Les enseignants marocains, entre engagement et prise de distance( Télécharger le fichier original )par Rabia EL ANTAKI Université de Rouen - M1 2010 |
Partie 1- Contexte social MarocainIl est estimé que le système éducatif Marocain vit des difficultés exemplifiées récemment par le rapport mondial de l'Unesco qui place le Maroc parmi les pays où l'éducation peine à atteindre les objectifs escomptés. En effet, ces difficultés du Maroc semblent ne pas s'arrêter aux taux très élevés d'analphabétisme, à l'abandon scolaire, aux dégradations infra structurales, mais englobent également des doutes quant à la qualité des prestations éducatives qui soulèvent des peurs conséquents d'un éventuel naufrage. Le constat étant lourd de conséquences pour un domaine qui puise à peu près le tiers du budget de fonctionnement de l'Etat, le Maroc essaie par plusieurs moyens, des réformes et des plans d'urgence, d'améliorer le contexte éducatif. Ce constat met les enseignants en devant de la scène en tant que principaux acteurs de mobilisation ou de démobilisation professionnelle pouvant être liées à des facteurs contextuels et socio-affectifs relatifs à l'exercice du métier de l'enseignant. Que ce soit la formation, la pratique, la perception ou le vécu quotidien, le contexte Marocain est pronostiqué souffrir de plusieurs problèmes liés à ces quatre facteurs puisqu'une reconnaissance officielle met en avant leur dysfonctionnement. Le discours du Roi Mohammed VI lors de l'ouverture de la première année de la septième législature, vendredi 11 octobre 2002 a bien souligné le souci que les décideurs politiques ont de l'importance d'une formation de qualité : « Le décollage économique et la création d'emplois productifs ne peuvent se faire sans la mise en oeuvre optimale de la réforme du système d'éducation et de formation, car malgré les étapes franchies en la matière, le plus difficile reste encore à faire, à savoir la réforme qualitative de la formation».1 En effet, il a été avancé que cette formation de qualité, quelle soit initiale ou continue a bien des liens étroits avec le maintien de prestations éducationnelles appropriées. De fait, il ya une reconnaissance ouverte de l'importance du recyclage, du besoin d'assistance qu'éprouvent les enseignants pour qu'ils puissent s'adapter aux mutations que connait le monde. Les mises à jour des connaissances ainsi que les bouleversements du champ didactique font partie des soucis Marocains : « Les établissements de formation de professeurs 1 - Discours de S.M. le Roi Mohammed VI lors de l'ouverture de la première année de la 7ème législature. Vendredi 11 octobre 2002 http://www.map.ma/mapfr/discours/7eme-legislature.htm sont donc appelés à se prendre en main, à interagir de façon dialectique avec l'évolution de la société et avec ses exigences et à se positionner par rapport à celle-ci dans le but d'interroger leurs méthodes et leurs choix, leurs programmes, leurs systèmes de formation et, plus profondément, la pertinence de leur action. Ils pourront également comparer leur expérience à celle des autres structures de formation, marocaines ou étrangères dans une perspective qui tiendrait compte des nouveaux impératifs de formation »2. Par exemple, le fonctionnement de la formation initiale des enseignants souffre de troubles que le Maroc veut bien surmonter: « Le dispositif de formation initiale à la profession d'enseignant sera repensé en profondeur pour plus d'efficacité, et pour une meilleure adéquation des profils de sortie aux besoins du système » 3 . Il n'en demeure pas moins important, de se demander si cette volonté de transformation a vu ou peut voir le jour dans la pratique. La formation continuée est également reconnue comme primordiale dans la charte nationale de l'éducation et de la formation qui considère qu'il est temps de considérer la formation tout au long de la vie une priorité. Les articles 20 et 21 confirment cet intérêt :
Au Maroc, Dans le centre de formation des enseignants de deuxième degré, ENS (le seul qui existe maintenant après que la faculté des sciences de l'éducation a cessé en 1994 d'assurer la formation des enseignants de deuxième cycle), les prestations de formation initiale offertes aux étudiants enseignants mettent l'accent sur des tas de théories éducationnelles. Et contrairement à beaucoup de pays, le Maroc ne dispense aucune formation au sein des universités aux enseignants du lycée ou de tout autre cycle. Dans le plan d'urgence qui s'étale entre 2009 et 2012 il est fait mention d'une volonté de créer cette relation qui est sensée exister entre le secteur de l'enseignement et l'université ; « des Filières Universitaires d'Education (FUE) d'une durée de formation de 3 ans (niveau Licence) seront ouvertes pour accueillir les étudiants souhaitant suivre une formation axée sur les sciences de l'éducation et 2 - Royaume du Maroc .Ministère de l'Education nationale de l'enseignement supérieur de la formation des cadres et de la recherche scientifique .Ecole normale supérieure de Meknès. Octobre 2005 3 - rapport de synthèse du programme d'urgence 2009-2012, Ensemble pour l'école de la Réussite 4- Ibid. les techniques pédagogiques »5. Cependant, cette relation ne sera crée qu'au niveau de la formation initiale. Quant à la formation continue, ce sont les centres de formations qui en seront responsables : « Pour le personnel enseignant du scolaire, des sessions de formation continue seront désormais dispensées, dans la plupart des cas, dans les CRF qui seront dotés de moyens et de ressources ad hoc. Comme le préconise la Charte, deux types de formation continue obligatoire devront être suivis par le personnel de l'éducation : une formation de mise à niveau, annuelle de préférence, et une formation de requalification. » 6 . Cette reconnaissance officielle de vouloir instaurer une formation appropriée, implique que l'état des lieux de la formation des enseignants (du moins avant 2009 puisque le plan d'urgence s'étale entre 2009 et 2012) dresse un éventuel dysfonctionnement. Quant à la pratique du métier, l'utilisation des technologies de l'information et de la communication peut être considérée comme restreinte. Dans le rapport Marocain annuel d'évaluation 2009 « L'Internet apparaît comme étant à la fois un moyen de documentation (recherche des informations pour les cours ou des renseignements pratiques) et d'information générale (suivre l'actualité) et peu comme outil de communication (envoyer et recevoir des emails ou téléphoner). Pour les enseignants du secondaire, l'Internet est d'abord un outil de recherche d'information pour la préparation des cours (67%). » 7. De même, les méthodes didactiques et pédagogiques utilisées par la plus grande partie des enseignants Marocains semblent être « incapables de répondre aux besoins et attentes de nos élèves qui vivent dans un monde soumis à des changements perpétuels sur le plan cognitif et socioculturel. »8 Cette pratique, dite dépourvue de supports éducatifs, peut se faire aussi de manière peu réflexive et peu inventive. Ceci peut ne pas provenir seulement des enseignants eux-mêmes mais également de la politique de la fonction publique. Au Maroc, le fait qu'on n'embauche pas les enseignants sur une base contractuelle fait que ceux-ci jouissent d'une sécurité de l'emploi. Alors, ces agents qui, apriori, peuvent s'activer continuellement, se trouvent dans des zones de confort ou personne n'a le droit de leur demander des comptes sur leurs pratiques pédagogiques. 5 - rapport de synthèse du programme d'urgence 2009-2012, op.cit 6- Ibid. 7 - Royaume du Maroc Commission Spéciale Education Formation CHARTE NATIONALE D'EDUCATION ET DE FORMATION http://www.uh2c.ac.ma/uh2c/loi/charte_fr.pdf 8 -Ibid. Mais la pratique du métier au Maroc se fait également dans un environnement pouvant être décrit comme désagréable. En fait, le peu d'équipements qui existent au sein du lycée public Marocain est sujet à des dégradations à cause d'une absence d'entretien et de renouvellement. Le ministère de l'éducation est bien conscient de ces problèmes puisqu'il en fait l'état des lieux: « Faute de référentiel normatif précis et adapté, et à défaut de maintenance et d'entretien réguliers, les établissements d'enseignement présentent aujourd'hui trop souvent un état dégradé et un niveau d'équipement déficitaire qui influent négativement sur les conditions d'apprentissage et d'enseignement. Par ailleurs, il n'existe pas de système normalisé et systématisé de maintenance préventive des établissements scolaires. Au cours de la décennie, les efforts ont été principalement axés sur la construction de nouveaux établissements, au détriment de la réhabilitation et de la mise à niveau des établissements existants. Par conséquent, les établissements scolaires souffrent d'un manque d'entretien manifeste. » 9 Cette négligence d'investissement dans les équipements scolaires peut éventuellement agir sur le travail de l'enseignant : « Il existe une relation évidente et étroite entre l'infrastructure du système scolaire et la qualité de l'enseignement »10. C'est ainsi qu'au Maroc, les lycées publics sont considérés comme des lieux impropres à l'enseignement, ce qui peut influencer de manière conséquente le vécu de l'enseignant (Laetitia Grotti, 2004). Outre cet environnement infrastructurel apparemment décourageant, l'environnement socioaffectif de l'enseignant Marocain peut le plonger dans un isolement professionnel. Cet isolement s'est tellement amplifié que pendant l'année 2009 une vraie volonté de la part des décideurs politiques Marocains d'encourager la coopération en vue d'améliorer l'enseignement s'est manifestée. Le Projet ALEF de l'USAID a introduit dans ses 337 écoles 9 - Royaume du Maroc Commission Spéciale Education Formation CHARTE NATIONALE D'EDUCATION ET DE FORMATION, op.cit. 10 - forum Mondial sur l'éducation, Dakar, Sénégal 26-28 avril 2000, http://www.unesco.org/education/wef/frconf/coverage s%E9ance%20I.8.shtm pilotes un modèle innovant de soutien par les pairs, fondé sur la collaboration et la concertation entre éducateurs : les «Ateliers de Partage, d'Approfondissement et de Régulation» (APAR). Ces ateliers de réflexion et d'organisation permettent aux enseignants, aux directeurs d'établissements et à leurs superviseurs locaux de se réunir pour partager et évaluer les projets, les leçons, les stratégies et matériels pédagogiques qu'ils créent et utilisent en classe dans le cadre de leur participation au Projet ALEF. » 11 C'est aussi dans cette optique, que la charte nationale de l'enseignement redéfinit les rôles des gestionnaires des établissements qui jusqu'ici favorisaient la relation verticale « La gestion très hiérarchisée au sein des établissements scolaires ne favorise pas la tenue de réunions pédagogiques permettant l'échange d'expériences entre les enseignants »12. Le rôle puissant de l'inspecteur est tout aussi redéfinit. Celui-ci entretenait des relations tendues avec l'enseignant caractérisées par une supériorité et des évaluations dénigrantes : « La Charte fixe les nouvelles orientations concernant le rôle et les responsabilités de l'inspection, visant à instaurer une relation d'accompagnement et d'encadrement entre l'inspecteur et l'enseignant. Elle redéfinit également les principes d'évaluation du personnel » 13 Pareillement, la relation enseignant-administration pourrait dévoiler une dominance du contrôle administratif. Le fait aussi que l'administration centrale détient tous les pouvoirs décisionnels, fait que l'initiative locale se fait rare (R du Maroc - Commission Spécial Education Formation, 1999). Il est vrai qu'il ya une volonté de déconcentrer et d'octroyer plus d'autonomie aux lycées et au corps enseignant, mais il n'en demeure pas moins que cette déconcentration peut sembler limitée et n'arrive pas à instaurer un vrai climat de dialogue et de réelle volonté de changements (B Zyani 2002)
13 -Ibid Un autre facteur qui pourrait jouer un rôle dans le dialogue difficile qui caractérise le contexte éducatif Marocain est la relation des enseignants avec les parents d'élèves. Beaucoup d'acteurs sociaux évoquent le fait que les parents ont démissionné pour différentes raisons. La perception sociale de l'enseignant Marocain n'est pas des meilleures non plus. La communauté nationale et internationale pointe du doigt l'enseignant comme cause de beaucoup de problèmes. L'UNICEF a conduit une enquête en 2004 qui a démontré que la démotivation et l'absentéisme des enseignants Marocains sont parmi les causes de l'abandon scolaire. L'enquête a annoncé aussi que « les mauvaises relations entre enseignants-élèves basées sur les inégalités, les violences et l'exploitation, le manque d'activités parascolaires et ludiques, la carence de matériel pédagogique et l'inadaptation de l'infrastructure » 14 (Nicolas Brejon de Lavergnée 1991) sont à la base des défaillances du système scolaire. Tous ces enjeux sociaux présentent la scène éducative et le contexte où se meut l'enseignant Marocain ainsi que les facteurs pouvant orienter ses attitudes d'engagement ou de désengagement. |
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