Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§3. La mise en état de la causeLorsque les parties ont ainsi mis la cause en l'état de recevoir jugement en échangeant les pièces sur lesquelles elles entendent élever et soutenir leurs prétentions, les débats oraux doivent avoir lieu pour l'exposé solennel des prétentions. La question des débats judicaires est d'une importance capitale. Non seulement qu'il s'agit d'une garantie procédurale accordée au procès, pour sécuriser le juge, les parties et même le public qui prend part à l'audience. En effet, de la part d'un peuple qui fonctionne sur le mode de l'oralité, les débats judiciaires prennent une dimension spirituelle essentielle. La parole créatrice et purificatrice de l'Afrique sort des abysses des nuits de notre histoire pour retrouver ainsi comme par une sorte d'osmose la vertu purgative que ne possède pas l'écrit. Le futur législateur organique a sans conteste opté pour un débat oral. C'est le lieu de critiquer sans ambages une pratique somme toute de banditisme judiciaire qui consiste à rendre des arrêts sans entendre les parties sur leurs prétentions en prétextant que les écritures suffiraient.1055(*) Telle pratique doit être découragée car elle laisse au peuple le sentiment d'une oeuvre inachevée et du point de vue juridique viole sans atermoiement l'article 15 du code de procédure civile et les dispositions de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui posent les principes d'un procès équitable.1056(*) B. Problématique de la représentation des parties par les Avocats devant la Cour constitutionnelle Le législateur organique à venir a pris l'option de rendre le ministère de l'avocat facultatif devant la Cour constitutionnelle. Nous prenons le parti de ceux qui pensent qu'en raison du caractère très technique que soulève le contentieux constitutionnel il est nécessaire d'épargner les juges des verbiages nombreux et imprécis des profanes. S'agissant d'un débat technique, les profanes ont la vertu pécheresse d'obscurcir les notions les plus simples. Aussi, faut-il les écarter de la manière la plus totale des marches du palais de justice pour n'y laisser que des initiés. C'est d'ailleurs ce que l'on fait en matière de cassation. En droit comparé, par exemple au Congo-Brazzaville, la postulation devant la Cour d'appel est obligatoirement confiée à l'avocat.1057(*) Cette tendance doit être encouragée et poursuivie car elle simplifie les questions de droit et permet ainsi des jugements clairs et transparents. En effet, les avocats sont classés en ordres professionnels pour garantir un certain niveau de compétence. Si le jeune licencié en droit passe par un stage professionnel préparatoire de plus ou moins quatre ans pour être admis au tableau de l'ordre devant une Cour d'appel, il est à noter qu'il lui faut une publication en matière juridique et une ancienneté de dix ans au moins pour prétendre être admis au barreau près la Cour suprême de justice siégeant comme Cour de cassation. A plus forte raison, comment peut-on laisser un prétoire aussi spécialisé totalement ouvert à des plaideurs novices ou à des avocats chevronnés mais qui ne possèdent que des vagues et lointains souvenirs du droit public. La nécessité se fait sentir de créer à défaut un barreau des spécialistes devant la Cour constitutionnelle. Il va d'ailleurs de soi que les conditions de recrutement des juges comme celles du procureur général mettent la barre assez haut pour que le barreau qui est le pendant naturel de la justice soit ravalé au niveau de la simple licence en droit.1058(*) A défaut de créer un barreau spécifique, nous pensons qu'il est possible de n'autoriser, comme le prévoyait du reste le projet de constitution de la Conférence nationale souveraine, que l'assistance des avocats ayant au moins quinze ans d'ancienneté.1059(*) Il n'est pas inutile d'exiger que ces avocats chevronnés aient un diplôme d'études supérieures en droit public, ce qui les rendrait plus attentifs aux questions de cette branche de droit. En plus, le diplôme d'études supérieures aurait du même coup une autre finalité professionnelle qu'il n'a pas à ce jour. En effet, au sortir de la licence, le jeune licencié frais émoulu de l'université semble garder des souvenirs vagues et lointains du droit constitutionnel qu'il aura vu en première année de graduat en droit avant de finir ses études totalement imbu des connaissances de droit privé. Cette formation ne garantira pas une bonne qualité de justice constitutionnelle. Il faut donc une réforme de l'enseignement universitaire du droit dans le sens d'une synergie avec la demande sociale que la société présente à l'endroit de l'université congolaise. Enfin, il est plus qu'utile qu'un cours de contentieux constitutionnel à l'instar de celui de contentieux administratif soit dispensé soit en deuxième licence en droit tout au moins au niveau du diplôme d'études supérieures pour former de véritables spécialistes de la question. La justice spécialisée doit être servie par des avocats et des juges spécialisés. Cette question mérite une attention particulière de la part du législateur car autrement, c'est transposer les tares que l'on déplore déjà au niveau de la Cour suprême de justice devant la plus haute juridiction du pays. L'avenir du droit passe par là. C'est dans l'intérêt bien compris des parties à l'instance et de la justice. Il reste cependant une question à se poser : est-il permis à un tiers d'intervenir dans le procès constitutionnel comme il s'agit d'amicus curiae dans le droit anglo-saxon ?1060(*) * 1055 Nous faisons allusion ici au procès Makila Sumanda, Gouverneur de l'Equateur, qui a donné lieu à un prononcé sans que les parties n'aient vidé leurs arguments par écrit ni même plaidé devant la Cour suprême de justice. * 1056 Lire dans ce sens, MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, Louvain-la-neuve, Kinshasa, Academia-Bruylant, DIN, 2002. * 1057 Nous le tenons de notre propre pratique professionnelle d'avocat international. * 1058 Tout le monde déplore la baisse du niveau de cette licence depuis quelques années. Il serait paradoxal de confier de hautes charges à des personnes peu qualifiées. C'est le meilleur moyen de discréditer l'institution. * 1059 Lire article 138, alinéa 1er in fine du projet de constitution de la République fédérale du Congo, Kinshasa, Palais du peuple, novembre 1992, p.84. * 1060 Lire à ce sujet le Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui prévoit notamment l'institution anglo-saxonne d'amicus curiae. |
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