2- LA PROBLÉMATIQUE
La frontière camerouno-nigériane longue de 1690
Km est la source de tous les malentendus et de toutes les ruptures de confiance
entre ces Etats. Mal matérialisée et non délimitée
par endroits, elle est fréquemment le théâtre et l'enjeu
d'incidents d'une gravité certaine (Mouelle Kombi 1996 : 104). Le
Cameroun et le Nigeria partagent quatre décennies de conflit (1961-2002)
(Onana Mfege 2004 : 79-89).
D'abord l'affaire Northern Cameroon (1961-1963) qui a trait
aux plébiscites des 11 et 12 février 1961 relatif à
l'accession à l'indépendance du Cameroun britannique et dont
l'issue a entraîné le rattachement du Northern Cameroon au
Nigeria.
La question du Lac Tchad viendra opposer une fois de plus les
deux pays frontaliers et riverains du lac. Le dessèchement progressif de
celui-ci va entraîner un important exode des populations
nigérianes qui viendront s'installer sur le territoire camerounais
gorgé d'eau. Le Cameroun a dû admettre cette immigration en vertu
des accords avec le Nigeria sur la libre circulation des personnes et des biens
; et le droit d'établissement.
Le 16 mai 1981, à la suite d'un accrochage entre les
éléments de la marine nigériane et une patrouille de
l'armée camerounaise soldé par un bilan de cinq (05) tués
coté nigérian et de nombreux blessés de part et d'autre,
le Nigeria va exiger des excuses officielles, la punition des militaires
coupables et l'indemnisation des familles de victimes sous peine de
représailles. Le Cameroun, pour normaliser la situation, va
s'exécuter.
Ces relations se détériorent de plus belle
dès le début des années 90, lorsque le Nigeria manifeste
sa prétention à la souveraineté sur certaines
localités
d'accueil de ses ressortissants devenus parfois plus nombreux
et représentatifs que les autochtones. Cette prétention sera
manifestée par l'occupation de la presqu'île de Bakassi par les
forces armées nigérianes, défiant ainsi les
autorités camerounaises.
En effet, le Nigeria dénonçait partout le
processus frontalier depuis la période allemande jusqu'à l'accord
de Maroua, d'après le rapport Bassey E. Ate qui a certainement
persuadé le gouvernement nigérian d'ordonner le marquage de
Bakassi dès 1990 (Onana Mfege 2004 : 89). Ce rapport propose trois
options pour la démarcation définitive de la frontière.
- La première option consiste en l'occupation
unilatérale de la
presqu'île pour mener le Cameroun dans de
sérieuses négociations aux fins de l'établissement d'une
frontière mutuellement acceptable.
- La deuxième option préconise la
présentation d'une offre d'achat
de Bakassi au Cameroun.
- La troisième option porte sur l'institution d'une
administration
conjointe chargée de la sécurité, de
l'exploitation des ressources, des domaines, de l'immigration et de la mise en
place des services communs.
Finalement, c'est la première solution qui est retenue
par le Général Sani Abacha et ce, pour deux raisons à
savoir : profiter de la période de transition politique bruyante que
traversait le Cameroun après les élections d'octobre 1992 et
faire oublier aux Nigérians sa gestion impopulaire en les rassemblant
autour de la question frontalière (Onana Mfege 2004 : 89-90).
Les forces armées camerounaises comme toutes autres
dans le monde, ayant pour mission générale en cas d'attaque
extérieure de se défendre contre les forces ennemies, vont
engager une offensive dans le but de protéger le territoire national.
C'est le début d'un véritable conflit territorial à
plusieurs motivations :
- La motivation sécuritaire qui concerne les mouvements
des
forces navales et les navires commerciaux nigérians,
camerounais
et étrangers dans la zone maritime attenante, mais aussi
la prospection du pétrole off-shore.
- La motivation économique a trait à l'enjeu minier
et halieutique.
La zone regorge d'immenses réserves de pétrole
et de nombreuses espèces de poissons et crustacés. Le Nigeria y
tire la plus grande partie de sa production pétrolière et
voudrait par conséquent élargir son champ d'exploitation (Onana
Mfege 2004 : 84).
De fait, l'État nigérian va faire peser sur la
bordure camerounaise des menaces militaires à visée annexionniste
pour Yaoundé (Ango Ela 1987 : 67). Cette agressivité militaire
« potentielle » se traduit par une impressionnante infrastructure de
quadrillage de la zone frontalière et de la surveillance efficace de la
frontière (Ango Ela 1987 : 67). Les forces armées
nigérianes baptisées « Opération Harmony IV »
vont tenir les localités de Kombo A Bedimo, Inokoï (Bakassi point),
Diamond, Akoa (Archibong), sous-préfecture d'Idabato I et II, Kombo
Awase, Kombo A Janea, Kombo A Munja I et II, Guidi-Guidi, Uzama en disposant
2300 hommes en poste avancé, 3000 en appui stationnés à
Ikang et 4000 éléments de réserve sur la base
arrière de Calabar (Onana Mfege 2004 : 91). Elles avaient pour mission
d'occuper de bout en bout la presqu'île de Bakassi dans le but d'amener
le gouvernement camerounais sur la table de négociation pour une
redéfinition de la frontière camerouno-nigériane. Mais le
gouvernement de Yaoundé va mobiliser en guise représailles ses
forces armées, environ 5000 hommes dont la moitié sera
présente sur le terrain (Onana Mfege 2004 : 91). Ces forces
armées camerounaises baptisées « Opération Delta
» auront pour mission de maintenir les forces nigérianes dans leurs
positions, les empêcher d'avancer à l'intérieur des eaux
camerounaises en attendant le dénouement diplomatique suite à la
saisine de la Cour Internationale de Justice (CIJ) en février 1994 par
leur hiérarchie politique. Ces forces armées camerounaises
ont-elles été à la hauteur de la mission qui était
la leur ? Ou encore pouvaient-elles rétablir la souveraineté
camerounaise sur la presqu'île de Bakassi sans l'intervention de la CIJ
?
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