Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§5. L'autorité absolue de la chose jugéeL'autorité absolue de la chose jugée est, sans conteste, la caractéristique essentielle d'une cour constitutionnelle dans la mesure où, généralement placée hors de la hiérarchie judiciaire ordinaire, ses décisions doivent s'imposer tant aux pouvoirs publics qu'aux citoyens. Le fondement d'une telle position est que l'acceptation des voies de recours contre ses arrêts lui enlèverait toute autorité et aboutirait à coup sûr à créer un modèle décentralisé de justice constitutionnelle alors que cela est l'effet inverse écarté par les concepteurs du modèle. Dans ce modèle en effet, la constitution tire les conséquences d'une déclaration d'inconstitutionnalité. La promulgation étant l'acte qui atteste que la loi a été régulièrement délibérée et votée et en ordonne l'exécution, une déclaration d'inconstitutionnalité qui interdit la promulgation, ne peut être considérée comme une annulation. La promulgation étant cependant une compétence liée, l'usage du terme « annulation » s'est largement répandu. La promulgation de la loi rend celle-ci incontestable, tant du moins que ne sera pas mise en place une procédure d'exception d'inconstitutionnalité.343(*) De même, le constituant dans ce modèle définit l'autorité des décisions du juge constitutionnel ; elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. L'autorité ainsi attachée à ses décisions est l'autorité absolue de chose jugée : ce qui est jugé ne pouvant plus être remis en question. Dans le cas du droit français, l'on peut noter que cette autorité a été voulue par le constituant de 1958 afin d'éviter les contrariétés de décisions entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat.344(*) L'autorité absolue de la chose jugée ne joue qu'à l'égard du texte qui a été soumis au juge constitutionnel. Par rapport à l'autorité de la chose jugée prévue par le Code civil avec son exigence de triple identité d'objet, de parties et de cause, il importe de noter que l'exigence d'identité de parties disparaît, le contentieux de constitutionnalité ayant un caractère objectif comme tout contentieux de légalité. S'agissant des juges d'application de la loi, ils sont tenus de respecter l'interprétation qu'en donne le juge constitutionnel dans la mesure où la loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution. Aussi, est-il exact d'affirmer que « l'identité d'objet est parfois remplacée par analogie d'objet : si l'autorité de chose jugée... ne peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution ».345(*) Il est entendu en effet que s'agissant d'un recours en rectification d'une erreur matérielle dirigé contre ses propres arrêts, le juge constitutionnel le recevra au motif qu'une demande qui tend exclusivement à la rectification d'erreur matérielle non imputable au requérant ne met pas en cause l'autorité de la chose jugée.346(*) Toutefois, lorsqu'il prend de simples décisions administratives exécutoires en tant qu'organe d'Etat, le juge constitutionnel n'est pas lié par l'autorité de la chose jugée.347(*) L'autorité des arrêts de la Cour constitutionnelle ne doit pas être confondue avec l'autorité de la jurisprudence. D'une part, l'autorité attachée à chaque arrêt n'est pas un obstacle dirimant à l'évolution de la jurisprudence. D'autre part, au-delà du respect des décisions du juge constitutionnel la jurisprudence constitutionnelle ne manque pas d'être invoquée par les juges tant de l'ordre administratif que de l'ordre judiciaire dans le cas d'une qualité d'ordres de juridiction. Au demeurant si une confusion venait à être admise entre autorité de la chose jugée et jurisprudence, il en résulterait inévitablement un tassement de l'activité juridictionnelle et une immobilité qui ne peut être souhaitée de la part d'un juge dont l'activité principale est d'être « la bouche de la Constitution » dans les conjonctures qui sont cependant très mouvantes. La distinction ainsi établie est essentielle car par elle, les juges inférieurs ont la latitude d'apprécier la régularité juridique des actes déférés devant eux suivant la jurisprudence qui ressort des arrêts de la Cour constitutionnelle sans avoir à invoquer l'autorité de la chose jugée qu'ils doivent respecter si le débat porte sur une disposition législative déjà censurée. S'il s'agit de décisions rendues à propos d'autres textes, l'autorité de la chose jugée ne joue pas et c'est plutôt l'autorité de la jurisprudence qui joue. La question cependant est celle de savoir sur quoi le juge inférieur s'appuie pour extraire la norme à appliquer au litige qui lui est déféré.348(*) Emile Lamy trouve le fondement de l'autorité de la jurisprudence dans la répétition et dans la hiérarchie. En effet, dit-il, par cette évolution vers un contrôle judiciaire de plus en plus élevé, la jurisprudence acquiert un maximum d'autorité possible parce qu'à la répétition qui constitue le premier facteur favorable d'autorité, vient s'ajouter surtout le deuxième facteur qui est la hiérarchie.349(*) Dans le système de dualité d'ordres de juridictions comme celui que le constituant congolais a adopté le 18 février 2006, il importe de noter que si le Conseil d'Etat n'est pas tenu de respecter la jurisprudence du juge constitutionnel, il lui faut cependant de « bonnes raisons » pour la contredire.350(*) En droit français, par exemple, ces bonnes raisons ont été longtemps trouvées dans le fait que la question posée aux deux Conseils ne l'était pas dans les mêmes termes, le Conseil d'Etat dans l'exercice de son contrôle de légalité, pouvant rencontrer l'obstacle d'une disposition législative qui vient faire écran entre la Constitution, telle qu'interprétée par le Conseil Constitutionnel, et la disposition réglementaire dont il doit apprécier la légalité : c'est l'application de la théorie de l'écran législatif.351(*) Les divergences de jurisprudence ont été résorbées au fil du temps car l'autorité de la jurisprudence du juge constitutionnel ne signifie guère qu'il règle son contentieux par voie de dispositions générales mais que plutôt les deux Hautes juridictions sont tenues de se retrouver sur des positions communes car elles participent, toutes les deux, au « gouvernement de la Constitution » qui ne saurait tolérer une double lecture de cette dernière. C'est une question de logique du système. Avec Dominique Rousseau, il n'est pas inutile de constater qu'au-delà de l'hostilité que d'aucuns pouvaient craindre à l'égard du Conseil d'Etat, il y a quand même deux décisions du Conseil constitutionnel qui maintiennent une divergence des vues jurisprudentielles : :il s'agit de l'affaire des contraventions sanctionnées de peine de prison qui relèvent de la compétence législative pour le Conseil constitutionnel et que le juge administratif suprême français tient pour acte du domaine réglementaire ; ainsi que de l'affaire du silence gardé par l'Administration qui équivaut pour le Conseil constitutionnel à une décision de rejet et à une décision d'acceptation pour le Conseil d'Etat.352(*) L'on peut en définitive soutenir que l'autorité de la chose jugée par le juge constitutionnel est une arme de discussion parce qu'elle doit être prise en compte déjà au moment de la préparation des textes par les autorités publiques concernées. Le juge judiciaire quant à lui, ici comme ailleurs, ne semble nullement avoir élevé quelques divergences majeures avec la jurisprudence du juge constitutionnel. Toutefois, l'intérêt porté à la connaissance des arrêts des juridictions constitutionnelles par la doctrine et les praticiens du droit laisse penser que ces décisions seront de mieux en mieux appliquées par les autorités juridictionnelles353(*) Il importe dès lors de montrer comment la justice constitutionnelle influe sur l'ordre politique et l'ordre juridique constitutionnel.354(*) * 343 FAVOREU (L.) et RENOUX (T.S.), « Le contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs », in Répertoire Dalloz de contentieux administratif, Paris, Dalloz, 1991, pp.36-348. * 344 RENOUX (T.S.) et de VILLIERS (M.), Code constitutionnel, op.cit, p.477. * 345 Décision n° 89-258 DC, 8 juillet 1989 in Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 1989, p.48. * 346 Décision du 23 octobre 1987, in Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 1987, p.55 avec note d'E. PEUCHOT. * 347 Lire VUNDUAWE te PEMAKO (F.), Traité de droit administratif, Kinshasa, Bruxelles, Afrique éditions, Larcier, 2007, p.81. * 348 Lire aussi le Professeur PINDI MBENSA KIFU, Introduction générale à l'étude de droit privé, Notes de cours, 1er graduat, 1984-1985, p.44, inédit. Cet auteur, après avoir fait le distinguo entre droit anglo-saxon et droit romano-germanique, affirme que même dans les droits non anglo-saxons, la jurisprudence jouit en fait d'une autorité incontestable aussi bien quand elle interprète le droit positif que quand elle en comble les lacunes. * 349 LAMY (E.), Le droit privé zaïrois, Vol.I., Introduction à l'étude du droit écrit et du droit coutumier zaïrois, Kinshasa, PUZ, 1975, p.123. * 350 Lire MELIN-SOUCRAMANIEN (F.), « La notion de jurisprudence du Conseil constitutionnel », in LAVROFF (D.G.) et RAMIREZ JIMENEZ (M.), La pratique constitutionnelle en France et en Espagne de 1958 et 1978 à 1999, Paris, PUF, 2001, p.199. * 351 Lire FAVOREU (L.) et RENOUX (T.S.), « Le contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs », op.cit, p.36 et s. * 352 Lire ROUSSEAU (R.), Droit du contentieux constitutionnel, 6ème édition, Paris, Montchrestien, 2001, p.170. * 353 L'on peut noter avec satisfaction que le Tribunal des conflits dans le cas français, par exemple, a, par décision de principe du 12 janvier 1987, décidé de se rallier à la position du Conseil constitutionnel sur la répartition des compétences contentieuses entre l'ordre administratif et l'ordre judiciaire en matière financière. Voy 12 janvier 1987, Compagnie des eaux et de l'ozone v. SA Etablissements Vétillard, RFDA, Paris, 1987, p.287, conclusions J.MASSOT. * 354 Lire MBOKO Dj'ANDIMA, L'Etat de droit constitutionnel en République démocratique du Congo. Contributions à l'étude de ses fondements et conditions de réalisation, Mémoire de D.E.S. en droit public, UNIKIN, Faculté de Droit, 2005, 279 pp. |
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