CHAPITRE IV : QUEL
MODELE POUR LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO ?
Nous savons, depuis le doyen Gicquel, que « le droit
constitutionnel participe de la culture de l'Occident », mais que sa
généralisation ou plutôt son universalisme s'est
opéré au détriment de sa
spécificité485(*) Une telle profession de foi ne peut que faire tiquer
le constitutionnaliste congolais qui se rappellera que déjà
Aristote en classant les Constitutions des cités grecques n'avait pas
omis de les ranger selon le tempérament de chaque peuple.
Du reste, l'on peut dire avec le Professeur Ntumba Luaba Lumu,
qu'il a existé le constitutionnalisme précolonial dont la
fonction était double : légitimer le pouvoir au moyen de la
sacralité de ce dernier et éviter que le pouvoir ne devienne
tyrannique.486(*) A pris
pas sur ce constitutionnalisme, celui de la colonisation qui n'avait comme but
et fonction que de légitimer ce phénomène d'asservissement
du peuple. A cette occasion, un droit et des institutions d'origine
européenne sont greffés sur le corpus normatif autochtone. La
greffe n'a pas pris, à voir comment de larges zones de non droit
écrit subsistent et résistent à l'avancée du droit
moderne.487(*)
Après une longue période de mimétisme
institutionnel, l'Afrique noire postcoloniale semble s'être rangée
dans un déclic d'autochtonie constitutionnelle.488(*) Là, à notre
avis, il s'éclaire la question du choix du modèle classique
occidental ou d'un modèle postmoderne qui serait reconnaissable par la
population congolaise dans son ensemble parce qu'issu de son schème de
pensée traditionnelle sur la justice. Mais avant d'élaborer un
modèle théorique qui aurait la prétention de rencontrer
les aspirations populaires, il est utile de voir comment déjà en
Afrique noire certaines nations ont tenté de résoudre cette
question. Par un choix presque arbitraire, l'option a été
levée en faveur de l'étude de trois pays africains
émergents du point de vue de la justice constitutionnelle : le
Sénégal, le Bénin et la République sud-africaine.
Le choix de ces pays est naturellement fondé sur
l'avancée de la justice constitutionnelle qui s'y remarque et vide le
problème théorique mineur, à notre avis, du champ
géographique ou linguistique de l'étude. Faute de
bibliothèques bien garnies, nous avons gardé un profil modeste
devant l'ambition certes légitime de parcourir plusieurs pays africains
de culture presque similaire.
L'on peut légitimement aussi remarquer d'emblée
que le constituant sud-africain est à ranger dans le mouvement
postmoderne d'autochtonie constitutionnelle par le jeu des institutions tant de
justice transitionnelle489(*) qu'il a instituées que par celles de la
justice constitutionnelle dont les spécificités constituent des
pépites d'or pour le constitutionnaliste qui veut s'en approprier.
En revanche, tant dans son modèle que même dans
ses applications, le juge constitutionnel sénégalais ou
béninois, malgré son abondante productivité, est une copie
servile du Conseil constitutionnel français. Nous pouvons dire que la
marque de la colonisation française par le biais de l'assimilation a
laissé de profondes traces qu'il sera difficile d'effacer.
Au demeurant, faut-il tout effacer ? Ne s'agit-il pas en
définitive de faire accorder l'universel avec les
spécificités de la justice en Afrique ? Il suffit de voir au
sortir du palais de justice comment les plaideurs profanes sont
désemparés tant par le langage du droit qui est manifestement
ésotérique mais aussi et surtout par l'étiquette
judiciaire qui se déroule comme une cérémonie
d'initiés ou même « des sorciers des temps
modernes », avec de longues robes noires490(*) avec chausse garnie de peau
de léopard ou même de fourrure dont la signification est tout
autant mystérieuse, pour ressentir la nécessité vitale de
rendre la justice accessible.491(*)
Même l'Occident éprouve ce besoin malgré
des siècles d'éducation qui ont reculé les
frontières de l'analphabétisme à ses portions les plus
congrues.492(*)
Existe-t-il un modèle africain de justice constitutionnelle sur
lequel nous pourrions être obligé d'ériger notre propre
modèle théorique?
Section 1 : VERS UN MODELE
AFRICAIN ?
La réponse à cette question, pour capitale
qu'elle pourrait être, passe nécessairement par un essai de
parcours même furtif des institutions de justice constitutionnelle des
pays choisis. Ne fut-ce que par sa proximité
géostratégique et l'intérêt qu'elle présente
du fait de sa sortie récente des limbes de la dictature et de
l'oppression de l'apartheid, commençons par la République
sud-africaine.
* 485 GICQUEL (J.),
Droit constitutionnel et institutions politiques, op.cit, p.33.
* 486 NTUMBA LUABA LUMU
(A.-D.), Droit constitutionnel général, Kinshasa, EUA,
2005, p.116.
* 487 Lire BOSHAB (E.),
Pouvoir et droit coutumiers à l'épreuve du temps,
Louvain-la-neuve, Academia Bruylant, 2007, 338p. L'auteur indique de
façon magistrale comment les pouvoir et droit coutumiers opposent une
résistance aux pouvoir et droit de l'Etat. N'est-ce pas la
résistance des vaincus dont parle Ziegler contre un Etat et son droit
perçus comme les avatars d'une domination extérieure ? Ou,
tout simplement, s'agissant d'une greffe, la durée n'est-elle pas
insuffisante pour que celle-ci prenne sur le corps social congolais ? En
tout cas, la réflexion peut continuer sur ces rivages.
* 488 Lire ROBINSON,
« Constitutional Autochthony in Ghana », Journal of
Commonwealth Political Studies, 1961, n°4, cité par NTUMBA LUABA
LUMU (A.-D.), op.cit, p.117.
* 489 Nous pensons à
la fameuse « Commission Vérité et
Réconciliation » qui a fait ses preuves dans ce pays
africain.
* 490 Lire avec
intérêt l'excellent article de Bruno NEVEU, « Costume
des juristes », Dictionnaire de la culture juridique, Paris,
PUF, Lamy, Quadrige, 2003, pp.309-313.
* 491 Lire FACULTE DE DROIT
DE LA KATHOLIEKE UNIVERSITEIT BRUSSEL, (sous la direction de), Le
langage du droit accessible à tous ?, Actes du colloque tenu
le 17 novembre 1999 à la faculté de Droit de la Katholieke
Universiteit Brussel avec le concours de Recherches et Documentation juridiques
africaines Asbl, Bruxelles, éditions RDJA, 2000, 138 pp.
* 492 YOKO YAKEMBE (P.),
L'UNESCO et le développement de l'éducation en Afrique noire
indépendante, Thèse de doctorat de spécialité
en droit public, Université de Dijon, 1970.
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