Section II : Plan de sensibilisation
I : Sensibilisation des populations
concernées
Les institutions de la société civile, notamment
les ONGs, pourront apporter positivement leur concours à la recherche de
solutions aux conflits entre agriculteurs et éleveurs. Leur contribution
relève particulièrement de leur compétence en
matière de résolutions de conflits (par exemple des ONGs
religieuses qui interviennent dans ce domaine, ou des organisations
socioprofessionnelles). Il n'est pas exclu non plus qu'un projet de
développement puisse agir dans le domaine de la sensibilisation des
parties prenantes afin de pouvoir agrandir l'impact de ses interventions.
Chez l'ensemble des acteurs, il existe un grand besoin
d'information sur les procédures en vigueur en matière de
conciliation/gestion des conflits. L'ignorance des procédures constitue
un sérieux handicap pour les agriculteurs et les éleveurs quand
il s'agit de défendre leurs droits. Aussi, la plupart des citoyens sont
très souvent perdus dans leur démarche, avec à terme le
découragement et la frustration pour avoir dépensé temps
et argent pour rien. La connaissance des procédures pourra être
améliorée à travers les ateliers organisés à
la demande des associations ou groupements villageois, ou bien diligenté
par des organismes comme la FNEC pour les éleveurs.
Il est indispensable d'instruire les acteurs à la base,
notamment les éleveurs, sur leurs droits, en identifiant les outils
didactiques appropriés). Nombreux sont les acteurs (les éleveurs
surtout) qui sont en train de subir des peines ou de s'acquitter d'amendes
qu'ils n'auraient pas dû payer s'ils avaient été au courant
des textes juridiques en vigueur. L'enseignement des règles
élémentaires de droit aux populations villageoises leur
permettrait de mieux se défendre des autorités qui
profitent souvent de leur naïveté pour les racketter.
Ces enseignements pourraient s'effectuer sous forme ludique
(théâtre, sketches,...), de projection de films, etc.
I.1. prévention et résolution des
conflits
Les solutions en matière de prévention et de
résolution de conflits s'adressent aux sources structurelles des
conflits. Elles partent de l'hypothèse qu'une fois les causes des
conflits enlevées, leur fréquence diminuerait. Comme
précédemment développées, ces causes concernent
principalement : (i) la faiblesse des rapports économiques et sociaux,
et de ce fait l'absence de contrat social entre les deux groupes, (ii)
l'absence des bases consensuelles en ce qui concerne la gestion conjointe des
ressources naturelles partagées, et (iii) les inégalités
en matière de capacité de s'en sortir face à la
détresse actuelle que vit le secteur rural.
Il faudra cependant souligner que les conflits relatifs
à l'utilisation des ressources naturelles entre agriculteurs et
éleveurs sont et resteront inhérents à la cohabitation de
ces deux groupes. Dans un contexte d'utilisation commune des ressources
naturelles, la compétition et l'existence des différences
socio-économiques entre acteurs sont les paramètres tributaires
des systèmes de production et des modes d'exploitation de la brousse en
vigueur, qui se rabattent au moins durant certaines périodes de
l'année sur les mêmes types de milieu. L'équilibre, qui
pourra éventuellement être créé par la mise en
oeuvre de certaines mesures palliatives et certains choix politiques, pourra
cependant être remis en cause à tout moment, dès qu'un des
paramètres qui le soutiennent change (une importante
épidémie animale, l'effondrement d'une filière,
l'instabilité politique et sécuritaire, etc.). Une solution
définitive des problèmes entre agriculteurs et éleveurs,
telle que certains acteurs la souhaiteraient, ne pourra donc pas exister.
I.2.1. La création de capital social entre
agriculteurs et éleveurs
Rappelons qu'un des principaux constats de notre analyse
était la faiblesse de capital social entre éleveurs et
agriculteurs, qui a été favorisée par les politiques
d'encadrement des mouvements d'éleveurs depuis le temps colonial. Elle a
été ensuite aggravée par des choix politiques comme la
séparation physique des deux communautés dans l'espace, la
gestion administrative à part, etc. Ce manque de « contrat social
», accentué par les différences culturelles (langue,
religion, valeurs, etc.), se traduit par une très faible
réciprocité en matière d'échanges
économiques, l'absence de convivialité et d'amitiés
individuelles, puis l'inexistence de plates-formes de concertation ou de
conventions de bonne cohabitation. Cette situation a quelque peu
favorisé l'émergence, puis l'exacerbation, sans vergogne, de
certains types de conflits, comme celui des attaques aux biens des autres
(tueries de bétail, attaques collectives, etc.), inimaginables
auparavant. De plus, elle a découragé le développement de
mécanismes pouvant permettre à la majorité dans les
villages de s'opposer à de telles pratiques, auxquelles se livrent
certains éléments de la société. I.2.2.
Renforcer les relations et liens entre les deux groupes
Le renforcement des relations/liens entre les deux groupes et
l'établissement des plates-formes d'échanges et de
coopération sont des conditions indispensables pour asseoir les bases
d'une cohabitation pacifique, mais en deuxième instance aussi pour
soutenir un développement harmonieux, consensuel et équitable. En
fonction de la situation de départ (importance /ampleur relative de
certains types de conflits, historique de cohabitation, etc.), les
stratégies pour cette mise en relations peuvent être très
variées.
.
I.2.2.1. Promouvoir et restaurer un climat de paix civile
entre agriculteurs et Eleveurs
La restauration de la paix civile entre les deux
communautés s'impose comme préalable à toute autre
activité de développement, notamment dans les zones où les
manifestations de conflit ont largement dépassé les simples
querelles autour de la dévastation des champs et où celles-ci ont
pris une certaine ampleur, avec des tueries d'hommes, actes de vengeance, etc.
Les phénomènes comme la mobilisation collective afin de s'emparer
des biens des éleveurs, puis le sentiment de complicité au niveau
des autorités locales, des familles notables, puis des autres citoyens
qu'on croyait indemnes de ce genre de phénomènes, ont
laissé des empreintes profondes, qu'il s'agira de surmonter.
La mesure la plus évidente pour parvenir à un
climat de paix sociale est celle de la facilitation des ateliers ou
fora locaux entre agriculteurs et éleveurs. En effet,
l'historique de l'encadrement des populations rurales montre bien que
l'habitude courante est celle d'aborder les deux groupes de manière
séparée (on « sensibilise » les uns et les autres
successivement). Le clivage s'opère déjà par rapport au
fait que les uns, les encadreurs de l'élevage, se sentent comme
protagonistes des éleveurs, et les autres, les agents de l'agriculture,
ceux des agriculteurs. Certains soupçonnent que pour des questions
d'intérêts divers (les rentes...), une grande partie des agents de
l'Etat et des autorités locales n'auraient jamais porté un
intérêt à la « concertation », ils
préfèreraient « gérer le désaccord »
(c'est plus rentable). Les deux parties sont unanimes sur le fait qu'ils ne
puissent pas y arriver par leurs propres forces. Il faudra l'appui d'une tierce
instance pour faciliter les réunions de concertation entre elles. Si les
acteurs locaux préconisent l'intervention de l'Etat (les maires, etc.),
nous pensons plutôt à des instances neutres, comme les ONG, les
projets, puis d'autres acteurs de la société civile - l'Etat
pouvant se limiter à un rôle
de tutelle. Les ateliers (fora, réunions) devront
porter sur le diagnostic des problèmes opposant les deux parties, puis
sur l'ébauche de solutions visant la conciliation et la cohabitation
pacifique et mutuellement respectable entre les deux groupes.
En cas de conflits et de situations violentes graves
persistantes, les ateliers de concertation pourraient être
précédés par des initiatives de médiation
des conflits. Cette approche, qui vise la réconciliation entre
les groupes concernés à partir d'une démarche active de
consultation et de négociation, exige l'intervention des personnes
expérimentées dans le domaine. Les outils des « commissions
de vérité », puis des « pardons collectifs »,
expérimentés dans un certain nombre de pays en Afrique,
pourraient servir d'une certaine inspiration. En Centrafrique,
l'opportunité pour des interventions en termes de médiation de
conflits ne se présente que très localement.
Cette approche locale pourrait dans un deuxième temps
être complétée par la facilitation, toujours par des
institutions neutres, de fora ponctuels à un niveau supérieur
(sous-préfecture, préfecture, région, commune) en
réunissant autour d'une table l'ensemble des acteurs concernés au
niveau rural (autorités politiques, administratives, coutumières,
tribunaux, gendarmerie, plates-formes villageoises, techniciens, organisations
socioprofessionnelles, etc.). Ces réunions, pour lesquelles l'approche
« table ronde » pourrait être adoptée, devraient
permettre de faire table rase sur les malversations de part et d'autre du
passé et de discuter sur les principes de bonne cohabitation entre
éleveurs et agriculteurs d'un coté, mais aussi entre ces deux
parties conjuguées et les différents acteurs de l'Etat.
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