Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§4. L'exemple récent de la RussieLa doctrine moderne tend à classer la Cour constitutionnelle russe parmi le modèle d'apparition récente en Europe de l'Est et en Afrique ou encore au sein du droit constitutionnel de la transition dans ce pays.287(*) L'immense fédération de Russie, le plus grand pays du monde en superficie, soit 17.075 000 km2 s'étendant sur onze fuseaux horaires, pour une population de 150 millions d'habitants, est composée de 89 « sujets », à l'autonomie plus ou moins développée : 21 républiques, 6 territoires (Krai), 49 régions (Oblast), 2 villes d'importance fédérale (Moscou et Saint Petersbourg), 1 région autonome juive (Birobidjan) et 10 districts autonomes. Chacun de ces « sujets » dispose d'institutions politiques propres avec un organe à compétence législative locale et un exécutif : gouverneur ou autres.288(*) Pays-phare de l'ex-URSS, la Russie ne peut être étudiée au mépris de son histoire politique qui est fort remarquable. Il faut seulement noter relativement au sujet qui nous occupe qu'à l'époque de l'ex-Union soviétique, l'article 121 de la Constitution du 4 novembre 1977 confiait à l'instance législative nationale la compétence de veiller au respect de la constitution. En revanche, l'article 125 du texte issu de la révision constitutionnelle du 1er décembre 1988 a établi un comité de surveillance constitutionnelle. Du fait que le contrôle ainsi instauré est simplement politique, il y a lieu de voir dans l'institution d'une Cour constitutionnelle une véritable novation car le centralisme démocratique qui caractérisait les institutions de l'ex-Union soviétique interdisait justement toute efficacité de contrôle ; de même qu'il est aberrant de voir en ces mécanismes autre chose qu'un droit constitutionnel décoratif ou en tout cas établi pour de raisons purement idéologiques. D'où la vielle querelle de dogmatiques d'avec les pragmatiques.289(*) Qu'à cela ne tienne, il importe simplement de voir qu'ils étaient tous d'accord sur les bases de la société et discutaient plutôt sur la méthode à suivre pour faire advenir le Grand soir. Dans une telle atmosphère délétère, la justice constitutionnelle joue plutôt le rôle ingrat d'authentification des décisions des organes dirigeants du Parti communiste. La constitution de la Russie approuvée par référendum du 12 décembre 1993 institue une Cour constitutionnelle. Pour bien montrer qu'une nouvelle ère a été entamée, dit Michel de Guillenschmidt, les auteurs de la Constitution de 1993 se sont montrés soucieux de se référer aux principes sur lesquels repose le fonctionnement des démocraties occidentales. 290(*) Par rapport aux différents passés de la Russie, ce texte constitue donc une indéniable novation, renchérit le doyen de Paris V.291(*) La Cour est composée de 19 juges nommés par le Conseil de la Fédération sur proposition du Président de la fédération de Russie.292(*) Ils sont donc élus à la majorité absolue. Elle a été créée le 7 février 1995 et ses membres jouissent d'un mandat de douze ans non renouvelable. Le président de la Cour est également élu au vote secret par ses pairs pour un mandat de trois ans renouvelable. Les juges doivent être âgés d'au moins 40 ans et au maximum, de 70 ans. Le juge à la Cour doit vérifier des qualités suivantes pour être nommé : il doit être un citoyen de réputation irréprochable, avoir une formation juridique supérieure, jouir d'une expérience professionnelle de 15 ans et témoignant d'une haute qualification dans le domaine du droit.293(*) Elle est compétente, sur demande du Président de la fédération de Russie, du conseil de la fédération, de la Douma d'Etat, du gouvernement de la fédération de Russie, d'un cinquième des membres du Conseil de la fédération ou des députés à la Douma d'Etat, de la Cour suprême et de la Cour d'arbitrage de la fédération de Russie, des organes des pouvoirs législatif et exécutif des sujets de la fédération de Russie : 1° pour statuer sur la conformité à la Constitution des lois fédérales, des actes normatifs du Président de la fédération de Russie, du Conseil de la fédération, de la Douma d'Etat, du gouvernement de la fédération de Russie ; 2° pour apprécier la conformité à la Constitution des constitutions des républiques et des traités internationaux de la fédération de Russie non encore entrés en vigueur ; 3° pour régler les conflits de compétence entre les organes du pouvoir de la fédération de Russie et les organes du pouvoir d'Etat des sujets de la fédération de Russie ; 4° pour statuer, à la demande des tribunaux, sur les recours relatifs à la violation des droits et libertés constitutionnels des citoyens et aboutir ainsi à la vérification dans un cas concret de la constitutionnalité d'une loi appliquée ou applicable ; 5° pour interpréter la Constitution fédérale et ce, sur requête du Président de la fédération de Russie, du gouvernement de la fédération de Russie, des organes du pouvoir législatif de sujets de la fédération de Russie. Quant aux effets des arrêts de la Cour constitutionnelle, il importe de signaler que les actes reconnus non-conformes à la Constitution cessent de produire des effets juridiques alors que s'agissant de traités internationaux reconnus tels, ils n'entrent point en vigueur et ne peuvent être donc appliqués. Dans la mise en cause de la responsabilité pénale du Chef de l'Etat pour haute trahison ou commission de toute autre infraction grave, l'avis de la Cour est sollicité par le Conseil de la Fédération. Dotée, comme on le voit, de pouvoirs constitutionnels importants, la Cour n'est pas le seul garant du fédéralisme russe ; il faut prendre en compte les pouvoirs spécifiques du Président de la Fédération de Russie et l'existence du Conseil de la Fédération qui représente les sujets. Concernant le Président de la fédération de Russie, il peut, en cas de litige opposant le pouvoir fédéral à un ou plusieurs sujets, procéder à une conciliation ou à défaut, saisir les tribunaux. Mais au cas où les actes des organes du pouvoir exécutif des sujets sont contraires à la constitution et aux lois fédérales, aux obligations internationales de la Fédération ou violent les droits et libertés de l'homme et du citoyen, le Président de la Russie a le droit d'en suspendre les effets jusqu'à la décision des tribunaux. Quant au Conseil de la fédération, bien qu'il n'ait pas des pouvoirs étendus comme la Douma d'Etat, il dispose, du fait qu'il ne peut être dissout car représentant de sujets de la Fédération de Russie, d'une partie du pouvoir constituant dérivé. Il faut reconnaître cependant que depuis l'an 2000, avec l'accession au pouvoir de M. Vladimir Poutine, la Cour constitutionnelle dont les arrêts et avis n'étaient guère respectés a été systématiquement invitée à trancher les conflits de compétence et elle l'a fait, avoue le doyen Michel de Guillenschmidt, souvent dans le sens de la restauration d'un Etat fédéral fort.294(*) En termes conclusifs, il sied de noter que la Russie a fait un géant bond en avant en matière d'érection d'un Etat de droit. Non seulement qu'elle se qualifie ainsi à l'article 1er de sa Constitution, désavouant, par là, le credo communiste antérieur qui justifiait doctrinalement le régime en le qualifiant aussi de démocratique, mais aussi et surtout elle procède à un énoncé aussi long que fastidieux des libertés et droits reconnus aux citoyens : 54 articles sont consacrés à cette proclamation. Déjà en 1999, le maître de la Sorbonne opinait que sous la présidence du professeur Toumanov, la nouvelle Cour qui a déjà rendu plusieurs arrêts semble faire preuve de qualités.295(*) Le survol même savant des cours constitutionnelles du monde entier, comme l'a tenté, avec un européocentrisme muet, Michel Fromont, ne peut être opératoire dans un travail de cette ampleur que si le chercheur relève les traits caractéristiques de chacun des modèles afin de rendre aisé le travail du comparatiste et finalement même celui de tout juriste qui se pose des questions essentielles sur le contrôle des actes des autorités suprêmes de l'Etat.296(*) Comme on l'aura vu, en filigrane, il ne s'est agi que des modèles qui épousent le tempérament de chaque peuple confirmant par là qu'une institution n'a de fondement solide que dans le mental du peuple qui est à la fois le créateur et le destinataire final de toutes choses dans la société.297(*) Par l'étude des traits caractéristiques d'un système, l'on tente généralement de théoriser les modèles qui s'appliquent dans le monde et, de ce fait, d'en indiquer la parenté génétique qui demeure le souci fondamental de l'homme de se protéger contre les oppressions de toutes sortes et surtout lorsqu'elles sont le fait des puissants.298(*) Voyons à présent ce qui en est des traits doctrinaux de la justice constitutionnelle. * 287 Voir NTUMBA-LUABA LUMU (A.-D.), op.cit, p.178, C. * 288 de GUILLENCHMIDT (M.), op.cit, p.165, n° 4.2.2.1. * 289 Lire ARDANT (P.), Institutions politiques et droit constitutionnel, 8ème édition, Paris, LGDJ, 1996, p.354. * 290 de GUILLENCHMIDT (M.), op.cit, p.167. * 291 Ibidem * 292 Article 128 §1 de la Constitution de 1993. * 293 Voir le tableau dressé par FAVOREU (L.), Les cours constitutionnelles, op.cit, pp.116-117. * 294 Voir de GUILLENCHMIDT (M.), op.cit, p.166. * 295 GICQUEL (J.), op.cit, p.345. * 296 FAVOREU (L.) et Alii, Droit constitutionnel, 8ème édition, Paris, Dalloz, 2005, p. 457. * 297 Lire dans ce sens, BORELLA, (F.) Etat, pouvoir et société à l'aube du XXIème siècle, Mélanges, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1999. * 298 C'est le fondement de tout contrôle dans l'Etat qui s'apprécie comme une peur atavique de l'homme comme les oppressions sans doute nombreuses et les menaces que l'humanité subit ou inflige à la vie. C'est l'économie morale dont les fondations peuvent également expliquer l'attrait de l'humanité vers le contrôle des normes au regard de celle considérée, du moins en théorie, comme parfaite parce que fondamentale ou l'oeuvre du plus grand nombre. |
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