Dans l'ensemble des bibliothèques
étudiées par notre enquête << Seniors et
bibliothèques », 21 % des usagers ont entre 50 et 60 ans, 12 % ont
de 61 ans à 64 ans, 10% ont de 65 à 74 ans et juste 2% ont 74 ans
et plus. Dans son mémoire sur les personnes empêchées,
Ophélie Ramonatxo, ancienne élève à l'ENSSIB,
mentionne une enquête réalisée en 1988 par la Fondation
Nationale de Gérontologie (FNG), selon laquelle les actifs
âgés de 55 ans et plus qui fréquentent la
bibliothèque ne représentent que 10%, tandis que les usagers de
25 ans représentent la moitié des abonnés. L'enquête
<< Les pratiques culturelles des Français » de 2008 confirme
ces données : si 26% des usagers âgés de 20 à 34 ans
fréquentent régulièrement la bibliothèque, 83% des
personnes ayant plus de 55 ans ne s'y rend jamais.
En somme, si on observe la part d'usagers par rapport
au nombre total d'inscrits, le peu de fréquentation des
bibliothèques par les personnes âgées est évidente,
ce qui traduit leur mise à l'écart par les politiques culturelles
adoptées par les bibliothèques françaises.
·:. Un public exclu
L'éloignement des personnes âgées des
bibliothèques s'explique par des causes physiques, logistiques,
sociologiques et culturelles.
-L'éloignement géographique est une
cause importante de la basse fréquentation des bibliothèques par
les publics âgés, et cela surtout en campagne, oü les
habitations sont éparses et éloignées des centres villes.
Le différentiel culturel ville/campagne avait pourtant diminué
dans les années 1980, grâce à la politique culturelle de
décentralisation, impulsée par le Ministère de la Culture
et de la Communication, et la multiplication dans les campagnes des
Bibliothèques Départementales de prêt et des réseaux
de lecture, donnant naissance à une mosaïque de
sociétés rurales et à une évolution des
mentalités en faveur de la lecture.
Dans les anciennes campagnes, la lecture était
tabou. De multiples exemples illustrent l'« interdiction » de la
lecture dans les milieux ruraux, oü elle était perçue comme
oisiveté, à l'opposé de la valorisante fatigue des travaux
agricoles, ou bien un signe d'individualisme et de rupture avec la
collectivité. Même s'il s'est atténué, le tabou que
la lecture suscite en campagne n'a toujours pas disparu et, pour ceux qui
cultivent ce plaisir, elle peut encore être une lutte et une
transgression des interdits. Cela surtout pour les personnes
âgées, qui ont grandi dans un milieu traditionnel, avant que les
politiques culturelles nationales et territoriales encouragent la lecture aussi
dans les campagnes, et qui composent aujourd'hui une partie importante de la
population. En effet, selon une enquête de Bernard Kayser datée de
1990, les campagnes se composent de 74% de ruraux actifs, salariés et
cadres moyens et de 41% de retraités, dont 11% de retraités
agricoles et 30% de retraités autres.
-L'éloignement socioculturel est un autre
facteur explicatif de l'éloignement et non fréquentation des
bibliothèques de la part des personnes âgées. Leur manque
de familiarité avec la lecture est aussi due au contexte de leur
formation et à l'inexistence d'une pratique constante depuis la
jeunesse. Dans le passé récent, la lecture était l'apanage
des classes urbaines aisées, tandis qu'elle était peu
présente dans les classes moyennes et dans les campagnes
françaises. Les personnes âgées vivants en milieu rural
n'ont donc pas bénéficié des apports de la culture pendant
leur jeunesse. Une étude récente de Chloé Tavan
démontre aussi l'importance des héritages dans les pratiques
culturelles : plus nos parents lisent et plus nous lisons. Ainsi, avant 1935 le
nombre de personnes qui ne pratiquaient aucune activité et qui n'avaient
pas d'accès à la culture était supérieur à
ceux
qui exerçaient au moins une activité,
alors qu'une enquête menée en 2003 montre que la tendance s'est
inversée et le nombre de jeunes ayant plusieurs activités est
supérieur à ceux qui n'en pratiquent pas.
-Un facteur de l'éloignement des
bibliothèques de la part des personnes âgées, en campagne
aussi bien qu'en ville, sont les handicaps physiques et la déficience
visuelle, qui les caractérisent comme public <<
empêché >>. Ce constat met en évidence l'importance
d'une des missions des bibliothécaires d'aujourd'hui,
c'est-à-dire l'accueil de tous les publics et la lutte contre les
exclusions, les piliers d'une politique de démocratisation de la
lecture. Cet aspect est renforcé par la définition de
bibliothèques publiques du Manifeste de l'Unesco. Ainsi, selon Bertrand
Calenge : << Les bibliothèques sont porteuses d'une exigence
communautaire de services particuliers en directions de groupes particuliers.
>> La bibliothèque doit donc être au service de tous les
publics (non-lecteurs, exclus de la lecture ou faibles lecteurs).
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