VI-Discussion
Les résultats de notre étude montrent que dans
les trois mois avant la mise sous ARV, une proportion importante des PVVS est
sexuellement active et révèle que la mise sous ARV favorise la
reprise des activités sexuelles chez un grand nombre des PVVS
sexuellement inactifs avant traitement. Nous avons mis en évidence une
relation de causalité entre la mise sous ARV et la moindre prise de
risque sexuel chez les PVVS. La consommation d'alcool et le fait de ne pas
connaitre le statut VIH du partenaire sexuel stable jouent un rôle
important dans la prise de risque chez les PVVS.
6-1. Activités sexuelles chez les PVVS
Les personnes vivant avec le VIH restent sexuellement actives.
Cela a été déjà mis en évidence par des
études antérieures [23, 24, 25, 26,31]. Dans notre étude
qui portait sur un échantillon de 437 PVVS dont 70,3% étaient des
femmes, suivi sur une période de 12 mois, plus de la moitié a
déclaré avoir eu au moins une fois des rapports sexuels accours
des 3 mois derniers précédent les visites de suivi (T0, M6, M12).
Comme déjà le cas dans les études antérieures [23,
26,31] une forte proportion des PVVS sexuellement actifs ne connaissaient pas
le statut VIH de leurs partenaires sexuels. Le recours fréquent aux
partenaires occasionnels chez les PVVS déjà mis en
évidence dans certaines études [23,26] a été
retrouvé dans notre étude.
6.2. Evolution des comportements sexuels, sociaux et
qualité de vie
Chez les sujets PVVS sexuellement actifs, il n'y avait aucune
différence dans la pratique des rapports sexuels non
protégés entre 3 mois avant le début de ARV et 3 mois
précédent le 12e mois de suivi de ARV. Fortement
corrélée à la pratiqué des rapports sexuels non
protégés [33,34], il n'y avait pas de différence dans
l'évolution de la consommation entre ces deux périodes. De
façon générale, les PVVS ont déclaré avoir
une meilleure qualité sous ARV. Ces résultats confirment donc
l'amélioration de la qualité de vie de PVVS s'ils
bénéficient de traitement antirétroviral mais aussi la
persistance des rapports sexuels non protégés chez les PVVS sous
ARV déjà révélés par des études
antérieures [26,31]. La persistance des comportements à risque
peut être étayé par le fait que la près de la
moitié des PVVS pensent que le VIH peut être guérit par les
ARV (le virus disparait) mais aussi du fait d'une proportion non
négligeable de PVVS qui pensent que sous ARV, on ne transmet pas la
maladie.
Il est primordial de renforcer les activités de
prévention ciblant le changement des comportements sexuels à
risque chez les PVVS sous ARV.
6.3. Facteurs associés aux comportements sexuels
à risques avant ARV
La pratique des rapports sexuels protégés reste
le seul moyen efficace pour la prévention de la transmission du VIH par
voir sexuelle. Notre analyse montre bien qu'un nombre non négligeable
des PVVS, avant initiation des ARV, reste sexuellement. Parmi ces sujets
sexuellement actifs, plus de moitié ont eu au moins
une fois des rapports sexuellement non protégés.
Il y avait aucune différence dans cette prise de risque entre les sujets
qui ont dit être d'accord avec l'affirmation selon laquelle le VIH peut
être transmis par des rapports sexuels non protégés et ceux
qui ne savaient pas ou bien n'étaient pas d'accord avec cette
affirmation. Nos résultats sur la fréquence élevée
des rapports sexuels non protégés chez les PVVS corroborent les
résultats déjà obtenus dans des études
transversales réalisées en Afrique subsaharienne [23, 24, 29,30].
La faiblesse dans la pratique des rapports sexuels protégés est
d'autant plus importante que le sujet de ne connait pas le statut VIH de son
partenaire sexuel stable.
Il est donc primordial de renforcer la sensibilisation
sur l'utilisation du préservatif avec partenaire sexuel de statut VIH
inconnu ou avec des partenaires sexuels occasionnels aussi bien en population
générale que chez les PVVS.
6.4. Facteurs associés aux comportements sexuels
à risque sous ARV
Car fortement déterminée par la qualité
de vie, nombre de PVVS initialement sexuellement inactives avant ARV reprenne
leurs activités sexuelles sous ARV. Cependant, chez ces sujets, la
proportion des visites sans prise de risques était quasiment le double
de la proportion des visites avec déclaration de prise de risques. On
note donc qu'il y a reprise d'activités sexuelles sous ARV et
généralement, les sujets concernés pratiquent plus des
rapports sexuels protégés si l'on compare à la situation
chez les sujets PVVS dans les 3 mois avant initiation du traitement par ARV.
Après analyse multivariée, donc après
ajustement, deux facteurs apparaissent associés à la pratique de
rapport sexuel à risque chez les PVVS sous thérapie ARV suivi
pendant 12 mois: le binge drinking et le fait de ne pas connaitre le
statut VIH du partenaire stable. Cette analyse confirme que même sous
ARV, ne pas connaitre le statut du partenaire stable reste fortement
associé à la pratique de rapports sexuels non
protégés avec partenaire sérodiscordant, de statut VIH
inconnu ou avec partenaire occasionnel comme déjà obtenu
précédemment chez les PVVS qui n'étaient sous ARV, donc
avant initiation du traitement par ARV.
6.5. Lien ARV et comportements sexuels à
risque
Nous avons étudié la relation entre la prise de
risque sexuel et le traitement par ARV ajusté sur les facteurs
comportementaux (binge drinking, partenaire occasionnel), facteurs
psychosociaux (connaissance du statut du partenaire stable, avoir
informé de son statut don partenaire) et la qualité de vie, les
facteurs associés à la prise de risque parmi les PVVS demeuraient
le binge drinking et ne pas connaitre le statut du partenaire
stable.
Notre étude montre l'impact positif des ARV sur une
moindre prise de risques sexuels chez les PVVS au Cameroun confirmant ainsi les
résultats déjà trouvés par une méta-analyse
dans les pays du Nord [21].
Nos résultats ne sont pas compatibles avec les
précédents résultats montrant une association positive
entre les ARV et la pratique des rapports sexuels non protégés
dans certains pays développés [8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,15].
Toutes ces études concernent des populations dont les principaux modes
de contamination sont des
rapports sexuels homosexuels ou l'injection des drogues,
tandis qu'en Afrique subsaharienne, le principal mode de transmission est
hétérosexuel. Dans ce cas, il est plausible qu'il ait une
différence dans la prise de risque sexuel entre les populations
africaines et les populations européennes.
La quasi-totalité des études transversales
réalisées en Afrique montrent que les comportements
Sexuels à risque parmi les PVVS n'étaient pas
associés aux ARV [23, 24, 25, 26, 27, 26, 28,30]. A notre connaissance,
seulement deux études prospectives quantitatives sur le sujet ont
été menées en Afrique subsaharienne dont une en Côte
d'Ivoire [26] et l'autre en Ouganda [31]. Nos résultats à propos
du lien entre la mise sous ARV et les comportements sexuels à risque
chez les PVVS ne sont pas compatibles à ceux obtenus en Cote d'Ivoire.
Cette contradiction peut s'expliquer par le fait que l'étude en
Côte d'Ivoire n'était pas menée en parallèle
à une intervention d'accès aux ARV et il s'agissait d'une
étude monocentrique, recrutant les patients à partir d'une seule
clinique, donc avec un risque de biais de sélection. La durée de
suivi des sujets peut aussi justifier l'issue des études car les
comportements peuvent variés selon la durée d'exposition à
un stimulus. En Côte d'Ivoire, les patients ont été suivis
sur une période courte de 6 mois tandis que cette durée
était de 12 mois dans notre étude. Par contre, nos
résultats corroborent ceux obtenus dans une étude longitudinale
réalisée en Ouganda dans le cadre d'un essai thérapeutique
qui n'avait pas trouvé une augmentation de la prise de risque sexuel
après initiation de traitement ARV. Cependant, en projetant qu'avec
l'approche de santé publique prônée par l'OMS [7 ],
plusieurs milliers de PVVS auront bénéficié des ARV et
avec la persistance des rapports sexuellement non protégés chez
ces derniers, bien que les résultats de notre étude ne
soutiennent pas un rapport de causalité entre la mise sous traitement
ARV et une augmentation de la prise de risque sexuel, le poids du nombre des
PVVS à la longue pourra en puissance modifier la tendance que nous avons
observé sur un échantillon de 242 patients sexuellement actifs.
L'impact à long terme, en Afrique, du large accès aux ARV
sur les comportements sexuels à risque nécessite d'être
élucider.
En population générale, les recherches
menées en Tanzanie [33] et au Kenya [34] ont signalé des taux
plus élevés de risque sexuel chez les personnes qui consomment de
l'alcool, comparativement à ceux qui n'en consomment pas. Comme
déjà démontré par les deux
précédentes études longitudinales réalisées
en Ouganda [26] et en cote d'ivoire [31], la consommation de l'alcool est un
facteur associé à la pratique des relations sexuelles non
protégés chez les personnes vivant avec le VIH au Cameroun. Il
est une certitude que l'alcool agit physiologiquement sur le système
nerveux et peut induire un effet euphorique si une certaine dose est
dépassée. Dans ce cas, la consommation de l'alcool peut entrainer
la déshinibition de comportements de prévention que la personne
peut avoir dans les conditions normales [33]. Notons que dans notre
étude, le binge drinking n'était associé à
la prise de risque chez les PVVS sans ARV (129 observations). Par contre, chez
les PVVS sous ARV (267 observations) ou bien quand on considérait
à la fois des PVVS sous ARV et des PVVS sans ARV (396 observations), le
binge drinking était associé à la prise de risque
sexuel. Cela parait logique vu que dans les deux derniers cas la puissance
statistique est plus grande.
Le fait de ne pas connaitre le statut VIH du partenaire est un
facteur fortement associé à la prise de risque sexuel chez les
PVVS au Cameroun comme c'est le cas dans d'autres pays Africains [23, 24]. Dans
notre étude, le fait que les femmes ont été les plus
concernées semble soulever un problème de communication dans le
couple et de négociation du préservatif lors des rapports
sexuels. Il sied de noter que, de façon générale, les
coutumes et les pratiques traditionnelles diverses basées sur le genre
en Afrique font obstacles à la communication en matière de
sexualité et surtout limitent les droits en santé sexuelle et
reproductive de la femme africaine. Il est évident que si les femmes ne
jouissent pas de leurs droits en santé sexuelle et reproductive, il est
peut probable que ces femmes aient la liberté de demander le statut VIH
de leurs conjoints par peur des représailles. Il serait
très important de renforcer la promotion des droits sexuels et
reproductifs des femmes dans le contexte du VIH/sida en Afrique
subsaharienne.
Le niveau d'éducation a été trouvé
comme facteur associé à la prise de risque en Afrique
subsaharienne [26,31]. Notre étude ne l'a pas confirmé. L'une des
raisons pourrait être la distribution du niveau d'éducation dans
l'échantillon. Dans le présent échantillon, la
majorité des répondants avaient au minimum le niveau
d'éducation secondaire. Une autre explication peut être
liée à la sélection des patients. L'association peut
être importante dans une zone rurale où la proportion des femmes
ayant le niveau d'enseignement supérieur est faible comme ce fut le cas
pour l'étude réalisée en Ouganda [26].
Dans les études antérieures, le diagnostic
récent de la séropositivité (< 9 mois) [23,24],
l'expérience des rapports sexuels forcés [27] et ne pas divulguer
son statut VIH positif au partenaire sexuel [28] étaient des facteurs
associés à la prise de risque sexuel chez les PVVS. Notre
étude n'a pas mis en évidence ces facteurs. Cela peut s'expliquer
par la définition de la variable réponse qui est
différente souvent d'une étude à l'autre qui
elle-même influence le choix des variables explicatives à utiliser
dans les différents modèles de régression.
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