Faculté de Droit et Science Politique
Année universitaire 2009-2010
Master II - Recherche Droit privé général
MÉMOIRE
L'INTERPRÉTATION DES CLAUSES ANTI-ABUS CONTENUES DANS
LES CONVENTIONS FISCALES BILATÉRALES.
|
Till JOUAUX
-Sous la direction de M. le Professeur Jean-Philippe
DOM-
Mes remerciements vont à Monsieur Jean-Philippe DOM
pour avoir accepté de diriger mes recherches, m'aidant par ses
précieux conseils, ainsi qu'à Monsieur Édouard TREPPOZ,
responsable du Master II Recherche Droit privé général.
« Quand un nouvel abus s'introduit, ce n'est point
innover que d'y proposer un nouveau remède »
Jean-Jacques ROUSSEAU
Lettres écrites de la montagne, Lettre VII,
1764.
Sommaire Introduction p. 1
Partie 1 - Les règles dirigeant
l'interprétation des clauses anti-abus
Titre 1- Les procédures possibles, ou règles de
formes
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p. 14
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Chapitre 1- L'idéale interprétation
supra-nationale
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p.14
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Chapitre 2- L'interprétation unilatérale
française
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p.18
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Titre 2- Les méthodes de l'interprétation
juridictionnelle française, ou principes de fond p. 24
Chapitre 1- Les valeurs des normes d'interprétation
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p.24
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Chapitre 2- L'interprétation des termes conventionnels
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p.29
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Partie 2 - Les solutions d'interprétation des clauses
anti-abus
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Titre 1- Le sens à donner aux clauses anti-abus
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p. 37
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Chapitre 1- La clause de résidence
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p.37
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Chapitre 2- D'autres clauses anti-abus
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p.43
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Titre 2- La portée des clauses anti-abus
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p. 50
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Chapitre 1- La portée par rapport au droit interne
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p.50
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Chapitre 2- La portée par rapport au droit
communautaire
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p.55
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Table des matières
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p. 61
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Bibliographie
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p. 63
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La matière fiscale est peut être
celle qui, par son objet, est la plus attachée à la
souveraineté internationale des États 1. Non seulement
ce sont ceux-ci qui la règlementent de manière exclusive dans les
limites de leurs territoires respectifs, mais ce sont également eux qui,
par l'intermédiaire de leurs administrations fiscales, la mettent en
oeuvre afin d'assurer leurs moyens de subsistance.
Ce nationalisme fiscal est un obstacle que rencontrent les
opérateurs du commerce international, puisqu'il les oblige à se
soumettre à des législations multiples et autonomes dès
lors qu'une opération est réalisée sur le territoire
où s'exerce la souveraineté fiscale d'un État. Plus
gênant encore, cette absence de prise en compte par les États du
fonctionnement de la fiscalité à l'étranger peut conduire
au phénomène de double-imposition juridique du revenu, c'est
à dire lorsque une personne se retrouve redevable d'un impôt
auprès de deux ou plusieurs États à raison d'un même
fait générateur pour une même période 2.
La personne se verra donc assujettie au paiement de l'impôt deux fois au
titre d'un revenu unique. Deux cas de figure sont possibles, selon que les deux
États retiennent des critères d'assujettissement à
l'impôt sur le revenu différents ou semblables :
- Une personne résidant dans un État
perçoit des revenus provenant d'un autre État et leurs
législations fiscales respectives s'estiment toutes deux
compétentes pour taxer ces revenus, l'État de résidence
frappant tous les revenus reçus par ses résidents, alors que
l'État dans lequel se situe le fait générateur entend
imposer selon le principe de la source.
- Une personne réside dans deux États et ceux-ci
retiennent tous deux le principe d'imposition du revenu mondial.
De longue date ce chevauchement des législations
nationales non coordonnées a été identifié comme un
frein au développement des échanges commerciaux mais aussi
financiers et culturels 3. Pour lutter contre ce
phénomène, et ce depuis la fin du XIX ème siècle
4, les
1 D. GUTMANN, Le juge fiscal et la loi
étrangère, p. 192. In : Bibliothèque de
l'Institut André TUNC Ed., Regards critiques et
perspectives sur le droit et la fiscalité - Liber Amicorum Cyrille
DAVID, Tome 8, Paris, LGDJ, 2005.
2 À distinguer de la double imposition
économique où un même revenu est imposé par deux
États, mais pas entre les mains de la même personne. Cette
situation se rencontre concernant les distributions de bénéfices
des sociétés et fait l'objet d'un régime distinct.
3 Rédaction des Éditions FRANCIS LEFEBVRE,
Mémento Fiscal, Levallois, Francis Lefebvre, coll.
Mémento pratique, 2009, p. 1206.
4 V. UCKMAR, Double Taxation
Conventions, p. 150. In : A. AMATUCCI Ed.,
International Tax Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, 2006.
États ont conclu entre eux des conventions fiscales
bilatérales, traités internationaux organisant les
compétences d'imposition réciproques, dans le cas où leurs
législations internes leurs attribueraient tous deux un pouvoir
d'imposition.
Cette organisation issue de la coopération des
États s'est principalement développée de manière
bilatérale, pour deux raisons.
Premièrement, la lutte contre la double imposition,
bien que menée par les États, signifie pour eux un abandon de
souveraineté fiscale sur certains revenus, matérialisé par
une organisation des critères d'attribution de la recette fiscale
à l'un ou l'autre des États, ou aux deux, mais de manière
réduite. Cet abandon de souveraineté se comprend par la
volonté des États de permettre à leurs ressortissants de
développer leur activité économique à
l'étranger et aux investisseurs étrangers de s'implanter sur leur
territoire, sans craindre d'entraves fiscales. En tout état de cause la
conclusion d'une convention fiscale de lutte contre la double-imposition
réduit les recettes fiscales immédiates, les États n'y
consentent donc qu'avec parcimonie et au terme de négociations avec
l'autre partie.
Secondement, leur champ d'intervention, qui est de
réaliser la jonction entre deux systèmes fiscaux originaux, est
nécessairement conditionné par le particularisme de chaque
législation nationale. La détermination du pouvoir d'imposer une
catégorie de revenu à l'un ou l'autre des États suppose de
connaître les spécificités de chacun des mécanismes
nationaux préexistants.
Certes il existe des conventions de type multilatéral ;
on peut citer la Convention fiscale entre les pays andins, signée le 16
novembre 1971 (« Convention for the Avoidance of Double Taxation
within the Andean Group ») , la Convention Nordique de 1983 ( «
Nordiska skatteavtalet ») et la Convention des pays des
Caraïbes de 1994 (« Caribbean Community Double Taxation
Agreement »). Certains auteurs 5 considèrent
même que ce type de convention serait amené à remplacer les
réseaux conventionnels dans les espaces économiques à
marché commun, tel que l'Union européenne 6. Les
principaux avantages d'un tel système seraient l'harmonisation des
règles au sein de l'Union avec une interprétation uniforme des
clauses conventionnelles au cas où la compétence
d'interprétation serait confiée à la Cour de justice de
l'Union européenne, ainsi qu'une élimination des distorsions de
concurrence entre États. Cela étant, la pérennité
des conventions fiscales bilatérales n'est pas en danger pour autant, en
effet une telle multilatéralisation des conventions de lutte contre
la
5 H. LOUKOTA, Multilateral Tax Treaty versus
Bilateral Tax Treaty Network, p. 85. In : M. LANG Ed.,
Multilateral Tax Treaties : New Developments in International Tax
Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, coll. Series on International
Taxation, 1998.
6 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit
communautaire et conventions fiscales, 2005, p. 15.
double-imposition nécessite une convergence des
systèmes fiscaux nationaux, convergence difficile à obtenir au
sein d'une Union plurielle.
Entre 1925 et 1950, plus de 800 conventions bilatérales
furent conclues 7 et désormais le réseau conventionnel
mondial est riche de plus de 2500 conventions 8, accompagnant ainsi
le développement de la mondialisation économique. La France quant
à elle dispose d'un des réseaux les plus étendus au monde
avec environ 125 conventions 9.
Cependant, pour être des actes bilatéraux, les
traités internationaux de lutte contre la double imposition n'en
obéissent pas moins à une certaine cohérence à
l'échelle mondiale ; en effet depuis le début du XX ème
siècle une réflexion supra-nationale s'est
développée, pour aboutir en 1921 à l'établissement
au sein de la Société des Nations d'un « comité
financier » chargé d'élaborer les premiers modèles de
conventions de lutte contre la double-imposition internationale
(Conférence de Genève de 1928, modèles de conventions de
Mexico en 1943 et de Londres en 1946).
Suite à l'échec de la SDN, ce sont le
Comité des affaires fiscales de l'Organisation européenne de
coopération économique (OECE), devenue en 1961 l'Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE), et
dans une moindre mesure l'ONU, qui ont repris la tâche de réaliser
un système commun d'élimination des doubles impositions
juridiques, en élaborant des modèles de conventions fiscales
bilatérales pouvant servir de base aux négociations entre
États, mais sans valeur juridique contraignante. Il reste que leur
influence en pratique est très importante 10.
Après avoir présenté l'objectif des
conventions fiscales bilatérales de lutte contre la double-imposition,
il est nécessaire d'expliquer leur fonctionnement.
Tout d'abord les conventions fiscales déterminent le
champ d'application (personnel, matériel et spatial) et les
définitions communes qui seront utilisées pour mettre en oeuvre
le mécanisme d'élimination des double-impositions :
différents types de revenus, notions de résidence,
d'établissement stable, etc.
Ensuite pour chaque type de revenus, la convention assigne le
droit d'imposer à l'un ou l'autre des deux États, voire aux
deux de manière partagée. L'harmonisation internationale à
conduit
7 IFA, Cinquième Congrès
international de droit fiscal et financier, Revue internationale de droit
comparé, 1951, Vol. 3, n° 4 , p. 668.
8 V. UCKMAR, Double Taxation
Conventions, p. 149. In : A. AMATUCCI Ed.,
International Tax Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, 2006.
9 Liste des conventions fiscales de lutte contre la
double-imposition conclues par la France : Rédaction des
Éditions FRANCIS LEFEBVRE, Mémento Fiscal, pp.
1213-1216.
10 1500 Conventions à l'échelle mondiale sont
fondées sur les modèles OCDE, alors que 31 pays en sont membres
:
http://www.oecd.org .
à dégager des solutions
généralement reprises par la plupart des conventions : les
revenus de biens immobiliers sont imposés dans l'État de
situation des immeubles, les bénéfices des entreprises
réalisés par l'activité de leurs établissements
stables implantés dans un État sont imposés dans celui-ci,
quant aux autres revenus ils sont généralement imposés
dans l'État de résidence de leur bénéficiaire. Le
corollaire de ce dispositif d'octroi exclusif, ou partagé, du pouvoir
d'imposer à l'un des États, est que l'autre État s'engage
au plan international à ne pas lever d'impôt, ou à le faire
selon les clés de partage adoptées au terme des
négociations.
Enfin des mécanismes d'exemption (méthode de
l'exonération) ou de crédit d'impôt (méthode de
l'imputation) sont élaborés afin que la distribution de
compétence fiscale décidée précédemment
s'adapte à la situation nationale préexistante. Par exemple, soit
les revenus que l'autre État est autorisé à imposer sont
totalement exonérés en France, c'est à dire exclus de
l'assiette de l'impôt, soit ils y sont inclus mais l'impôt
déjà payé à l'étranger au titre de ces
revenus est imputé sur l'impôt dû en France. C'est le cas
notamment des jetons de présence, des dividendes et
intérêts.
On voit donc, comme certains auteurs l'expriment, qu' «
une convention fiscale en vue de l'élimination des doubles impositions
confère par essence un avantage économique à celui qui
peut en bénéficier » 11. Que ce soit sous la
forme d'une exonération ou d'un crédit d'impôt, les
personnes bénéficiant d'une convention fiscale, à savoir
celles qui sont des résidents d'un État contractant ou des deux
États contractants 12, sont favorisées par le jeu de
la convention. Mais cette faveur n'est que relative et ne se justifie justement
que parce que sans elle il y aurait double imposition juridique. Pourtant des
personnes n'entrant pas dans le champ d'application des ces conventions, c'est
à dire résidentes d'un État tiers, peuvent être
tentées de bénéficier des avantages que leur ultime
mécanisme procure : l'exonération ou le crédit
d'impôt, en interposant une personne résidente qu'elles
contrôlent. La plupart du temps c'est la retenue à la source qui
sera diminuée, voire supprimée ; voici une illustration :
- Soit un revenu versé par une entreprise
implantée dans un pays A à une entreprise implantée dans
un pays C. La convention fiscale A-C prévoit pour ce type de revenu une
retenue à la source au taux de 12%, c'est à dire que
l'État A, aux termes de la convention est en droit d'imposer ce type de
revenu à hauteur de 12% lorsqu'il est distribué en C. Afin
d'éluder cette
11 S. TOLEDANO et N. DEJEAN, La lutte contre
la course aux avantages conventionnels, Droit et pratique du commerce
international, 1985, Volume 11, p. 245. Cité par : J N.
THOMAS, Le contrôle fiscal des opérations
internationales, Paris, L'Harmattan, coll. Finances Publiques,
2004, p. 143. Et par : B. CASTAGNÈDE, Précis
de fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF,
coll. Fiscalité, 2006, p. 323.
12 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, article 1.
retenue à la source que la législation interne
de A prévoit en application de la convention, le revenu transitera par
une société implantée pour des raisons
d'opportunité fiscale dans l'État B : la Convention entre A et B
supprime toute retenue à la source pour ce type de revenu et celle entre
B et C prévoit également un taux de retenue à la source de
12%, mais la législation interne de B ne met pas en oeuvre un telle
retenue.
Cette pratique reçoit l'appellation de «
treaty shopping » ou « chalandage fiscal » ; elle
s'inscrit dans la démarche d'optimisation fiscale, c'est à dire
d'organisation par le contribuable de la voie fiscale la moins imposée
pour une opération économique, tout en restant dans le cadre de
la Loi 13, puisque la création d'une société
dans un État et son contrôle de l'étranger sont permis et
que cette société nouvellement créée, en sa
qualité de « résidente », entre dans le champ
d'application personnel des conventions fiscales conclues par cet État.
En cela elle est une technique d'évasion fiscale, se distinguant de la
fraude fiscale, qui elle regroupe les opérations de soustraction de la
matière imposable à l'impôt de manière
illégale 14. Il faut d'ailleurs indiquer que c'est justement
parce que les États mettent en place, dans le cadre de la concurrence
fiscale entre pays, des dispositifs fiscaux internes et une politique
conventionnelle attrayants pour les capitaux et les entreprises que ce choix
des conventions présente un intérêt.
Mais bien que conforme à la lettre de la norme
conventionnelle, cette utilisation des traités dans un but uniquement
fiscal n'est pas du goût des États qui voient ainsi
disparaître une partie de leurs revenus sans contre-partie. C'est
pourquoi la lutte contre le chalandage fiscal s'est développée,
afin que nul ne puisse faire d'une convention un usage contraire aux intentions
des États parties - cet usage que l'on nomme « abusif »- et
qu'à l'objectif initial d'élimination des doubles-impositions
s'est ajouté l'objectif de lutte contre l'évasion et la fraude
fiscales. Malheureusement, il semble impossible15 d'énoncer
un standard juridique de l'utilisation normale, c'est à dire qui
respecte l'intention des parties, d'une convention fiscale et encore moins de
l'ensemble de celles-ci. Partant, il est vain d'essayer de dégager une
règle générale permettant d'en définir l'usage
abusif pour le sanctionner.
Quelles sont alors les méthodes utilisées afin de
remédier à cet utilisation « anormale »
13 F. BOUKOBZA, Optimisation fiscale et
localisation, Revue internationale de droit comparé, 1995, Vol. 47,
n°2, p.385.
14 S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER, Lexique
des termes juridiques, Paris, 13e éd., Dalloz, coll.
Lexiques, 2001, p. 274.
15 S. GLASPER, Les clauses anti-abus dans
les conventions fiscales internationales, thèse Montpellier I,
2007, pp. 46-47.
des traités fiscaux ? On peut en identifier trois, dont
il faut déterminer les valeurs respectives : l'interprétation des
conventions fiscales selon un principe général anti-abus, les
règles antiabus internes et les clauses anti-abus contenues dans les
conventions fiscales bilatérales.
Pour ce qui est de la première méthode, il faut
indiquer qu'elle est controversée en doctrine 16, justement
à cause de la difficile détermination de l'abus ; à vrai
dire même si les commentaires de la convention modèle de l'OCDE
reprennent cette idée de principe général anti-abus
dès 2003, la méthode n'a réellement été
employée que par une juridiction, le Tribunal Fédéral
suisse, dans un arrêt « Danemark » 17. Quant
à son principe, il découle de celui de primauté du fond
sur la forme c'est à dire la primauté de l'objectif des
conventions d'éliminer effectivement les doubles impositions juridiques
sur la lettre du traité : le tribunal saisi refuserait l'application de
la convention aux situations d'abus puisque celles-ci ne constituent pas des
cas de double-imposition juridique réelle. L'éclairage
porté sur le débat par les commentaires aux articles du
modèle de convention fiscale de l'OCDE est mesuré : «
L'application potentielle de règles générales
anti-abus n'exclut pas la nécessité de dispositions
spécifiques destinées à éviter des formes
particulières d'évasion fiscale » 18. Cette
méthode ne sera pas ici étudiée plus avant en raison de
son efficacité incertaine.
La seconde méthode consiste pour les États
à instaurer dans leur législation interne, et ce de
manière unilatérale, des dispositions permettant de lutter contre
l'abus des conventions fiscales. La norme aura le mérite d'être
énoncée de manière claire et d'être conforme
à la vision qu'a l'État de l'utilisation normale ou abusive des
conventions fiscales qu'il a conclues. En pratique ces mesures fonctionnent en
limitant l'efficacité de solutions conventionnelles lorsqu'elles
devraient déboucher en droit interne sur une exonération ou un
crédit d'impôt, aux situations considérées «
abusives ». On le voit, cette solution unilatérale peut aller
à l'encontre du principe international d'exécution de bonne foi
des conventions puisqu'elle refusera au contribuable le bénéfice
du traité dans l'État qui adopte de telles mesures, alors
même que l'État cocontractant, lorsqu'il admet une limitation de
son pouvoir d'imposition au profit de
16 X. OBERSON, Précis de droit fiscal
international, Bern, 3e éd., Stämpfli, coll.
Précis de Droit Stämpfli, 2009, p. 221 ; J.
SCHAFFNER, Droit fiscal international, Luxembourg,
2e éd., Promoculture, 2005, p. 655- 656 ; J.
BUNDGAARD et P. KOERVER SCHMIDT, Tax treaties and tax avoidance:
Application of anti-avoidance provisions, Copenhagen Research Group on
International Taxation, Discussion paper n° 1, 2009, pp. 2 et 13 ;
S. GLASPER, Les clauses anti-abus dans les conventions fiscales
internationales, thèse Montpellier I, 2007, pp. 44-46.
17 Décision « 2A.239/2005, A. Holding ApS gegen
Eidgenössische Steuerverwaltung » du 28 Novembre 2005, disponible sur
le site
http://www.bger.ch.
18 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, Commentaires sur l'article 1, 9.6.
l'autre partie, le fait afin que ses contribuables ne soient
pas pénalisés dans leur développement économique
international. Ainsi en Droit français on peut citer les articles 209 B
(visant les personnes morales), 123 bis (visant les personnes physiques), 212
(concernant les sociétés mères et leurs filiales), 155 A
(concernant les artistes et sportifs), ou encore 238 du Code
Général des Impôts dont la compatibilité est
discutée par rapport au droit conventionnel, mais également par
rapport au droit communautaire. Seul ce dernier aspect sera abordé car
ne seront pris en compte que les règles anti-abus internes dont
l'application est prévue explicitement dans les conventions fiscales
bilatérales par la méthode de la mention expresse, seul
réel moyen d'assurer leur conventionnalité.
La dernière méthode est celle de l'insertion
dans les conventions de lutte contre la double-imposition de clauses dites
« anti-abus », c'est à dire de mesures élaborées
et adoptées par les États contractants, visant à exclure
du mécanisme de la convention des situations considérées
par eux comme abusives. Cela s'effectue en précisant les règles
édictées, afin de combler leurs lacunes et leurs
imprécisions pour qu'elles se prêtent le moins possible à
une utilisation non conforme à leur objectif. Ces dispositions
conventionnelles sont difficiles à cerner puisqu'elles sont
éparses, qu'elles ne reçoivent pas d'appellation uniforme au sein
d'une seule et même convention 19 et que, n'ayant pas de
régime propre par rapport aux traités qui les contiennent, elles
ne représentent pas une catégorie juridique à proprement
parler. D'ailleurs la définition de ces clauses n'est pas fournie par
les Conventions et celles ci ne connaissent pas le terme de « clauses
anti-abus ».
Cependant comme elles conditionnent le bénéfice,
pour les contribuables, des dispositions des conventions éliminant la
double-imposition, leur étude est fondamentale afin de déterminer
la situation fiscale des personnes physiques ou morales recevant des revenus de
l'étranger ; il est donc nécessaire de les identifier et de
pouvoir les définir en compréhension, en spécifiant les
caractéristiques de rattachement au concept.
Malgré leur variété, les clauses
anti-abus se définissent par leur objectif, celui d'exclure du
bénéfice de la convention les situations non acceptées par
les parties et par leur emplacement au sein de ces traités ; leur
concept est donc éminemment fonctionnel, créé afin de
catégoriser ces diverses mesures servant un but unique. Cette
particularité des clauses anti-abus explique
19 On peut cependant indiquer la présence dans les
conventions fiscales conclues par les États Unis d'Amérique, d'un
article regroupant ces dispositions, intitulé « Limitation on
benefits » ou « Limitation des avantages de la convention »
: United States Model Income Tax Convention of November 15,
2006 , article 22 et Convention franco-américaine du 31
aout 1994 modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 30.
pourquoi peu d'études se sont intéressées
à leur logique 20, et pourquoi les auteurs se sont souvent
contentés d'en donner une définition en extension, avant de
présenter leur fonctionnement séparément.
Il convient également de distinguer ces clauses
d'autres mesures voisines, qui peuvent soit servir le même objectif au
sein d'un type de norme différent, soit servir un objectif proche au
sein du même type de norme.
Les clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales
ont le même objet que les règles anti-abus internes (Cf.
supra) et si on s'arrêtait à une définition
purement fonctionnelle la notion serait trop hétérogène :
il faut donc les distinguer car l'instrument juridique qui les contient
étant différent, traité international pour les
premières, loi pour les secondes, leur portée n'est pas la
même au regard de la hiérarchie des normes.
Au sein même des conventions de lutte contre la
double-imposition il existe également d'autres mesures spéciales
contre l'évasion mais aussi contre la fraude fiscale. Celles qui sont
l'objet de la présente étude ont cependant un fonctionnement
propre : elles conditionnent la suppression d'une double-imposition juridique.
Ainsi en sont exclues les clauses conventionnelles permettant aux États
de lutter positivement contre la fraude ou l'évasion fiscale : clause de
procédure amiable, d'échange de renseignements, d'assistance en
matière de recouvrement des impôts ou encore clauses relatives aux
entreprises associées, à la sous-capitalisation et aux prix de
transfert.
Une fois le concept défini, il est nécessaire de
se livrer à une recherche minutieuse de ces dispositions dans chacune
des conventions car elles ne sont pas regroupées sous un seul et
même article. Cependant, même si chaque convention est
spécifique à une relation bilatérale entre deux
États, il n'en demeure pas moins que l'on retrouve fréquemment
les mêmes types de clauses anti-abus au gré des conventions
signées par les différents pays ; des auteurs ont même
essayé d'en établir une classification : clauses classiques ou
spécifiques, générales ou particulières, mais sans
définir ni donner de critères de rattachement à ces
catégories. La plupart du temps ceux-ci ne s'entendent donc pas sur le
contenu de chacune : pour exemple la clause de bénéficiaire
effectif est alternativement classique 21, générale
22 ou spécifique 23.
20 Voir cependant S. GLASPER, Les clauses
anti-abus dans les conventions fiscales internationales, thèse
Montpellier I, 2007.
21 Idem. p. 112.
22 F. BOUKOBZA, Optimisation fiscale et
localisation, Revue internationale de droit comparé, 1995, Vol. 47,
n°2, p. 389.
23 J. BUNDGAARD et P. KOERVER SCHMIDT, Tax
treaties and tax avoidance: Application of anti-avoidance provisions,
Copenhagen Research Group on International Taxation, Discussion paper n°
1, 2009, p. 18.
Ainsi, chacune représentant un mécanisme unique de
lutte contre un type d'abus, il faut énumérer les principales en
expliquant leur fonctionnement.
La clause de résidence est en soi plus large qu'une
clause anti-abus, puisqu'elle détermine le champ d'application personnel
initial des conventions fiscales, à savoir les résidents de l'un
ou de l'autre État contractant. Cependant son sens varie d'une
convention à l'autre et les différents États peuvent avoir
une acception plus ou moins restrictive de la « résidence »,
en ajoutant par exemple à cette condition celle de l'obligation fiscale
illimitée. Celle-ci s'explique par le fait qu'une personne
n'étant pas soumise à une telle obligation dans son pays, c'est
à dire non imposable pour les revenus provenant de l'étranger
mais seulement pour ceux réalisés sur le territoire de
résidence, ou imposable selon la méthode du forfait, ne subit pas
de double imposition juridique, et par suite ne peut prétendre à
une exonération fiscale dans le pays contractant source des revenus
étrangers, sauf à profiter indûment d'une double
exonération, phénomène également combattu par les
États. C'est le cas des personnes physiques imposées en Suisse
sur une base forfaitaire 24, qui ne sont donc pas
considérées comme résidents. Cette même logique
conduit à la rédaction de clauses anti-abus spéciales
excluant du champ d'application de la convention des catégories de
personnes dont le régime fiscal est privilégié ; c'est le
cas des holdings luxembourgeoises type 1929 25 (créées
par la Loi du 31 juillet 1929, elles sont exonérées de tout
impôt et de retenue à la source au Luxembourg, mais sont
appelées à disparaître au 31 décembre 2010
26) , ou des sociétés maltaises de commerce
international bénéficiant d'avantages fiscaux particuliers
27. Certaines clauses quant à elles, sans aller
jusqu'à exclure complètement du champ d'application conventionnel
les personnes ou situations, limitent cependant les droits aux
dégrèvements prévus pour les dividendes,
intérêts et redevances provenant de l'autre État aux
sociétés résidentes qui ne sont pas assujetties à
un régime fiscal privilégié ; a contrario ces
dégrèvement seront refusés aux sociétés qui,
dans leur pays de résidence, jouissent d'un statut fiscal
privilégié pour ces catégories de revenus
28.
Les clauses de bénéficiaire effectif de dividendes,
intérêts et redevances font dépendre l'application du
bénéfice des taux réduits ou des exonérations de
retenue à la source
24 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966
modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 6b.
25 Convention franco-luxembourgeoise du 1er
avril 1958 modifiée par l'avenant du 24 novembre 2006 et
Échange de lettres du 8 septembre 1970.
26 Décision de la Commission
européenne du 19 juillet 2006 concernant le régime
d'aide C3/2006 mis en oeuvre par le Luxembourg en faveur des
sociétés holdings «1929» et des holdings
«milliardaires».
27 Convention franco-maltaise du 25 juillet 1977
modifiée par l'avenant du 8 juillet 1994, Protocole article 8a, et
Échange de lettres du 8 juillet 1994.
28 Par exemple : Convention franco-chypriote du
18 décembre 1981, article 13.
concernant le versement de ces revenus aux seules situations
où la personne résidente qui obtient cette diminution est
effectivement celle qui aura la libre disposition des sommes correspondantes.
Elles sont donc limitées dans leur portée à ces seules
catégories de revenus. Elles permettent de refuser ces diminutions de
retenue à la source aux sociétés relais,
interposées dans un but fiscal. L'application de ces clauses peut
s'avérer difficile en pratique, notamment parce qu'il peut être
mal aisé d'apporter la preuve qu'une société n'est pas le
bénéficiaire effectif de revenus, mais également parce que
la notion même de bénéficiaire effectif manque de
précision et qu'une part d'interprétation est nécessaire
pour en dégager le sens exact. Il est à noter que la France a
tenu à se doter de cet instrument de lutte contre l'interposition de
sociétés relais au delà des seules dividendes,
intérêts et redevances puisqu'elle l'étend désormais
à la catégorie « autres revenus » dans certaines
conventions nouvellement signées 29 et qu'elle est même
allée en 1997, lors de la modification de la convention franco-suisse,
jusqu'à instaurer une clause de bénéficiaire effectif
générale, reniant la qualité de résident aux
personnes n'étant que les bénéficiaires apparents de
revenus lorsque ceux-ci bénéficient en réalité
à une personne non résidente selon les critères classiques
30.
D'autres clauses conventionnelles, bien que servant le
même but de découvrir le bénéficiaire final, ont un
mécanisme propre qui n'est plus uniquement d'écarter du
bénéfice de la convention ou de certains de ses articles les
bénéficiaires apparents. Elles visent à rétablir la
réalité économique d'une opération internationale
afin de rendre passible de l'impôt des personnes n'étant pas
initialement résidentes mais faisant transiter des revenus par
l'intermédiaire de personnes ayant cette qualité. Il s'agit des
clauses concernant les entreprises associées (lutte contre les prix de
transferts) ainsi que les artistes et sportifs faisant transiter leurs revenus
par ce que l'on appelle des « sociétés d'artistes » ou
« rent a star company ». Si l'on s'en tient à la
définition exclusive des clauses anti-abus, il semble que celles-ci n'en
fassent pas partie puisqu'elles n'excluent pas du bénéfice de la
convention des personnes ou situations mais qu'elles assujettissent des
personnes à un impôt dans une politique de lutte positive contre
la fraude fiscale.
Enfin certaines conventions contiennent des clauses
prévoyant l'application des règles anti- abus internes,
c'est-à-dire que celles-ci, initialement élaborées de
manière unilatérales par l'un des États, se voient
reconnaître une légitimité internationale dès lors
que leur fonctionnement
29 Par exemple : Convention franco-albanaise du
24 décembre 2002, article 22 ; Convention franco-tchèque
du 28 avril 2003, article 21 ; Convention
franco-éthiopienne du 15 juin 2006, article 22 ;
Convention franco-britannique du 19 juin 2008, article 23.
30 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966
modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 6a.
est accepté par l'autre État contractant et fait
l'objet d'une mention expresse.
Les États-Unis d'Amérique quant à eux,
conduisent contre la pratique du Treaty shopping une politique
très poussée, en établissant des critères stricts
et détaillés permettant de déterminer les personnes et
situations ayant droit à la protection conventionnelle. Il s'agit de la
clause de « Limitation on benefits » ou « Limitation
des avantages de la convention » 31 qui regroupe, contrairement à
la pratique française, l'intégralité de l'arsenal de lutte
contre l'abus de convention sous un seul et même article. Les avantages
de la convention sont donc reconnus aux seuls résidents
qualifiés, sachant que les personnes physiques , les États
contractants ou leur subdivisions politiques et les personnes morales de droit
public résidentes le sont toujours. La qualification des
sociétés est, elle, plus complexe afin de garantir l'exclusion
des sociétés-écrans ; on peut cependant préciser
que les sociétés cotées dans l'un ou l'autre des
États contractants bénéficient des avantages de la
convention.
On le voit, la catégorie des clauses anti-abus
conventionnelles est d'une grande
hétérogénéité et leur application, bien que
répondant à certaines règles communes liées
à leur nature conventionnelle, fait apparaître un besoin
d'interprétation variable selon le clarté des termes de chaque
clause.
Depuis longtemps la problématique de
l'interprétation des conventions fiscales luttant contre la double
imposition a été mise en lumière par les auteurs. En 1951,
le 5ème Congrès international de droit fiscal et financier
remarquait que les lacunes de ces traités ainsi que leurs formules
prêtant à l'équivoque posaient des difficultés
relatives à leur interprétation 32 ; en 1960 le Professeur
Chrétien constatait que la rédaction bilingue des ces conventions
associée au fait que chaque terme possède sa propre
signification, non seulement au sein des législations internes des
différents États, mais également des différents
régimes fiscaux existant dans un seul et même État,
représentait un obstacle à l'application satisfaisante de
certaines dispositions conventionnelles 33.
Bien qu'interprétation et application soient deux
opérations proches, effectuées la plupart du temps par un seul et
même organe au cours d'une procédure unique et que toute
application nécessite au préalable de s'interroger sur le sens
des termes et sur leur portée pratique, il faut les distinguer. En
effet, l'interprétation permet d'éclairer sur le sens exact d'un
texte de droit
31 Convention franco-américaine du 31
aout 1994 modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 30.
32 IFA, Cinquième Congrès
international de droit fiscal et financier, Revue internationale de droit
comparé, 1951, Vol. 3, n° 4 , p. 668.
33 M. CHRÉTIEN,
L'interprétation des traités bilatéraux sur la double
imposition : méthodes et procédures, JCP, 1960, p. I,
1561.
antérieurement à son application,
c'est-à-dire sa mise en oeuvre aux situations pratiques, sa traduction
en décision de justice, puis d'en déterminer la portée.
L'interprétation se concentre donc d'abord sur la signification
théorique d'une disposition, puis dans un deuxième temps sur sa
valeur pratique, l'étendue de son champ d'action ; ainsi elle est une
question de droit qui se pose au juge de l'impôt lorsqu'un contribuable
invoque une convention fiscale.
Cette question se pose également au contribuable lui
même qui, lorsqu'il mène des activités économiques
internationales, s'interroge sur l'applicabilité des dispositions de
protection conventionnelle. En effet le sens réel d'une clause
anti-abus, conditionnant le bénéfice d'un traité de lutte
contre la double-imposition, ne lui sera connu qu'après le passage
devant un organe d'interprétation révélant son sens et sa
portée pratique.
C'est à cette question que le présent
mémoire entend répondre : comment s'effectue
l'interprétation des clauses anti-abus conventionnelles ?
Pour pouvoir dégager in fine le sens à donner
à des clauses particulières, de résidence ou de
bénéficiaire effectif, ainsi que leur portée au regard des
normes de droit interne ou de droit communautaire (Partie II), il convient de
s'intéresser aux problématiques plus générales
d'interprétation des conventions fiscales et de déterminer les
organes compétents, afin de connaître les règles de
méthode qui président à leur office (Partie I).
Partie 1 :
Les règles dirigeant l'interprétation des clauses
anti-abus.
La solution de toute interprétation juridique, c'est
à dire la signification exacte d'une norme et de sa portée, est
tributaire en premier lieu de l'organe chargé de cette opération.
Ce conditionnement en matière de convention fiscale est d'autant plus
prégnant que bien souvent ce sont des États cocontractants
qu'émanent ces interprètes, États dont les administrations
fiscales seront partie à toute procédure concernant l'application
ou non des bénéfices conventionnels à un contribuable.
Chaque interprète selon sa place institutionnelle,
selon les règles auxquelles il doit se soumettre, aura une latitude plus
ou moins grande quant à l'interprétation des normes qu'on lui
soumettra et si sa tâche est encadrée, il rendra une
interprétation en fonction des méthodes auxquelles il
obéit.
C'est la raison pour laquelle il convient de
s'intéresser aux procédures existantes afin de déterminer
le ou les organes compétents pour l'interprétation des clauses
anti-abus conventionnelles (Titre 1) ; une fois que ceux-ci sont
identifiés, il est possible de se pencher sur les méthodes qu'ils
appliquent (Titre 2).
Titre 1 - Les procédures d'interprétation
possibles, ou règles de forme
Par « procédures possibles » on entend les
règles institutionnelles qui peuvent être fixées afin de
déterminer les interprètes des clauses anti-abus et plus
généralement des conventions fiscales de lutte contre la double
imposition qui les contiennent. Alors que de longue date des auteurs ont
défendu l'idéal d'une interprétation supra-nationale
libérée des intérêts financiers étatiques, la
solution actuelle privilégie une interprétation de ces
dispositions directement par leurs auteurs, les États eux mêmes,
ce qui a pu poser un certain nombre de problèmes.
Chapitre 1 - L'idéale interprétation
supra-nationale
L'intérêt principal de ce type
d'interprétation est que celle-ci est unique, qu'elle ne varie pas selon
le pays dans lequel elle est demandée et qu'ainsi la norme
conventionnelle se trouve n'avoir qu'une signification précise et une
portée délimitée, indépendamment de l'État
contractant où le bénéfice de la convention est
recherché par un contribuable. De cette manière elle évite
également la pratique du forum shopping ou la recherche par le
contribuable du tribunal ayant l'interprétation la plus accommodante. En
théorie deux solutions sont possibles pour atteindre cet objectif,
l'institution d'une juridiction fiscale internationale ou
l'interprétation conjointe par les États contractants, mais seule
cette dernière est pour le moment utilisée.
Section 1 - L'absence d'une juridiction
internationale
Appelée des voeux de nombre d'auteurs 34, la
création d'une juridiction fiscale internationale en charge de
l'application et du règlement des conflits d'interprétation des
normes fiscales conventionnelles ou l'octroi de ces compétences à
une organisation
34 Par exemple : IFA, Cinquième
Congrès international de droit fiscal et financier, Revue
internationale de droit comparé, 1951, Vol. 3, n° 4 , p. 669
à 671; M. CHRÉTIEN, L'interprétation
des traités bilatéraux sur
la double imposition : méthodes et
procédures, JCP, 1960, p. I, 1561, p. 9 et D. GUTMANN,
Tax Treaty Interpretation in France, p. 102. In : M.
LANG Ed., Tax treaty interpretation, Pays-Bas,
Kluwer Law International, coll. Eucotax, 2001.
internationale préexistante n'est restée qu'au
stade des balbutiements.
Pourtant, l'intérêt d'une telle procédure
serait grand pour l'uniformisation des solutions concernant le sens et la
portée des clauses anti-abus. En effet, les divergences de solutions
quant à la signification à apporter à telle ou telle
clause conventionnelle procèdent de plusieurs facteurs, pouvant
être limités grâce à l'instauration d'une telle
règle de compétence : bilinguisme, conceptions juridiques
particulières, lacunes des dispositions du traité et formulations
équivoques participent à l'émergence de ces divergences,
notamment sous l'influence des intérêts fiscaux particuliers de
chaque État. Cette juridiction pourrait rendre des jugements s'imposant
aux parties, administrations fiscales d'une part et contribuables de l'autre,
en toute impartialité puisque placée au dessus du cadre des
institutions nationales, tout en unifiant la jurisprudence, dans la limite du
respect des dispositions conventionnelles particulières à chaque
accord bilatéral.
À terme, cela pourrait conduire à une
signification de chaque clause commune à un certain nombre
d'États et à une acception universelle pour chaque type de
clauses anti-abus. Les définitions de la résidence ou du
bénéficiaire effectif deviendraient notionnelles ce qui ferait
gagner en cohérence au système et en pratique, les
opérateurs du commerce international verraient leur tâche
facilitée par la garantie d'une sécurité juridique accrue
et d'une politique de lutte contre le chalandage fiscal claire et
prévisible.
Cependant la volonté des gouvernements de maintenir la
souveraineté fiscale des États en la matière a
freiné cette aspiration en un système unifié. Cette
volonté se traduit par le refus de reconnaître compétence
à un organe placé au dessus des États pour régler
les conflits entre eux et leurs contribuables, nés de
l'interprétation des conventions fiscales qu'ils négocient et
adoptent.
Néanmoins, il est à noter que par le
passé quelques tentatives en ce sens virent le jour et qu'on a pu
attribuer à un tribunal arbitral la tâche de déterminer le
sens de dispositions conventionnelles. Ce fut notamment le cas en 1923,
à l'occasion d'un conflit entre la France et l'Espagne concernant
l'application ou non d'un impôt français sur les
bénéfices de guerre aux ressortissants espagnols résidents
en France. Le président de la Confédération
helvétique de l'époque fut choisi comme arbitre afin de rendre
une interprétation impartiale du traité conclu entre les deux
pays le 7 janvier 1862 35. Il est d'ailleurs possible que cette
solution soit amenée à se renouveler car depuis 2007, l'OCDE, qui
cependant ne souhaite pas endosser le rôle de juridiction fiscale
internationale, montre un intérêt particulier pour ce type de
règlement des
35 D. GUTMANN, Tax Treaty Interpretation in
France, p. 102. In : M. LANG Ed., Tax treaty
interpretation, Pays-Bas, Kluwer Law International, coll.
Eucotax, 2001.
différends fiscaux, principalement en cas d'échec
des moyens traditionnels puisqu'elle a inscrit cette possibilité dans
son modèle de convention fiscale 36.
Il est également à noter que dans le cadre
communautaire se développe un contentieux fiscal, porté devant la
Cour de justice de l'Union européenne. Bien que pour le moment la Cour
ne se prononce pas sur l'application individuelle de l'impôt
37, il est possible que son rôle en la matière aille
grandissant si les États membres consentent à poursuivre
l'intégration communautaire, en confiant à la Cour de justice une
fonction arbitrale contraignante ainsi que le suggère la Commission
européenne 38.
Section 2 - L'interprétation bilatérale
par accord secondaire
L'interprétation des termes d'une convention fiscale
par leurs auteurs, de manière concertée, est une procédure
souvent utilisée en pratique 39 et qui semble être la
solution existante la plus satisfaisante au regard du Droit international
public et de l'adage Pacta sunt servanda (les conventions doivent
être respectées). En effet ces conventions lient les États
entre eux et leur interprétation unilatérale peut faire craindre
qu'ils tentent de s'affranchir de certaines obligations contractées
envers l'autre État partie et à destination de ses
résidents, notamment en interprétant de manière trop
extensive certaines clauses anti-abus, leur refusant ainsi le
bénéfice des dispositions conventionnelles.
Indispensable à l'application effective des clauses
anti-abus conventionnelles, l'assistance administrative entre États
contractants peut se manifester de trois manières : la procédure
amiable 40, l'échange de renseignements concernant la
situation financière de contribuables et l'assistance au recouvrement
d'impôt par delà les frontières. Seule la première
intéresse la problématique de l'interprétation puisqu'elle
consiste, pour les États signataires d'une convention fiscale, à
s'entendre sur le sens ou les modalités d'application des dispositions
conventionnelles, contrairement aux deux autres composantes de l'assistance
36 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, article 25 § 5.
37 B. CASTAGNÈDE, Précis de
fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF,
coll. Fiscalité, 2006, p. 264.
38 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit
communautaire et conventions fiscales, 2005, p. 16.
39 B. CASTAGNÈDE, Précis de
fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF,
coll. Fiscalité, 2006, p. 264 et D. GUTMANN,
Tax Treaty Interpretation in France, p.115. In : M.
LANG Ed., Tax treaty interpretation, Pays-Bas,
Kluwer Law International, coll. Eucotax, 2001.
40 « Les autorités compétentes des
États contractants s'efforcent, par voie d'accord amiable, de
résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes auxquels
peuvent donner lieu l'interprétation ou l'application de la Convention.
» Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, article 25 § 3.
administrative qui elles concernent exclusivement la mise en
oeuvre pratique de l'imposition vis-à-vis d'un contribuable.
Les autorités compétentes pour conduire cette
procédure amiable ne sont pas définies au sein de chaque
convention mais déterminées par des règles internes.
Ainsi, en France, l'autorité compétente pour connaître des
demandes des contribuables tendant à l'ouverture d'une procédure
amiable est le Ministre chargé du Budget (en pratique la demande est
à adresser à Monsieur le Directeur Général des
Impôts , Direction de la législation fiscale , Sous-Direction E ,
Télédoc 503 , 139, rue de Bercy , 75572 Paris cedex 12)
41.
Cette procédure aboutit soit à
l'élaboration conjointe d'un nouvel accord international, sous forme de
protocole additionnel ou d'échange de lettres 42, soit
à celle d'un arrangement administratif ; ainsi l'interprétation
qui en résulte n'est pas judiciaire puisque la révélation
des termes obscurs ne se fait pas en application de méthodes
dictées par le Droit, en un jugement stricto sensu.
Alors que le nouvel accord international est un acte de
souveraineté et un accord de volonté au même titre que la
conclusion d'une convention, qui de la même manière crée du
Droit plus qu'il ne révèle rétroactivement la
signification d'une disposition conventionnelle, l'arrangement administratif ne
vaut que pour la situation litigieuse individuelle qui a donné lieu
à la procédure, tant que l'administration fiscale ne le publie
pas. En effet si celle-ci le faisait, l'interprétation devenue formelle
retenue à cette occasion pourrait être invoquée par la
suite par les autres contribuables 43 ; c'est sans doute pour cette raison que
ces arrangements sont très rarement publiés.
Les États saisis par un contribuable sont libres
d'entreprendre ou non une telle procédure mais peuvent également
le faire de leur propre initiative ; le pouvoir des autorités
compétentes en la matière est discrétionnaire. Dans les
deux cas, ils seront libres de prendre en compte tout élément
qu'ils jugeront pertinent, de droit, d'équité ou même
d'opportunité, mais il semble que la valeur juridique des solutions
varie selon l'initiateur de la démarche.
Si c'est le contribuable qui a demandé l'ouverture de
la procédure amiable, l'accord conclu entre les autorités des
deux États peut être accepté ou refusé par celui-ci
et ne s'impose pas au juge. Bien entendu, dans le cas où il l'accepte,
il doit se désister de toute action
41 DIRECTION GÉNÉRALE DES
IMPÔTS, Instruction n°26 du 23 février 2006 (BOI 14
F-1-06 n°34 du 23 février 2010), article 65.
42 Voir par exemple supra. n° 27.
43 Articles L 80 A et L 80 B du Livre des Procédures
Fiscales.
contentieuse portant sur la question ayant été
tranchée grâce à la procédure, ainsi le juge n'est
pas en mesure de contrôler l'accord en faisant prévaloir
éventuellement son interprétation ; la procédure amiable
crée donc un arrangement administratif à portée
individuelle.
En revanche si c'est l'un des États contractants qui en
a l'initiative et que la solution, tendant à préciser le sens de
dispositions de manière générale et non plus individuelle,
est adoptée sous la forme d'un acte de caractère international
(protocole ou échange de lettres) par les parties, celui-ci doit
recevoir la force exécutoire d'un tel acte introduit dans l'ordre
juridique interne et s'imposer au Juge comme au contribuable,
conformément à l'article 55 de la Constitution du 4 octobre
1958.
Chapitre 2 - L'interprétation unilatérale
française
Les conventions fiscales bilatérales de lutte contre la
double imposition sont, comme il vient de l'être rappelé, des
normes juridiques ayant force exécutoire dans l'ordre juridique interne
français et une autorité supérieure à celle des
Lois, sous réserve de réciprocité.
Ce principe de supériorité, commun à tout
les traités, est ici associé à celui spécifique aux
conventions fiscales de subsidiarité. Ce mécanisme particulier
fait qu'elles ne fondent pas directement un impôt mais qu'elles
prévalent sur une loi fiscale prévoyant une imposition qu'elles
interdisent (en l'attribuant à l'autre État partie),
écartant ainsi la Loi qui méconnait les dispositions
conventionnelles.
Il convient d'effectuer ce contrôle de
conventionnalité de la Loi lorsque le contribuable s'estimant victime
d'une double imposition juridique invoque des dispositions d'effet direct du
traité devant une juridiction de l'État qui entend l'imposer
44, ce qui explique le « nationalisme » de
l'interprétation. Pour dégager le sens d'une convention avant de
la comparer aux dispositions fiscales nationales, il est nécessaire d'en
interpréter les termes imprécis. Cette interprétation en
France est dévolue aux juges, bien que pendant un temps elle ait
été réalisée par le gouvernement, posant ainsi des
problèmes d'impartialité.
44 Le Conseil d'État admet la recevabilité des
demandes fondées sur l'inconventionnalité de dispositions
internes depuis 1952 : CE Ass., 30 mai 1952, dame Kirkwood.
Section 1 - L'interprétation gouvernementale et
ses critiques
L'interprétation des dispositions fiscales
conventionnelles par le gouvernement français a longtemps eu cours, mais
de manière plus ou moins systématique selon que le litige
relevait de la compétence du juge administratif ou du juge judiciaire
45.
Lorsque le juge judiciaire avait à connaître d'un
litige nécessitant une interprétation conventionnelle, il
s'estimait compétent pour effectuer celle-ci, sauf le cas où
était mise en jeu une question de droit public international 46 ; dans
cette situation uniquement, il revenait au ministre des affaires
étrangères d'apporter la solution générale à
la situation et au juge d'appliquer la solution préconisée.
Depuis 1995 cette exception d'incompétence du juge judiciaire en
matière d'ordre public international ne vaut plus 47, il est
désormais pleinement compétent pour appliquer comme pour
interpréter une convention fiscale internationale.
Lorsque le litige relevait de la compétence du Conseil
d'État, le juge administratif devait surseoir à statuer et
renvoyer impérativement pour interprétation au Ministre, avant
d'appliquer la décision ministérielle. Progressivement la Haute
juridiction s'est affranchie de la tutelle du chef de la diplomatie
française, d'abord en élaborant la théorie de l'acte
clair, puis en s'estimant pleinement compétente pour traiter des
problèmes d'interprétation.
La théorie de l'acte clair consistait à
considérer comme suffisamment précise une clause conventionnelle,
afin que nulle interprétation et donc nul renvoi au ministre ne soient
nécessaires à son application. Mais le Conseil d'État
déterminant lui même le degré de clarté de ces
textes, il lui était loisible en pratique d'apporter sa part
d'interprétation aux dispositions, qu'il estimait pourtant suffisamment
claires et certaines, afin que le recours au ministre puisse être
évité.
Puis par la décision d'assemblée GISTI
du 29 juin 1990 48, le Conseil d'État s'est totalement
affranchi de l'autorité du ministre en matière
d'interprétation conventionnelle, le recours au renvoi
préjudiciel devenant facultatif et à la discrétion du
juge, désormais compétent pour effectuer l'interprétation
de toute disposition conventionnelle.
De manière générale, toute question
relative à l'interprétation des traités internationaux
45 L'article L 199 du Livre des Procédures Fiscales
détermine le partage de compétences entre Juridictions
administratives et judiciaires.
46 Cass., 24 juin 1839, Fox, Bumbury et consorts c. duc de
Richmond (Dalloz 1839, 1re partie, p. 257).
47 Cass. civ. I, 19 décembre 1995, Banque africaine de
développement, N° de pourvoi 93-20424.
48 CE Ass., 29 juin 1990, GISTI (Rec. CE., p. 171,
GAJA).
relevait du ministre des Affaires étrangères
49, chargé d'éclairer les tribunaux sur le sens que
les États contractants avaient entendu donner aux termes litigieux.
Cette compétence de principe se justifie par la relation
privilégiée du ministre avec ses homologues étrangers, lui
permettant ainsi de solliciter le point de vue de l'autre État partie
afin d'aboutir à une interprétation conjointe lorsqu'il l'estime
nécessaire 50. En matière fiscale cependant, la
technicité des dispositions nécessitant parfois le point de vue
de spécialistes nationaux, c'est à l'administration fiscale que
le ministre normalement compétent confiait la tâche de
répondre au problème posé.
Cependant, celle-ci est nécessairement partie au litige
contre le contribuable et c'est la raison pour laquelle la question de
l'impartialité de ce type d 'interprétation a été
soulevée, avant de mettre fin à cette compétence
gouvernementale. En 1951 déjà, on relevait le problème que
cette situation d'une administration fiscale « juge et partie »
posait à l'égard de l'équité 51.
Au delà de cette valeur morale, ce sont
également des problèmes de droit qui se posaient : cette
prééminence de la solution donnée par le gouvernement sous
forme d'acte administratif sur le traité international
méconnaissait la hiérarchie des normes reconnue par les
constitutions françaises successives, mais constituait de plus un
déni de justice par interférence du pouvoir exécutif dans
une décision judiciaire. Ce sont ces raisons qui ont conduit le Conseil
d'État à se libérer de l'obligation de renvoi
préjudiciel qui lui était faite en la matière
52.
D'ailleurs, peu de temps après ce revirement, la France
se vit condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme,
pour une affaire antérieure dans laquelle le Conseil d'État avait
effectué ce renvoi et s'était estimé lié par
l'interprétation du ministre 53. Dans cet arrêt, la
Cour de Strasbourg s'est fondée sur l'article 6 § 1 de la
Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le droit
à un procès équitable, à travers la composante de
l'impartialité et de l'indépendance du juge. Elle a relevé
que l'intervention du ministre dans la fonction du juge était «
sans équivalent dans les autres États membres du Conseil de
l'Europe » 54 et que le Conseil d'État ne méritait pas,
en l'espèce, l'appellation de tribunal indépendant et de
pleine
49 Cass., Crim., 22 janvier 1963, Aschbacher et
Lertola (Bull, crim., 1963, p. 62, R.D.P. 1963, p. 1230) et CE.,
25 janvier 1963, Costa (Rec. CE., 1963, p. 47) et 13 novembre 1963,
Crédit mobilier indochinois (Rec. CE., 1963, p. 800).
50 Voir supra Chapitre I, Section II.
51 M. CHRÉTIEN, L'application et
l'interprétation des clauses fiscales des traités internationaux
par les tribunaux français, Revue critique de droit international
privé, 1951, p. 59.
52 Voir supra n° 48.
53 CEDH, 24 novembre 1994, Beaumartin c. France,
série A n°296-B censurant un arrêt du Conseil d'État
du 27 janvier 1989.
54 Idem.
juridiction. Elle a néanmoins pris acte du revirement
jurisprudentiel français en la matière, confirmant la nouvelle
solution de manière implicite.
Section 2 - L'interprétation juridictionnelle
française
En France c'est donc le juge qui est chargé de
l'application mais également de l'éventuelle
interprétation préalable des conventions fiscales de lutte contre
la double imposition en cas de procédure contentieuse. Le recours
à l'avis du ministre est désormais facultatif et ne lie pas les
juridictions.
La compétence du juge en la matière signifie non
seulement qu'il est le seul à pouvoir désormais
révéler le sens et la portée des termes obscurs contenus
dans les conventions, mais également qu'il est tenu de le faire, sans
quoi il se rendrait coupable de déni de justice 55. Au
delà de cette incrimination, le tribunal qui refuserait
d'interpréter une disposition conventionnelle quand cela serait
nécessaire, encourt la cassation. L'interprétation étant
une question de droit, l'opportunité d'interpréter ainsi que le
résultat obtenu relève du contrôle des juridictions
supérieures, Cour de cassation ou Conseil d'État.
Lorsqu'un contribuable s'estime imposé à tort
sur le fondement d'une disposition nationale qu'il considère non
conforme à des mesures conventionnelles, il dispose de la faculté
de former un recours contentieux devant le juge français, tendant
à faire reconnaître la méconnaissance du traité par
l'administration fiscale qui entend l'imposer. Conformément au principe
de subsidiarité des conventions fiscales, le juge saisi devra, avant de
contrôler la conventionnalité de la mesure contestée et de
sa base légale, regarder si le droit interne ne suffit pas à
éliminer la double imposition alléguée 56. Si
ce n'est pas le cas il devra, aux fins de résolution du litige,
révéler la signification de chacune des normes, tout d'abord pour
voir si il y a conflit entre les deux, puis pour déterminer la
disposition qui prévaut au cas d'espèce.
L'interprétation des clauses anti-abus conventionnelles
devant le juge français est donc désormais purement juridique ;
elle ne s'attache qu'à des considérations de Droit et non plus
d'opportunité politique ou diplomatique, bien qu'en pratique la
jurisprudence fasse preuve
55 Art. 4 du Code civil et 434-7-1 du Code pénal.
56 « Il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il
est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se
placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si,
à ce titre, l'imposition contestée a été
valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle
qualification. » CE. Ass., 28 juin 2002, Sté Schneider
Electric (n° 232 276).
d'une modération qui semble prendre en compte les
intérêts économiques des opérations du commerce
international 57.
En France, bien que les procédures
d'interprétation se soient homogénéisées avec la
fin du recours au ministre des Affaires étrangères, le
contentieux fiscal international n'en est pas pour autant confié
à une seule juridiction. Le contribuable désirant effectuer un
recours contentieux doit donc identifier celle qui est compétente,
judiciaire ou administrative, afin de faire droit à sa demande.
Cette répartition de compétence complexe est
prévue à l'article L 199 du Livre des procédures fiscales,
qui dispose que « en matière d'impôts directs et de taxes
sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions
rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui
ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent
être portées devant le tribunal administratif » et que
« en matière de droits d'enregistrement, de taxe de
publicité foncière, de droits de timbre, de contributions
indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes ou
contributions , le tribunal compétent est le tribunal de grande instance
».
Les réclamations portant sur les impôts directs
et les prélèvements parafiscaux assimilés ainsi que sur
les taxes sur le chiffre d'affaires (taxe sur la valeur ajoutée)
relèvent de la compétence des tribunaux administratifs. Les
impôts directs sont ceux qui sont payés et supportés par la
même personne, il y a ainsi identité entre le redevable et le
contribuable. Les impôts sur le revenu, sur les sociétés,
ou encore de solidarité sur la fortune ainsi que la taxe d'habitation et
la contribution sociale généralisée en font partie.
Les réclamations portant sur les impôts et
prélèvements indirects à l'exception de la TVA sont donc
de la compétence des tribunaux civils (ce sont les tribunaux de grande
instance qui statuent en premier ressort). Les impôts indirects sont ceux
qui sont versés à l'État par des personnes mais
supportés financièrement par d'autres, c'est le cas de la taxe
intérieure sur les produits pétroliers, des droits de succession,
de donation et d'enregistrement.
En pratique, la majorité des litiges en la
matière relève des tribunaux administratifs 58 et ceci
pour deux raisons. Tout d'abord les conventions de lutte contre la double
imposition concernent le plus souvent les impôts directs : impôt
sur le revenu et sur la fortune. Les
57 J N. THOMAS, Le contrôle fiscal des
opérations internationales, Paris, L'Harmattan, coll. Finances
Publiques, 2004, p.276.
58 P. DEROUIN, L'application et
l'interprétation des conventions fiscales internationales par les
tribunaux français, Revue de Jurisprudence fiscale, 1979/12, p.
402.
impôts indirects, eux, font moins souvent l'objet de
tels traités : droits sur les donations, sur les successions et
d'enregistrements 59. Ensuite, la matière des impôts
indirects, amputée de la TVA, ne constitue qu'à peine 10% des
recettes fiscales nettes perçues par l'État 60.
Le contribuable doit donc identifier le type d'imposition
auquel il est soumis et qu'il entend contester en vertu d'une convention de
lutte contre la double-imposition, afin de former son recours efficacement
devant l'un ou l'autre des ordres juridictionnels, tribunal administratif ou
tribunal de grande instance.
Comme un même traité peut concerner plusieurs
types d'imposition différents, l'interprétation d'une clause
anti-abus générale, c'est-à-dire délimitant le
champ d'application d'une convention (par exemple la clause de résidence
qualifiée), pourra être effectuée par les deux ordres de
juridiction, selon que la disposition spécifique en cause soit relative
à l'un ou l'autre des types d'impôt, et aboutir à des
solutions divergentes.
En effet l'interprétation autonome du juge interne
signifie non seulement que le juge interprète selon les règles de
son pays, mais également qu'il obéit aux procédures et
méthodes propres à sa juridiction. Il est vrai que les
différences de procédure entre les deux ordres se sont
estompées lors de l'abandon du recours à l'avis du ministre pour
interprétation, mais il n'en demeure pas moins que des
différences de méthodes existent, notamment du fait de la
signification discordante que peut avoir un même terme pour le juge
administratif ou le juge judiciaire.
C'est la raison pour laquelle, après avoir
déterminer les organes compétents, il convient de
s'intéresser aux méthodes mises en oeuvre par ceux-ci lors de
l'interprétation des clauses anti-abus conventionnelles.
59 Ainsi il existe 108 conventions visant l'impôt sur le
revenu et 55 visant l'impôt sur la fortune, contre 36 visant les droits
de successions, 16 pour les droits d'enregistrement et 12 pour les droits sur
les donations. Source : DIRECTION GÉNÉRALE DES
FINANCES PUBLIQUES, Instruction du 16 avril 2010 (BOI 14 A-1-10
n° 45 du 27 avril 2010).
60 9,2 % pour 2008.
Titre 2 - Les méthodes de l'interprétation
juridictionnelle française, ou principes de fond
Les juges français sont désormais pleinement
compétents pour interpréter les conventions fiscales
internationales et donc leurs clauses anti-abus. Ils sont également en
mesure de faire prévaloir celles-ci sur la Loi, et non plus seulement
sur les actes administratifs, depuis 1975 pour la Cour de cassation
61 et 1989 pour le Conseil d'État 62. Ce
contrôle de conventionnalité qui leur est dévolu permet de
faire respecter la hiérarchie des normes telle qu'elle ressort de la
lecture de l'article 55 de la Constitution.
Comme il n'existe pas de principes généraux
d'interprétation du droit fiscal conventionnel, le juge, afin de
dégager le sens et la portée des clauses anti-abus, se
réfère à plusieurs instruments normatifs, de valeur
variable, pour guider son raisonnement. Ce sont ces outils qui seront ici
étudiés, avant de voir comment le juge les utilise.
Chapitre 1 - Les valeurs respectives des normes
d'interprétation
Les lignes directrices d'interprétation des conventions
fiscales que suivent les juges français n'obéissent pas à
un régime unique et proviennent de plusieurs sources. Au delà des
solutions auxquelles elles mènent, il est intéressant d'observer
leur valeur juridique et la pertinence de leur emploi, que ce soit par le juge
français mais également par le juge étranger, afin de
mettre en lumière cette autonomie formelle qui caractérise
désormais l'interprétation juridictionnelle. Les méthodes
que dictent ces normes, Convention de Vienne sur le droit des traités,
conventions fiscales et modèle OCDE, seront ensuite
étudiées en fonction de leur importance effective.
Section 1 - La Convention de Vienne sur le droit des
traités
La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai
1969 a été adoptée dans le cadre de l'Organisation des
Nations Unis et codifie les relations conventionnelles de droit
61 Cass., Ch. Mixte, 24 mai 1975, Société des
cafés Jacques Vabre (Bull. Ch. Mixte, n° 4 p. 6).
62 CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo (Rec. CE 1989, p.
190).
international public ; lors de son adoption par
l'Assemblée générale de l'ONU en 1969, la France fut le
seul pays à voter contre. Elle est entrée en vigueur le 27
janvier 1980 dans 35 États et désormais ce sont plus de 100 pays
qui l'ont ratifiée.
En Suisse, où la Convention est entrée en
vigueur le 6 juin 1990, la jurisprudence du Tribunal fédéral se
fonde sur ses principes afin d'interpréter les conventions fiscales. On
peut citer par exemple l'arrêt du 4 avril 2006, relatif à
interprétation de la convention franco-suisse en vue d'éviter les
doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la
fortune du 9 septembre 1966 63. C'est le cas également au
Canada, en Australie ou encore en Grande-Bretagne 64.
Alors que dans le reste du monde cette Convention fixe les
règles relatives à l'interprétation des conventions
65, ceci dans un souci d'uniformisation des solutions afin que les
dispositions conventionnelles n'aient pas de signification différente
selon les pays où elles sont appliquées, en France elle n'a pas
de valeur juridique formelle. Cette nouvelle particularité
française en matière d'interprétation des conventions
fiscales s'explique par le fait que la France ne souhaitait pas
reconnaître de valeur contraignante à la notion de jus
cogens, ordre public international auquel les États ne peuvent
déroger, y compris par voie de traités.
En effet, cette notion centrale de la Convention fragiliserait
la force des conventions internationales qui, pour méconnaissance de
cette norme aux contours indistincts, pourraient être annulées,
créant de ce fait une trop grande insécurité juridique.
Ainsi, n'étant pas partie à cette convention, la
France n'est pas liée par ses termes et ne lui reconnaît pas
l'autorité supérieure à celle des lois que l'article 55 de
la Constitution attribue aux conventions régulièrement
ratifiées.
Cependant la spécificité de cette convention
internationale n'est pas d'établir un droit conventionnel international
nouveau, mais de reconnaître et codifier celui déjà
existant, celui que l'on nomme coutume internationale, c'est-à-dire la
pratique constante de l'ensemble des États ayant acquis force de droit.
C'est la raison pour laquelle beaucoup d'auteurs étrangers
considèrent que cette coutume internationale, universelle, est opposable
à tous les États, y compris ceux n'ayant pas ratifié
l'outil conventionnel qui la codifie 66.
En France, il semble que cet argument ne suffise pas à
emporter la conviction du juge,
63 Décision « 2A.416/2005» du 4 avril 2006,
disponible sur le site
http://www.bger.ch.
64 V. UCKMAR, Double Taxation
Conventions, p. 157. In : A. AMATUCCI Ed.,
International Tax Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, 2006.
65 Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai
1969, articles 31 à 33.
66 X. OBERSON, Précis de droit fiscal
international, Bern, 3e éd., Stämpfli, coll.
Précis de Droit Stämpfli, 2009, p. 30.
qui, à défaut de reconnaissance de la valeur
juridique de la coutume internationale au sein de la Constitution, se trouve
dépourvu du pouvoir de fonder son raisonnement sur les indications de ce
texte. Ainsi, le Conseil d'État considère que « ni cet
article (art. 55 de la Constitution) ni aucune autre disposition de
valeur constitutionnelle ne prescrivent ni n'impliquent que le juge
administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en
cas de conflit entre ces deux normes » 67. Il est
d'ailleurs étonnant de voir que dans cette affaire, la Haute cour
administrative se fonde notamment sur les statuts de la Cour internationale de
justice, concernant la question du régime des pensions en cause, et que
ces statuts à l'article 38, reconnaissent la valeur de la coutume
internationale en tant que source applicable par elle à la
résolution des différends de droit international.
Il est donc entendu à travers cette jurisprudence que
nulle coutume internationale ne prévaut sur l'ordonnancement juridique
interne. Cependant un arrêt du 21 avril 2000 a pu provoquer des doutes
sur la position du Conseil d'État puisque dans l'un de ses
considérants, l'arrêt dispose que « dans le cas de
concours de plusieurs engagements internationaux, il y a lieu d'en
définir les modalités d'application respectives
conformément à leurs stipulations et en fonction des principes du
droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions
internationales » 68. En se référant ainsi
au droit coutumier international, le Conseil d'État n'en consacre pas
pour autant sa valeur en droit positif. En effet le recours à cette
notion ne sert même pas à faire prévaloir l'une des
conventions sur l'autre, mais simplement à indiquer, si cela
était nécessaire, que deux textes de même valeur ne se
contredisant pas peuvent être appliqués en même temps.
Concernant la jurisprudence judiciaire cependant le doute est
permis, bien que son rôle dans le contentieux fiscal international soit
moins prégnant. En effet la chambre criminelle a consacré le
rôle de la coutume internationale et sa suprématie par rapport
à la loi pénale dans un arrêt Kadhafi 69. Ainsi,
en visant les principes généraux du droit international, la
chambre criminelle a écarté la poursuite de l'instruction
à l'encontre du président libyen pour son rôle
présumé dans l'attentat du DC 10 de la compagnie UTA en 1989. Ce
faisant elle reconnaît la prévalence de la coutume internationale
(d'immunité des chefs d'états en exercice) sur la loi
française.
Cependant il n'est pas certain que cette solution soit
adoptée par les autres chambres de la Cour de cassation, ni que la
coutume internationale reconnue par les juges englobe plus que
67 CE Ass., 6 juin 1997, Aquarone (n° 148 683, Rec.
CE 1997, p. 206), confirmé par CE, 28 juillet 2000, Paulin
(n° 178 834, Rec. CE 2000, p. 317).
68 CE, 21 avril 2000, Zaïdi (n° 206 902, Rec.
CE 2000, p. 159).
69 Cass. Crim., 13 mars 2001, Kadhafi (pourvoi
n°Z.00.87-215 arrêt n°1414).
des questions d'immunité diplomatique.
Ainsi en droit français, il apparaît que les
questions d'interprétation des conventions, notamment fiscales,
n'obéissent pas de manière formelle à des méthodes
dictées par le droit international coutumier, qu'il soit codifié
ou non.
Il est cependant fort possible que le juge français ait
recours à des méthodes propres qui soient proches de celles
prévues aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne. En
effet, pour qu'autant de pays considèrent ces règles comme ayant
valeur coutumière, c'est que celles-ci reflètent une pratique
étatique partagée, à laquelle la France ne peut être
totalement étrangère.
Section 2 - Les conventions fiscales et le
modèle OCDE
Les méthodes prévues par les conventions
fiscales, destinées à régler les problèmes
d'interprétation quant à ses propres termes, sont celles
auxquelles le recours paraît être le plus logique, puisque garant
de la volonté commune des parties. La plupart de ces méthodes
sont en fait des règles substantielles, c'est à dire que ces
dispositions ne prévoient pas une procédure permettant de
dégager in fine le sens des termes mais qu'elles le donnent directement.
D'autres, au contraire, proposent un mécanisme de renvoi au droit
interne pour définir les termes utilisés.
Ces règles conventionnelles d'interprétation,
fruits de la pratique internationale, sont souvent proches d'un traité
à l'autre ; c'est la raison pour laquelle la plupart des auteurs, qu'ils
soient français ou étrangers, les étudient à
travers l'article du modèle OCDE qui regroupe les principales, l'article
3 intitulé « Définitions générales
». On peut ajouter à cet article les deux suivants,
spécifiques pour l'un à la définition de la
résidence (art. 4), pour l'autre à celle de
l'établissement stable (art. 5) ; ces trois articles correspondent au
chapitre 2 du modèle 70.
Cependant la proximité des solutions et la
commodité ne doivent pas faire perdre de vue le fait que ce
modèle de convention n'a aucune valeur juridique en France. Son
rôle est utile en tant qu'il est le fruit de travaux concertés
entre spécialistes des politiques fiscales des pays membres de l'OCDE et
qu'il peut servir de base de travail à la rédaction des
conventions
70 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, pp. 25 à 28.
fiscales. Mais le modèle n'est pas un traité et ne
fait l'objet d'aucune adoption ou ratification.
À l'étranger cependant, on peut s'interroger sur
ce point ; en effet comme cela a été vu, la plupart des pays
reconnaissent une valeur juridique à la coutume internationale ou ont
ratifié la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il est
possible à partir de ces deux vecteurs de considérer que le
modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune, ainsi
que ses commentaires, s'imposeraient d'une manière ou d'une autre au
juge étranger chargé de l"interprétation.
- Tout d'abord par l'intermédiaire de la coutume
internationale. Puisque ce modèle est rédigé par le
comité des affaires fiscales de l'OCDE, composé de hauts
responsables de tous les pays membres et qu'il est très souvent
utilisé pour servir de base à la rédaction des
conventions, il éclaire l'attitude des différents États
quant à leurs pratiques conventionnelles. Il peut donc être
soutenu que, dans un pays accordant une valeur suffisante aux principes
coutumiers internationaux, les définitions données par le
modèle et ses commentaires puissent être appliquées en tant
que telles par le juge.
- Ensuite à travers la Convention de Vienne et plus
précisément ses articles 31 et 32, qui prévoient les
règles générales d'interprétation pour le premier
et les moyens complémentaires pour le second. En prenant l'exemple de la
Suisse cependant, on observe que la doctrine est partagée sur la valeur
de ce recours et de l'articulation entre les deux textes 71,
puisqu'il n'est pas clair que le modèle relève du premier ou du
deuxième de ces articles, bien que le juge s'y réfère pour
interpréter des conventions fiscales.
En tout état de cause, le recours à ce
modèle OCDE en France n'a pas cours. Quelques décisions du
Conseil d'État ont pu faire croire à certains que le juge s'y
référait afin de dégager des règles
d'interprétation, mais lorsque de telles règles sont suivies par
le juge, c'est tout simplement parce que celles-ci ont été
reprises du modèle lors de l'élaboration de la convention et
qu'elles ont acquis valeur conventionnelle.
C'est donc d'abord au texte de la convention que le juge doit
s'attacher afin de guider son travail ; bien qu'étant proches les unes
des autres sur ce sujet, il semble donc que les règles relatives
à l'interprétation des conventions varient, dans une mesure
raisonnable, d'une convention fiscale à l'autre.
71 V. UCKMAR, Double Taxation
Conventions, p. 158. In : A. AMATUCCI Ed.,
International Tax Law,
Pays-Bas, Kluwer Law International, 2006 et X.
OBERSON, Précis de droit fiscal international, Bern,
3e éd., Stämpfli, coll. Précis de Droit
Stämpfli, 2009, p. 33.
Chapitre 2 - L'interprétation des termes
conventionnels
En toute rigueur juridique, le juge français
nouvellement compétent s'attache désormais au texte de la
convention, et à lui seul, pour en dégager le sens. Sa
méthode est donc simple, son interprétation littérale.
Cependant, cette méthode propre au juge va le conduire paradoxalement
à avoir recours de manière subsidiaire à son droit
interne, puisque l'une des particularités des conventions fiscales est
de renvoyer pour certaines notions aux qualifications nationales.
Section 1 - L'interprétation littérale
des conventions fiscales
Le juge fiscal dans son office d'interprète, applique
donc la méthode de l'interprétation littérale ; ainsi, il
s'en tient à la lettre du traité pour dégager le sens
d'une disposition, c'est-àdire qu'il n'ajoute pas de signification
à ce qui est écrit en se fondant sur des éléments
extérieurs.
On pourrait considérer que cette méthode n'est
en fait pas une interprétation, mais simplement une application,
puisqu'elle se borne à appliquer dans les faits ce qui est écrit.
La distinction entre ces deux notions qui vont de pair dans le processus du
travail du juge est ténue : où commence l'une, ou finit l'autre ?
Il n'est pas aisé d'apporter une réponse à cette question,
d'autant plus que pendant un temps la jurisprudence du Conseil d'État,
compétent pour appliquer mais pas pour interpréter,
forçait la logique de la distinction en considérant que nulle
interprétation n'était nécessaire en présence de
termes clairs, afin de pouvoir in fine effectuer cette tâche,
indépendamment du ministre normalement compétent.
La distinction a cependant perdu de son intérêt
depuis que les deux relèvent de la compétence du juge ; on peut
néanmoins dire que l'interprétation littérale est au moins
une analyse du sens et de la portée des termes, afin de s'assurer qu'ils
sont assez efficaces pour être applicables, quand l'application est leur
mise en oeuvre. L'interprétation, aussi stricte soit-elle, est encore
l'extraction du sens d'une disposition à l'instrumentum de la
convention fiscale, peu importe que celle-ci ajoute ou non à son
contenu.
L'interprétation littérale des conventions fiscales
par le Conseil d'État est désormais bien établie par sa
jurisprudence. Dans la décision dite « des crédits
d'impôts italiens » de
2000 72 tout d'abord, le Conseil d'État
avait considéré que « en faisant une application stricte
de ces stipulations (de la convention fiscale franco-italienne du 29
octobre 1958), [...], la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas
entaché son arrêt d'erreur de droit ». Cette
décision a été suivie par une affaire « Schneider
Electric » 73, dont la question centrale était de
savoir si l'article 209 B du Code général des impôts, qui
est une mesure anti-évasion française, était compatible
avec la convention fiscale franco-suisse de 1966. Dans sa décision, le
Conseil d'État a réaffirmé son attachement à
l'interprétation littérale des conventions fiscales et a
écarté l'application de la loi interne : «
Considérant qu'à supposer même qu'il soit établi
qu'un objectif de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ait
été assigné à la convention franco-suisse, cet
objectif ne permet pas, faute de stipulation expresse le prévoyant, de
déroger aux règles énoncées par cette convention
».
On le voit distinctement dans ce considérant, la
méthode adoptée par le juge fiscal s'oppose directement à
celle longtemps privilégiée par le ministre prenant en compte des
éléments extérieurs au texte, qui est celle de
l'interprétation téléologique. Celle-ci s'attache non
seulement aux termes conventionnels, mais également à l'objectif
servi par le traité, afin de dégager le sens des dispositions
à la lumière de ce dernier. Il n'est pas question ici de juger du
bien fondé de cette méthode mais d'observer que le juge
administratif français la rejette explicitement en ne
s'intéressant dans son interprétation qu'aux termes des
dispositions qu'il lui faut appliquer.
On peut toutefois rappeler que depuis peu, s'est ajouté
à l'objectif initial de lutte contre la double-imposition juridique,
celui de la lutte contre l'évasion fiscale ; les deux objectifs, sans
pour autant être incompatibles, demeurent assez opposés, puisque
la raison d'être des clauses anti-abus est justement de limiter le
premier objectif pour servir le second. Cet antagonisme, qui mène les
rédacteurs des traités à prendre en compte les
intérêts des contribuables en regard de ceux des finances
publiques, peut donc, pour le juge appliquant une méthode
d'interprétation fondée sur la finalité du texte,
s'avérer être au mieux inutile, au pire dangereux, en rendant
aléatoire le résultat de son exégèse.
Cette méthode d'interprétation, courante chez
les juges étrangers, est justement celle préconisée par la
Convention de Vienne sur le droit des traités en son article 31,
intitulé « Règle générale
d'interprétation ». Cet article dispose qu'un traité
« doit être interprété de
72 CE, 24 mai 2000, ministre c. CRCAM Normand (n°
209 699-209 891).
73 CAA Paris, 30 janvier 2001, SA Schneider (n° 96
1408) confirmée par CE. Ass., 28 juin 2002, Sté Schneider
Electric (n° 232 276).
bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux
termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son
objet et de son but ». Le tout premier principe
d'interprétation codifié de la coutume internationale n'a donc
pas cours en France, cela confirme, s'il était besoin, que la Convention
de Vienne ne fait pas partie des normes que suit le juge fiscal
français.
Le premier à regretter un tel choix quant à la
méthode se trouve être le gouvernement qui pendant longtemps
pratiqua une interprétation constructive, prenant en compte l'objectif
de lutte contre la double-imposition afin d'ajouter des conditions
d'applicabilité des bénéfices conventionnels ou de
justifier l'application des ses mesures internes de lutte contre
l'évasion fiscale. En la matière l'affaire Schneider est
significative puisque le ministre y défend cette interprétation
afin de faire reconnaître que la société en cause n'est pas
victime elle-même d'une double-imposition et par suite ne peut
prétendre au bénéfice de la convention dont c'est l'objet
(en effet le mécanisme de l'art. 209 B du CGI rend imposable entre les
mains de la société mère française les
bénéfices versés par sa filiale située et
déjà imposée à l'étranger, mais n'assujettit
pas une seconde fois la filiale). Les conclusions du rapporteur public sur la
décision du Conseil d' État sont également claires :
« Nous pensons que le ministre soutient à juste titre qu'il
faut tenir compte de l'objet des conventions fiscales dans
l'interprétation de leurs stipulations, et donc notamment de celles qui
fixent leur champ d'application. » 74.
Le choix de la méthode littérale, en plus
d'offrir un résultat prévisible pour le contribuable, a le
mérite de garantir à l'État cocontractant que rien en
dehors de ce qui a été convenu ne sera utilisé pour mettre
en oeuvre les mécanismes conventionnels. Ainsi il est de la seule
responsabilité des États de s'assurer de la clarté d'un
texte ; si ceux-ci s'entendent pour que les termes soient
interprétés à la lumière de l'objectif de lutte
contre la double-imposition, libre à eux d'en disposer ainsi et de la
sorte le juge s'y tiendra. Dans le cas contraire, le juge n'a pas à
prendre en compte d'élément extérieurs.
Le résultat de l'interprétation littérale
des termes conventionnels est donc simple : la plupart des notions propres au
système d'élimination des doubles impositions sont
définies clairement par le traité, le juge s'en tient donc
à celles-ci. Puis pour les notions ayant une qualification juridique en
droit interne, le traité renvoie le juge aux définitions de son
droit national. Le juge applique donc les définitions nationales qu'il
connait dans le respect de la convention.
74 S. AUSTRY, L' interprétation des
conventions internationales de droit fiscal, concl. sur CE Ass., 28 juin
2002, Ministre c/ Sté Schneider Electric, RFDA, 2002, p.
1124.
Section 2 - Le recours subsidiaire au droit interne
Loin d'être un retour au nationalisme fiscal qui
contredirait la logique bilatérale des conventions de lutte contre la
double imposition, le recours au droit interne prévu par celles-ci
permet au contraire d'adapter les solutions en droit positif. En effet en
raison du caractère subsidiaire des traités fiscaux et de la
priorité du droit interne en la matière, il est souvent
nécessaire de qualifier certaines notions selon les règles
connues en droit interne afin que la solution puisse être
trouvée.
Le juge qui contrôle une imposition au regard de
dispositions conventionnelles procède comme suit. Tout d'abord il
s'assure qu'une imposition, toujours fondée sur une loi nationale, est
bien conforme aux dispositions de celle-ci : c'est le caractère
prioritaire du droit interne. Pour cela il qualifie les faits au regard du
texte fiscal et applique ses dispositions s'ils rentrent dans le champ
d'application de l'imposition. Une fois que le bien fondé de
l'imposition est vérifié à l'échelon national, le
juge contrôle la conventionnalité de la situation en recherchant
si elle est compatible avec les dispositions de lutte contre la
double-imposition, c'est-à-dire si l'imposition nationale n'est pas
interdite par le traité. Ce processus, dans lequel le rôle de la
convention n'est pas d'édicter des règles substantielles
d'imposition mais de poser des règles de conflit de lois, fait la
particularité des conventions fiscales de lutte contre la double
imposition et explique la solution « classique » 75 de la
compétence de la lex fori ainsi que le renvoi au droit interne
et à ses qualifications pour les termes non définis
conventionnellement.
Ainsi le recours au droit interne prévu par la
convention est encore une méthode d'interprétation, mais
déjà une solution substantielle ; en effet il est une
méthode en tant que recours, les règles à prendre en
compte, le cheminement à suivre, sont dictés par la convention.
Mais il représente un contenu normatif substantiel en tant que ce renvoi
se fait au profit du droit interne, établissant pour chaque notion une
qualification et un régime.
Ce recours subsidiaire au droit interne peut se
matérialiser dans les conventions de deux manières :
- Soit de manière spécifique, ainsi un terme
conventionnel se verra attribuer par le traité la signification qu'il a
dans l'État de situation. C'est bien souvent le cas des biens
immobiliers ou de la notion de résident dont la formulation,
résultant du modèle OCDE, est la
75 P. DEROUIN, L'application et
l'interprétation des conventions fiscales internationales par les
tribunaux français, Revue de Jurisprudence fiscale, 1979/12, p.
404.
suivante : « Au sens de la présente
Convention, l'expression " résident de l'un des États "
désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit
État, est assujettie à l'impôt dans cet
État,[...] » 76. Dans le cas de la
résidence, il est prévu un recours à des règles
conventionnelles supplémentaires, dans l'hypothèse où une
personne physique serait considérée comme résident des
deux États contractants, afin de déterminer celui avec lequel les
liens sont les plus importants.
- Soit de manière générale, la convention
renvoyant pour les termes non définis, au sens de ceux-ci dans le droit
de l'État où est appliqué la convention. La disposition
est formulée au sein de l'article « Définitions
générales » du modèle OCDE comme suit : «
Pour l'application de la Convention à un moment donné par un
État contractant, tout terme ou expression qui n'y est pas défini
a, sauf si le contexte exige une interprétation différente, le
sens que lui attribue, à ce moment, le droit de cet État [...]
» 77.
En ayant distingué ces deux méthodes
particulières de renvoi au droit interne, on s'aperçoit que la
notion n'obéit pas à un régime conventionnel unique
puisque le recours spécifique ne souffre d'aucune exception (il peut
cependant être complété par des règles
conventionnelles, cf. notion de résidence), alors que le recours
général ne doit pas être utilisé lorsque «
le contexte exige une interprétation différente ».
Cette dissociation des deux recours nous permet de mieux prendre en compte les
observations relatives à cette interprétation selon le droit
interne. En effet, bien que consacrée par les conventions
bilatérales, celle-ci fait l'objet de critiques puisqu'elle pourrait
conduire à une application différente du traité selon les
pays 78. Il conviendrait donc d'interpréter le «
contexte » de la convention de la manière la plus large
possible, ceci afin d'éliminer le recours au droit interne et de trouver
un sens supranationale, idéalement concordant, aux notions non
définies par la convention.
En ce qui concerne la France, une telle interprétation
extensive n'est pas envisageable. Le recours au contexte reste donc très
limité et pourrait éventuellement être recherché si
le résultat s'avérait être en contradiction avec l'un des
objectifs du traité.
En ce qui concerne la Suisse cependant, on peut penser que le
recours au contexte, tel que préconisé dans la Convention de
Vienne dont la valeur est reconnue par le Tribunal
76 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, article 4 § 1. Repris notamment par les
conventions franco-allemande du 21 juillet 1959, article 2
§ 1-4.a, franco-néerlandaise du 16 mars 1973,
article 4 § 1 et franco-turque du 18 février 1987,
article 4 § 1.
77 Ibid., article 3 § 2. Repris notamment par les
conventions franco-allemande du 21 juillet 1959, article 2
§ 2, franco-néerlandaise du 16 mars 1973, article
3 § 2 et franco-turque du 18 février 1987, article
3 § 2.
78 Par exemple : V. UCKMAR, Double Taxation
Conventions, p. 160. In : A. AMATUCCI Ed.,
International Tax Law, Pays-Bas, Kluwer Law International, 2006 et
S. GLASPER, Les clauses anti-abus dans les conventions
fiscales internationales, thèse Montpellier I, 2007, p. 312.
fédéral, puisse être retenu pour,
paradoxalement, s'éloigner du texte de la convention. Mais même
dans ce cas, il ne faut pas perdre de vue que seul le recours
général au droit interne peut être écarté par
un contexte particulier. Cette exception n'étant pas prévue pour
le recours spécifique, rien ne permet au juge de déroger à
la méthode du renvoi au droit interne en l'état actuel des
formulations conventionnelles.
Les cas d'utilisation du droit interne par le juge
étant délimités, il est désormais possible de
s'intéresser plus en détail à celui-ci et notamment
préciser quelques points concernant son utilisation.
Tout d'abord sur le fait de savoir de quel droit interne le
juge se sert ; en effet il est possible, et d'ailleurs la dualité de
juridictions française en matière fiscale n'est pas pour unifier
les qualifications, qu'une notion n'ait pas une seule et unique signification
dans un droit national, mais plusieurs, en fonction de la branche
étudiée. Cette imprécision quant à la branche du
droit à prendre en compte pour découvrir la signification de
notions internes était d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle
l'interprétation nationale était tant critiquée
79. Toutefois, si l'on observe attentivement le texte des
conventions les moins anciennes ou des avenants les plus récents, on
relève que cette imprécision a été corrigée
; par exemple le modèle de convention de l'OCDE a été
actualisé en 1995 et dispose depuis que « le sens
attribué à ce terme ou expression par le droit fiscal de cet
État prévalant sur le sens que lui attribuent les autres branches
du droit de cet État. » 80.
Dans une affaire Superseal 81, le Conseil
d'État a eu à statuer sur ce point en appliquant une convention
fiscale de 1975, modifiée justement en 1995 par un avenant, son article
étant depuis rédigé de la sorte : « Pour
l'application de la présente Convention, l'expression " biens
immobiliers " a le sens que lui attribue le droit de l'État contractant
où les biens considérés sont situés. (...) En ce
qui concerne la France, l'expression " droit de l'État contractant "
s'entend de la législation fiscale française. »
82. Le travail du juge est donc d'autant plus aisé que la
convention à interpréter est bien rédigée.
La question s'est également posée de savoir si
le droit auquel il fallait se référer était celui en
vigueur à la date de la conclusion du traité, ou celui en vigueur
à celle des faits. Ce débat opposait donc l'approche statique
à l'approche ambulatoire mais se pose avec moins
79 M. CHRÉTIEN,
L'interprétation des traités bilatéraux sur la double
imposition : méthodes et procédures, JCP, 1960, p. I, 1561,
p. 5.
80 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, art. 3 § 2.
81 CE, 27 mai 2002, Société Superseal
Corporation, (n° 125 959, Rec. CE 2002).
82 Convention franco-canadienne du 2 mai 1975
modifiée par l'avenant du 30 novembre 1995, article 6 § 2.
d'acuité maintenant que les conventions sont claires
sur ce point. La plupart des pays 83 s'est en effet accordée
pour utiliser la seconde approche, prenant acte que le droit est une
matière vivante dont l'évolution est indispensable.
Enfin, il est des cas où renvoi au droit interne ne
rime pas avec loi du for. Il est parfois nécessaire, dans le respect de
la règle conventionnelle, de qualifier une notion au regard du droit
étranger. Cette opération est loin d'être
étrangère à la logique du droit international
privé, mais il est vrai qu'en matière fiscale celle-ci est plus
rare, la loi du for coïncidant avec la loi de l'impôt en cause.
C'est le cas notamment concernant la définition des
immeubles, qui se fait en fonction de la loi de l'État de leur
situation, ce peut être celui des dividendes s'ils doivent être
définis selon la législation de l'État dont la
société distributrice est un résident ou bien encore le
cas même de la résidence ; en effet en présence d'une
personne physique qui est considérée comme résident dans
les deux pays contractants au sens de leurs droits internes respectifs, il a
été vu qu'une méthode supplémentaire permet de
régler le conflit de compétences. Seulement il faut que le juge
s'assure que la personne réponde bien à la double qualification
avant de mettre en oeuvre cette méthode conventionnelle. Pour cela, le
juge français applique sa propre définition de la
résidence, pour ensuite appliquer celle de l'État contractant.
En théorie cette qualification selon la loi
étrangère pourrait poser des problèmes de preuve du
contenu des règles étrangères pour le juge français
mais l'insignifiance du contentieux ne va pas dans le sens de ces
inquiétudes, d'autant plus que la mise en oeuvre des clauses
d'échange de renseignements permet aux administrations fiscales
d'éclairer le juge à ce propos.
83 X. OBERSON, Précis de droit fiscal
international, Bern, 3e éd., Stämpfli, coll.
Précis de Droit Stämpfli, 2009, p. 37 et S.
GLASPER, Les clauses anti-abus dans les conventions fiscales
internationales, thèse Montpellier I, 2007, p. 312.
Partie 2 :
Les solutions d'interprétation des clauses anti-abus
Le résultat de l'interprétation des clauses
anti-abus conventionnelles présente un intérêt pratique
considérable, tant pour le contribuable que pour les gouvernements,
français comme étrangers. En effet la révélation de
la règle substantielle qui permettra in fine de savoir si une situation
mérite le bénéfice ou non des dispositions
éliminant la double imposition, ne sera connue qu'au terme d'un
processus d'interprétation et réalisée par son
application. Cette solution renseignera le contribuable sur sa situation
juridique, l'administration fiscale sur l'efficacité des ses dispositifs
et les États étrangers sur les solutions pratiques auxquelles
aboutissent les mécanismes théoriques élaborés et
prévus avec la France.
Il a été vu dans la première partie les
règles relatives à l'interprétation, ce qui a permis de
présenter le cheminement de cette opération. Il est temps
désormais d'observer les nombreux résultats auxquels il
mène, c'est-à-dire pour chaque clause anti-abus à la fois
le sens exact des termes utilisés et la portée de la
règle.
Toutefois il convient de rappeler que ces clauses sont
nombreuses et variées, et qu'au sein de chaque catégorie les
formulations divergent, de sorte que chaque solution dépend de la
rédaction, qui combine définition propre et renvoi au droit
interne, éclairée par le raisonnement du juge.
On peut donc dire que le sens et la portée d'une clause
anti-abus conventionnelle lui sont strictement propres et que seul un examen
attentif des conventions par le prisme des méthodes juridictionnelles
permet de les découvrir.
Titre 1 - Le sens à donner aux clauses
anti-abus
Puisqu'il n'existe pas de notion universellement admise pour
chaque mécanisme antiabus, seule la lecture d'une convention en se
référant si nécessaire au droit interne peut permettre de
comprendre pour chacune d'elle quelles sont les conditions du
bénéfice des ses dispositions éliminant la
double-imposition.
Comme il est impossible de dresser une liste exhaustive de
toutes les dispositions antiabus contenues dans toutes les conventions fiscales
bilatérales, de même qu'il n'est pas possible d'étudier
toutes les méthodes d'interprétation suivies dans les
différents États, les développements qui vont suivre se
focaliseront sur les solutions données par le juge français,
concernant les déclinaisons de quelques clauses typiques contenues dans
des conventions conclues par la France. Outre les traités conclus avec
ses sept principaux partenaires commerciaux 84, ceux signés
avec quelques autres États seront examinés.
Chapitre 1 - La clause de résidence
Le critère de résidence qui délimite le
champ d'application personnel initial dans la plupart des conventions
85, bien que n'étant pas uniquement une clause anti-abus,
contient cependant des dispositions permettant de restreindre à
certaines situations le droit aux bénéfices conventionnels.
Section 1 - La notion de résidence
Les conventions fiscales de lutte contre la double-imposition
débutent pratiquement toutes par un article déterminant les
personnes visées par elle, rédigé comme suit : «
La présente Convention s'applique aux personnes qui sont des
résidents d'un État ou des deux
84 60,7 % des importations et 55,9 % des exportations sont
réalisés avec l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, le
Royaume-Uni, les États-Unis et les Pays-Bas. Source :
CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, The World factbook -
France, Library/Publications, mis à jour le 19 août 2010,
https://www.cia.gov.
85 Rarement, des conventions retiennent le critère de
nationalité pour l'application de la convention, voir par exemple :
Convention franco-monégasque en matière de
droits de succession du 1er avril 1950.
États contractants. ». Ensuite, le
même article ou un article suivant éclaire le sens à donner
à la notion de résident, soit en donnant une définition
conventionnelle, soit en renvoyant au droit interne.
Il est ainsi possible, à la lecture de quelques
conventions conclues par la France, d'observer des différences entre les
rédactions des clauses définissant la résidence des
personnes physiques, mais également des similitudes :
- Soit la convention donne une définition propre
(définition conventionnelle) de la notion de résidence ; ce peut
être le « foyer permanent d'habitation » 86 ou «
la résidence normale entendue dans le sens de foyer permanent
d'habitation, ou, à défaut, au lieu du séjour principal.
» 87. C'est le cas dans les conventions conclues avec la
Belgique et le Luxembourg.
- Soit la convention effectue un renvoi à la
définition interne de la résidence dans l'État où
le contribuable est « soumis à l'imposition en raison de son
domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout
autre critère analogue. ». C'est la formulation que l'on
retrouve le plus souvent dans les traités (ex : Allemagne, Pays-Bas,
USA, Suisse, etc).
En France, la définition interne de la résidence
est donnée par l'article 4 B du CGI, elle renvoie alternativement aux
trois situations suivantes :
- une personne qui a en France son foyer ou le lieu de son
séjour principal.
- une personne qui exerce en France une activité
professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elle ne justifie que
cette activité y est exercée à titre accessoire.
- une personne qui a en France le centre de ses
intérêts économiques.
Dans tous les cas, la convention prévoit une
méthode supplémentaire appelée « tie breaker
rule », lorsqu'au sens de la définition interne ou
conventionnelle, une personne se trouve être résidente des deux
États contractants. Il faut donc déterminer celui avec lequel
elle a les liens les plus étroits, puisque le critère de
résidence est utilisé pour distribuer les compétences
d'imposition. Cette détermination s'effectue en plusieurs étapes
; on recherche tout d'abord avec quel État ses liens personnels et
économiques sont les plus étroits en déterminant le lieu
du centre de ses intérêts vitaux ou le lieu de séjour
habituel et à défaut on se rattache au critère subsidiaire
de sa nationalité.
86 Convention franco-belge du 10 mars 1964,
article 1 § 2.
87 Convention franco-luxembourgeoise du 1er
avril 1958, article 2 § 4.
En ce qui concerne les personnes morales, la résidence
s'entend du siège de direction c'est-à-dire du lieu où
sont principalement concentrés ses organes d'administration et de
contrôle, mais un critère complémentaire est prévu
afin de déterminer le ou les États compétents pour imposer
leurs revenus. Ceci s'avère être nécessaire lorsqu'une
société résidente réalise dans un autre État
des revenus tirés d'une activité économique. En effet,
à défaut de précision, celle-ci serait imposée
uniquement dans son pays de résidence, quels que soient les moyens mis
en oeuvre sur le territoire de l'État de source. Ainsi la notion
d'établissement stable a-t-elle été créée,
afin de prendre en compte à partir d'un certain niveau d'implantation,
la réalité économique de l'installation
contrôlée. Cette notion est définie par les conventions
comme : « une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire
de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.
». Ensuite toute une série de précisions sont
apportée par le texte du traité.
Cependant en matière de commerce électronique,
il semble que la notion d'établissement stable manque de clarté
puisqu'une telle activité peut être localisée dans un pays
et les résultats dans un autre. Le comité fiscal de l'OCDE a
tenté d'apporter des précisions en ce sens à travers les
commentaires au modèle OCDE, cependant les différents
États membres ne partagent pas les mêmes vues. Alors que le
Royaume-Uni ne veut pas assimiler un serveur à un établissement
stable, l'Autriche s'est ralliée à la position inverse
88. Il faudra donc attendre en France une décision de justice
pour être fixé sur la signification de l'établissement
stable au cas particulier du commerce en ligne.
Section 2 - Les conditions d'obligation fiscale
Pour prétendre au bénéfice des
dispositions conventionnelles, la condition de résidence est donc
déterminante. Cependant elle n'est pas suffisante et doit être
affinée, en raison du mécanisme particulier des conventions
fiscales conduisant à une diminution, voir à une suppression
d'imposition dans le pays où le juge statue.
Les États ont donc restreint le champ d'application
personnel des traités fiscaux, en excluant de la catégorie des
résidents au sens du droit interne ceux n'étant pas soumis
à une obligation fiscale « normale » dans leur pays. Lorsque
la définition de la résidence résulte des formulations
conventionnelles, des clauses particulières limitent les
exonérations aux revenus
88 Pour plus de développements, voir : T. VERBIEST
et E. WÉRY, Le droit de l'internet et de la
société de l'information : droits européen, belge et
français, Bruxelles, Larcier, coll. Création Information
Communication, 2001, pp. 389 et s.
effectivement imposés à l'étranger.
En effet, si une personne n'est pas imposée dans son
pays de résidence, elle ne peut pas subir de double-imposition et le
bénéfice de la convention conduirait à l'exonérer
en France pour un revenu non imposé à l'étranger ; il y
aurait donc double-exonération, phénomène contre lequel
les États luttent au moins autant que contre la double-imposition et qui
les conduisent à préciser le critère de
résidence.
Avant même que des clauses en ce sens apparaissent dans
les conventions fiscales, le juge français entendait déjà
la formulation du renvoi au droit interne « assujettie à
l'impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa
résidence, de son siège de direction ou de tout autre
critère de nature analogue » d'une manière
réaliste, c'est-à-dire qu'il ne fallait pas simplement que le
résident se trouve en théorie dans le champ d'application de
l'impôt national, mais qu'il y soit effectivement soumis.
De plus, à cette condition d'effectivité de
l'obligation fiscale s'est ajoutée celle de sa non limitation, de sorte
que ne sont considérées comme résidents que les personnes
soumises à l'impôt pour l'ensemble de leurs revenus et non pas
seulement pour ceux générés dans leur pays de
résidence. Cette interprétation du juge reprend en fait le sens
donné à l'obligation fiscale illimitée des personnes
domiciliées fiscalement en France d'après l'article 4 A du CGI
qui dispose que « Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal
sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs
revenus. ».
Cette construction du sens à donner à la «
résidence », à l'aide des notions de droit fiscal
français, se fait en vertu de la clause générale de renvoi
au droit interne prévue pour préciser les termes ou expressions
non définies par la convention.
Cette signification est désormais reprise dans
certaines conventions fiscales qui précisent que « Toutefois,
cette expression [résident d'un État contractant] ne
comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans
cet État que pour les revenus de sources situées dans cet
État ou pour la fortune qui y est située. »
89. Par conséquent, que la convention renvoyant au droit
interne prévoit cette condition ou non, le juge français peut
entendre le terme de « résident du pays contractant » comme la
personne effectivement assujettie dans cet État à un impôt
frappant l'intégralité de ses revenus.
En ce qui concerne les conventions prévoyant une
définition conventionnelle de la
89 Formulation présente dans les conventions conclues avec
l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, Les États-Unis d'Amérique et
dans le modèle de convention OCDE de 2008, article 4 § 1.
résidence, citées précédemment
(avec la Belgique et avec le Luxembourg), il n'est pas possible d'ajouter des
conditions en se fondant sur le sens du droit interne puisque le terme de
résident y est défini. Cependant des mesures équivalentes
sont prévues afin d'assurer que les exonérations dans un pays
soient consenties à des personnes payant effectivement l'impôt
dans l'autre, mais de manière spécifique, c'est-à-dire que
ces dispositions ne sont valables que pour les impôts frappant certains
types de revenus ; ce sont les « subject to tax provisions
».
La convention fiscale passée avec la Belgique
prévoit à ce propos que l'exonération de certains revenus
(dividendes) de source française en Belgique soit conditionnée
à une retenue à la source effective 90. Concernant ces
mêmes revenus de source belge reçus en France, il n'est pas
prévu de méthode similaire, mais cela tient au fait que c'est la
méthode de l'imputation qui est adoptée. De la sorte aucune
double-exonération n'est possible.
De la même manière la convention conclue avec le
Luxembourg pose une condition d'imposition effective et dans des conditions
normales par le pays de résidence, afin accorder une exonération
concernant les dividendes, les intérêts et les redevances. Cette
condition fait même l'objet d'une procédure spéciale
puisque pour bénéficier de l'exonération de retenue
à la source, le contribuable doit produire une attestation de
l'État de résidence certifiant que ces revenus « seront
soumis aux impôts directs, dans les conditions du droit commun, dans
l'État où elle a son domicile fiscal. » 91.
Certaines conventions excluent des situations, dans lesquelles
se trouvent des personnes pourtant résidentes d'un des États au
sens du droit interne, de leur champ d'application général. Il
s'agit des clauses anti-abus d'exclusion totale, qui sont parfois contenues
dans l'article précisant les qualités requises pour être
résident. On peut citer les clauses de bénéficiaire
apparent de revenus (à distinguer de la clause de
bénéficiaire effectif spéciale, plus courante) et de
personne physique imposable sur une base forfaitaire, qui excluent ces
situations du champ d'application personnel de la convention. Alors que la
première exclut du bénéfice conventionnel toutes les
situations où une personne interposée perçoit des revenus
pour le compte d'une autre, ceci afin de bénéficier de la
convention, la seconde réserve le même traitement aux situations
d'imposition dans des conditions particulières telles que
résultant d'un régime spécial d'imposition des
résidents suisses. Celuici instaure une obligation fiscale
limitée en déterminant l'assiette de l'impôt sur une base
forfaitaire, d'après la valeur locative des habitations
possédées par le résident ; cependant
90 Convention franco-belge du 10 mars 1964,
modifiée par l'avenant du 15 février 1971, article 19 A.
91 Convention franco-luxembourgeoise du 1er
avril 1958, modifiée par l'avenant du 8 septembre 1970, article 10
bis.
l'exclusion est levée lorsque le montant de
l'impôt payé est égal ou supérieur à celui
qu'il aurait été si l'imposition avait frappé ses revenus.
Ces dispositifs sont tous deux prévus de manière originale dans
la convention avec la Suisse 92.
D'autres traités fiscaux excluent directement des
catégories de personnes qui bénéficient de régimes
fiscaux privilégiés. C'est le cas de la convention avec le
Luxembourg qui prévoit que celle-ci « ne devait pas s'appliquer
aux sociétés holding au sens de la législation
particulière luxembourgeoise. » 93 (Holdings type 1929, devant
disparaître au 31 décembre 2010 94).
Dans ces conditions, la marge d'interprétation du juge
est nulle et il ne peut que constater que le traité ne s'applique pas
à ces personnes. On constate néanmoins que ces exclusions
ponctuelles de la catégorie de résident peuvent parfois faire
doublon avec d'autres dispositifs plus généraux, ou tout au moins
leur faire perdre en intérêt, et que leur multiplication excessive
conduirait à vider de substance les conventions fiscales de lutte contre
la double-imposition.
À l'inverse, on peut indiquer que certaines
conventions, en plus des conditions de résidence, prévoient des
listes de personnes qui doivent bénéficier de leurs dispositions
en tant que résidentes d'un État. Celles-ci sont « cet
État [lui-même], ses subdivisions politiques et ses
collectivités locales, ainsi que leurs personnes morales de droit
public » 95 .
Enfin, la convention avec les États-Unis ajoute
à cette liste de manière exceptionnelle des personnes
résidentes, même si elles ne sont pas soumises à
l'impôt. Il s'agit pour les résidents américains des
trusts de retraite (fonds de pension) ou autres trusts
d'investissement et pour les résidents français des
sociétés d'investissements à capital variable (SICAV),
sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) et
sociétés de placement à prépondérance
immobilière à capital variable (SPPICAV) 96. Cette
inclusion répond plus à une logique économique visant
à favoriser les investissements croisés qu'à un
raisonnement juridique ; le juge dans ce cas doit faire prévaloir la
règle spéciale.
92 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966
modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 2 a et b.
93 Convention franco-luxembourgeoise du 1er
avril 1958, échange de lettres du 8 septembre 1970.
94 Voir supra n° 26
95 Formulation présente dans les conventions conclues avec
le Royaume-Uni, Les États-Unis d'Amérique et dans le
modèle de convention OCDE de 2008, article 4 § 1.
96 Convention franco-américaine du 31
aout 1994, modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 4 § 2
b.
Chapitre 2 - D'autres clauses anti-abus
Les conditions de résidence et d'imposition effective
des revenus dans ce pays sont donc deux conditions préalables qui
s'articulent, afin que la convention ne bénéficie qu'aux seuls
résidents des États contractants susceptibles de subir une double
imposition juridique.
Néanmoins, ces critères d'ouverture du champ
d'application général des traités fiscaux sont
insuffisants pour éviter leur détournement à des fins
d'évasion fiscale. Les États ont donc prévu des clauses
anti-abus spécifiques, c'est-à-dire relatives à certaines
catégories de revenus, qui bloquent l'accès aux réductions
ou exonérations dans les cas de montage juridique destinés
à éluder l'impôt. Il s'agit des clauses de
bénéficiaires effectifs, des exclusions spécifiques et des
clauses autorisant l'application des règles anti-abus internes.
Section 1 - La clause de bénéficiaire
effectif
Les conventions fiscales bilatérales, à travers
la condition d'obligation fiscale dans le pays de résidence, ne prennent
en compte que les règles d'imposition internes des deux États
contractants, pour mieux adapter les mécanismes d'élimination des
double-impositions aux particularités des régimes fiscaux
internes (Holdings luxembourgeoises, Impôt forfaitaire suisse, etc.). Or,
ceci ne prend pas en compte les situations d'imposition auxquelles mène
l'application dans ces pays des conventions fiscales conclues avec d'autres
États. Celles-ci pouvant être plus avantageuses pour le
contribuable que celles résultant de l'application de la convention
entre l'État de source contractant et celui de sa résidence, il
peut être tenté, afin de bénéficier d'une imposition
moindre, d'interposer dans l'État tiers une personne résidente
par laquelle transiteraient ses revenus.
Cette personne interposée entre le créancier et
le débiteur peut être physique (fiduciaire, gestionnaire,
mandataire) ou morale. Dans ce cas elle sera créée
conformément à la législation de l'État tiers et
jouira de ce fait d'une pleine capacité juridique dans cet État
ainsi que de la qualité de résident, il s'agit des «
sociétés-relais ».
Par exemple, afin de faire transiter des intérêts
d'emprunts entre un État de source A (emprunteur) et un État de
résidence C (préteur), liés par une convention fiscale qui
ne prévoit pas d'exonération particulière concernant ces
revenus, la structure intermédiaire, contrôlée par
le préteur résident de C, sera installée
dans un État B ayant conclu avec A une convention fiscale
éliminant la retenue à la source pour les
intérêts.
La société relais percevra les
intérêts nets de retenue à la source (ou à un taux
faible) en provenance de l'emprunteur en A grâce aux mécanismes
conventionnels existant entre les deux pays.
Puis elle reversera les sommes correspondantes au
préteur en C sous forme de revenus bénéficiant
également d'une faible imposition en vertu de la convention fiscale qui
existe entre B et C. (Intérêts, dividendes, etc.)
Pour éviter ce chalandage fiscal, les conventions
françaises de lutte contre la double imposition ont été
dotées de clauses de « bénéficiaire effectif »
cédulaires, élaborées à partir de 1977 sous
l'impulsion de l'OCDE 97. Ces clauses anti-abus spécifiques,
car relatives chacunes à une ou plusieurs catégories de revenus,
fonctionnent en écartant le mécanisme de réduction ou
d'élimination de l'imposition dans l'État de source, aux
situations où le résident qui demande cette exonération
n'est pas le bénéficiaire effectif des revenus.
En effet, seuls ces derniers peuvent bénéficier
des taux réduits de retenue à la source, pour les dividendes, les
intérêts ou les redevances, prévus aux articles fixant les
modalités d'imposition propres à chacune de ces catégories
de revenus 98.
En revanche il existe un problème de définition de
la notion de bénéficiaire effectif puisque les conventions qui
prévoient son utilisation ne précisent pas sa signification.
Sur ce point, on peut s'intéresser aux indications
données par les commentaires au modèle OCDE de 2008 qui indique
notamment que « Le terme « bénéficiaire effectif
» n'est pas utilisé dans une acception étroite et technique,
mais doit être entendu dans son contexte et à la lumière de
l'objet et du but de la Convention, notamment pour éviter la double
imposition et prévenir l'évasion et la fraude fiscales.
» 99.
Deux directives communautaires de 2003 apportent également
leur définition du bénéficiaire effectif :
- La première est succincte : « Une
société d'un État membre n'est considérée
comme
97 Clauses absentes des conventions conclues avec l'Allemagne
(1959) et la Belgique (1964), présentes dans les conventions
signées avec la Turquie (1987), l'Italie (1989), l'Espagne (1995) ou
encore l'Australie (2006).
98 Ces mécanismes relatifs aux dividendes,
intérêts et redevances sont respectivement aux articles 10, 11 et
12 dans le modèle de convention OCDE (2008) ainsi que dans les
conventions conclues avec la Turquie, l'Italie, l'Espagne et l'Australie.
99 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, commentaires sur les dispositions de l'article 10,
paragraphe 2 n° 12.
bénéficiaire des intérêts ou
des redevances que si elle les perçoit pour son compte propre et non
comme représentant, par exemple comme administrateur fiduciaire ou
signataire autorisé, d'une autre personne. » 100.
- La seconde est lacunaire en ce qui concerne les clauses
anti-abus puisqu'elle est volontariste, c'est-à-dire que c'est au
contribuable de faire la preuve qu'il n'est pas le bénéficiaire
effectif, alors que c'est justement ce qui doit rester caché de
l'administration pour que l'opération d'évasion fiscale soit
efficace : « Aux fins de la présente directive, on entend par
«bénéficiaire effectif», toute personne physique qui
reçoit un paiement d'intérêts ou toute personne physique
à laquelle un paiement d'intérêts est attribué, sauf
si elle fournit la preuve que ce paiement n'a pas été
effectué ou attribué pour son propre compte »
101. De plus les termes mêmes de cette directive montrent que
cette définition est fonctionnelle, propre au régime
institué par elle et qu'elle ne constitue pas une définition
générale de la notion.
Jusqu'à récemment le Conseil d'État ne
s'était pas prononcé directement sur la notion et l'on se
référait de manière un peu hasardeuse à trois
décisions, concernant des situations de treaty shopping qui
déboutaient l'administration fiscale 102. Cette
dernière cependant ne se prévalait jamais d'une clause anti-abus
de bénéficiaire effectif, mais de l'abus de droit
français, résultant de l'article L 64 du Livre des
procédures fiscales, dont elle n'arrivait jamais à faire la
preuve. Ces affaires concernaient l'utilisation des conventions conclues avec
l'Allemagne et avec les Pays-Bas, conventions antérieures à 1977
ne prévoyant pas le recours au critère de
bénéficiaire effectif.
Désormais, il existe une jurisprudence du Conseil
d'État dans laquelle ce dernier applique la clause anti-abus
spécifique aux dividendes qui est contenue dans la convention fiscale
conclue avec le Royaume-Uni 103 et où le montage juridique
est mis en échec. Celui-ci consistait à faire transiter des
revenus d'une filiale basée en France par une société
résidente britannique, la Bank of Scotland, avant d'être
versés à la société mère basée aux
États-Unis d'Amérique.
Afin de pouvoir invoquer cette clause, l'administration
fiscale a dû démontrer que la société relais
n'était pas le bénéficiaire effectif des dividendes. De la
sorte cette décision
100 Directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant
un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts
et de redevances effectués entre des sociétés
associées d'États membres différents, article 1 §
4.
101 Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 en
matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme
de paiements d'intérêts , article 2.
102 Affaires Inter Selection, Fountain Industries et
Diebold. Voir : J N. THOMAS, Le contrôle fiscal
des opérations internationales, Paris, L'Harmattan, coll.
Finances Publiques, 2004, pp. 147 et s.
103 CE, 29 décembre 2006, Bank of Scotland,
(n° 283 314, Rec. CE 2006) concernant l'ancienne convention
franco-britannique du 22 mai 1968 modifiée, article 9 §
6.
éclaire le sens à donner à la notion.
C'est à l'administration fiscale de prouver que le
contribuable, qui demande le bénéfice du mécanisme
conventionnel de réduction de la retenue à la source en France
des dividendes versés à l'étranger, n'est pas le
bénéficiaire effectif de ces revenus. De manière à
le prouver, elle doit établir la réalité du montage
juridique et la présence en bout de chaîne d'un
bénéficiaire réel non résident. Pour cela, elle
doit se référer au droit interne, en vertu de la clause
générale de renvoi à celui-ci prévue pour
établir le sens des expressions non définies par la convention
104.
En l'espèce c'est la notion d'abus de droit de
l'article L 64 du LPF qui est utilisé, comme dans les affaires
précédentes, mais cette fois-ci seulement en ce qu'elle
détermine les actes constitutifs d'un tel abus et non pas en tant que
méthode pour les sanctionner, puisque la méthode propre à
la clause de bénéficiaire effectif est prévue dans la
convention francobritannique en question. Il est toutefois important de
préciser que jusqu'au 1er janvier 2009, la notion d'abus de droit
n'était pas clairement définie par le livre des procédures
fiscales, mais qu'elle résultait d'une interprétation du Conseil
d'État 105, reprise désormais par la nouvelle
rédaction de l'article L 64 du LPF.
Le Conseil d'État constate donc en 2006 que «
l'analyse de ce montage révèle que le
bénéficiaire effectif des dividendes litigieux était la
société américaine » au terme d'un examen de la
situation qui montre que l'interposition de la société
britannique entre la filiale française et sa société
mère américaine a été «
réalisé dans l'unique but d'obtenir le bénéfice
du remboursement de l'avoir fiscal attaché aux distributions de la
société française, prévu par la convention fiscale
entre la France et le Royaume-Uni, au profit des résidents de cet
État [...] alors que la convention fiscale entre la France et les
États-Unis n'aurait pas permis à la société
américaine d'obtenir ce remboursement ».
Le jeu de la clause de bénéficiaire effectif
peut donc être mis en oeuvre en France par le juge fiscal grâce
à la notion interne d'abus de droit qui permet de restituer son
véritable caractère à une opération de treaty
shopping et d'identifier le bénéficiaire final des revenus.
Par suite le bénéfice des dispositions favorables de la
convention est refusé aux sociétés-relais
identifiées comme telles.
104 Ancienne convention franco-britannique du 22
mai 1968 modifiée, article 2 § 2.
105 CE, 10 juin 1981 (n° 19 079, Rec. CE 1981).
Section 2 - Les exclusions ponctuelles
À défaut de définition conventionnelle de
la notion, le recours aux clauses anti-abus de bénéficiaire
effectif peut apparaître laborieux pour les États dans leur lutte
contre l'abus des conventions. C'est la raison pour laquelle ils ont parfois
cédé à la simplicité et sacrifié à la
logique de la notion de bénéficiaire effectif pour
éliminer du bénéfice des mécanismes conventionnels
catégoriels des situations précises et limitées ; on peut
parler de clauses d'exclusion ponctuelles.
La France, pourtant favorable aux notions d'assujettissement
à l'impôt et de bénéficiaire effectif qu'elle veut
étendre autant que faire se peut aux autres catégories de revenus
106, a dû quelquefois prévoir de telles clauses
exclusives servant les mêmes objectifs mais ne fonctionnant pas par
référence à ces concepts généraux.
Les trois motifs d'exclusion que l'on retrouve dans ces
dispositions et qui sont communes aux clauses anti-abus « conceptuelles
» concernent l'effectivité de l'imposition dans l'État de
résidence, la réalité économique des
opérations juridiques et l'identité des
bénéficiaires ultimes des revenus. Elles concernent donc
principalement les personnes morales. Peu de marge est laissée à
l'interprétation du juge lorsque ce système est choisi par les
États contractants, il lui suffit de vérifier que toutes les
conditions conventionnelles sont remplies.
L'article 13 de la convention conclue avec Chypre en 1981,
intitulé « Limitation des dégrèvements
» prévoit tout comme les clauses de bénéficiaire
effectif catégorielles une exclusion du bénéfice des
mécanismes de diminution de retenue à la source pour les
dividendes, les intérêts et les redevances, dans une situation
à deux conditions cumulatives :
- Lorsque des personnes non résidentes d'un des
États contractants « ont un intérêt
prépondérant direct ou indirect » 107 dans la
société résidente qui reçoit les revenus en
provenance de l'autre État. Cette formulation permet d'écarter
les sociétés-relais implantées à Chypre des
bénéfices de cette convention qui ne prévoit pas par
ailleurs le critère de bénéficiaire effectif des
revenus.
- Et que cette société résidente est soumise
en ce qui concerne les trois catégories de revenus, « à
un impôt substantiellement moindre que celui qui frappe habituellement
les bénéfices réalisés par les
sociétés de cet État. » 108, ce qui
correspond à la condition
106 Voir par exemple supra. n° 30.
107 Convention franco-chypriote du 18
décembre 1981, article 13 a.
108 Idem., article 13 b.
d'obligation fiscale dans des conditions normales. Or en la
matière, la convention francochypriote, à l'article traitant de
la résidence, exclut déjà du champ d'application de la
convention les personnes non soumises à une obligation fiscale
illimitée.
L'article 14 de la convention conclue avec la Suisse en 1966
prévoit quant à lui des conditions supplémentaires pour
accorder ces bénéfices dans un État aux personnes morales
résidentes de l'autre État contractant et dans laquelle des
personnes n'étant pas résidentes de ce dernier ont un
intérêt prépondérant. Ces conditions
chiffrées sont relatives à la proportion de créanciers
n'étant pas résidents du même État que la
société. Encore un fois ces mesures visent à éviter
l'interposition de sociétés-relais et l'on peut voir que la
France a tenu à « verrouiller » l'accès à cette
convention puisqu'une clause de bénéficiaire effectif
générale y est déjà prévue de manière
originale 109.
Les États-Unis quant à eux ont
développé un instrument de lutte contre les abus
extrêmement détaillé 110 visant à
identifier de manière précise toutes les personnes pouvant ou non
bénéficier des conventions qu'ils concluent, il s'agit de la
clause de « Limitation on benefits » 111 ou de limitation
des avantages conventionnels 112. Celle-ci, contrairement aux
méthodes utilisées traditionnellement en France et par l'OCDE,
est descriptive et ne renvoie pas à une définition
générale du bénéficiaire de la convention.
On peut rapprocher cette divergence de rédaction de
celle qui existe entre les conventions privées de droit civil et celles
de common law, où quand les premières sont
synthétiques et renvoient à des concepts qu'elles
définissent, les secondes sont détaillées et
décrivent toutes les situations à prendre en compte. Encore une
fois, le rôle du juge dans pareille situation se borne à la
vérification factuelle que les conditions conventionnelles sont bien
remplies.
En tout état de cause, ces limitations de
bénéfices accordent l'accès à la convention lorsque
le résident est « qualifié » : les personnes physiques,
les États contractants eux-mêmes et leurs subdivisions politiques
le sont toujours, les personnes morales quant à elles doivent remplir
des conditions, parfois alternatives, parfois cumulatives, tenant à
l'identité de leur actionnariat, au montant de leur base imposable et
à la réalité de leur activité.
Cependant lorsque la France et les États-Unis concluent
une convention bilatérale,
109 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966
modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 6a.
110 Voir pour illustration le schéma dans : A. de
WAAL, La nouvelle convention fiscale
franco-américaine, Revue de droit fiscal, 1995, n°40,
p.1417.
111 UNITED STATES Treasury, United States
Model Income Tax Convention du 15 novembre 2006, article 22.
112 Convention franco-américaine du 31
aout 1994 modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 30.
chacun des deux États entend faire valoir ses
méthodes de rédaction. C'est la raison pour laquelle le
traité franco-américain prévoit, en plus de ces conditions
détaillées issues du modèle conventionnel propre aux
États-Unis, celles de résidence, d'imposition effective,
d'obligation fiscale illimitée et de bénéficiaire effectif
catégorielles connues en France, qui peuvent in fine disqualifier des
« résidents qualifiés » au sens américain et
restreindre de manière excessive le champ d'application des conventions
de lutte contre la double-imposition.
De la même manière, le modèle de
convention de l'OCDE tente de faire la synthèse des deux systèmes
en utilisant des procédés qui bien souvent se recoupent et ne
font que compliquer les formulations.
Enfin on peut indiquer la présence dans certaines
conventions conclues par la France de clauses prévoyant l'application
des règles anti-abus internes (articles 209 B, 123 bis, 212, 155 A ou
encore 238 du Code Général des Impôts) par la
méthode de la mention expresse. À défaut de cette
précision, l'utilisation des dispositions internes conduisant à
imposer une personne en violation de la distribution de compétence
prévue par le traité, constituerait une atteinte au principe
d'exécution de bonne foi des conventions internationales.
Lorsque le recours à la législation interne est
consentie par les États contractants en revanche, l'administration
fiscale est en droit de mettre en oeuvre les règles internes. Elle peut
donc refuser ainsi les avantages conventionnels quand ceux-ci doivent
normalement se matérialiser en une exonération ou un
remboursement de l'excédent de retenue à la source versé
par le contribuable.
Titre 2 - La portée des clauses anti-abus
Le mécanisme des clauses anti-abus détermine la
portée des dispositifs d'élimination de la double-imposition
juridique. Si ces clauses sont appliquées trop largement, cela
restreindrait de manière excessive les bénéfices
conventionnels. Leur domaine est donc limité par la convention qui fixe
pour chacune un périmètre d'action personnel, les
résidents non qualifiés, et matériel : limité
à certaines catégories de revenus, définies par renvoi au
droit interne à défaut de définition propre, ou applicable
à l'ensemble de ceux-ci.
La réponse à la question de la valeur juridique
de ces clauses cependant, ne peut être trouvée dans le corps
même des conventions qui les contiennent, puisqu'elles obéissent
aux mêmes principes, elles ne les dictent pas.
Afin de connaître la portée d'une disposition
contenue dans une convention, il faut donc s'intéresser aux
règles internes qui font exister les traités en les introduisant
dans les ordres juridiques nationaux. Il faut également
s'intéresser à la valeur de ces clauses vis-à-vis de la
hiérarchie des normes reconnue de cet État.
Chapitre 1 - La portée par rapport au droit
interne
Pour comprendre à quel niveau la clause anti-abus est mise
en oeuvre, il faut analyser les particularités d'application des
conventions fiscales d'élimination des doubles impositions.
La place de ces dernières dans la hiérarchie des
normes ne signifie pas pour autant qu'elles s'appliquent de manière
à exclure en tout temps les règles internes.
Section 1 - La supériorité des
dispositions conventionnelles
et la priorité du droit interne
Chaque État possède ses propres règles
déterminant la place des conventions internationales dans l'ordre
interne, la valeur juridique d'une convention fiscale et de ses dispositions
peut donc varier d'un pays à un autre.
Il est possible de distinguer deux catégories
d'États en fonction de la place que leurs
règles constitutionnelles réservent aux
traités internationaux.
- La première regroupe ceux qui retiennent une approche
moniste : il n'y a qu'un instrument juridique dans l'ordre interne, la
convention, qui s'y intègre en l'état et est applicable
directement si elle crée des droits invocables par les particuliers, ce
qui est le cas des conventions fiscales de lutte contre la double-imposition.
L'incorporation de ce traité se fait dès la ratification par les
organes internes compétents.
- La seconde retient une approche dualiste : les mesures
conventionnelles doivent être transcrites en droit interne selon une
procédure particulière qui aboutit à l'adoption d'une
nouvelle norme nationale. Le juge ne peut appliquer directement la convention
mais seulement la loi interne qui en reprend les dispositions.
C'est à la première catégorie que la
France appartient, puisque l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958
prévoit que « les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès
leur publication, une autorité supérieure à celle des
lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l'autre partie ». Cette supériorité, en
plus d'être reconnue par la Constitution, est désormais
contrôlée par les juges, judiciaires comme administratifs. On
pourrait s'interroger sur la condition de réciprocité de
l'article 55, d'autant plus que certains États ne reconnaissent pas
totalement la même supériorité aux traités
internationaux.
Ainsi aux États-Unis, la loi fédérale et
les conventions internationales ont la même valeur, c'est donc le texte
le plus récent qui s'applique en cas d'incompatibilité,
c'est-à-dire quand la loi postérieure n'est pas trop
générale et qu'elle dispose clairement qu'elle entend faire
échec aux dispositions conventionnelles. C'est ce que l'on appelle le
treaty overriding et bien que quelquefois critiqué par les
autorités co-contractantes, il ne semble pas que le juge français
refuse de reconnaître la prééminence d'une convention
fiscale contenant des dispositions d'effet direct, au motif que l'autre
État fasse de la sorte 113.
Toutefois, bien que supérieures à la loi en tant
que traités internationaux, les conventions fiscales ne se substituent
pas aux règles internes et n'ont pas vocation à s'appliquer
à leur place. En pratique, la spécificité du
mécanisme d'élimination de la double imposition conduit à
l'application prioritaire du droit interne, avant celle des conventions
fiscales.
113 CE, 16 février 1983 (n° 28 383, Rec. CE 1983).
En effet la convention fiscale, en partageant les
compétences d'imposition entre les deux États contractants, ne
fait que déterminer selon les situations celui qui pourra imposer les
revenus. C'est donc la législation fiscale nationale qui s'applique pour
soumettre les revenus à l'impôt, lorsque celle-ci y est
autorisée par le traité.
Il peut arriver alors que, contrôlant le respect des
mesures internes au regard des dispositions de la convention, le juge
écarte une loi qui fonde une imposition non autorisée par le
traité. Dans ce cas sa démarche s'effectue en trois étapes
114 :
- Tout d'abord le juge doit appliquer la loi fiscale interne
à la situation du contribuable, c'est-à-dire qu'il doit s'assurer
que l'imposition contestée est conforme aux dispositions légales
qui la fondent. Lorsqu'il s'est assuré que l'imposition est
réelle et qu'elle résulte de la bonne application du droit
interne, il peut passer à la deuxième étape. Dans le cas
contraire, le litige se règle sans recours à la convention ; le
juge écarte l'imposition contestée en constatant qu'elle est
dépourvue de base légale.
- Dés lors que l'imposition fondée sur la loi
fiscale interne est caractérisée par le juge, celui-ci peut
commencer à prendre en compte la convention. Il va donc vérifier
que le contribuable qui s'en prévaut et ses revenus entrent bien dans
son champ d'application personnel et matériel. C'est ensuite que le juge
interprète les clauses anti-abus afin de vérifier que le
résident n'est pas exclu du bénéfice du traité. Si
c'est le cas sa demande sera rejetée.
- Sinon, le juge va vérifier que le revenu en cause
peut être imposé par l'État et dans quelle mesure, dans
l'hypothèse où une limite est prévue. Si l'administration
fiscale a fondé l'imposition litigieuse sur des dispositions internes
méconnaissant les règles de répartition conventionnelles,
le juge fera prévaloir le traité et écartera leur
application.
C'est donc à ces deux principes de
supériorité et de subsidiarité par rapport au droit
interne qu'obéit l'articulation entre les dispositions légales et
conventionnelles.
Pourtant, le mécanisme des clauses anti-abus montre
qu'elles ne rentrent pas en opposition avec les règles de droit interne
puisqu'elles sont mises en oeuvre en parallèle de ces dernières.
Leur portée est donc limitée aux dispositions conventionnelles,
elles-mêmes limitées dans leurs effets, bien que de valeur
juridique supra-législative.
114 CE, 19 décembre 1975 (n° 84 774-91 895, Rec. CE.
1975).
Section 2 - La limitation de la portée des clauses
anti-abus par l'utilisation du droit interne
Les clauses anti-abus, en tant que dispositions
conventionnelles ont en France la valeur supra-législative reconnue aux
traités. Néanmoins, de par leur fonctionnement, il n'est pas
possible qu'une disposition interne soit incompatible avec celles-ci et donc
que le juge ait à les faire prévaloir.
Leur supériorité juridique par rapport au droit
interne peut être considérée comme « virtuelle »
et en réalité leur efficacité ne peut se mesurer que
vis-à-vis des autres mécanismes des conventions.
Une clause anti-abus écarte de manière expresse
d'autres dispositions générales contenues dans la même
convention. Cette prévalence est nécessaire à son
efficacité et pour cela elle est explicitement vouée à
s'appliquer, nonobstant les règles générales
d'élimination de la double-imposition.
Cependant comme l'analyse du sens à donner aux termes
de ces clauses l'a montré, il faut, pour le juge, recourir à des
définitions de droit interne afin de construire leur portée,
c'est-à-dire leur champ d'application, tant personnel que
matériel.
Cette pénétration des règles
conventionnelles par des concepts de droit interne apparaît alors comme
paradoxale : comment le contenu d'une norme peut-il être dépendant
de définitions provenant d'une norme inférieure ?
Cette dépendance s'explique par un souci
d'efficacité. En effet les règles conventionnelles puisqu'elles
ne sont pas substantielles, ne produisent d'effet que tant qu'elles
s'articulent correctement avec les lois internes. Si une clause anti-abus
utilisait des notions propres, se superposant inexactement à celles
retenues en droit interne aux fins d'imposition, son efficacité serait
diminuée car elle ne pourrait prendre en compte les situations se
trouvant dans la « zone d'ombre » entre notion conventionnelle et
notion nationale.
En contrepartie, ce recours au droit interne entraine parfois
des solutions divergentes qui, in fine, peuvent conduire à des
double-exonérations, lorsque par exemple deux États
considèrent un revenu comme appartenant à une catégorie
différente et que la convention qui les lie attribue la
compétence d'imposition, pour la catégorie retenue en droit
interne, à l'autre État contractant.
Il est certain que les clauses anti-abus contenues dans les
conventions bilatérales ne sont pas en mesure de prévoir tous les
abus pouvant résulter de la combinaison de deux ou plusieurs
systèmes nationaux via leurs réseaux conventionnels
respectifs.
De telles clauses contenant des dispositions
générales auront le mérite de couvrir l'ensemble des
revenus, mais leur formulation nécessairement imprécise, afin de
pouvoir s'adapter à tout les cas de figure, posera des
difficultés de preuve, notamment aux administrations fiscales voulant
les mettre en oeuvre. Il arrivera d'ailleurs que cette preuve soit rendue
difficile par la volonté d'États à fiscalité
privilégiée peu désireux de n'être plus attractifs
115.
Quant aux clauses anti-abus spécifiques, leur preuve
pourra être plus aisée, par exemple grâce à la mise
en place de certificats d'imposition effective de revenus
délivrés par un État pour l'exonération de retenue
à la source ou l'imputation dans l'autre État. Toutefois leur
efficacité restera limitée aux catégories de revenus
prévus et des divergences de qualification de revenus pourront
perdurer.
De la sorte, le mécanisme des clauses anti-abus
apparaît comme empirique et ne semble pas capable de remédier
à toutes les situations abusives qui peuvent résulter du souhait
pour les contribuables d'échapper à l'impôt en profitant
des disparités fiscales existant entre les États.
Néanmoins il limite d'ores et déjà de manière
efficace un grand nombre de constructions juridiques fictives et permet aux
administrations fiscales de déjouer ces manoeuvres en même temps
qu'il précise pour les contribuables les conditions d'accès aux
conventions.
115 Pour des exemples concernant Singapour et la zone franche de
Madère, voir : F. BOUKOBZA, Optimisation fiscale et
localisation, Revue internationale de droit comparé, 1995, Vol. 47,
n°2, p. 400.
Chapitre 2 - La portée par rapport au droit
communautaire
Les clauses anti-abus conventionnelles excluent des situations
considérées par les États comme abusives du
bénéfice des conventions que ces derniers mettent en place pour
que leurs résidents ne soient pas victimes d'une double-imposition
juridique. Ce faisant, ils créent une différence de traitement
selon que les personnes sont dans les situations exclues ou acceptées et
ces règles ne peuvent être remises en cause par l'application de
principes de droit interne.
Cependant un ordre juridique de valeur supra-conventionnelle
pourrait éventuellement remettre en cause ces distinctions en cas
d'incompatibilité. Il convient donc de se demander si le droit
communautaire prévaut sur le droit conventionnel et le cas
échéant si il existe des règles communautaires
potentiellement incompatibles avec des clauses anti-abus. De la sorte il sera
possible d'apprécier leur portée.
Section 1 - Les relations entre droit fiscal international et
droit communautaire
Tandis que les problèmes d'antan, relatifs à
l'interprétation des conventions fiscales bilatérales, puis
à l'imprécision des clauses anti-abus, sont en grande partie
résolus aujourd'hui, de nouvelles interrogations quant à la
portée de ces clauses voient le jour depuis quelques années. Ces
questions émergent du fait de l'avancée de la construction
européenne et de l'expansion du pouvoir de l'Union.
Alors qu'initialement les conventions fiscales ne souffraient
d'aucune concurrence au sommet de la hiérarchie des normes, se pose de
plus en plus la question de savoir si l'ordre juridique intégré
aux systèmes des États membres prévaut sur les
traités conclus par ceux-ci.
La primauté du droit communautaire, devenu depuis droit
de l'Union européenne, sur le droit interne législatif n'est pas
discutée est se fonde sur la Constitution française, notamment
ses articles 55 et plus récemment 88-1. Cette supériorité
explique que de nombreuses règles anti-abus internes aient
été écartées puis modifiées pour les rendre
compatibles avec des dispositions communautaires ; c'est le cas des articles
209 B et 123 Bis du CGI, consécutivement à des arrêts de la
Cour de justice de l'Union européenne où celle-ci
n'admettait la validité des règles anti-abus que
dans la mesure où leur formulation ne ciblait que les seuls montages
purement artificiels 116.
Cependant aucune disposition tant dans la Constitution, que
dans les traités de l'Union ou même dans les conventions fiscales
ne permet de déterminer les places respectives du « droit
européen » et du droit international conventionnel.
Pendant longtemps la question du rapport de force entre
conventions fiscales et droit communautaire ne s'est pas posée et cela
principalement pour deux raisons.
Tout d'abord l'objectif des conventions, qui est
d'éliminer les phénomènes de double-imposition n'est pas
un domaine sur lequel la construction du marché commun ait eu à
se pencher.
De plus, alors que le droit conventionnel s'est principalement
attaché à réduire ce phénomène concernant
les impôts directs, l'harmonisation fiscale communautaire s'est
focalisée sur la fiscalité indirecte, droits de douanes en
premier.
Mais désormais, sous un mouvement d'expansion induit
par la « construction communautaire », la Cour de justice se penche
de plus en plus sur la question des conventions fiscales et des groupes
d'experts préconisent la prise en main de ce domaine par l'Union 117.
Si l'on se plaçait dans l'ordre juridique
international, le droit de l'Union qui est un ordre régional, devrait
céder le pas sur le droit international conventionnel. Cependant, ce
dernier n'a pas de juridiction propre permettant de faire respecter cette
hiérarchie entre les deux sphères juridiques ; au contraire,
l'Union européenne, dotée d'une Cour de justice très
active, est en mesure d'imposer de manière effective son ordre juridique
particulier dans les États membres.
De plus, la compétence d'attribution de l'organisation
internationale sui generis qu'est l'Union devrait limiter son action,
notamment en matière de relations inter-étatiques, et ce d'autant
plus lorsqu'elles concernent la fiscalité, domaine régalien par
excellence. Mais là encore, la Cour de Luxembourg a étendu la
compétence européenne en se fondant « sur un lien de
nécessité avec la réalisation d'objectifs internes
confiés à la communauté par le Traité »
118. Il serait loisible de discuter de la légitimité
de l'intervention européenne en la matière puisque ce
débat théorique pose la question démocratique beaucoup
plus vaste du rôle de l'Union européenne et de la place des
États, mais ce n'est pas ici le propos.
116 Voir notamment CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury
Schweppes (Aff. C-196/04).
117 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit
communautaire et conventions fiscales, 2005.
118 J. MALHERBE et D.BERLIN, Conventions
fiscales bilatérales et droit communautaire, Revue trimestrielle de
droit européen, 1995, p. 245 et s.
On peut néanmoins remarquer que la logique du droit
communautaire en matière de fiscalité internationale est
diamétralement opposée à celle des conventions fiscales
bilatérales, en ce sens que la première s'inscrit dans une
optique de dépassement des frontières, lorsque la seconde
régit des rapports inter-étatiques.
La Cour de justice considère donc que « les
États membres demeurent compétents pour déterminer les
critères d'imposition des revenus et de la fortune en vue
d'éliminer, le cas échéant par voie conventionnelle, les
doubles impositions ». Néanmoins, lorsqu'ils exercent cette
compétence, « les États membres sont tenus de se
conformer aux règles communautaires » 119. La
sanction de la contrariété d'une disposition conventionnelles au
droit communautaire sera son inopposabilité à la Cour de justice,
qui se reconnaît compétente pour vérifier la
compatibilité d'une convention fiscale avec les Traité CE 120.
Puisqu'il faut considérer que le droit de l'Union
prévaut sur les accords internationaux bilatéraux signés
par les États membres en matière d'élimination des doubles
impositions 121, l'implication de ses principes sur le mécanisme de
clauses anti-abus, élaborées dans un contexte strictement
binational, mérite d'être étudiée.
Section 2 - Des clauses anti-abus limitées par le droit
communautaire
La différence de traitement instaurée par les
clauses anti-abus, entre les personnes pouvant bénéficier des
mesures avantageuses prévues par les conventions de lutte contre les
doubles impositions et les personnes en étant exclues, s'explique par
une volonté des États de réserver le
bénéfice de celles-ci à « leurs » agents
économiques.
Dès lors, les conventions sont conditionnées par
une logique de réciprocité entre les deux États,
c'est-à-dire que ce qui justifie les traitements de faveur consentis par
un État est l'attente d'un même bénéfice au profit
de ses résidents dans l'État cocontractant.
Ce fonctionnement peut poser problème face au principe
communautaire de nondiscrimination, puisque les catégories du droit
conventionnel font référence aux critères de
résidence dans les frontières nationales, opérant une
distinction entre résidents et non
119 CJCE, 12 décembre 2002, De Groot (Aff.
C-385/00 ; n° 93et 94).
120 CJCE, 12 mai 1998, Gilly (Aff. C-336/96 ; n°
22).
121 B. CASTAGNÈDE, Précis de
fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF,
coll. Fiscalité, 2006, p. 259.
résidents au sein de la catégorie des «
nationaux européens ».
La solution à ces questions ne se trouve pas
explicitement dans les normes conventionnelles ou communautaires, ce qui pose
un problème de sécurité juridique. Seule la Cour de
justice de l'Union européenne a apporté sa contribution «
constructive » en se fondant sur le droit de l'Union, originaire ou
dérivé qui instaure les libertés fondamentales et la
nondiscrimination.
Il convient de distinguer préalablement les conventions
fiscales conclues avant de celles conclues après l'entrée en
vigueur du Traité de Rome le 1er janvier 1958 ou la date d'accession de
l'État à celui-ci. L'article 307 du Traité dispose en
effet que « l'État membre continue à assurer des
obligations conclu avec un État tiers avant son adhésion.
» ; de la sorte les dispositions conventionnelles antérieures
incompatibles avec le droit communautaire prévalent.
Quelques conventions fiscales se trouvent dans cette situation
(conventions conclues avec les États-Unis par la Grèce en 1950 et
par la Finlande en 1994) et dans ce cas les États doivent prendre les
mesures nécessaire pour supprimer les cas de
contrariétés.
Lorsque les conventions fiscales sont antérieures, les
règles communautaires pouvant s'opposer à des clauses anti-abus
sont le principe général d'interdiction des discriminations
fondées sur la nationalité (art. 12 Traité CE) ainsi que
les quatre libertés de circulation, relatives aux marchandises, aux
personnes, aux services, et aux capitaux (art. 23, 39, 49 et 56 Traité
CE).
La première des clauses anti-abus pouvant poser
problème est celle relative à la condition de résidence
fiscale. La question est de savoir si la limitation du bénéfice
conventionnel aux seules personnes résidentes d'un État membre ne
constitue pas une discrimination, tout au moins indirecte, à
l'égard des non résidents ressortissants d'autres États
membres. Mais peut-on considérer qu'il y a discrimination quand ces
mesures visent à s'adapter à une réglementation fiscale
nationale et donc particulière ? Une personne résidente,
c'est-à-dire soumise à une obligation fiscale illimitée
dans un État, n'est pas dans la même situation qu'une même
personne soumise au même type d'obligation dans un autre État,
fût-il membre, dont les taux d'imposition et les régimes
d'exonération, à défaut d'une harmonisation
européenne totale, sont différents. Il semble que le droit
communautaire aille en ce sens.
En effet l'article 58 du Traité CE dispose que «
L'article 56 ne porte pas atteinte au
droit qu'ont les États membres [...] d'appliquer
les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui
établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent
pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le
lieu où leurs capitaux sont investis ». Il y aurait donc
discrimination indirecte, mais justifiée par le fait « qu'en
l'état actuel du droit communautaire, la cohérence du
système conventionnel en cause ne peut pas être assurée par
des mesures moins discriminatoires que celles prévues dans les
conventions litigieuses. » 122.
Cependant, si deux personnes ressortissantes d'États
membres peuvent être considérées comme objectivement dans
une situation comparable, le fait que l'une d'elle soit résidente et
l'autre non, ne permet pas d'opérer de distinction et elles doivent
toutes deux pouvoir bénéficier des dispositions conventionnelles,
et donc ne pas être exclues par le mécanisme des clauses
anti-abus. C'est d'ailleurs ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour dans
l'arrêt Saint-Gobain : « Étant donné que les
sociétés non-résidentes en Allemagne qui y exploitent un
établissement stable et les sociétés résidentes en
Allemagne sont,[...], dans des situations objectivement comparables, la
différence de traitement qui leur est réservée doit
s'analyser comme une violation des dispositions précitées du
traité. » 123.
Le second type de disposition conventionnelle anti-abus qui
risque de n'être compatible avec des règles communautaires est
celui limitant les avantages d'une convention, conclue entre un État
membre et un État tiers, aux bénéficiaires effectifs de
revenus. En effet quand le bénéficiaire effectif des revenus est
résident d'un État membre et qu'il souhaite
bénéficier des dispositions d'une convention fiscale conclue
entre un autre État membre et un État tiers où est
implantée la société qu'il possède, dans la
majorité des cas les clauses antiabus de celle-ci refuseront les
exonérations de retenue à la source pour la société
intermédiaire. C'est le cas de la clause de limitation des
bénéfices conventionnels que l'on trouve dans la convention
conclue avec les États-Unis 124, aux termes de laquelle les
sociétés résidentes de France, contrôlées par
des résidents d'États tiers, en l'occurrence membres, se trouvent
exclues de la protection conventionnelle.
Cette clause, apparemment incompatible avec la liberté
d'établissement, a subit récemment une modification, permettant
d'inclure dans la catégorie des personnes qualifiées les
sociétés françaises contrôlées par des
personnes d'autres États membres. Ces dernières peuvent
désormais bénéficier des avantages fiscaux prévus
par la convention lorsqu'elles reçoivent des revenus en provenance des
États-Unis.
122 J. MALHERBE et D.BERLIN, Conventions
fiscales bilatérales et droit communautaire, Revue trimestrielle de
droit européen, 1995, p. 509, n° 89.
123 CJCE, 21 septembre 1999, Compagnie de Saint-Gobain
(Aff. C-307/97).
124 Convention franco-américaine du 31
aout 1994 modifiée par l'avenant du 8 décembre 2004, article
30.
Avant elle déjà, la convention fiscale entre les
États-Unis et le Luxembourg permettait aux sociétés
luxembourgeoises contrôlées par des résidents
communautaires de se prévaloir de la convention bilatérale. On
peut d'ailleurs se demander si la motivation première du Luxembourg,
dans cette adaptation conventionnelle datant de 1996, résidait d'abord
dans la volonté de rendre au plus vite son droit international
conventionnel compatible avec les règles communautaires.
Il peut paraître en effet un peu
prématuré, à défaut de régime fiscal
harmonisé au sein de l'Union, de restreindre la portée des
clauses anti-abus conventionnelles de sorte que, dans le cadre des
législations fiscales nationales des États membres, un chalandage
fiscal soit rendu possible.
C'est donc la Cour de justice qui aura le dernier mot,
à moins que la matière fiscale ne fasse l'objet d'une
réflexion communautaire globale, poursuivant ainsi la tâche
amorcée par la directive mère-fille 125 lorsque
celle-ci a supprimé les retenues à la source pour les dividendes
versés à l'intérieur de l'Union européenne.
Il est possible qu'une convention multilatérale
communautaire voit le jour et prenne la place des quelques trois cents
conventions bilatérales entre États membres, mais il semble que
cela implique une « complexité inimaginable » 126
compte tenu des divergences de législations nationales. Cela
impliquerait probablement aussi une remise en question de la place de l'Union
par rapport aux États membres, dépassant de loin une simple
question de fiscalité internationale.
125 Directive du Conseil européen du 23 décembre
2003, n°2003/123/CE.
126 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit
communautaire et conventions fiscales, 2005, p. 20.
Partie 1 - Les règles dirigeant l'interprétation
des clauses antiabus
Titre 1 - Les procédures possibles, ou
règles de formes
Chapitre 1 - L'idéale interprétation
supra-nationale
Section 1 - L'absence d'une juridiction internationale Section 2
- L'interprétation bilatérale par accord secondaire
Chapitre 2 - L'interprétation unilatérale
française
Section 1 - L'interprétation gouvernementale et
ses critiques
Section 2 - L'interprétation juridictionnelle
française
Titre 2 - Les méthodes de l'interprétation
juridictionnelle française, ou principes de fond
Chapitre 1 - Les valeurs respectives des normes
d'interprétation
Section 1 - La Convention de Vienne sur le droit des
traités Section 2 - Les conventions fiscales et les modèles
OCDE
Chapitre 2 - L'interprétation des termes
conventionnels
Section 1 - L'interprétation littérale
des conventions fiscales
Section 2 - Le recours subsidiaire au droit interne
Partie 2 - Les solutions d'interprétation des
clauses anti-abus
Titre 1 - Le sens à donner aux clauses
anti-abus
Chapitre 1 - La clause de résidence
Section 1 - La notion de résidence
Section 2 - Les conditions d'obligation fiscale
Chapitre 2 - Autres clauses
Section 1 - La clause de bénéficiaire effectif
Section 2 - Les exclusions ponctuelles
Titre 2 - La portée des clauses anti-abus
Chapitre 1 - La portée par rapport au droit
interne
Section 1 - La supériorité des
dispositions conventionnelles
et la priorité du droit interne
Section 2 - La limitation de la portée des clauses
anti-abus par l'utilisation du droit interne
Chapitre 2 - La portée par rapport au droit
communautaire
Section 1 - Les relations entre droit fiscal
international et droit
communautaire
Section 2 - Des clauses anti-abus limitées par
le droit
communautaire
- Bibliographie -
I - Ouvrages généraux, traités et
manuels :
J-L ALBERT, J-L PIERRE et D. RICHER,
Dictionnaire de droit fiscal et douanier, Paris, Ellipses,
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Cours Dalloz, Série Droit Public, 2005, 588 p.
S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER, Lexique des
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Lexiques, 2001, 592 p.
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européen, belge et français, Bruxelles, Larcier, coll.
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II - Ouvrages spéciaux :
S. GLASPER, Les clauses anti-abus dans les
conventions fiscales internationales, thèse Montpellier I, 2007,
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B. GOUTHIÈRE, Les impôts dans
les affaires internationales, Levallois, 6e éd., Franvis
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D. GUTMANN, Le juge fiscal et la loi
étrangère, pp. 191-205. In : Bibliothèque de
l'Institut André TUNC Ed., Regards critiques et
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Rédaction des Éditions FRANCIS LEFEBVRE,
Mémento Fiscal, Levallois, Francis Lefebvre, coll.
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Rédaction Internationale des Éditions
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internationales, Levallois-Perret, Francis Lefebvre, 1997, 460 p.
J N. THOMAS, Le contrôle fiscal des
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III - Articles et rapports :
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J. BUNDGAARD et P. KOERVER SCHMIDT, Tax
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M. CHRÉTIEN, L'application et
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https://www.cia.gov.
COMMISSION EUROPÉENNE, Droit
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P. DEROUIN, L'application et
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IFA, Cinquième Congrès
international de droit fiscal et financier, Revue internationale de droit
comparé, 1951, Vol. 3, n° 4 , pp. 668 - 672 .
J. MALHERBE et D.BERLIN, Conventions
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J. MALHERBE et D.BERLIN, Conventions
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SERVICE DE LA LÉGISLATION FISCALE, La
France et les conventions fiscales internationales, Revue de droit fiscal,
1996, n°7, p. 236.
IV - Conclusions et commentaires de jurisprudence :
S. AUSTRY, L' interprétation des
conventions internationales de droit fiscal, concl. sur CE Ass., 28 juin
2002, Ministre c/ Sté Schneider Electric, RFDA, 2002, p.
1124.
D. VILLEMOT, Qualité requise pour
invoquer le bénéfice des conventions fiscales internationales
à l'encontre de l'application de l'article 209 B du CGI, Revue de
droit fiscal, 2001, n° 47.
V - Modèles de conventions fiscales, bulletins
officiels des impôts :
Comité des Affaires Fiscales de
l'OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu
et la fortune , Juillet 2008.
DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES,
Instruction du 16 avril 2010 (BOI 14 A-1-10 n° 45 du 27 avril
2010), Liste des conventions fiscales conclues par la France en vigueur au
1er janvier 2010.
DIRECTION GÉNÉRALE DES IMPÔTS,
Instruction n°26 du 23 février 2006 (BOI 14 F1-06
n°34 du 23 février 2010).
UNITED STATES Treasury, United States Model
Income Tax Convention du 15 novembre 2006.
VI - Documentation électronique :
TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE,
http://www.bger.ch/fr/index.htm
COMMISSION EUROPÉENNE, http://ec.europa.eu/
COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE,
http://curia.europa.eu/ DALLOZ,
http://www.dalloz.fr
OCDE, http://oecd.org/
PERSÉE,
http://www.persee.fr/web/guest/home
|