CHAPITRE III :
PROCEDURE DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL
La procédure est comme tout juriste le sait la clef de
voute d'un système juridictionnel. En effet, sans procédure
expressément prévue dans la loi, les velléités
dictatoriales qui sommeillent dans chaque juge pourraient bien lui dicter des
énormités. Aussi, le législateur a-t-il
arrêté dans le cadre de ce système une procédure
à suivre tant pour saisir le juge que pour exécuter les
décisions qu'il aura au départ rendues.
Il s'agira donc ici d'étudier dans un premier moment
les recours organisés devant le juge constitutionnel en ce qui est de la
procédure juridictionnelle et dans un second mouvement, les conditions
de recevabilité et de mise en état de la cause devant ce juge.
Voyons dès lors en détail comment s'organise la
saisine du juge constitutionnel dans les différentes matières
dont il doit connaitre en tant qu'il exerce sa fonction juridictionnelle.
Section 1 : LES RECOURS
DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL
Le constituant congolais a prévu dans les dispositions
pertinentes982(*) de la
Constitution du 18 février 2006 un certain nombre des compétences
qui nécessitent pour leur exercice par la haute Cour une saisine
particulière. C'est cette saisine que la doctrine qualifie d'ensemble
d'actes de procédure pour porter un litige devant le juge qui fera
l'objet des paragraphes qui suivent. Par ailleurs, chacun de paragraphes
traitera un mode de saisine relatif à une matière de la
compétence de la haute Cour précédemment
étudiée.
Commençons par le noeud gordien du contentieux
constitutionnel qui est le contrôle de constitutionnalité des
lois.
§1. En matière de
contrôle de constitutionnalité des lois
Deux hypothèses sont susceptibles de survenir en cette
matière, soit qu'il s'agit d'une action directe en
inconstitutionnalité, soit qu'il s'agit alors d'un incident
d'inconstitutionnalité soulevé à l'occasion d'une instance
ordinaire devant un juge non constitutionnel. Nous envisageons ici les deux
hypothèses et nous y consacrons deux points suivants.
A. Cas de l'action en inconstitutionnalité
L'hypothèse de l'action en inconstitutionnalité
est couverte par les dispositions de l'article 162, alinéa 2 de la
Constitution. En outre, elle recouvre deux occurrences, celle du contrôle
a priori et celle du contrôle à posteriori.
1. Hypothèse du
contrôle à priori
Le contrôle de constitutionnalité étant
ouvert contre les lois et les règlements dont nous avons parlé au
chapitre précédent, le constituant a réservé
l'initiative du contrôle a priori aux seules autorités publiques,
écartant ainsi les particuliers du cercle des personnes
qualifiées pour saisir le juge constitutionnel. En effet, s'agit des
actes juridiques en chantier, il est plus logique que ce soient les
autorités politiques elles-mêmes au courant de ces textes en
chantier qui soient habilitées à en empêcher la naissance
juridique.
Il en est ainsi des lois organiques qui sont obligatoirement
soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle avant leur
promulgation, sur pied de l'article 160 ; alinéa 2 de la
Constitution. La saisine dans cette occurrence est l'oeuvre du Président
de la République auquel le tertio de l'article 124 de la Constitution
confère cette compétence. Lorsqu'il s'agit du règlement
intérieur des chambres parlementaires ou du Congrès, la saisine
revient au Président de la chambre concernée ou, en ce qui est du
congrès, à son Président. Il en est de même des
règlements des autorités administratives indépendantes que
nous avons analysées au chapitre précédent.
Il est également possible au regard de notre
ordonnancement juridique que les lois ordinaires puissent également
faire l'objet d'un contrôle a priori. En effet, aux termes de
l'article 160, alinéa 3 de la Constitution, les lois peuvent être
déférées avant leur promulgation par le Président
de la République, le Premier ministre, le Président de
l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou le
dixième des députés ou des sénateurs.
Dans toutes ces occurrences, la saisine appartient aux
autorités politiques qualifiées qui doivent agir par voie de
requête en inconstitutionnalité. Il n'est pas indifférent
de remarquer que cette possibilité d'empêcher la loi de naitre
juridiquement est une arme politique dont la minorité dans les chambres
ne peut s'interdire l'usage. Le droit public congolais connait
déjà un cas qui a malheureusement abouti à une
décision d'irrecevabilité. C'est le RConst 06/TSR du 24 mars
2004.
En date du 11 mars 2004, les honorables députés
Kazadi Nanshabolowa, Jean Mubanga Kabobela, Alphonse Lupumba Kamanda, Bruno
Mukadi et Flory Sekelay ont sollicité l'examen de la conformité
à la Constitution de la Transition de la loi portant organisation et
fonctionnement des partis politiques.
Enrôlée sous R.Const.06/TSR, la requête du
23 décembre 2003 émanant d'une poignée des parlementaires
a donné lieu à un arrêt de principe de la Cour
Suprême de Justice, qu'il convient de commenter avant de donner notre
position.
Le mode de saisine pratiqué par les parlementaires
n'appelle nullement de commentaires particuliers dans la mesure où ils
ont agi par voie de requête prévue à l'article 131 de la
Constitution de la transition.
L'étude de cet arrêt présente
néanmoins un intérêt majeur car il s'agit du premier
antécédent jurisprudentiel du recours formé par les
députés contre une loi dont ils n'ont pu empêcher
l'adoption au niveau de l'Assemblée Nationale.
De ce point de vue, l'on peut apprécier
l'efficacité de ce moyen de contrôle exercé par une
minorité politique pendant la période de transition. La logique
caporaliste des composantes semble émasculer l'efficacité d'une
telle procédure.
Il reste à voir si cette requête a répondu
aux exigences de forme et de fond portées par l'Ordonnance-loi relative
à la procédure devant la Cour suprême de justice.
Dans son arrêt R.CONST. 06/TSR du 24 mars 2004, la Cour
Suprême de Justice relève que « s'agissant de la
recevabilité du recours en appréciation de la conformité
d'une loi à la constitution, l'article 131 de cette loi fondamentale
pose deux conditions aux députés désireux d'engager cette
procédure, à savoir :
a. Le recours doit être formé par un nombre
de députés au moins égal au dixième des membres de
l'Assemblée Nationale
b. Le recours doit être introduit dans le
délai de six jours francs qui suivent son adoption
définitive.
Elle constate en outre que dans l'espèce
examinée, « aucune de ces deux conditions n'a
été respectée » en ce que d'une part,
« le recours du 11 mars a été introduit au-delà
de six jours francs fixés par l'article 131 de la Constitution, et qu'il
a été signé d'autre part par cinq députés
sur les cinq cent que comprend l'Assemblée
Nationale ».
Aussi, la Haute Cour, toutes sections réunies et
siégeant en matière d'appréciation de la conformité
des lois à la constitution, a-t-elle déclaré irrecevable
le recours introduit par les requérants pour non respect des conditions
fixées par l'article 131 de la Constitution du 4 avril 2003.
L'article 131 de la Constitution du 4 avril 2003 dispose que
« la Cour Suprême de Justice peut être saisie d'un
recours visant à faire déclarer une loi non conforme à la
Constitution de la Transition notamment par un nombre de députés
au moins égal au dixième des membres de l'Assemblée
Nationale, dans les six jours francs qui suivent son adoption
définitive ».
De cette disposition, il découle que tout recours
soumis à l'appréciation de la Cour en cette matière, doit
répondre aux trois conditions non alternatives suivantes, à
savoir : la signature du recours par un dixième au moins des
membres de l'Assemblée Nationale ; l'adoption définitive
d'une loi par l'Assemblée Nationale et le respect du délai de six
jours francs courant à partir de l'adoption de loi.
Dans l'espèce examinée, il ressort qu'aucune de
ces conditions n'a été respectée par les
représentants, et que c'est à bon droit que la Cour Suprême
de Justice a décrété l'irrecevabilité de la susdite
requête. 983(*)
L'examen de ce cas nous a permis de relever que dans
l'arrêt R.Const 06/TSR, la Cour Suprême de Justice a
été autant rigoureuse qu'impartiale. Il faut préciser
d'emblée que les notions de courage et de vertu ressortissent du langage
moral. Mais la justice n'est-elle pas finalement une question
éthique ? La symbolique de la justice n'est-elle pas deux plateaux
soutenus au milieu par un glaive, c'est-à-dire le fait et le droit
soutenus par la puissance publique (l'imperium) ? Lorsqu'au mépris
de cette logique de justice le droit est dit, il n'est pas rare de constater
qu'il est contesté et méprisé, à son tour, perdant
ainsi son caractère normatif au seul profit de son apparat
autoritaire.984(*)
Nous ne pouvons pas perdre de vue aussi un aspect pratique
susceptible de constituer une tentative d'explication rationnelle de cet
état de choses.
En effet, il n'est pas inutile de constater que la
quasi-totalité de nos hauts magistrats sont des juristes de haut niveau
oeuvrant depuis vingt-cinq ans, en moyenne, dans le domaine de droit
privé et judiciaire sans avoir eu à trancher des matières
de droit public du reste rares devant les juridictions inférieures dont
ils proviennent.
Nous avons ailleurs dit que ce cas est symptomatique de la
situation politique qui prévalait lors de la transition politique
d'après Sun City. Et c'est le paradoxe de base du contentieux
constitutionnel : les horreurs engendrent le développement de la
justice constitutionnelle. 985(*)
2. Occurrence du
contrôle à posteriori
La survenance de cette occurrence postule que la loi a
été votée et promulguée par le Chef de l'Etat alors
qu'elle est infectée des vices d'inconstitutionnalité. Dans ce
cas, toute personne a le droit de saisine vis-à-vis des lois
déjà étudiées qu'elles soient organiques ou
ordinaires, dans la mesure où elles renferment un vice
d'inconstitutionnalité. 986(*)
Ainsi, il est permis à toute personne de droit public
ou de droit privé, physique ou morale, de saisir le juge par voie de
requête. Signalons que le contrôle a priori qu'une autorité
publique aurait initié devant la haute Cour ne la rend pas inapte
à saisir de nouveau la même juridiction car en effet, la
déclaration de conformité d'une loi organique ne joue pas au
titre d'autorité de la chose jugée. L'explication rationnelle est
qu'agissant sans litige, la Cour constitutionnelle ne fait pas oeuvre
de juge, elle agit en revanche au titre d'autorité constituée
dans un processus législatif prévu par la Constitution.
B. Cas de l'exception
d'inconstitutionnalité
Cette hypothèse est celle prévue par les
dispositions de l'alinéa 3 de l'article 162 de la Constitution. Elle
n'appelle guère de commentaire particulier sauf à remarquer que
la juridiction par devant laquelle est soulevée une exception
d'inconstitutionnalité n'a d'autre ressources juridiques que la
surséance à statuer, toutes affaires cessantes. La question
d'exception concerne une personne qui est partie à un procès et
qui se voit appliquer une loi qu'elle juge inconstitutionnelle.987(*)
C'est ici le lieu de mentionner la problématique
juridique que soulève l'énoncé constitutionnel sur
l'exception d'inconstitutionnalité. En effet, en limitant l'exception
d'inconstitutionnalité à la personne concernée par une
affaire, le constituant semble donc écarter toute intervention
volontaire des tiers.
En d'autres termes, une personne non partie à
l'instance n'a aucune qualité pour soulever cette exception. Or, en
matière civile et administrative, par exemple, l'intervention volontaire
comme la tierce-opposition sont permises de sorte que des tiers plus ou moins
intéressés ont le droit aussi de soulever cette exception.
988(*)
Il ne pourrait en aller autrement dans la mesure où il
n'est pas inutile d'observer que l'exception d'inconstitutionnalité
engendre un contentieux objectif contre la loi ou l'acte réglementaire
dont la nullité est ainsi sollicitée.
Le régime congolais de l'exception
d'inconstitutionnalité qui fonctionne par renvoi préjudiciel
porte une spécificité : non seulement que le texte
trouvé et déclaré inconstitutionnel ne peut être
comme partout ailleurs appliqué à la partie exceptionnelle mais
aussi et surtout le texte constitutionnel postule que la Cour constitutionnelle
statue et rend un arrêt définitif sur cet incident.989(*)
L'on peut de même observer que par la longueur des
délais de prononcé et la chicane parfois non justifiée des
plaideurs, l'on serait amené à considérer l'exception
d'inconstitutionnalité comme une sorte d'arme fatale désorientant
les plaideurs sur le sort de la question principale. Le destin de cette
mécanique procédurale tient sans conteste au respect strict du
délai de trente jours990(*) fixé par le projet de loi
organique.991(*)
Pour résumer, par voie d'exception, la haute Cour est
saisie non d'une requête mais plutôt d'un jugement ou arrêt
avant dire droit ordonnant à la fois la surséance de l'examen de
la question principale et renvoyant la question de constitutionnalité
à la connaissance de la Cour constitutionnelle. 992(*)
* 982 Lire
spécialement les articles 160 à 167 de la Constitution du 18
février 2006.
* 983 Arrêt
inédit.
* 984 L'autorité
est en effet une des caractéristiques de la loi mais l'adhésion
est une constante dans l'histoire qui fait de la loi une oeuvre commune des
gouvernants et des gouvernés.
* 985 Lire KALUBA DIBWA
(D.), La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif
suprême en droit public congolais, op.cit, Kinshasa, éditions
Eucalyptus, 2007.
* 986 Le terme
« actes législatifs » utilisé à
l'article 162 de la Constitution du 18 février 2006 n'est pas de nature
à introduire des distinctions entre les diverses formes de loi. Il
importe seulement au regard du critère formel qu'il s'agisse d'un acte
législatif, c'est-à-dire d'une manifestation de volonté
législative émanant du législateur, ordinaire ou
d'exception, exprimée dans la forme et dans les conditions
prévues par la Constitution.
* 987 Lire AVRIL (P.) et
GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, 7ème
édition corrigée, Paris, PUF, 1998, p.57, v° Exception
d'inconstitutionnalité.
* 988 Voir articles 80 du
code de procédure civile et 84 de la procédure devant la Cour
suprême de justice.
* 989 Saisie par avant
dire droit, la Cour constitutionnelle rend en effet un arrêt qui sera
définitif sur incident vis-à-vis des parties à l'instance
principale qui aura entretemps été suspendue.
* 990 Lire article 160,
alinéa 4, de la Constitution.
* 991 Lire 50 du projet de
loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle, inédit.
* 992 Lire article 162,
alinéa 4, de la Constitution.
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