Liberté et solidarité dans l'oeuvre de Durkheim( Télécharger le fichier original )par Hadrien Kreiss Université Paris II Panthéon Assas - Diplôme de Master II (Recherche) "Philosophie du droit et droit politique" 2009 |
B : Le dégagement des facultés de liberté individuellesDes constats que l'on peut tirer des grands mécanismes durkheimien, il résulte un prima très marqué du collectif sur l'individu. Mais comme la sociologie doit se tenir à des principes explicatifs stricts227(*), il est ardu de retirer l'habit social et de mettre l'individu à nu. Plusieurs interrogations semblent ainsi rester en suspens. Durkheim est cependant bien un défenseur de l'individualisme. C'est notamment ce que l'on comprend dans les écrits de l'auteur sur la propriété. Le rapport à la propriété permet en outre d'esquisser un rapport entre la liberté d'action et la liberté de pensée de l'individu. A l'aide de quelques idées, certaines frontières peuvent cependant être établies vont ainsi pouvoir être établies, par lesquelles on pourra essayer de mettre au jour la portion de liberté individuelle véritable du sujet en suivant l'idée de création individuelle. 1° La ligne de fracture de la liberté individuelleSi toute société est despotique c'est une chose naturelle et nécessaire. « Pour que l'individu en prenne conscience et y résiste, il faut que se développe des aspirations individuelles, ce qui n'est possible dans ces conditions »228(*). C'est bien la raison d'être de son projet corporatiste. Il semblerait pourtant qu'en se prononçant en faveur de nombreuses activités collectives, Durkheim délaisse quelque peu la vie privé de l'individu. En réalité, il fait la part belle à la propriété, un espace où l'individu peut faire ce qu'il souhaite. C'est un premier élément, absolument clef, de son individualisme. Le deuxième élément est, en principe, la libre pensée. Sa défense de l'individu par ce biais est bien moins évidente. Il semblerait ainsi qu'entre l'action et la pensée, puisse être esquissée une démarcation structurante de la doctrine durkheimienne. Une fois cette démarcation mise en relief, il sera plus aisé de réduire les zones d'ombre et d'envisager chez l'auteur les prémisses de rapports alternatifs de l'individu à la société, tout en demeurant dans l'optique d'une liberté au service du social. a) Une liberté individuelle d'action complète dans la propriété « Le souci qu'à Durkheim de la solidarité sociale, de la conscience collective, et son insistance sur la discipline morale, sont considérés, par ceux qui en font un socialiste comme par ceux qui voient en lui un conservateur, comme la marque d'un autoritarisme politique à la manière de Comte. C'est l'oeuvre de Bouglé, qui démontre, plus clairement peut être que celle de Durkheim lui-même, que de telles vues en sociologie sont conciliables avec le respect de la liberté individuelle et le désir de réformer la société, progressivement et dans un espace non collectiviste »229(*). Durkheim est un fervent militant de la propriété individuelle. Il épilogue densément sur ce sujet qui est très significatif de l'opinion de l'auteur sur son temps. Car en effet, il procède des analyses sociologiques que le droit de propriété est avant tout un droit collectif, et que la propriété est un espace sacré. Mais il ne découle pas de cette réalité originaire que la propriété individuelle soit chose incongrue, bien au contraire. Au préalable, l'auteur dément les théories fondant la propriété uniquement sur le travail individuel (il reviendra ensuite sur cette théorie pour en légitimer certains caractères). « On dit que nous devons avoir la libre disposition des produits de notre travail parce que nous avons la libre disposition des talents et des énergies qui sont impliquées dans ce travail. Mais pouvons-nous disposer avec une telle liberté de nos facultés? Rien n'est plus contestable »230(*). Parce que l'individu est toujours tributaire de la société, qu'elle s'octroie jusque la possibilité d'arracher l'homme à la vie, a fortiori elle peut exiger de l'individu ses « dépendances extérieures. » Le travail individuel contribue certes à valoriser la propriété, mais deux arguments s'opposent à en faire le facteur exclusif. Il rappelle d'abord que l'échange, le don, et l'héritage sont autant de causes de bonification qui ne relèvent pas du labeur d'autres que soi. Un deuxième élément renforce sa position231(*). Le profit de que l'homme tire de sa propriété ne vient nécessairement du travail individuel, le travail collectif constitue tout autant un ressort essentiel. Le travail public module la valeur des propriétés en transfigurant le paysage, en bâtissant les infrastructures indispensables. La bonne foi oblige à considérer que ce qu'à apporter le travail public peut être défait par la collectivité. Réaliste, Durkheim dissipe ces théories méritocratiques de la propriété, pierres angulaires des penseurs libéraux et socialistes, car, par principe, « on ne peut déduire la chose de la personne »232(*). La constitution de la propriété doit donc obéir à une autre logique. Le sociologue va se raccorder à Kant, dont la théorie est compatible avec la sienne: le lien de la chose et de ma personne est d'abord intellectuel. Ce qui fonde la propriété, c'est un acte de volonté, car seule la volonté est universelle et intemporelle. « Ainsi donc se serait ce caractère particulier en vertu duquel ma volonté est respectable, sacrée à autrui toute les fois qu'elle s'emploie sans violer la règle de droit, qui seul pourrait créer un intellectuel entre ces choses et ma personne. Il importe d'ailleurs de remarquer que cette explication peut être dégagée de l'hypothèse critique et conservée par d'autres systèmes »233(*). Durkheim emprunte ainsi à Kant son modèle, qu'il va insérer au coeur de sa propre thèse. Ce raccord à Kant suppose toutefois quelques précisions. A l'idée kantienne de devoir de chacun, Durkheim va substituer son propre paradigme. Il cite même le grand philosophe : « Je ne suis donc pas tenu de respecter ce que chacun déclare sien, si chacun ne me garantit de son côté qu'il se conduira vis-à-vis de moi d'après le même principe »234(*). Le respect de ce droit est chez Durkheim conséquence d'une obligation sociale. Comme le respect de l'obligation est réalisé grâce à la collectivité, il en conclut que « pour que les hommes soient fondés à vouloir s'approprier les choses individuelles, il faut que les choses soient originellement possédées par une collectivité », c'est à dire, au départ, l'humanité. Considérant que le droit de propriété n'aurait jamais reçu d'exercice si la collectivité en demeurait l'unique propriétaire car elle ne détient « qu'en idée », il en déduit que chacun s'approprie « tout ce qu'il peut sous la réserve des droit concurrents d'autrui ». Alors, pour que le droit soit valide, il est nécessaire que la prise de possession ait l'avantage de la priorité dans le temps235(*). Une fois constituée, la propriété est exclusive, ce qui en fait un attribut incontournable de l'individualisme. « C'est une chose retirée de l'usage commun pour l'usage d'un objet déterminé. Je puis n'en pas jouir en toute liberté, mais nul autre que moi n'en peut jouir »236(*). Dès lors, le droit de propriété est définit comme « Le droit qu'à un sujet déterminé d'exclure de l'usage d'une chose déterminée les autres sujets individuels et collectifs à la seule exception de l'État et des organes secondaires de l'État »237(*). En prenant la théorie de Kant pour appui, il parvient donc à donner à la constitution du droit de propriété une certaine logique moderne. La propriété apparaît comme fondée socialement au détour d'une sublimation de la volonté possessive, contrastant avec son exercice plus instinctif. Il prend donc parti pour une interprétation rationnelle et moderne de la propriété, par un raisonnement plus artificiel qu'à l'habitude. Car si la propriété est chose individuelle pour les modernes, c'est à la base un terrain sacré. « Le droit de propriété des hommes n'est qu'un succédané du droit de propriété des Dieux »238(*). C'est en effet par le rituel que se crée un espace tabou, un terrain dont les frontières sont sacrées. Ainsi, « Les choses étaient inviolables par elles-mêmes, en vertu d'idées religieuses, et c'est secondairement que cette inviolabilité, préalablement atténuée, modérée, canalisée, est passée entre les mains des hommes »239(*). Durkheim délaisse le solidarisme fondateur du sacré et préfère en la matière les fruits de l'individualité. L'homme, le Dieu moderne, dispose donc d'une faculté de jouissance solitaire. Clairement, Durkheim est favorable à cette exclusivité du droit de propriété. « Notre organisation morale implique qu'une large initiative doit être laissée à l'individu ; or pour que cette initiative soit possible, il faut qu'il y est une sorte de domaine où l'individu soit son seul maître, où il puisse agir avec une entière indépendance, se retirer à l'abri de toute pression étrangère pour être entièrement lui-même [...] l'individualisme ne serait qu'un mot si nous n'avions une sphère matérielle d'action au sein de laquelle nous exerçons une sorte de souveraineté »240(*). La définition qu'il donne de la liberté individuelle en tant que « sphère autonome d'action », qu'il emploie pour caractériser l'individu de la société organique, prend ici tout son sens. C'est une nécessité absolue, d'un point de vue aussi bien économique que moral de constituer des individus autonomes. En conséquence, de nos jours « C'est dans la personne que résident les caractères qui fondent la propriété »241(*), et c'est dans ce travail que réside « la personne en action ». Dès lors, inévitablement, il se montre hostile à l'héritage242(*). Il est bien évident que conformément à la formule de W. Logue, la solidarité durkheimienne ne suppose pas que la propriété soit collectivisée, bien au contraire. Individuelle et exclusive, la propriété semble par nature antisociale. C'est bien, en partie, son objet. On notera toutefois que Durkheim envisage la propriété moderne en lien avec le contrat, chapitrage qui n'est pas anodin: en déportant son étude sur le contrat, il peut insérer ses théories sur la solidarité intrinsèque dans tout échange. Mais en soi, la propriété individuelle est pour Durkheim la liberté même, la liberté véritable. Garante de la vie privée, et d'une liberté d'action quasi totale, la possession sert donc l'individu et rien que lui. Sur ce point, Durkheim se tient à la route dégagée par Saint-Simon : « Même cet idéal de liberté individuelle dont on a voulu faire la fin unique du contrat social, ne peut être atteint que grâce à une reconstitution plus rationnelle du régime de la propriété ». « En effet, si le régime de la propriété ne permet aux plus capables de tirer profit de leur capacité, s'ils ne peuvent pas disposer librement des choses qui leur sont nécessaires pour agir, pour remplir leur rôle social, leur liberté ne se réduit à rien »243(*). La propriété est en fait absolument nécessaire à la cohérence de l'édifice durkheimien. Car c'est en développant son pouvoir d'action sur les choses que l'individu se constitue, et l'accroissement de la différenciation est résolument indispensable au système économique. La lisière intérieure de la propriété évoque donc le libre développement: contraint par la société, l'individu compense par un exercice de domination sur les choses. On imagine que les passions se déploient et que l'individu peut cultiver son identité, retrouver ses inclinaisons, expérimenter par lui-même ses limites. Sa parcelle de terre l'autorise à enlever son masque, sa personne, n'étant plus aux vues et sus de tous. On comprend que pour Durkheim la duplicité de la nature humaine, n'étant que doucement conflictuelle, permet à l'individu d'opérer sans ambages un précieux retour sur soi. Un retour, à vrai dire, sur sa volonté et sur son corps, où se loge son instinct. b) Les obstacles moraux à la liberté de pensée En effet, a contrario, la pensée semble péremptoirement relever de l'espace collectif. La pensée semble décrite comme étant libératrice de la volonté. Mais s'il n'utilise sa pensée qu'avec automatisme, l'individu ne s'appartiendra jamais. Il s'agit de pointer ici la marge de manoeuvre de l'individu dans sa conduite. Si Durkheim a hésité à conférer aux représentations collectives un statut conscient ou non, ce doit être que dans une certaine mesure l'individu il considère que l'individu est bien incapable de s'en défaire, ce que conforte l'idée que la raison est essentiellement sociale. Arrimée à chacun, la conscience collective est pourtant cachée de chacun. C'est un véritable hiatus, si grand qu'il est insoupçonnable, qui sépare en l'occurrence la pensée et l'individualité profonde. Mais l'évolution des sociétés tend à montrer que les hommes sont plus conscients qu'autrefois de ce que les représentations agissent sur lui244(*). Il ne semble pas exclut d'ailleurs que l'homme puisse remettre en cause les règles qui font de lui un être condamné à l'hétéronomie. Dans l'absolu, loin s'en faut d'ailleurs de pouvoir prétendre à cette conclusion. Certes les représentations pénètrent en lui, mais l'individu maintient une qualité qui permet, avec le temps, de faire la part des choses : l'abstraction, propriété de la pensée245(*). Or, les représentations collectives constituent le support indispensable des règles: « La représentation de la société est ainsi la condition de l'existence même des relations et des normes sociales: on peut dire que sans cette représentation, les relations et les normes tout simplement n'existent pas »246(*) . S'interrogeant sur les représentations qui le pénètrent, l'individu s'émancipe. Il s'émancipe même au-delà de ce que Durkheim laisse croire: l'individu excède la conscience des normes sociales qui le façonnent. C'est une réalité inévitable, car comme Durkheim l'écrit, l'individu doué de conscience tâtonne et délibère. S'il conserve ces normes à l'esprit, et, pour peu, prit d'un élan, qu'il arrête son action pratique conforme à la représentation, l'individu, en pleine possession de ses moyens, pourra substituer une « Action conforme » à une autre: voilà ce que signifie la marge de variabilité individuelle. Il doit être considéré l'éventualité de l'obéissance au commandement après une période délibérative. C'est alors dans sa capacité à s'absoudre des représentations que l'individu manifeste sa liberté de conscience : absorbé par les représentations qui se mémorisent dans sa conscience et s'ancrent en lui, l'individu demeure maître, du moins en partie, des représentations qu'il aide ensuite à construire. Aussi, l'individu est libre d'autant qu'il est cultivé247(*). Plus les règles seront nombreuses, plus l'individu pourra les confronter les unes aux autres, ce qui a pour effet d'amplifier la variabilité individuelle. La connaissance a donc un impact sur la liberté individuelle. La connaissance est associée par l'auteur à la science. La science cependant n'est génératrice que d'une autonomisation collective. Exception faite des scientifiques, plus la connaissance progresse, plus l'individu sera autonome individuellement, au sens où il déterminera les représentations qui s'imposeront à lui. La connaissance et l'abstraction peuvent donc être perçues comme possédant des vertus émancipatrices. Sous cet angle, l'individu est en mesure de contester la règle. Durkheim veut établir que la règle est intouchable comme conséquence de sa moralité intrinsèque. En effet, il ne fait que reconnaître à l'individu une faculté de particularisation de la règle, ce qui réduit la marge d'interprétation de celle-ci par l'individu. « C'est à l'agent moral qu'il convient de la particulariser [la règle]. Il y a toujours là une marge laissée à son initiative ; mais cette marge est restreinte. L'essentiel de la conduite est déterminée par la règle ». Il y a plus: « Dans la mesure où la règle nous laisse libres, dans la mesure où elle ne prescrit pas le détail de ce que nous devons faire, et où notre acte dépend de notre arbitre, dans cette mesure aussi il ne relève pas de l'appréciation morale. Nous n'en sommes pas comptables, en raison même de la liberté qui nous est laissée »248(*). Durkheim justifie clairement la liberté de la conduite individuelle: l'action, la « conduite » de l'individu n'a rien en elle-même de morale, et c'est pourquoi elle est libre. Cependant, Durkheim semble ainsi opérer un jugement : en raison de son essence sociale, la règle est morale et ne doit relever de l'appréciation individuelle. Or, le fait que l'individu ne doive se déprendre de la règle ne signifie en rien qu'il ne puisse le faire. Contre ce que Durkheim laisse entendre, on doit pouvoir admettre que l'individu puisse se détacher de la règle dans son esprit, intellectuellement. Dès lors, et quand bien même c'est immoral, l'individu a toute liberté pour apprécier la règle. Cette hypothèse d'une plus forte liberté d'interprétation heurte dans son principe la règle solidarisant nécessairement les hommes : c'est pourquoi il ne la soutient pas. La règle trace les bornes de ce qui mérite d'être légitimement reconsidéré par l'individu ou non. La liberté de pensée n'a de bornes que la morale... mais n'est-ce déjà trop ainsi? Plus avant, rappelons que Durkheim affirme « Ce n'est pas l'obéissance passive qui, par elle-même et par elle seule, constitue une diminution de notre personnalité ; c'est l'obéissance passive à laquelle nous ne consentons pas en pleine connaissance de cause »249(*). Ce dénigrement du questionnement est tel que l'on pourrait y retrouver les critiques que John Stuart Mill adresse à la morale chrétienne « C'est essentiellement une doctrine d'obéissance passive : elle inculque la soumission à toute les autorités établies »250(*). Sur le plan professionnel, il en est autrement. Les règles ne s'imposeront qu'autant que l'individu s'y prête, et intellectuellement, la marge d'interprétation est importante: « Qu'elle qu'en soit l'autorité, règlements et arrêtés ne sont jamais que des mots qui ne peuvent devenir des réalités qu'avec le concours de ceux qui sont chargés de les appliquer »251(*). C'est que ces règlements sont le fruit de l'activité normative des hommes de la profession plus que des règles morales abstraites. Concourant aux représentations sociales qui encadrent l'exercice de sa profession, l'individu est peu enclin à se laisser vassaliser par des règles dictées par son supérieur. Mais de façon générale, c'est en prolongeant la logique du sociologue et en tirant les implications pratiques de ces hypothèses, que peuvent apparaître un individu libéré des contraintes collectives dans sa conduite. Seulement, l'articulation de la liberté de pensée et des libertés d'action est plus distante qu'il n'y paraît. La liberté de pensée sert d'appui à la libre action de l'homme. C'est pourquoi, dans ses considérations sur l'individualisme et au diapason des adeptes de la religion de l'homme, il qualifie la liberté de pensée de « première » des libertés252(*). En revanche, jamais Durkheim ne prend position pour prémunir l'individu de la tyrannie des représentations, et il déclare que l'opinion ne peut relever que d'un seul. Même le juriste Jhering estime que ce qui « Est exercé de manière diffuse par la société toute entière sous la forme des meurs, de la coutume, de l'opinion publique »253(*) est une coercition. « Il est étonnant que les hommes admettent la validité des arguments en faveur de la libre discussion, mais qu'ils objectent dès qu'il s'agit de les « pousser jusqu'au bout » »254(*). Durkheim, sans être réfractaire à une telle proposition, ne la créditerait pas, même en qualité d'un homme de science porté à l'amour de la vérité. La paix des idées morales dans une société est parfois à ce prix. Ainsi la règle émanant du devoir est donc un critère suffisant à ce qu'en soi, elle soit respectée. Conséquemment, les accointances avec les auteurs libéraux sont pratiquement nulles. Néanmoins la liberté individuelle qu'il défend est d'un tout autre registre: c'est la liberté en tant que « source autonome d'action ». C'est à dire que la liberté intellectuelle ne doit être inutilement exagérée. En effet « Qu'importe que la pensée soit libre, si l'action est serve ? »255(*). Sans doute, la preuve de la liberté se situe au niveau du choix d'un emploi et des initiatives professionnelles. Hors de l'espace privé, l'individu est et doit être bordé. La liberté de conscience de l'homme est donc globalement réduite à peu de choses. La liberté en tant qu'autonomie n'est fondée qu'autant que l'on adhère à son idée de libération par la détermination scientifique du monde. La conception de l'éthique chez Durkheim, qui revient à la sphère des idées, à la liberté de pensée ne saurait davantage servir de conduit à une réflexion sur une délivrance de l'homme qui produirait de concert un épanouissement solidaire en société. L'axe de l'éthique durkheimienne est partiellement limité, car elle n'a trait qu'aux autres, pris dans leur globalité. C'est à dire que l'éthique est ce sentiment cultivé à l'égard du développement de chacun dont l'apogée est la religion de l'homme256(*), qui exhorte certes à la liberté de pensée, liberté de pensée qui chez Durkheim se retrouve paradoxalement très vite arrêtée par la sainte morale. * 227 Georges Davy a cette lumineuse formule pour caractériser le rapport de Durkheim à la sociologie « Ainsi l'auteur croit-il devoir sacrifier l'individuel au social pour permettre au social de sauver l'humain devant la science ». Durkheim E., Leçons de sociologie, op. cit., p. 9 (introduction) * 228 Durkheim E., Leçons de sociologie, op. cit., p. 96 * 229 Logue W., « Sociologie et politique, le libéralisme de Célestin Bouglé », op. cit., p. 142 * 230 Durkheim E., Leçons de sociologie, op. cit., p. 152 * 231 Durkheim E.,La science sociale et l'action, op. cit., p. 174 * 232 Durkheim E., Leçons de sociologie, op. cit., p. 157-158 * 233 Ibid., p. 158 * 234 Ibid., p. 159 * 235 Ibid., p. 160 * 236 Ibid., p. 171 * 237 Ibid., p. 172 * 238 Ibid., p. 185 * 239 Ibid., p. 186 * 240 Ibid., p. 199 * 241 Ibid., p. 200 * 242 « L'héritage est donc solidaire d'idées et de pratiques archaïques qui sont sans fondement dans nos moeurs actuelles », ibid., p. 201 * 243 Durkheim E., Le socialisme op. cit., p. 185 * 244 En effet, la conscience collective devient plus indéterminée. Or « ...plus le tout dépasse, plus la société déborde l'individu, moins celui-ci peut sentir par lui-même les nécessités sociales, les intérêts sociaux dont il est pourtant indispensable qu'il tienne compte » (Durkheim E., Leçons de sociologie, op. cit., p. 55) * 245 Nous prenons ici pour synonymes, comme semble le faire Durkheim, « liberté examen », « liberté de critique », « liberté de conscience ». * 246 Paoletti Giovanni, « La théorie durkheimienne du lien social à l'épreuve de l'éducation morale », Revue européenne des sciences sociales, tome XLII, 2004, N° 129, pp. 275-288., p. 283 * 247 Dans la mesure où « les dissemblances entre les hommes sont devenues plus prononcées à mesure qu'ils se sont cultivés ». Durkheim E., De la division du travail social, op. cit., p. 6 * 248 Durkheim E., L'éducation morale, op. cit., p. 56 * 249 Ibid., p 155 * 250 Stuart Mill John, De la liberté, coll. « folio essais », Editions Gallimard, 242 p., p. 136 * 251 Durkheim E., Education et sociologie, op., cit. p. 120 * 252 Durkheim E.,La science sociale et l'action, op. cit., p. 270 * 253 « La science positive de la morale en Allemagne » in Durkheim E., Eléments d'une théorie sociale., p. 294 * 254 Stuart Mill J., De la liberté,op. cit., p. 130 * 255 Durkheim E., L'éducation morale, op. cit., p. 140 * 256 Durkheim E., Leçons de sociologie, op. cit., p. 43 |
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