Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§4. L'IsraëlLe choix de l'Etat d'Israël pour illustrer un des avatars du modèle américain est symbolique d'un Etat qui fonctionne de manière tout à fait atypique mais qui est cependant une démocratie. L'Etat d'Israël se caractérise, aux dires d'Olivier Duhamel, par un pluralisme partisan fondé sur le mode de l'élection proportionnelle qui pose un véritable problème de démocratie dirigée sans détruire le pluralisme.189(*)Il y a donc un proportionnalisme absolu et un parlementarisme intégral. Nous soulignons ces deux caractéristiques du système politique israélien car l'Etat d'Israël n'a pas de constitution et pourtant il construit un droit constitutionnel. Ceci pourrait paraitre paradoxal dans la mesure où, dans l'absence d'une constitution écrite, il est exclu qu'un contrôle juridictionnel des lois soit envisageable lorsque le législateur est in fine le véritable constituant. L'on sait qu'Israël est né dans la douleur de la guerre, et pour ainsi dire, à la force de l'épée. Dans ces circonstances, l'établissement d'une constitution écrite est une préoccupation tellement secondaire que même les partisans du texte écrit restent comme hypnotisés par la survie de la Nation qui passe alors pour tous comme la seule et unique question de l'Etat et de la Nation. La doctrine ajoute à cette constatation purement matérielle une justification philosophique majeure : en effet, dans un pays foncièrement religieux, est-il concevable d'avoir une loi supérieure à la seule loi divine, la Torah ? Par nécessité donc, il a toujours été évité d'élaborer une constitution écrite car une déclaration des droits pourrait consacrer la laïcité de l'Etat que les intégristes rabbiniques de tous bords abhorrent, à tort ou à raison. 190(*) Il faut noter que selon la résolution Harari prise en date du 13 juin 1950 par la première Knesset , élue comme constituante, il a été admis que « la Constitution de l'Etat sera élaborée chapitre par chapitre, de telle sorte que chacun d'entre eux constitue une loi fondamentale par lui-même. Les chapitres seront présentés à la Knesset au fur et à mesure que la Commission de la Constitution achèvera son oeuvre. Les chapitres seront assemblés et formeront la Constitution de l'Etat ». En vertu donc de ce compromis, l'Etat d'Israël est pourvu d'une constitution en tranches, par étapes, en adoptant, matière par matière, des lois fondamentales. Adoptées sur présentation de la Commission parlementaire permanente dite de la Constitution, des lois et du pouvoir judiciaire, ces lois fondamentales sont votées à la majorité des membres de la Knesset qui fixent ainsi dans chaque loi fondamentale les conditions de révision, certains articles exigeant une majorité absolue des membres soit 61 voix. Toutes les dispositions de ces lois fondamentales n'étant pas protégées, elles restent donc sujettes à révision par une majorité simple. Ce qui pose le problème de la valeur constitutionnelle desdites lois fondamentales. La Cour suprême a cependant tranché en opinant que les lois fondamentales ne sont pas des lois constitutionnelles et que seuls les articles rigides c'est-à-dire spécialement protégés exigeaient pour être modifiés la majorité qualifiée.191(*) Le professeur Olivier Duhamel, avec son humour de conteur, de s'exclamer, à raison : une loi ordinaire peut modifier une loi fondamentale, à condition que les dispositions litigieuses aient été adoptées à la majorité absolue. Dans ce contexte, ne s'agit-il pas d'une « curieuse introduction de contrôle de constitutionnalité par une conception très restrictive des normes constitutionnelles dans un pays sans constitution » ?192(*) N'eut-été l'ingéniosité des juristes, le système serait sclérosé. Car tout le rôle de la Cour suprême se limiterait à savoir quelles lois ou parties des lois fondamentales sont rigides et tel rôle, avouons-le, est loin de rapprocher la Cour suprême israélienne des prévisions du modèle américain. En effet, l'article 20(a) de la loi fondamentale sur le pouvoir judicaire pose clairement que « tout précédent jugé par un tribunal supérieur oblige un tribunal inférieur. (b)Une doctrine établie par la Cour suprême oblige tout tribunal, à l'exception de la Cour suprême elle-même ». Cette caractéristique du stare decisis rattache institutionnellement et intellectuellement la justice constitutionnelle israélienne au modèle américain. D'autant que les meilleurs juristes de ce pays sortent des écoles de droit américaines et importent presque inconsciemment le modèle secrété par les manuels de droit constitutionnel de leur alma mater. Ce système plutôt pragmatique que positiviste à la romano-germanique est fondé sur le crédit attaché à la décision tout entière. En effet, les motifs lient autant que le dispositif dans le droit israélien cependant seule la ratio decidendi a valeur de précédent en ce qu'elle constitue le support nécessaire de la décision et finalement de la règle posée par le juge. En revanche, l'obiter dictum ou motif surabondant ou incident ne lie pas. Le droit israélien est ainsi comme tout droit anglo-saxon un droit plutôt coutumier et jurisprudentiel. En Israël, il n'est pas inutile d'observer que le législateur est sous la coupe des partis religieux tandis que la Cour suprême maintient une conception plutôt laïque de la démocratie. En cela donc, elle est une véritable juridiction constitutionnelle. Par ailleurs, sans toujours entrer en affrontement avec le législateur, la Cour suprême construit un droit constitutionnel substantiel des droits de l'homme pour lequel le juge Aharon Barak dit qu'il y a désormais un point d'appui pour décider de la valeur de la législation. Le juge suprême reconnaissant le caractère fondamental à telle loi sur les droits de l'homme l'érige en norme constitutionnelle qui doit s'imposer au législateur ordinaire. 193(*) De la sorte, il y a un contrôle de constitutionnalité. Cela est d'autant affirmé que la loi fondamentale sur la liberté professionnelle de 1990 contient une disposition énonçant que « toute atteinte aux droits définis dans la présente loi fondamentale ne pourra dériver d'une loi qui est conforme aux valeurs de l'Etat d'Israël, qui intervient dans un but approprié et dans une mesure qui n'excède pas ce qui est nécessaire ».194(*) La question essentielle qui est à la fois une grande porte entrouverte est celle de déterminer les valeurs de l'Etat d'Israël. Si cette ouverture peut aider le juge suprême à déclarer inconstitutionnels les mouvements intégristes de tout bord, il n'est pas du moins en théorie exclu que les juges imbus d'autres valeurs soient eux-mêmes entrain d'élaborer un catéchisme des valeurs auxquels sociologiquement n'aurait pas adhéré le peuple juif.195(*) Une prudence s'impose de toute évidence de la part d'un peuple dont l'histoire millénaire est une illustration toute biblique de la négation des droits de l'homme même par ses propres nationaux. C'est la sempiternelle question du contrôle du contrôleur. Cette question trouve-elle une réponse diamétralement opposée dans le modèle né en Europe ? * 189 DUHAMEL (O.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Seuil, 2009, p.319. * 190 DUHAMEL (O.), op.cit, p.328. * 191 Il s'agit de l'arrêt Bergman de 1969 qui constitue en droit juif moderne la décision fondatrice du droit constitutionnel de ce pays. L'énoncé de cette décision paraît dénué de précision méthodologique mais les sous-entendus du discours sont d'une clarté diamantine dans la mesure où ils affirment de façon plutôt audible que seule la Knesset est souveraine sous l'autorité de la Thora. * 192 Idem, p.329. * 193 BARAK (A.), « La révolution constitutionnelle, la protection des droits fondamentaux », Mishpat Oumimshal, Revue de la faculté de droit de l'Université de Haïfa, n°1,1992,pp.9-35, introduction et traduction par Claude Klein, Pouvoirs, n°72, Israël, Paris, Seuil, 1995 cité par Olivier DUHAMEL, Droit constitutionnel...,op.cit, p.331. Consulter aussi www.revue-pouvoirs.fr * 194 Lire KLEIN (C.), Le Droit israélien, collection Que sais-je ?, n°2512, Paris, PUF, 1990, 128 pp. * 195 KLEIN (C.), La démocratie d'Israël, Paris, Seuil, 1997. |
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