Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§3. Le contrôle par voie d'exceptionDans cette expression devenue familière et à la fois polysémique, le terme technique est celui d'exception309(*). Polysémique en effet, le terme « exception » peut vouloir signifier étymologiquement ce qui est hors de prise (ex capere). Elle peut échapper à la règle en demeurant en marge de celle-ci sans l'affecter directement ; elle tient une place à coté de la règle mais lui reste en principe étrangère. Dans un second sens, l'exception est intégrée dans la règle et prend deux formes : soit l'alternative (dualité de solutions prévue par la règle), soit la dérogation (l'autorité censée appliquer la règle l'écarte sur la base des motifs qu'elle apprécie- telles l'urgence ou la nécessité- et détermine une solution originale ignorée du texte). Dans un troisième sens enfin, l'exception peut mettre en échec la règle qui ne prévoit ni alternative ni dérogation. La règle est violée : l'acte accède au rang d'exception à condition que des justifications puissantes viennent en quelque sorte pardonner la soustraction, devenue simple écart, simple tempérament de la norme.310(*) Ces développements de François Saint-Bonnet, fort riches du point de vue de la philosophie de droit, ne présentent qu'un menu intérêt pour ce qui est de la justice constitutionnelle. En effet, si le premier sens donné par cet auteur à la notion d'exception semble cadrer avec l'usage qui en est fait en contentieux constitutionnel, il faut remarquer cependant que cette expression est empruntée au droit judiciaire qui lui donne un sens fort technique et donc très strict. Michel de Villiers définit l'exception d'inconstitutionnalité qui donne lieu à la caractéristique sous étude comme « une technique procédurale par laquelle une partie à un procès oppose à son adversaire la non-conformité à la Constitution de la loi invoquée contre lui. Si le juge admet l'exception, la loi n'est pas invalidée mais déclarée inapplicable à l'espèce ».311(*) Cette définition qui est correcte du point de vue du droit constitutionnel présente le défaut de ne pas détailler en quoi consiste cette technique procédurale car dans une instance plusieurs moyens de défense sont à la disposition du défendeur qui peut ainsi en les soulevant faire échec à la demande. Aussi, du point de vue du contentieux constitutionnel, l'exception ainsi visée s'entend d'une fin de non-recevoir c'est-à-dire d'une défense en justice liée à une prétention qui empêche le juge de statuer sur le fond de cette prétention jusqu'à ce qu'elle soit vidée par un juge compétent.312(*) C'est cela que l'on nomme également une question préjudicielle car elle conteste la compétence du juge saisi de vider la totalité des questions soumises à son examen. Après ce toilettage conceptuel, il sied de voir que dans le modèle américain fondé sur les litiges concrets, la question de constitutionnalité ne peut être résolue que par voie d'exception sous réserve des détails fort utiles que nous avons relevés à l'occasion de l'étude des quelques dérivés du modèle sous analyse. La technique d'exception d'inconstitutionnalité s'entend également d'une obligation faite au juge ordinaire qui doute de la constitutionnalité d'une loi et parfois d'une autre règle de droit de surseoir à statuer sur le litige à trancher et de saisir la cour spéciale de la question de la constitutionnalité de la loi : c'est la procédure de contrôle concret de la constitutionnalité des lois.313(*) L'on peut affirmer, en outre, que l'exception constitue la meilleure manière de faire trancher une difficulté constitutionnelle par un juge mais à la condition que cette dernière ait un lien évident avec l'issue du litige principal. Et ce qui distingue ainsi l'exception dans le modèle américain sous étude d'avec la même notion dans les autres modèles, c'est qu'elle peut être résolue par le juge devant lequel elle est soulevée. Techniquement, l'exception ainsi soulevée prend la nature juridique d'une question préalable314(*) plutôt que d'une question préjudicielle315(*) comme c'est le cas dans le modèle européen que nous analyserons dans la seconde section de ce chapitre. Comme nous le verrons dans les sections suivantes, le modèle américain est caractérisé par l'autorité relative de la chose jugée qui s'attache presque automatiquement à toute décision judiciaire rendue entre parties. Mais par le jeu des voies de recours exercées contre la décision ainsi rendue, il arrive finalement que la Cour suprême des Etats-Unis tranche de manière à mettre fin à la querelle ou à la controverse constitutionnelle. L'autorité ou le prestige de cette haute juridiction et sa place dans le paysage constitutionnel et politique américain rendent en fin de comptes l'autorité relative de la chose jugée comme un dogme dépassé car aucune autre juridiction ni aucun pouvoir public ne peuvent ignorer l'existence d'un arrêt de cette juridiction. Ceci n'édulcore pas cependant le caractère concret de ce contrôle dont l'analyse s'impose ici. * 309 GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.)(sous la direction), Lexique des termes juridiques, 6ème édition, paris, Dalloz, 1985, p.200 définissant l'exception comme « moyen par lequel le défendeur demande au juge, soit de refuser d'examiner la prétention du demandeur parce que l'instance a été mal engagée(incompétence du tribunal, irrégularité d'un acte de procédure), soit de surseoir à statuer jusqu'à la mise en cause d'un garant, l'expiration du délai accordé à un héritier pour faire inventaire et délibérer. Dirigée contre la procédure, seulement, l'exception ne constitue qu'un obstacle temporaire. Après décision sur l'exception, la procédure reprend son cours devant le même tribunal ou est recommencée devant lui ou devant un autre ». * 310 SAINT-BONNET (F.), « Exception, nécessité, urgence » in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (sous la direction de), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Lamy, Quadrige, PUF, 2003, pp.673-678. * 311 de VILLIERS (M.), Dictionnaire du droit constitutionnel, 3ème édition, Paris, Armand Colin, 2001, p. 106. * 312 BLOCK (G.), Les fins de non-recevoir en procédure civile, Paris, Nice, Bruxelles, LGDJ, Université Nice Sophia Antipolis, Bruylant, 2002, 453 PP. Nous empruntons cette définition de fin de non-recevoir à cet auteur et plus précisément dans sa belle thèse publiée et spécialement à la page 49. * 313 FROMONT (M.), La justice constitutionnelle dans le monde, op.cit, p.21. * 314 GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.) (sous la direction de), Lexique des termes juridiques, 6ème édition, Paris, Dalloz, 1985, p. 365. * 315 Idem, p.365. |
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