Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§2. Le constat de la vacance au poste de Président de la RépubliqueConstater la vacance signifier déclarer officiellement le poste vacant, non occupé. Sans rentrer dans la nomenclature de différentes vacances organisées par les constitutions passées de notre pays, l'on peut relever que la Constitution de la transition retenait les cas d'ouverture ci-après pour la vacance au poste de Président de la République : la démission, le décès, l'empêchement définitif, la condamnation pour haute trahison, le détournement des deniers publics, la concussion ou la corruption.701(*) Dans l'occurrence d'un des événements prévus à cette disposition constitutionnelle, le constituant a confié le constat de cette vacance à la compétence exclusive de la Cour suprême de justice saisie par le gouvernement.702(*) Par ailleurs, il importe de noter que sous la première et au début de la seconde République, cette mission était réservée à la Cour constitutionnelle.703(*) Il faut relever pour être complet sur l'historique que cette juridiction fut supprimée par la loi constitutionnelle du 15 août 1974 qui attribua cette compétence au Bureau politique704(*), puis le Comité central hérita de cette prérogative du fait de la révision constitutionnelle du 25 novembre 1980.705(*) A la suite du discours du Président de la République du 24 avril 1990, la révision constitutionnelle du 5 juillet 1990 et l'Acte constitutionnel de la transition confièrent à la Cour suprême de justice cette compétence.706(*) En revanche, le décret-loi n°003 du 27 mai 1997 n'ayant prévu cette procédure, la vacance provoquée par l'assassinat du Président Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier 2001, a été comblée à l'issue d'une procédure anticonstitutionnelle qui a impliqué tous les pouvoirs de l'Etat : le Gouvernement, l'Assemblée constituante et législative - parlement de transition et la Cour suprême de justice. Le constituant de 2006 a aussi disposé qu'en cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d'empêchement, les fonctions de Président de la République, à l'exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 c'est-à-dire le pouvoir de nomination des membres du gouvernement, des hauts cadres du pays et des magistrats, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat. 707(*) Il ressort de la lecture de cette disposition constitutionnelle confirmée d'ailleurs par le texte exprès de la Constitution qu'il s'agit d'une vacance suivie de plano par un intérim constitutionnel. 708(*) L'intérim prend fin par l'élection et la prise de fonction du nouveau Président de la République qui a ainsi un mandat plein. Cette élection, en cas d'empêchement définitif déclaré par la Cour constitutionnelle, doit, sur convocation de la Commission électorale nationale indépendante, avoir lieu soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après l'ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l'empêchement.709(*) A ce niveau, cette disposition appelle un commentaire spécifique en ce qu'elle pose au moins deux questions de droit à savoir : la définition de l'empêchement définitif et la nature juridique de la décision de proroger le délai électoral prévu à cette même disposition. Le constituant congolais ne définit pas l'empêchement définitif. Il se contente d'en déterminer les modalités d'intérim en cas de vacance qu'il provoque sans dire en quoi il consiste. Le recours à la doctrine permet de dire que l'empêchement définitif s'entend d'un « obstacle qui ne permet pas au titulaire d'une fonction publique de l'exercer normalement ».710(*) D'autres auteurs, se fondant sur un critère plutôt organique et formel voient dans l'empêchement « l'impossibilité officiellement constatée pour un gouvernement d'exercer ses fonctions ».711(*) Il convient de souligner que dans le cadre du droit français qui sert de cadre théorique à ces définitions, la distinction est faite entre l'empêchement provisoire ou momentané et l'empêchement définitif ; l'empêchement provisoire entraîne la suppléance par le Premier ministre712(*) tandis que l'empêchement durable provoque l'intérim.713(*) Il apparaît clairement que la distinction tient à l'intensité ou la durée de l'empêchement. Ainsi, la maladie du Président de la République qui l'aliterait pendant plus de six mois pourrait selon les circonstances de l'espèce être retenue comme empêchement définitif. Il faut dire cependant que s'agissant d'une question de fait, elle est laissée à l'appréciation souveraine du juge constitutionnel saisi, dans tous les cas de vacance, par le Gouvernement.714(*) En revanche, les hypothèses d'empêchement peuvent être variées, et difficile également l'appréciation du seuil au-delà duquel un empêchement devient définitif. 715(*) Il faut cependant relever une autre hypothèse qui est sous entendue par cette disposition constitutionnelle : le gouvernement refuse de saisir la Cour constitutionnelle. Il se passera que la situation sera délicate si le gouvernement ne devait pas saisir le juge constitutionnel, soit par calcul politique, soit pour toute autre raison. Sur ce point, qui, il faut le dire, frôlerait le ridicule, la Constitution est muette.716(*) En droit positif congolais, la suppléance qui est provoquée par un empêchement momentané est, au voeu du constituant, confiée au Premier ministre mais sur délégation expresse de pouvoir de convoquer et de présider le Conseil des ministres. A contrario, l'on peut dire que la suppléance de plano n'est pas organisée. Si le Chef de l'Etat n'opère aucune délégation de pouvoir au profit du Premier ministre, en cas de cohabitation des majorités par exemple, ce dernier sera dans l'impossibilité juridique de convoquer et de présider le conseil des ministres. Par ailleurs, avançons que le juge constitutionnel constate la vacance de façon en principe non polémique étant donné le caractère certain de l'événement qui en est la cause : le décès, la démission, à quoi peut être ajoutée une condamnation entraînant la destitution prononcée par la Cour constitutionnelle.717(*) En revanche, même si la délégation de pouvoir qui est une incompétence matérielle qu'une autorité publique s'impose momentanément doit être expresse et non implicite, il convient aussi de noter que l'usage de l'indicatif présent par le constituant entraîne une obligation, dans le chef du Président de la République empêché, de déléguer. En effet, par la délégation de pouvoir, la doctrine la plus éclairée enseigne que l'autorité délégante se dessaisit d'une partie de sa compétence au profit du délégataire. Elle opère ainsi une nouvelle répartition de compétences et, tant qu'elle n'a pas abrogé la délégation, elle ne peut plus intervenir dans le domaine transféré. 718(*) Somme toute, le refus de déléguer pourrait être retenu comme une violation intentionnelle de la Constitution tant cette incartade est constitutive de l'infraction politique de haute trahison, pour briser son inertie, par la Cour constitutionnelle.719(*) Le second problème juridique posé par la lecture de l'article 76 alinéa 3 de la Constitution de la IIIème République est celui de la nature juridique de la décision de proroger le délai électoral prévu par le constituant. Il s'agit, à n'en point douter, d'une décision constituante tant le juge constitutionnel siège comme pouvoir constituant dérivé habilité à modifier le texte de la Constitution en ce qui est du délai constitutionnel de l'élection en cas de vacance provoquée par un empêchement définitif. Cette nature juridique particulière qui est surprenante élève cependant le juge constitutionnel siégeant ici en matière gracieuse en une autorité constituante dérivée d'un type particulier. A deux reprises, le juge constitutionnel congolais a déjà pris la décision de proroger la durée de la transition politique alors que celle-ci était prévue par la Constitution de la transition.720(*) L'on doit indiquer qu'une opinion contraire en droit français estime que l'équivalent de cette disposition dans la Constitution du 4 octobre 1958 accorde plutôt soit une compétence discrétionnaire (alinéas 6 et 10 de l'article 7) soit une compétence liée (les alinéas 7,8 et 9 du même article).721(*) Cette opinion n'emporte pas nos suffrages au double motif qu'elle utilise un vocabulaire propre au droit administratif et voit dans le juge constitutionnel un simple régulateur de l'opération électorale. En effet, les notions de compétence discrétionnaire ou liée dénaturent ici le caractère purement constituant du pouvoir que le constituant originaire accorde au juge constitutionnel. En outre, quelle serait la sanction de l'irrespect de cette compétence liée ou du non usage de la compétence discrétionnaire ? Nous pensons qu'il s'agit de la compétence constitutionnelle accordée au juge non point comme juge car ici il n'exerce aucune activité juridictionnelle au sens strict du terme mais plutôt comme autorité constituante. Autrement, il est théoriquement difficile d'expliquer et de fonder l'autorisation de proroger le délai fixé par la Constitution sans prendre une décision de même nature juridique. Si la nature de cet acte est infraconstitutionnelle, comme semblent le suggérer Messieurs Renoux et de Villiers, il y a lieu de constater qu'elle est incontestablement inconstitutionnelle. Si elle est après tout conforme à la Constitution, c'est parce qu'elle est l'émanation de l'autorisation constituante. Cette autorisation constituante confère, en théorie, une même nature à l'acte qui est pris dans son sillage. Sur le fond, disons qu'en cas de démission ou de décès, le juge constitutionnel constate, d'une part, que sont réunies les conditions prévues à l'article 75 de la Constitution relatives à l'exercice provisoire des fonctions du Président de la République par le Président du Sénat, d'autre part, que s'ouvre, à partir de cette date, le délai fixé par l'article 76 alinéa 3 pour l'élection du nouveau Président de la République.722(*) Il reste le problème du moule juridique d'expression de cette déclaration de vacance. Si en droit français, elle s'énonce sous forme effectivement d'une déclaration en raison du caractère non expressément juridictionnel de cette instance, il importe, chez nous, que la Cour prenne un arrêt car il nous semble être le seul mode d'expression d'une juridiction de ce rang. Par ailleurs, les articles 41 et 42 du projet de loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle se limitent à dire que cette dernière connaît de la vacance et de la prolongation du délai de l'élection du Président de la République. 723(*)Pareille formulation est on ne peut plus mince. Il suffit de se rappeler que la prolongation du délai d'élection est une question proprement politique pour se rendre compte que le futur législateur organique pourrait ajouter quelques mécanismes protecteurs des droits de l'homme comme le siège de la Cour qui doit, en cette matière, se composer en plenum. En conclusion, la déclaration de vacance doit être entendue au sens juridique du terme c'est-à-dire d'une situation juridique qui est constatée et non constituée. Ainsi l'arrêt à rendre par la haute Cour sera déclaratif du décès, de la démission ou de l'empêchement définitif qui auront préalablement existé. La Cour heureusement ne constitue aucun droit nouveau au profit de personne, sauf à étudier plus loin les effets attachés aux décisions de la Cour constitutionnelle à l'égard des tiers.724(*) Il n'en est pas de même en ce qui concerne les arrêts de proclamation des résultats électoraux dont le caractère constitutif va être étudié dans le paragraphe qui suit. * 701 Voy article 66 alinéa 1er de la Constitution de la transition. * 702 Voy article 66 alinéa 2 de la Constitution de la transition. * 703 Voy article 57 alinéa 1er de la Constitution du 1er août 1964 ; article 23 alinéa 1er de la Constitution du 24 juin 1967. * 704 Voy article 33 alinéa 1er de la Constitution révisée par la loi du 15 août 1974. * 705 Voy article 40 de la Loi n°80-012 du 25 septembre 1980 portant révision de la Constitution du 2' juin 1967. * 706 Lire article 54 de l'Acte constitutionnel de la transition de 1994. * 707 Voy article 75 de la Constitution du 18 février 2006. * 708 Voy aussi l'article 76 alinéa 2 de la Constitution. * 709 Voy article 76 alinéa 3 de la Constitution. * 710 Lire AVRIL (P.) et GICQUEL (J.), Lexique. Droit constitutionnel, 7ème édition, Paris, PUF, 1998, p.54, v° Empêchement. * 711 GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), Lexique des termes juridiques, 6ème édition, Paris, Dalloz, 1985, p.186, v° Empêchement. * 712 Voy article 21 in fine de la Constitution française. * 713 Voy article 7 de la Constitution française. * 714 Voy article 76 alinéa 1er in fine de la Constitution du 18 février 2006. * 715 Lire RENOUX (T.S.) et de VILLIERS (M.), Code constitutionnel, op.cit, p.250. * 716 Voir dans ce sens, GICQUEL (J.), Droit constitutionnel et institutions politiques, 10ème édition, Paris, Montchrestien, p.626, note 27. * 717 Voy article 167 alinéa 1er de la Constitution. * 718 Voy VUNDUAWE te PEMAKO (F.), Traité de droit administratif, op.cit, p.679. * 719 Lire article 165 alinéa 1er de la Constitution du 18 février 2006. * 720 Lire Décision conjointe n° 001/DC/AN/SEN/05 du 17 juin 2005 portant prolongation de la durée de la transition et la Décision conjointe n° 002/DC/AN/SEN/05 du 14 décembre 2005 portant prolongation de la transition. * 721 Voy RENOUX (Th.S.) et de VILLIERS (M.), op.cit, p.250. * 722 Voir les Déclarations du Conseil constitutionnel français des 28 avril 1969 et 3 avril 1974, Recueil du Conseil constitutionnel, pp.33 et 65 citées par RENOUX (Th. S.) et de VILLIERS (M.), op.cit, p.249. * 723 Projet de loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, op.cit, p.11. * 724 Lire dans ce sens et à propos de ces effets à l'époque antérieure à la Constitution sous examen, KALUBA DIBWA (D.), « Le contrôle de constitutionnalité des lois et des actes ayant force de lois en droit positif congolais », Revue du Barreau de Kinshasa/Gombe, n°02/2006, pp.1-17. |
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