Contribution de l'encyclique "laborem exercens" de Jean-Paul II, au volet "emploi" du document de stratégie de croissance du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Richard Maga Université catholique d'Afrique Centrale - Baccalauréat canonique en sciences religieuses 2011 |
IntroductionJean-Paul II passe en revue les différents documents du magistère traitant du travail, depuis l'Encyclique Rerum novarum de Léon XIII. Il souligne la spécificité de Laborem exercens qui traite du travail humain, en mettant l'homme au centre de toutes choses. Il est le sujet du travail. Le travail et l'homme Le travail de l'homme a un fondement scripturaire. Il constitue le fondement de la famille et de ce fait, participe à l'ordre social. Le travail a une dimension objective et une subjective. La première procure à l'homme les moyens de subsistance, tandis que la dimension subjective confère à l'homme sa vraie dignité d'être créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Le conflit entre le travail et le capital dans la phase actuelle de l'histoire Dans l'histoire, et sous des formulations variées, le capital a souvent été considéré comme supérieur au travail. En conséquence, capital et travail ont souvent été opposés. Ce conflit est à l'origine de l'idéologie du socialisme scientifique et du communisme, qui aborde le problème sous forme de lutte de classes. L'idéologie libérale ou néo-libérale suggère quant à elle la supériorité du capital au travail. Jean-Paul II considère au contraire que le travail et le capital doivent être complémentaires pour la production du bien commun. La reconnaissance de la valeur du travail implique « d'associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à des corps intermédiaires à finalité économique, sociale et culturelle70(*) ». Droits des travailleurs Selon Jean-Paul II, le droit au travail doit être examiné dans le cadre global des droits fondamentaux de l'homme. Le handicap ne doit pas être un frein à l'accès au travail. L'Employeur direct et l'Employeur indirect, sont interpellés, en ce qui concerne les droits des travailleurs. Il place le problème de l'emploi au centre des préoccupations de toute société humaine, et souligne l'importance des syndicats pour préserver les droits des travailleurs. Eléments pour une spiritualité du travail Selon Jean-Paul II, le travail dans sa dimension subjective, engage tout l'homme : corps et esprit. L'homme au travail participe à l'oeuvre de création. Le Christ Lui-même a travaillé de ses mains au point que certains l'assimilaient au "charpentier". En travaillant, l'homme assume son plein épanouissement et valorise ses potentialités au bénéfice de toute la société. 2.3. Les idées forces de l'Encyclique Laborem exercensLe concept de l'Employeur indirect, la dimension subjective du travail humain et la spiritualité du travail constituent les trois idées forces que nous développons successivement. Employeur indirect Au chapitre quatrième de l'Encyclique, Jean-Paul II définit ainsi ce nouveau terme : « Dans le concept d'Employeur indirect entrent les personnes, les institutions de divers types, comme aussi les conventions collectives de travail et les principes de comportement qui, établis par les personnes et institutions, déterminent tout système socio-économique ou en découlent. Le concept d'Entrepreneur indirect se réfère aussi à des éléments nombreux et variés71(*) ». Il n'est pas exagéré de penser que dans le contexte présent, c'est l'Entrepreneur indirect qui est la cause efficiente des réalités de la société en ce qui concerne la résolution des problèmes socio-économiques, Jean-Paul II prend soin de préciser que même si « la responsabilité de l'Employeur indirect est différente de celle de l'Employeur direct72(*) », elle demeure une véritable responsabilité. De la définition que Jean-Paul II donne de l'Employeur indirect, l'on peut mesurer l'étendue de ce concept, qui implique non seulement les hommes et les institutions diverses, mais également les éléments de la nature. En effet, il ne fait aucun doute que l'homme appartient à un écosystème73(*), dans lequel tous les éléments interagissent74(*) entre eux. Dans le concept d'Employeur indirect interviennent les grands principes économiques, les législations des états, les interdépendances entre états et leurs conséquences préjudiciables aux pays pauvres, les entreprises multinationales75(*). Jean Paul II dans son Encyclique fait apparaître son impact dans divers domaines dont la création et le maintien des emplois, la formation du capital et le lien avec le travail, ainsi que la résolution des conflits inhérents au monde du travail. Ainsi, l'Employeur indirect conditionne la dignité du travail, peut créer ou supprimer celui-ci, influence la mise en oeuvre réussie de toute stratégie relative à la problématique de l'emploi. Les faits contemporains mettent en relief la pertinence de ce concept conçu dans le cadre de la doctrine sociale de l'Église, mais à portée universelle. Les conséquences de ce concept vont au-delà des considérations purement économiques ; elles s'apprécient davantage, lorsqu'on analyse la dimension subjective du travail humain. La dimension subjective du travail humain Jean-Paul II commence par rappeler la source du travail humain, depuis la Genèse. Il met en relief deux dimensions du travail humain : la dimension objective et la dimension subjective. Le travail au sens subjectif est l'agir de l'homme en tant qu'être dynamique, capable d'accomplir différentes actions qui appartiennent au processus du travail et qui correspondent à sa vocation personnelle : « L'homme doit soumettre la terre, il doit la dominer, parce que comme " image de Dieu ", il est une personne, c'est-à-dire un sujet, un sujet capable d'agir d'une manière programmée et rationnelle, capable de décider de lui-même et tendant à se réaliser lui-même. C'est en tant que personne que l'homme est sujet du travail76(*) ». Le travail au sens objectif constitue l'aspect visible de l'activité de l'homme dont les modalités d'exécution varient sans cesse avec l'évolution des conditions techniques, culturelles, sociales et politiques. Dans le sens subjectif, il se présente, au contraire comme sa dimension stable, car il ne dépend pas de ce que l'homme réalise concrètement ni du genre d'activité qu'il exerce, mais seulement et exclusivement de sa dignité. La distinction est décisive, pour comprendre quel est le fondement ultime de la valeur et de la dignité du travail dans les organisations des systèmes économiques et sociaux respectueuses des droits de l'homme. Selon Jean-Paul II, le sens subjectif du travail permet d'affirmer la primauté de la personne au travail sur les moyens et techniques utilisés. Le capital n'est que le résultat du travail humain effectué par des générations antérieures. Cette vision du travail humain a d'autres implications : - l'inversion de la primauté du sens subjectif du travail sur le sens objectif a conduit à des erreurs dans le passé, erreurs qui ont donné naissances à des idéologies extrêmes ("communisme" et "capitalisme") ; - Le droit à la propriété privée n'est pas à proscrire ; mais doit être subordonné à « l'usage universel des biens77(*) » ; - Le travail est un moyen d'intégration à la communauté à laquelle la personne participe par son activité, d'abord au niveau familial, ensuite dans toute la société, permettant ainsi à la personne de contribuer au bien commun ; - Les droits des travailleurs ne sont pas des droits subjectifs, mais dérivent en premier du fait que le travail est une obligation78(*) ; Jean-Paul II insiste sur la nécessité d'une juste rémunération du travail, et surtout les dangers du chômage, notamment des jeunes diplômés79(*). Par ailleurs, Jean-Paul II met en exergue le travail agricole, qui selon lui, a une importance fondamentale, et auquel s'applique tout ce qui a été dit sur la dignité du travail, sa dimension objective et subjective. Le travail est un moyen de perfectionnement de l'homme, quelle que soit sa nature et le degré de sa pénibilité. L'homme au travail contribue à l'oeuvre du Créateur et de ce fait, donne un sens à sa vie. On peut donc parler de la spiritualité du travail. La spiritualité du travail Jean-Paul II termine l'Encyclique en donnant les éléments d'une spiritualité du travail. Cette conception du travail doit sous-tendre toutes les activités de l'homme. Le Christ, en annonçant la Bonne Nouvelle du Salut, et en mettant en pratique ce qu'il dit, fait du travail une voie de sanctification. L'amour du travail devient ainsi une source de développement intégral de l'homme. Le travail humain permet de retrouver le sens des valeurs personnelles, qui, dans les situations de chômage ou de sous-emploi, restent inexploitées. Le lien profond entre le développement spirituel de l'homme et le travail humain, confirme la prééminence de la signification subjective du travail par rapport à sa signification objective. Pour Jean-Paul II, pour apprécier le développement ou le progrès de manière générale, il faut répondre à la question suivante : « le travail ainsi fait sert-il réellement l'homme ? Correspond-il à sa dignité ?80(*) ». En quoi le concept d'entrepreneur indirect, la dimension subjective du travail humain, et la spiritualité du travail, peuvent contribuer à améliorer le volet emploi du DSCE ? La réponse à cette question fait l'objet du chapitre suivant. * 70 Ibid., n° 7. * 71 Jean-Paul II, Encyclique Laborem exercens, n° 17, § 1. * 72 Ibid., n° 17,3. * 73 C'est un mot emprunté à l'écologie, et qui désigne l'ensemble formé par une association ou communauté d'êtres vivants et son environnement biologique, géologique, hydrologique, climatique, etc... * 74 Toutes les entreprises fonctionnent aujourd'hui suivant le principe de gain maximum pour un investissement minimum. Il s'en suit une délocalisation des activités accompagnée des sous-traitances multiples. De même, à cause des problèmes de l'environnement, la réalisation des ouvrages est conditionnée par le respect des normes environnementales édictées par des organismes compétents. * 75 Dans la réalité économique d'aujourd'hui, les multinationales jouissent de fait, un droit non écrit, qui les soustrait de certaines obligations dans les pays où elles ont leurs filiales, et surtout leurs sièges sont implantés dans les « paradis fiscaux ». * 76 Jean-Paul II, Op. cit., n° 6. * 77 Ibid., n° 14. * 78 « Si le travail, au sens divers du terme, est une obligation, c'est-à-dire un devoir, il est aussi en même temps une source de droits pour le travailleur » (16, § 1). * 79 « Le rôle des instances dont on parle ici sous le nom d'Employeur indirect est d'agir contre le chômage, qui est toujours un mal et, lorsqu'il en arrive à certaines dimensions, peut devenir une véritable calamité sociale. Il devient un problème particulièrement douloureux lorsque sont frappés principalement les jeunes qui, après s'être préparés par une formation culturelle, technique et professionnelle appropriée, ne réussissent pas à trouver un emploi et, avec une grande peine, voient frustrées leur volonté sincère de travailler et leur disponibilité à assumer leur propre responsabilité dans le développement économique et sociale de la communauté » (18, § 1). * 80 DOM P.-M., Jean-Paul II. Les grands textes du pontificat, Paris, Sarment/Jubilé, 2005, p. 291. |
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