2.2. Expérience de médiation santé
en Suisse romande
Pour des raisons linguistiques, nous avons ciblé notre
recherche sur les cantons de langue française, à savoir Vaud,
Genève, Jura, Fribourg, Valais et Neuchâtel. L'analyse romande
porte sur les textes légaux qui régissent la fonction de
médiation et sur sa mise en pratique. Nous avons procédé
au recueil des données pratiques par un stage au Bureau cantonal de
médiation
santé vaudois (BCMS), une rencontre avec la
médiatrice jurassienne, un entretien téléphonique avec les
médiateurs valaisans et genevois et un échange de courriel avec
le médiateur fribourgeois.
2.2.1. Analyse des cadres législatifs
Nous relevons d'emblée que le canton de Neuchâtel
n'a pas instauré de fonction de médiation, l'autorité de
conciliation en matière de santé et le service de la santé
publique, par le médecin cantonal, faisant office de dispositif de
recours. Concernant les cinq cantons qui intéressent donc notre
étude, la médiation s'inscrit dans les lois de santé
cantonales entre 1996 et 200690.
Pour Johanne Gagnebin, la place de la médiation dans
les textes de loi respectifs est d'importance car celle-ci détermine la
nature de ses liens avec les instances de surveillance et de recours existants
:
«Le canton de Vaud insère la médiation
dans les dispositions concernant l'organisation et les compétences des
autorités chargées de l'application des lois sanitaires et prend
forme d'un organe indépendant de l'administration, mais rattaché
au Conseil d'Etat. Le canton de Genève la place dans le chapitre
consacré aux autorités, mais renvoie pour les détails
à la loi cantonale sur la commission de surveillance des professions de
la santé et des droits des patients. Les cantons de Fribourg, du Jura et
du Valais préfèrent la placer, respectivement, pour les deux
premiers dans les dispositions concernant les droits des patients et, pour le
troisième, dans celles concernant la relation entre les patients,
professionnels de la santé et établissements
sanitaires»91.
Hormis l'exemple vaudois92 qui relie le
médiateur aux deux commissions d'examen des plaintes, la
médiation dans les autres cantons est articulée à la
commission de surveillance des professionnels de la santé et des droits
des patients de manière plus ou moins accentuée. Cette relation
est perceptible au
90 Loi VS sur la santé du 9
février 1996 (RSVS 800.01) / Loi FR sur la santé du 16 novembre
1999 (RSF 821.0.1) / Loi VD sur la santé publique du 29 mai 1985,
modifiée le 19 mars 2002 (RSV 800.01) / Loi GE sur la santé du 7
avril 2006 (RSG K 1 03) / Loi JU du 14 décembre 1990, modifiée le
20 décembre 2006 (RSJU 810.01)
91 J. Gagnebin in «Médiation
et santé», actes du colloque CEMAJ-IDS, 1er juin 2007,
Ed. Weblaw Berne, Schulthess Zürich Bâle, 2008, pp.55-56
92 Vaud : Règlement du 17 mars 2004 sur le
médiateur, l'organisation des commissions d'examen et des plaintes
de patients, le fonctionnement du Conseil d'Etat et la procédure en
matière de sanctions et de retrait d'autorisation
travers des règles d'application qui concernent le statut
du médiateur, ses compétences et la procédure de
médiation93.
La définition de la médiation n'apparaît
pas dans les législations et les termes utilisés dans les textes
pour qualifier le conflit et réglementer la procédure rappellent
une approche plus juridique qu'amiable : «litige, affaire, convocation,
citation, assignation, instruction, comparaître, négociation,
conciliation ». A cet égard, Johanne Gagnebin estime qu'il est
rendu difficile aux patients et professionnels de la santé de se situer
par rapport à la conciliation ou l'arbitrage, de se faire une
idée précise de la médiation et d'en mesurer les avantages
spécifiques. Cette confusion pourrait être renforcée par la
possibilité d'assistance juridique prévue dans les dispositions
jurassienne, valaisanne et fribourgeoise. La présence d'un juriste dans
le processus risque de dénaturer les objectifs de la médiation
-qui rappelons-le, consistent en la restauration de la communication, la
réappropriation du conflit par les parties, la recherche commune de
solutions et la restauration du lien social- par une approche plus juridique
que communicationnelle,
Concernant la formation du médiateur, la loi
jurassienne définit les compétences requises pour la fonction de
médiation à l'art. 4, al. 3 de l'Ordonnance sur les droits des
patients : formation sans précision, expériences et
compétences relationnelles.
Les dispositions genevoises à cet égard sont les
plus complètes, les critères de sélection étant
liés à l'inscription du médiateur sur une liste de
professionnels agréés par le Conseil d'Etat94.
En ce qui concerne les droits des patients, nous relevons que
trois lois sur cinq contiennent les neufs droits élaborés par
Sanimédia, le Jura et le Valais n'ayant
93 Genève : loi sur la commission de surveillance
des professionnels de la santé et des droits des patients, du 7 avril
2006 (K 3 03) et le règlement sur la constitution et le fonctionnement
de la commission de surveillance des professionnels de la santé, du 22
août 2006 (K 3 03.01) / Fribourg : règlement du 21 novembre 2000
concernant les fournisseurs de soins et la commission de surveillance (RSF
821.0.12) / Valais : ordonnance du 20 novembre 1996 sur l'exercice des
professions de la santé et leur surveillance (RSVS 811.10) / Jura :
ordonnance du 24 avril 2007 concernant les droits des patients (RSJU 810.021)
qui réglemente aussi les compétences du médiateur et la
procédure face à l'autorité de surveillance des
professions de la santé
94 RComPS GE, art. 9, al. 4, lettres a -f
pas retenu d'articles concernant le droit d'être
accompagné. Enfin, si le canton de Genève assimile l'approche en
médiation à la gestion des conflits opposant patients et
professionnels de la santé dans une logique d'intérêt
public, les quatre autres cantons la relient à la protection des
citoyens et à la promotion des droits des patients dans les cas vaudois
et fribourgeois.
Aucune législation ne prévoit une reliance entre
la gestion des plaintes, l'instance de médiation et un processus
d'amélioration des prestations de soins.
Une corrélation plus ou moins proche entre le gouvernement
et la fonction de médiation existe dans les cinq cantons :
o les Conseils d'Etat vaudois, jurassien et valaisan
détiennent le pouvoir de
nommer le médiateur avec une spécificité
vaudoise : le tiers est
préalablement désigné par la Commission
d'examen des plaintes;
o la commission de surveillance fribourgeoise nomme un de ses
membres;
o le médiateur genevois prête serment devant le
Conseil d'Etat avant de
s'inscrire sur un tableau de médiateurs
agréés.
Le rapport de dépendance accru, perceptible dans les
modèles des cantons de Vaud, Jura, Valais et Fribourg, pourrait mettre
en question les notions d'indépendance et de confidentialité
indispensables à l'exercice de la médiation. Il faut relever que
les lois vaudoise95 et genevoise96 stipulent clairement
la notion d'indépendance du médiateur face aux autorités,
l'exemple vaudois allant jusqu'à définir cette
indépendance au niveau du fonctionnement global. Les dispositions
genevoises limitent le temps de procédure à trois mois,
prévoient la transmission de l'accord pour information au bureau de la
commission de surveillance qui peut interrompre ladite procédure en cas
d'intérêt public97, respectant l'autonomie du
médiateur au sein du processus. Seul Genève s'assure de l'absence
de pouvoir du médiateur sur les parties98.
95 LSP VD, art. 15a, al.2
96 RComPS GE , art. 10, al.1
97 LCSPSDP GE, art. 16, al.1, 2, 3,
5
98 Op cit
L'on peut donc admettre que les modèles des cantons de
Vaud et de Genève respectent de manière plus tangible que les
trois autres les aspects d'indépendance et de confidentialité
propres à la médiation.
Enfin, la possibilité de saisir directement l'instance
de médiation existe dans quatre cantons, la commission de surveillance
genevoise étant habilitée à recevoir toute plainte et, le
cas échéant, à orienter le patient vers un
médiateur agréé. Dans ce cas seulement, la
procédure genevoise est gratuite. Le Valais prévoit un
«modeste émolument», alors que les trois cantons restants
stipulent clairement la gratuité de la procédure dans leurs
textes.
|