Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§2. Le BrésilLe phénomène de réception fort connu des comparatistes est remarquable dans le cas d'expansion continue de la justice constitutionnelle dans le pays d'Amérique latine. En effet, il est généralement retenu que l'ouvrage célèbre d'Alexis de Tocqueville intitulé : « De la démocratie en Amérique » a exercé une influence indéniable sur les pays latino-américains en ce qui est de l'institution de la justice constitutionnelle. Cependant, au-delà de cette influence plutôt doctrinale, il y a lieu de retenir que le Brésil, tout comme le Mexique, l'Argentine et la République dominicaine sont des Etats ayant adopté le système nord-américain de justice constitutionnelle.178(*) Le Brésil a, en particulier, adopté le principe américain du contrôle par n'importe quel juge de la constitutionnalité de tous les actes publics, y compris des lois. Il faut d'emblée affirmer cependant que le droit brésilien fait partie intégrante du droit romano-germanique ; ceci fait sans doute que toutes les règles procédurales du droit des Etats-Unis ne furent nullement reprises par le système brésilien qui par contre a emprunté du droit mexicain le recours en amparo qui est une inspiration latino-américaine de la procédure d'Habeas corpus issue du Common law. En effet, ce recours permet à tout plaideur d'obtenir d'une juridiction fédérale la protection d'un droit constitutionnellement garanti contre un acte juridictionnel ou administratif. Il est entendu que la loi ainsi jugée d'inconstitutionnelle doit être écartée au litige dont est saisi le juge. Le Brésil comme tous les Etats d'Amérique latine a adopté des traits saillants du modèle américain surtout en ce qui concerne le contentieux de la constitutionnalité des lois ; toutefois, il faut voir que ce pays a d'abord institué le contrôle incident de la constitutionnalité des lois bien avant d'instituer une Cour constitutionnelle qui est compétente entre autres pour recevoir des actions en inconstitutionnalité des lois. Comme toute action en justice, ces actions requièrent du particulier qui les met en mouvement d'être titulaire d'un intérêt personnel et direct. L'on doit, à la vérité, de dire que ces procédures ne sont pas loin de ressembler aux procédés américains d'injonctions que le juge de ce pays peut adresser à une autorité publique américaine de faire ou de ne pas faire quelque chose. Elles ont ceci de commun avec le droit américain : elles sont l'oeuvre d'un particulier qui défend en justice des droits personnels de même que l'on peut observer le caractère inter partes de la décision juridictionnelle. Une influence du modèle européen s'est exercée sur les pays d'Amérique latine conduisant ces derniers, dont le Brésil a confié le contrôle de constitutionnalité à un juge unique : cour constitutionnelle ou cour suprême. L'on note que la concentration dudit contentieux entre les mains de la Cour suprême est partielle puisque, dit Michel Fromont, le contrôle incident de la constitutionnalité reste aux mains des tribunaux ordinaires de tout rang.179(*) Depuis une quarantaine d'années, le Brésil, tout comme les autres pays d'Amérique latine, s'est rapproché de l'Europe sur le plan de la justice constitutionnelle en instituant notamment des procédures spécifiques de contentieux constitutionnel qui possèdent les caractères objectif et abstrait du modèle européen. Ces procédés peuvent être mus par les autorités politiques ou judiciaires ou parfois même par les particuliers, citoyens intéressés. Ils visent à obtenir l'annulation de l'acte public avec effet erga omnes incompatible avec le système américain qui n'accepte cette caractéristique qu'en raison de la règle du précédent. L'originalité du système brésilien, c'est aussi que tout juge brésilien est tenu de soulever d'office l'exception d'inconstitutionnalité de la loi qu'il doit appliquer au litige dont il est saisi. Il faut ajouter, à ce niveau, que le système brésilien est plutôt marqué par le recours d'amparo. Né au Mexique, ce recours a connu son bonheur au Brésil par l'adoption de la loi de 1934. Ce texte a multiplié des recours qui, tous, jouent le même rôle ; il s'agit du recours d'habeas corpus en matière de liberté de circulation, du recours de segurança, de recours d'habeas data ainsi que la demande d'injonction auprès du juge instituée par la Constitution brésilienne de 1988. Malgré la parenté génétique du recours d'amparo avec l'habeas corpus du droit américain, il sied de constater que ce recours est plutôt proche de l'injonction nord-américaine qui se fonde sur la violation d'un droit garanti soit par la constitution soit par une loi alors que l'amparo ne porte que sur les droits constitutionnellement garantis. Le recours d'amparo nous paraît plus spécialisé comme voie de droit. Il s'éloigne cependant du moule européen car le recours d'amparo contrairement au recours individuel pour violation des droits constitutionnellement garantis pratiqué en Europe, en Allemagne par exemple, reste ouvert contre tout acte public, qu'il soit législatif, administratif ou même juridictionnel. Au demeurant, le recours d'amparo garde son caractère parallèle aux autres contentieux alors qu'en Europe, en Suisse ou en Allemagne par exemple, le recours individuel pour violation d'un droit constitutionnellement garanti n'est ouvert qu'à titre subsidiaire. Ce recours brésilien n'aboutit du reste qu'à une annulation inter partes. De même, l'on peut noter que les recours de segurança et d'habeas corpus peuvent être portés devant tout juge ordinaire fédéral et être dirigés contre tout acte public quel qu'il soit : jugement ou acte administratif. Au-delà du contentieux de la constitutionnalité qui n'est du reste qu'un aspect du contentieux constitutionnel, il reste à voir que le constituant brésilien a confié le règlement des litiges pouvant naître du partage des compétences entre l'Etat et ses collectivités composantes au Tribunal fédéral suprême. Ainsi l'article 102-1 f de la Constitution brésilienne fait obligation à l'Etat avant d'intervenir dans un Etat membre pour imposer le respect des principes fondamentaux de la constitution fédérale, de provoquer une décision d'inconstitutionnalité de l'acte de cet Etat membre par le Tribunal fédéral suprême. Observons toutefois que l'action conduisant au contrôle abstrait postérieur des règles de droit est réservée aux plus hautes autorités politiques de l'Etat. Ainsi, une action directe tendant à faire constater l'inconstitutionnalité d'une loi ou d'un autre acte normatif fédéral ou étatique peut être formée directement auprès du Tribunal fédéral suprême par le Président de la République, le bureau de l'une des chambres fédérales, le Gouverneur de l'un des Etats membres, le Procureur général de la République, le Conseil fédéral de l'ordre des avocats, tout parti politique ou syndicat ayant une représentation dans les organes nationaux. En termes conclusifs, il est intéressant de voir que malgré la parenté génétique du Tribunal fédéral suprême brésilien avec la Cour suprême des Etats-Unis, le Brésil a su marquer ses distances culturelles qui s'interprètent comme autant des socles sur lesquels sont venus s'incruster la logique judéo-chrétienne catholique et l'appartenance plus ou moins proche avec le Portugal. Le système de contrôle ainsi mis en place est mixte et métissé comme le pays lui-même. Ainsi, la leçon que l'on pourrait en tirer est que chaque pays doit savoir tirer des expériences constitutionnelles des autres ce qui lui est utile et le mixer avec son patrimoine culturel propre. En est-il de même du Japon ? * 178 Voir FROMONT (M.), La justice constitutionnelle dans le monde, Paris, Dalloz, 1996, pp.12, 28 et s. * 179 FROMONT (M.), op. cit, p.29. |
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