INSTALLATIONS PROLIFERANTES:
EN DEA ET AU DELA DE LA MISE EN SITUATION D'UNE ÎUVRE?
Etienne Laurent, Master 2 Arts Plastiques, Université
Paris 1 Panthéon - Sorbonne Directeur de recherches : M. Bernard
Guelton Mai 2010
Je tiens à remercier Amélia pour son
inébranlable patience et pour son aide, ma famille, surtout mes parents,
pour leur soutien, mon directeur de recherche, Monsieur Bernard Guelton,
à l'origine de mon projet, Jean Trébuchet et Anne Charneau pour
leurs participations à l'Installation proliférante
n°6, Diana Belci, Gaël-Anne Caye et Ghislaine Périchet
pour leurs participations au montage de l'Installation proliférante
n°7, Chungliang Chang pour ses photos de l'Installation
proliférante n°3, La ·za Pautehea pour sa performance,
Baptiste Level et Julien Legros pour leurs participations à Mur
Liquide n°1, Mary Stewart pour son invitation à exposer
à Londres, les membres du jury qui m'ont donné
l'opportunité de créer l' Installation proliférante
n°7 dans la galerie Michel Journiac.
Ç Je voudrais peindre. Je peins, mais la peinture me
trompe. J'écris, mais le mot écrit me trompe. Mes peintures et
mes mots se transforment en peintures et en mots qui ne sont pas les miens. Si
les couleurs, les mots, les matériaux ont différents sens, quel
sens y a-t-il à souligner leurs sens et que signifient-ils, ou ne
signifient-ils rien du tout ?
1
Ne sont -ils finalement rien d'autre qu'un néant, qu'une
illusion ? È
1 ème
Mladen S tilinovic, catalogue de 12
la documenta de C assel, Taschen, 2007, p.122. Ç ÉI
would like to
paint. I paint, but the picture deceives me. I write, but the
written word deceives me. My pictures and words turns into `not my' pictures
and `not my' words. If colours, words, materials have different meanings, what
is the meaning underlying there meaning and what does it mean, or does it mean
anything at all. Or does it boil down to nothing, an illusion ?»
INTRODUCTION
I. PRODUCTION: L'ORIGINE DESOEUVRES
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1. Insémination : quelles origines ?
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1.a. Origines de mes peintures
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1.b. Origines de mes Noocactus
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1.c. Peintures spatiales
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2. Germination: l'eau, vecteur de vie et de diversité
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2.a. Peintures fonds
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2.b. Peinture liquide n°1
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3. Croissance : les actions collaboratives
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3.a. MurLiquide n°1
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.24
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3.b. Barrage liquide n°1
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3.c. Dessin participatif n°1
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3.d. Le langage de la danse
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3.e. Le penseur de Rodin
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4. Profusion : mobilités, lumières et sons
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4.a. Les Ïuvres : comment les rendre mobiles?
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4.b. Mobilité : au-delà du mouvement
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4.c. Lumières et sons : quelles synergies ?
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II. RASSEMBLEMENT : LA MISE EN RELATION DES OEUVRES
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1. Juxtaposition, superposition : le regroupement des oeuvres
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1.a. Installation proliférante n°1
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51
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1.b. Installation proliférante n°4
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1.c. Installation proliférante n°5
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1.d. Installation proliférante n°7
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2. Grouillement, saturation: l'entassement des oeuvres
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2.a. Installation proliférante n°2
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77
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3. Déplacement, autonomie: la circulation des oeuvres
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3.a. Contexte
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80
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3.b. Installation proliférante n°6
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81
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4. Altération: oser repeindre les Ïuvres
installées ?
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4.a. Installation proliférante n°3
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86
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4.b. Installations murales vs. installations centrales
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CONCLUSION
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TERMES CLES
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GLOSSAIRE
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INDEX
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BIBLIOGRAPHIE
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INTRODUCTION
A bien des égards, l'époque contemporaine est
celle de la prolifération de l'art. Il n'y a jamais eu autant
d'artistes, de galeries, de musées, de centres et d'écoles
d'arts. La globalisation et le multiculturalisme renforcent encore plus cette
impression de prolifération des pratiques artistiques et des
Ïuvres. Déjà en 1910 Wassily Kandinsky critiquait ce trop
plein: Ç Chaque `centre d'art' voit vivre des milliers et des milliers
d'artistes [É] dont la plupart ne cherchent qu'une nouvelle
manière et fabriquent sans enthousiasme, le cÏur froid et
l'âme endormie, des millions d'Ïuvres d'arts. >>2
Depuis, le phénomène s'est amplifié et les pratiques
artistiques se sont énormément diversifiées. Comme
l'affirme Yves Michaux dans son livre L'art à l'état
gazeux, Ç toutes sortes de pratiques, absolument toutes,
peuvent à un moment donné et dans certaines conditions faire
partie de l'art contemporain. >>3 Après une
modernité foisonnante de styles artistiques les plus divers, voici venu
le temps de la postmodernité et de la cÏxistence des styles et des
pratiques les plus originales.
Ma démarche consiste à réaliser des
installations utilisant comme Ç matière première>>
d'autres Ïuvres appartenant à des domaines variés de la
création artistique. Les Installations proliférantes
sont ainsi un assemblage d'autres productions plastiques telles que
peintures, sculptures, photographies, performances, danses ou encore des sons
ou des images enregistrées. L'intérêt consiste à
créer des liens formels et sémantiques entre les pratiques dans
un esprit qui remonte aux origines du principe de l'exposition. Cette
manière de procéder donne une grande liberté. Ayant depuis
longtemps une pratique variée je ne souhaite pas la restreindre mais au
contraire lui ouvrir de nouveaux horizons en réalisant des projets dans
l'espace public et des actions collectives. Selon Elisabeth Wetterwald,
Ç les occasions et les buts des artistes de l'extrême contemporain
semblent plus déterminés par des situations changeantes que par
des stratégies théoriquement fondées. >>4
Cependant tous mes projets sont susceptibles, sous des formes diverses, de
concourir à la création d'Ïuvres incorporables en
Installations proliférantes. Les Installations
proliférantes sont de ce point de vue le centre d'une
activité artistique elle-même proliférante. La dynamique
entre la variété de mes projets artistiques et la mise en place
de nouvelles Installations proliférantes est le
2 Wassily Kandinsky, Du spirituel dans l'art, et dans la
peinture en particulier, Denoël, Folio essais, 2008, p. 65-66.
3 Yves Michaux, 2003, L'art à l'état
Gazeux, Paris, Hachette Littératures, Pluriel, 2009, p. 53.
4 Elisabeth Wetterwald, Ç Carnaval des activistes
>>, in Parpaings, n8, déc.1999, p. 20.
cÏur qui bat de ma démarche. Les Installations
proliférantes ne sont pas un simple résumé de mes
autres creations, elles sont un lieu de recherche sur la maniere de mettre en
relation des Ïuvres.
Certaines pratiques sont proches de mes recherches mais pas
suffisamment pour que je les etudie de pres. CÕest le cas des
installations realisees à partir de collections dÕobjets telles
que celles de Kar sten Bott , Tony Cragg, Jason Rhoades, Yoshitomo Nara, Jo`l
Hubaut, Jacques Charlier, Shilpa Gupta, Jac Leirner, Tadashi-Kawama, Laurent
Dupont-Garitte, Joan Fontcuberta, Karen Knon, Paul Maboux, Jeanne Susplugas,
Jo`lle Tuerlinckx, Sarah Sze, Michael Lin, Liew Kung Yu, Michaela Spiegel ou
encore Mark Dion. DÕautres artistes creent des installations à
partir de leurs propres Ïuvres ou de celles des autres, parmi ceux-ci
citons notamment Allan Mac Collum, Antony Gormley, Barry Mac Gee, G·nter
Umberg, Jean-Jacques Lebel, Jim Shaw , John Armleder ou encore Joseph Beuys.
Beaucoup dÕartistes collectionnent des Ïuvres et les installent
chez eux ou dans des espaces dÕexposition. Citons en particulier Andre
Breton dont la collection heteroclite est reconstituee au Centre George
Pompidou. Certains artistes, meme sÕils ne realisent pas des
installations à proprement parler, disposent leurs Ïuvres de
maniere coherente. CÕetait le cas pour lÕaccrochage de Kasimir
Malevitch lors de lÕexposition suprematiste 0,10 en 1915 , et
de manière plus poussee le cas de la Prounenraum dÕEl
Lissitzky en 1923. Ce fut egalement le cas dans les ateliers de Piet Mondrian.
De maniere plus anecdotique, citons lÕaccrochage tres serre des
peintures de la collection Henry Vasnier au Musee des Beaux-Arts de Reims, de
certains cafés comme le Café du Palais à Reims, et des
accumulations dÕÏuvres dans les reserves des Frac, des musees et
des galeries.
Les travaux qui intéressent le plus le présent
mémoire sont ceux des artistes qui mettent en situation une Ïuvre
dans une autre à lÕexemple de Claude Rutault, de Mladen
Stilinovic, de Daniel Buren, de Bertrand Lavier et de Braco Dimitrijevic .
LÕinstallation dÕÏuvres est le domaine de recherche general
qui me sert de point de depart. Ma démarche se situe dans un
environnement plus restreint qui est celui de la mise en situation dÕune
Ïuvre dans une autre. Mes installations sont une tentative de mettre en
relation des elements divers. LÕintérêt plastique reside
dans les tél escopages, analogies, contrastes
générés par de tels accrochages. JÕy vois aussi une
métaphore de la société, ou les individus sont
rassemblés de maniere plus ou moins harmonieuse.
Installations Installations d'oeuvres
Installations proliférantes
Le projet des Installations proliférantes
consiste en une réflexion sur ce qu'implique la prolifération des
oeuvres dans un même lieu. La première partie du mémoire
est consacrée à décrire la création des oeuvres
dont les Installations proliférantes sont constituées.
La seconde partie traitera de la mise en relation des oeuvres pour constituer
les Installations proliférantes. Nous conclurons par un
aperçu du caractére postmoderne des Installations
proliférantes.
Schéma illustrant l'imbrication des domaines
d'études.
I. PRODUCTION : L'ORIGINE DESÎUVRES
Ç Je suis convaincu qu'aujourd'hui, seules des
affirmations provisoires et méme
fragmentaires sont possibles. È5
5 Hans Belting, 1983, L'histoire de l'art est-elle finie ?
Gallimard, coll. Folio essais, 2008, p. 15.
Les Installations proliferantes sont
créées à partir de diverses productions plastiques que je
considère la plupart du temps comme étant des Ïuvres
identifiables par leur technique ou leurs associations de techniques. J'exclus
donc l'utilisation d'objets autres que ceux que l' on pourrait appeler des
Ç objets d'arts È. Je travaille aussi bien avec mes propres
productions qu'avec celles des autres, pourvu qu'elles soient des objets
uniques issus d'une volonté d'esthétisation d'un médium.
Le sens de ma démarche est de réaliser des Ïuvres
dÕÏuvres, il est donc important que les objets utilisés
puissent être identifiés comme des Ïuvres. La notion
d'Ïuvre d'art est une notion fluctuante, mais plusieurs critères
permettent d'attribuer ce qualificatif à un objet. L'Ïuvre est
premièrement un objet unique créé de main d'homme qui se
différencie d'un objet
ème
industriel ou artisanal par son unicité et son
inutilité. Les artistes du 20 siècle ont
beaucoup remis en question la notion d'Ïuvre d'art.
Actuellement, est une Ïuvre d'art ce qui est reconnu comme tel par le
milieu de l'art.
Nous analyserons d'abord des Ïuvres qui traitent de la
question des origines de la
6
création artistique et de la
réinterprétation,puis nous aborderons celles résultant de
l'utilisation des Peintures liquides. Nous nous pencherons ensuite sur d'autres
créations qui résultent d'actions collaboratives et enfin sur les
éléments mobiles, lumineux et sonores.
1. Insemination : quelles origines? 1.a. Origines de mes
peintures
-LÕorigine de la peinture
Je me suis fait prendre en photo en extérieur
présentant un ch%ossis comme si je souhaitais montrer le paysage au
travers. C'est une manière de peindre radicale, il n'y a plus de toile
sur le ch%ossis et par conséquent tout ce qui se trouve derrière
devient peinture. Ce travail fait référence à la
série Emprunter le paysage que Daniel Buren a mis en place dans
les années quatre vingt sur le littoral japonais. Il s'agissait de
grands cadres qui laissaient appara»tre la mer. Ben Vautier pratique un
art de l'appropriation. En 1970, il fabrique un grand cadre qui, tenu par sa
main, l'autorise à signer tout ce que l'on voit à travers.
6 Dans les années 80, les artistes
simulationnistes réutilisent des styles du passé et les
mélangent de manière plus ou moins arbitraire.
Fig. 1. LÕorigine de la peinture n1
photographie d'une action sur la plage des Petites Dalles, 200 x 300 cm,
février 2010. (photo : Amélia Rotar)
Fig. 2. LÕorigine de la peinture n2,
photographie d'une action dans une grande étendue champêtre, 200 x
300 cm, février 2010. (photo : Amélia Rotar)
-Peintures arbres
Mon premier souvenir de peinture vient d'un livre au sujet
d'un peintre qui peignait des arbres dans un atelier à la campagne. Ses
arbres étaient très stylisés et constitués de
surfaces courbes en aplats gris, noir et brun. Lorsque j'ai installé un
atelier à la campagne, j'ai eu l'impression de retrouver
l'atmosphère du peintre du livre et j'ai décidé de peindre
des toiles le plus proches possibles de mon souvenir. Lors d'une
conférence sur l'art moderne donnée à la
Société des Beaux-Arts de la ville d'Iéna en 1924 et
traduite en francais sous le titre De l'art moderne, Paul Klee compare
la création d'une peinture à la poussée d'un arbre qui se
ramifie et gagne en complexité aussi longtemps qu'il vit. ÇEt
comme tout le monde peut voir la ramure d'un arbre s'épanouir
simultanément dans toutes les directions, de même en est-il de
l'Ïuvre. È7
Fig. 2. Peinture Arbre n°2 dans mon atelier
du pays de Caux, 2010, pigments et huile sur toile de jute
préparée à la chaux, 120 x 120 cm.
1.b. Origines de mes Noocactus
A l'école maternelle, pendant la
récréation, j'ai fabriqué des boules de terre. Je suis
incapable de dire si je l'ai fait une fois, dix fois ou peut être trois
années de suite. Je me rappelle seulement l'avoir fait. Je ramassais la
terre sous des arbustes, oü le jardinier avait désherbé
laissant la terre à nu. Il fallait de la terre meuble et donc je pense
que j'ai réalisé ces boules de terre au printemps ou à
l'automne, saisons pendant lesquel les la terre est plus humide et
malléable. Cette terre était marron foncé et
légèrement argileuse. J'écrasais fortement la terre dans
mes mains pour qu'elle devienne la plus compacte possible, comme l'on ferait
pour une boule de neige. Le but était de fabriquer des boules les plus
solides possibles. La surface de la boule devenait dure et compacte,
ressemblant à un chou fleur, c'est à dire pas vraiment lisse mais
irrégulière, bosselée et cependant très compacte.
Cette surface était comparable en couleur et en texture à celle
d'un gâteau que ma mère confectionne quelquefois. Je fabriquais
plusieurs boules de même taille, taille
7 Paul Klee, Théorie de l'art moderne,
Denoël, 1971, p. 17. Cette idée est développée pages
100 et 101 du livre de Pierre-Damien Huyghe, Art et industrie Philosophie
du Bauhaus, Circé, 1999.
correspondant à l'intérieur de ma main. Les
boules constituées devaient finalement être assez petites. A mon
échelle actuelle, si j'essayais de refaire de semblables boules, je
ferai des boules d'à peu près dix centimètres de
diamètre. J'estime que mes mains d'enfant devaient faconner des boules
d'environ cinq centimètres de diamètre. Je cachais ensuite les
boules sous un buisson au fond de la cour, près du jardin potager. Je
voulais que mes boules de terre deviennent indestructibles et je pensais
qu'elles durciraient avec le temps.
Pourquoi est-ce que je faisais des boules de terre?
J'étais certainement à la recherche d'un point de repère,
de quelque chose qui serait intangible, solide. J'avais envie de créer
un trés or que je pourrais consulter de temps en temps. Je crois que
l'idée de fabriquer un objet solide était importante, une boule
bien ronde, un objet régulier, lisse, fini. Etudier les réactions
de la terre, les possibilités qu 'elle avait de durcir, avec cette
conception naïve que la boule de terre allait durcir très fort,
devenir indestructible. Je n'ai pas, par la suite, cessé de faire des
Çboules de terre È. Ces boules de terre sont devenues mes
Noocatus actuels.
Les Noocatus sont des sculptures en argile ou en
plâtre. Il en existe de trois sortes: Ceux constitués de branches
coudées autour d'un axe central, que j'appelle Noocactus
arbres, ceux oü les excroissances en forme de doigts sont
répartis autour d'un volume, que j'appelle Noocactus anemones,
et ceux constitués d'une sorte de gros Ïuf avec d'autres
Ïufs accrochés autour que j'appelle Noocactus
Ïufs.
Fig. 4. Un exemple de Noocactus
oeuf.
Fig. 5. Au milieu de la photo, un exemple de Fig. 6. Un
exemple de Noocactus
anémone.
Noocactus arbre.
Le nom Noocactus vient du mot
Noosphère utilisé par le géologue russe Vladimir
Vernadsky dans son livre intitulé La Biosphère.
Vernadsky y décrit trois phases de l'évolution géologique
terrestre: La première phase correspond au volcanisme et à la
tectonique. La deuxième phase correspond à l'influence de la vie
sur la géologie, la transformation de l'atmosphère, des roches
etc. Après la géologie et la vie, la troisième phase est
celle de la prédominance humaine vue sous son angle géologique.
Vernadsky appelle cette phase la Noosphère. Les Noocactus
sont une tentative de représenter la Noosphère.
Voici le texte qui figure dans une gravure que j'ai réalisée en
2008 qui s'intitule La raison d'être de l'humanité :
<< La vie progresse au-delà du berceau terrestre. Les <<
Ïufs È autour de l' << ÏufÈ central
représentent la vie qui s'étend dans l'espace. Ce
phénomène est possible gr%oce à l'activité humaine.
L'humanité a par conséquent un rTMle à jouer dans
l'évolution. Ce rTMle consiste à installer la vie dans l'ensemble
du système solaire et au-delà.È
Fig. 7. La raison d'être de
l'humanité, 2008, image numérique à partir d'une
gravure, 24 x 18 cm.
|
Fig. 8. Noocactus n°1, 2003, terre,
émail et platine, 27 x 25 cm.
|
Fig. 9. Noocactus n°2, 2003, terre,
émail, platine, Fig. 10. Noocactus n°3, 2003, terre,
émail,
32 x 27 x 28 cm. platine, 27 x 31 x 29 cm.
1.c. Peintures spatiales
En 2008, j'ai réalisé des peintures de l'homme
sur la lune. Je souhaite par ces peintures célébrer une grande
action humaine, une action qui oriente la société vers un avenir
meilleur (Le roman de Jules Verne De la terre à la lune utilise
cette idée comme point de départ). Aller sur la lune est un
exemple de l'expansion humaine, de sa soif de découverte. Les
progressistes pensent que la nature humaine est de « proliférer
» et que cette prolifération peut prendre la forme de la
conquête de la lune, de mars et du reste du systeme solaire.
Fig. 11. La vraie Amérique, 2008,
acrylique sur toile, 150 x 150 cm.
A partir d'une toile préparée et montée
sur ch%ossis, j'ai peint un monochrome noir avec de la peinture à
l'huile en tube. Ce monochrome devait en fait servir de fond pour mon projet de
peindre des astronautes sur la lune, à partir de photos de la NASA. J'ai
finalement décidé de réaliser ces peintures à
l'acrylique et mon fond à l'huile était peu adéquat pour
cette act ion. J'ai exposé le monochrome
noir en 2007 à l'occasion d'un accrochage dans la Fac
St Charles qui regroupait d'autres peintures et des photos mettant en rapport
le theme de l'espace et des planetes avec celui du foetus dans le ventre de sa
mere. Apres l'accrochage, j'ai frotté la surface de la toile avec des
pastels gras. L'action de frottement a fait ressortir la croix centrale du
cadre et finalement j'ai obtenu un objet constitué de quatre carreaux,
pour lesquels j'ai choisi une dominante colorée jaune-violet- rose-rouge
. J'ai ensuite découpé les carrés en suivant le contour du
ch%ossis en bois. Le résultat est un hommage au travail du groupe
support/surface et en particulier aux ch%ossis en résine peinte de Louis
Cane.
2. Germination : l'eau, vecteur de vie et de
diversite
Beaucoup d'éléments servant à
créer des Installations proliférantes sont le
résultat de l'utilisation des peintures sous leurs formes liquides. Je
donne ici deux exemples, celui des Peintures fonds et celui d'une
peinture que j'appelle Peinture liquide n1.
2.a. Peintures fonds
« Dirai-je comment je travaillais avant d'en venir aux
tableaux de sable, vers 1975 ? Des nappes successives, légeres, vivement
étalées par coulures et sans intervention de la main (sinon pour
faire pencher la toile et la balancer) se recouvraient, et chaque intervention
sur la surface devait attendre que les effets de la précédente
fussent secs, si besoin était. » 8
Définissant ce qu'il appelle le «
présentatif » comme tout ce qui concerne les moyens d'imposer un
sens défini, René Passeron émet l'hypothése que
« la place du poétique dans tous les arts et dans la vie -dans
toute opération créatrice- est inversement proportionnelle
à celle du présentatif. »9 Les Peintures
fonds répondent à ce projet car elles n'ont pas de structure
graphique. Ce sont des oeuvres picturales, jeux de textures, de
matiéres, de recouvrements, d'entrelacs. Les peintures « fonds
» sont des toiles sur ch%ossis d'environ 130 x 100 cm sur lesquelles je
verse de la Peinture liquide. J'incline la toile qui repose par terre et sur le
mur, et je verse des mélanges à différents endroits. La
peinture coule sur la toile et par terre, formant des motifs sur le sol. Comme
je l'ai décrit dans le cas de Ç Peinture liquide n1
È lorsqu'il y a suffisamment de peinture sur le sol, je pose du
papier dessus pour créer des « informes ». Peindre avec de la
Peinture liquide, c'est aussi jouer avec la nature de la peinture. Ainsi Gaston
Bachelard considérait que l'art est de la « nature greffée
».10 De nombreuses toiles de John Armleder sont
créées en versant de la Peinture liquide sur des toiles
inclinées. Il appelle ces toiles des Peintures versées.
Lors d'une interview avec Suzanne Pagé en janvier 1987, John Armleder
explique qu'il utilise des « vernis réactifs » dans ses toiles
avec coulures. Les « vernis réactifs » séchent au
contact des rayons ultraviolets.
8 René Passeron, Pour une philosophie de la
creation, Paris, Klincksieck esthétique, 1989, p. 152.
9 Ibid., p. 192.
10 Gaston Bachelard, 1942, LÕeau et les
reves, Paris, Le Livre de Poche, Biblio essais, 2009, p.18.
Fig. 12. John Armleder travaillant sur une
Peinture versée au Musée d'Art Contemporain de Lyon en
2006. (Photo Mathieu Copeland)
Les Peintures fonds sont un jeu entre le liquide et
le sec, entre la peinture à l'eau et la peinture à l'huile, entre
les vernis et leurs diluants. J'utilise des peintures à base de liants
acrylique, mais aussi à base d'huile, et toutes sortes de vernis dans
lesquels j'incorpore des pigments et des poudres (poudre de nacre, de bronze).
Les Peintures fonds sont un laboratoire sur lequel
j'expérimente les réactions qui s'opèrent entre les
peintures à l'eau (gouaches, acryliques, encres), à l'huile
(huile de lin plus essence de térébenthine plus siccatif plus
pigments), à base de résines (gomme Dammar, gomme arabique), de
colles (vinylique, colle de peau de lapin), d'essences (essence de
térébenthine, essence F).
Je peins couche par couche, et j'attends parfois plusieurs
mois avant de rajouter une couche. Il m'arrive d'utiliser du papier abrasif et
de poncer la surface de la toile pour faire appara»tre des objets inclus
dans la peinture. Je jette des éléments solides sur la toile, des
pigments en poudre, de la suie de cheminée, du charbon, du sable, des
graines de pavot, parfois des perles ou des paillettes. Les
éléments solides se mélangent aux Peintures liquides et
migrent sur la toile. Les paillettes de poudre de bronze, par exemple, se
regroupent en bas de la toile et forme une surface métallisée.
Ç Or l'eau est rêvée tour à tour dans son rTMle
émollient et dans son rTMle agglomérant. Elle délie et
elle lie. »11 Cette nature ambivalente de l'eau se fige
finalement sur les Peintures fonds. Ce jeu liquide/solide rejoint un
aspect du travail de Robert Malaval. (La rétrospective de ses
Ïuvres en 2009 au Musée des Beaux-arts d'Angers montre des
peintures oü cet aspect est présent.)
11 Gaston Bachelard, L'eau et les
rêves, Op. cit., p. 122.
Lorsque certaines personnes voient mes peintures
<<informes È, elles croient y reconna»tre des figures (des
fruits rouges, par exemple). En réalité, moi-même ne vois
jamais rien de tout ça. Je vois pourtant, et j'ai grand plaisir à
observer, la peinture, de loin, comme de près. Mais ce que je vois n'est
autre que de la peinture, avec ses qualités de peinture : couleurs,
formes, brillances, textures (grains, surface fripée de la peinture
à l'huile qui sèche, traces de bulle s, grain de la toile).
Gaston Bachelard commence ainsi son ouvrage sur l'eau: << Les images dont
l'eau est le prétexte ou la matière n'ont pas la constance et la
solidité des images fournies par la t erre, par les cristaux, les
métaux et les gemmes. »12 C'est cet aspect incertain et
naturel que je cherche en utilisant l'élément liquide.
Fig. 13. Peinture fond n°5, 2009, technique
mixte sur toile, 130 x 97cm.
12 Gaston Bachelard, L'eau et les
rêves, Op. cit., p. 29. Deux pages plus loin, page 31, il
donne sans le spécifier ce qui pourrai t constituer une
définition de la peinture: << Commençons donc par la moins
sensuelle des sensations, la vision, et voyons comment elle se
sensualise.È
Fig. 14. Informe, 2009, technique mixte sur
papier Ingres, 40 x 30 cm.
Parfois, je pose horizontalement une toile sur une mangeoire
de mon atelier. Je place ensuite une autre toile, légerement
inclinée, sur laquelle je verse des mélanges de Peintures
liquides. La peinture coule alors non seulement sur la toile sur laquelle je
verse, mais ensuite sur les toiles posées en dessous. Comme pour toutes
les actions nouvelles, les premiers essais sont hasardeux, mais, finalement, la
répétition de l'exercice démontre simplement une maniere
singuliere de peindre, à mi -chemin entre les travaux de Morris Louis et
de ceux d'Helen Frankenthaler. En effet, Morris Louis versait sa peinture sur
des toiles verticales tandis que Helen Frankenthaler versait directement la
peinture sur une toile posée au sol. Dilués dans la
térébenthine, les pigments pénétraient non
seulement la surface, mais aussi l'épaisseur de la toile. Les variations
d'intensité des plages colorées s'élaboraient en fonction
de la quantité de peinture versée et de la fréquence de
son application en une meme zone. Dans un court texte sur sa peinture, Henri
Michaux explique qu'il peint « pour montrer, [É] si c'est possible,
les vibrations meme de l'esprit »
13
13 Michaux, Henri, Sur ma peinture, dans
Oeuvres completes, t.2, Paris, Gallimard, La Pléiade, p. 1026.
Fig. 15. Helen Frankenthaler, New York, 1969.
Fig. 16. Je place une peinture sous une
autre.
2.b. Peinture liquide n°1
Fig. 17. Peinture liquide n°1, 2009,
technique mixte sur toile, 150 x 230 cm.
Peinture liquide n°1 a été
créée au centre Saint Charles. Voici les étapes de sa
réalisation : j'ai commencé par disposer vingt toiles de formats
différents (3 toiles de dimensions 50 x 40 cm, trois de dimensions 46 x
38 cm, cinq de dimensions 40 x 40 cm, cinq de dimensions 40 x 30 cm, une de
dimensions 40 x 27cm, deux de dimensions 35 x 27 cm, une de dimensions 35 x 24
cm) sur le sol en grimpant sur un escabeau pour visualiser le résultat.
Les toiles posées côte à côte formaient une sorte de
grille. En raison de leurs formats, il était impossible de constituer un
rectangle parfait. Le résultat est un rectangle approximatif, avec
quelques irrégularités et quelques trous. Puis j'ai
accroché les toiles sur le mur avec du ruban adhésif double face
épais.
Fig. 18. L'assemblage de toiles vu de
l'escabeau.
Il s'agissait ensuite de faire couler de la peinture en haut
des toiles. La peinture coulait, suivant le dosage, jusqu'en bas du tableau,
passant de toiles en toiles. J'ai procédé rapidement, la
réalisation des coulures a duré environ une heure. Le lendemain
j'ai décroché les toiles et j'ai peint la tranche de chaque toile
en blanc. Cela me permettait de renforcer le contraste entre la trame
rectangulaire des toiles et celle plus libre des coulures.
L'intérêt de ce travail réside entre autre
dans son effet visuel évoq uant de la peinture cinétique (Bridget
Riley, Vasarely, Soto), procédé qui prend en compte les
14
recherches d'Eugène Chevreul sur les contrastes
simultanés.L'opposition entre la figure géométrique
créée par l'assemblage des toiles et la trame des coulures n'est
pas sans rappeler un principe yin/yang, masculin/féminin. Pour moi les
toiles blanches sont comme des falaises sur lesquelles j'ai fait couler de la
peinture. La position de mon corps face aux toiles les plus hautes est
dominante, cela met en valeur le geste qui prend une importance symbolique dans
l'acte de faire couler la peinture tel un rituel baptismal. Les peintures sur
le sol formaient des sortes de marbrures car les peintures à l'eau et
à l'huile ne se mélangent pas. Le lendemain, une croüte de
peinture s'était formée au sol. J'ai pressé dessus des
papiers pour créer plusieurs peintures. Cette manière de
procéder évoque la technique du papier marbré
utilisée dans les couvertures de livres anciens. J'ai utilisé du
papier Ingres car sa trame structure les formes très libres
provoquées par cette
14 Eugène Chevreul fait publier en 1839 un
livre sur la lumière et la couleur dans lequel il énonce la loi
du contraste simultané des couleurs. La vision d'une couleur crée
une tension qui fatigue l'Ïil. L'Ïil est apaisé lorsqu'il voit
la complémentaire. Si la com plémentaire est absente, il la
produit simultanément dans la teinte voisine. Dans le cas d'une
opposition entre deux couleurs qui ne sont pas exactement
complémentaires, les couleurs semblent se repousser et vibrer car l'oeil
cherche à les rapprocher de leur complémentaire exacte.
action. J'appelle ces peintures des Informes de Peinture
liquide n°1. Les coulures lors de la réalisation de
Peinture liquide n°1 ont, en quelque sorte, informé le
sol. Je récupère ces informations pour réaliser ce que
j'appelle des Informes.
Fig. 19. Informe de Peinture liquide n°1,
2009, technique mixte sur papier Ingres, 65 x 50 cm.
Peinture liquide n°1 utilise une manière
de procéder très employée par des peintres comme Ian
Davenport ou Cédric Teisseire. Everything de Ian Davenport est
une peinture murale réalisée pour le nouveau bâtiment de
l'Institut de Mathématiques et de Statistiques de la ville Warwick au
Royaume Uni. Ian Davenport a utilisé des peintures acryliques liquides
qu'il a fait couler du haut du mur. Il a aussi prévu un rebord en
plâtre en bas du mur sur lequel les peintures se mélangent.
Cédric Teisseire utilise des laques qu'il fait couler sur de la toile
cirée. Lui aussi met en valeur la partie en bas du mur oü les
peintures se mélangent.
Fig. 20. Ian Davenport, 2004, Fig. 21. Cédric
Teisseire, 1997, Alias, huile
Everything, peintures acryliques sur sur toile
cirée.
panneau de plâtre, 762 x 1067 cm.
3. Croissance : les actions collaboratives
Ç Susciter l'intervention d'autrui n'est pas sans
compliquer la réalisation même de l'Ïuvre, qui cesse
d'être l'objet pour ainsi dire privé de l'artiste et devient
l'occasion d'un geste aventureux, ou de rencontres, bref, d'une
expérience inédite de l'art tendant à en enrichir la
méthode. »15
Comme je l'affirme dans l'introduction, les Installations
proliferantes rassemblent des éléments qui proviennent de
situations créatives très variées. Nous parcourons ici
quelques Ïuvres collaboratives réalisées ou en projet. Les
différents témoignages, enregistrements, photos de ces
Ïuvres sont susceptibles de servir de support à la conception
d'installations.
3.a. Mur Liquide n°1
Je vais ci-dessous relater une première
expérience d'un événement de Peintures liquides collective
qui est à l'origine de la création d'éléments qui
seront utilisés lors de la mise en place de futures Installations
proliferantes. J'ai proposé ce jour-là aux
15 Paul Ardenne, 2002, Un art contextuel,
Paris, Flammarion, Champs arts, 2009, p.62.
participants de verser de la peinture liquide sur un des murs
extérieurs de mon atelier. Je m'autorisais seulement à
récupérer la peinture coulée au bas du mur avec des petits
morceaux de papier. J'ai noté ce qu'il advenait dans une situation pour
laquelle j'ai donné très peu de consignes, celles-ci se
résumant en quelques mots: <<Faire couler de la peinture sur le
mur.È
Les deux participants ont commencé à verser de
la peinture au milieu du mur, puis peignaient l'un en se déplacant vers
la droite et l'autre vers la gauche. Ni l'un ni l'autre ne semblait concevoir
le mur comme une totalité, mais plutôt comme un lieu
d'expériences successives. Ainsi, la personne de droite a essayé
de dessiner une figure géométrique gr%oce à des mouvements
rectilignes de son bras pendant qu'il versait la peinture. Le résultat
ne lui plaisant pas il demanda s'il pouvait << jeter È de la
peinture sur le mur. La consigne est donc devenue : <<Faire couler ou
jeter de la peinture sur le mur.È Il a ensuite réalisé
une série de grosses coulures verticales partant du haut du mur. L'ami
de gauche a délimité dans son esprit un morceau de mur d'environ
1,5 mètre sur lequel il a fait plusieurs petites coulures avec chacune
des couleurs préparées. Alors que chacun s'appliquait dans un
travail qui allait être très long, j'ai expliqué que je
souhaitais qu'il y ait de la peinture d'un bout à l'autre du mur. Le
participant de droite est alors venu à gauche pour y verser des pots
à des intervalles plus espacés. Finalement la séance a
continué avec des grandes projections plus ou moins horizont ales un peu
partout sur le mur. Pendant que les participants peignaient, je
découpais des morceaux de papiers pour les appliquer sur le rebord en
ciment en bas du mur et créer ce que j'appelle des informes. Cette
manière de procéder oü je m'agenouille pour recueillir la
peinture au pied du mur renforce le caractère rituel de
l'évènement.
Cette première expérience me permet de
préparer un évènement plus important et impliquant plus de
participants. L'action prendrait alors un caractère proliférant
plus marqué, serait plus animée et plus vivante. Pour la
prochaine action, je souhaite préparer d'avance les peintures. Les
participants trouveraient en arrivant une table sur laquelle seraient
posées des dizaines de pots remplis de Peintures liquides.
J'expliquerais alors plus en détail le pourquoi et le comment de cette
action. Je dirais que le mur est à envisager dans sa totalité et
que l'unité de la peinture finale se prévoit dès le
début. J'utiliserais pour les informes du papier gravure qui s'adapte
mieux au relief du ciment. Dans cette action, l'oeuvre d'art n'est pas tant le
résultat que l'évènement lui-même. Les peintures
créées ne sont finalement que le témoignage d'une action
qui fait véritablement Ïuvre. Une des tendances de l'art actuel est
la délégation de la production des Ïuvres. Le travail de
Claude Rutault par exemple, permet de mieux appréhender la question de
la
méthode de collaboration et de
délégation. Avec ses définitions/méthodes, Rutault
donne les consignes de base permettant de réaliser ses Ïuvres.
L'Ïuvre chez Rutault réside dans l'idée. La mise en
Ïuvre est donc laissée à l'acheteur. Cette manière de
procéder n'est- elle pas une facon de prendre au pied de la lettre (et
de détourner) l'expression de Marcel Duchamp Ç ce sont les
regardeurs qui font les tableaux>>? J'envisage de repeindre le mur et de
recommencer l'action en invitant plus de participants. La peinture murale
réalisée n'existerait que jusqu'à ce qu'elle soit
recouverte lors de l'évènement suivant. L'Ïuvre existera
donc plus par le moment de sa création que par son résultat
éphémère. Ainsi Yves Michaux dans son livre L'art
à l'état gazeux, parle de la Çdisparition de
l'Ïuvre comme objet et pivot de l'expérience
esthétique>>.16
Fig. 22. La première coulure.
Fig. 23. Je presse un morceau de papier en bas du mur
pour créer un Informe.
16 Yves Michaux, L'art à l'état gazeux,
Op. cit., p. 9.
Fig. 24. Le rebord en ciment sur lequel la peinture
s'écoule. Je presse du papier sur cette surface pour créer ce
que j'appelle des Ç informes È.
Fig. 25. Informe de Mur Liquide n°1,
technique mixte sur papier, 4,5 x 25 cm.
3.b. Barrage liquide n°1
Je propose de peindre le barrage de Cleuson qui se trouve au
dessus de la ville de Nendaz dans le canton du Valais au sud-est de la Suisse.
Ce barrage de 87 metres de haut et 420 metres de long est une grande surface
plate et inclinée. Il est géré par la
société Energie Ouest Suisse Lausanne. Onze ouvriers sont morts
sur le chantier entre le début de sa construction en 1947 et sa mise en
service en 1951.
Je propose de verser de la Peinture liquide depuis le tablier
du barrage. Peinture liquide n°1 donne une idée de ce que
cela pourrait donner. Ce travail serait une mise en valeur originale
du barrage qui convoquerait la réflexion. Il constituerait aussi un
hommage aux victimes des accidents pendant les travaux. Les coulures
évoqueraient le sang des ouvriers qui sont morts pendant la construction
et les larmes de leurs proches. Ce projet peut être mis en rapport avec
celui de Christian Boltanski à l'occasion de
l'exposition de 1993 au Musée Cantonal des Beaux-arts
de Lausanne. Christian Boltanski avait alors dressé la liste des Suisses
morts dans le canton du Valais en 1991.17
Le projet Valley Curtain de Christo et Jeanne-Claude
est une sorte de barrage en tissu qui traverse la vallée de Rifle dans
l'état du Colorado aux Etats-Unis. La surface de ce rideau de 381
mètres de large est striée par des plis verticaux qui ondulent au
vent. Les lignes verticales donnent une idée de ce que serait le barrage
peint. De nombreuses personnes ont participé à la mise en place
de ce gigantesque mur de tissu (35 ouvriers du bâtiment, 64
intérimaires, des ouvriers saisonniers, des étudiants en art et
des collégiens).
Je tiens à souligner qu'il existe un rapprochement
plastique à effectuer entre Valley Curtain et le projet du
barrage de Cleuson. La silhouette du rideau de tissu évoque celle d'un
barrage puisqu'il bouche toute la vallée à un endroit oü
celle-ci est relativement étroite et que le haut est presque horizontal.
Les plis du tissu forment des lignes verticales, lignes qui proviendront des
coulures de peinture dans le cas du barrage de Cleuson. Enfin la couleur rouge
pourrait être la couleur principale utilisée pour le barrage de
Cleuson. Les projets de Christo et Jeanne-Claude montrent qu'avec beaucoup de
détermination il est possible de convaincre les autorités
concernées. L'aspect relationnel et social est fondamental chez Christo
et Jeanne-Claude. En am ont du projet, il s'agit de convaincre les
autorités et les propriétaires fonciers. Christo et Jeanne-Claude
passent beaucoup de temps à voyager, à rencontrer les gens et
intervenir dans les débats. Leur projet pour le Reichstag suscita
d'ailleurs le premier débat parlementaire au sujet de la
réalisation d'une Ïuvre d'art. Les projets réalisés
sont des projets de plein air auxquels tout le monde a accès. Christo et
Jeanne-Claude considèrent que chacun a le droit de ressentir une
émotion artistique et que cette émotion ne doit pas être
réservée à une élite et à l'espace du
musée.
Le fait que de nombreuses personnes soit impliquées
dans la réalisation d'une Ïuvre d'art correspond à l'une des
tendances majeures de l'art contemporain. Dans le cas du projet pour le barrage
de Cleuson, il serait éventuellement possible de faire participer les
étudiants de la Haute Ecole d'Art et de Design de Genève et/ou
ceux de l'Ecole Cantonale d'Art de Lausanne. Ce projet pourrait aussi
s'inscrire dans le cadre de la Biennale d'Art de Montreux .
17 Christian Boltanski, Les Suisses morts : Liste des Suisses
morts dans le canton du Valais en 1991, exposition au Musée
Cantonal des Beaux-arts de Lausanne, 1993.
Dans le travail de Robert Smithson intitulé Asphalt
Rundown, de l'asphalte liquide glisse de la benne d'un camion sur la pente
d'une carrière. L'action dure environ une minute et ressemble à
une coulée de lave. Pollock avait décroché la toile du
chevalet pour la poser par terre. Smithson va plus loin et fait couler la
peinture (ici de l'asphalte) directement sur un paysage. Ce travail est une
référence pour le projet du barrage de Cleuson, puisqu'il s'agit
d'une coulure à la dimension d'un paysage. Cette coulée
d'asphalte a été organisée par une petite équipe
dont un chargé de communication avec les autorités. Robert
Smithson a réalisé des croquis préparatoires comme par
exemple Asphalt on eroded cliff (1969, encre et craie colorée
sur papier, 18 x 24 cm).
Pour peindre le barrage, il serait possible d'utiliser de la
peinture sous la forme d'un copolymère styrène. Cette peinture a
les qualités requises pour être appliquée sur le
béton d'un barrage: Elle évacue l'humidité interne, elle
présente une résistance inégalable face aux
intempéries, elle possède un fort pouvoir garnissant et opacifian
t, elle est inerte chimiquement sur fond alcalin. Cette peinture est vendue
sans intermédiaire par l'usine Métaltop. Il faudra prévoir
de monter un financement et pour cela contacter les équivalents suisses
de la DRAC et du Conseil Général en France c'est-à-dire
l'Office Fédéral de la Culture et Pro Helvetia.18 Il
serait logique de demander le soutien de la ville
19
de Nendaz qui bénéficiera des retombées
positives du projet.De plus il existe de nombreuses fondations privées
en Suisse comme par exemple le Pour-cent Culturel Migros.20 En
raison du caractère participatif du projet, il est envisageable de
proposer un soutien individuel au financement. Enfin pourquoi ne pas s'inspirer
de Christo et Jeanne-Claude, et organiser une exposition (au Musée
Cantonal des Beaux-arts de Lausanne?) des croquis, maquettes et autres projets
en rapport avec le barrage de Cleuson?
18 Pro Helvetia est une fondation
fédérale dont les tâches concernent principalement la
création contemporaine
19 La ville de Nendaz organise déjà des
visites guidées du Barrage.
20 Le Pour-cent Culturel Migros est un mode de
financement volontaire de la culture en Suisse mis en place en 1957 par la
société Migros.
3.c. Dessin participatif n°1
Fig. 26. Dessin participatif n°1, 2009,
stylo sur papier, aluminium peint, verre, bois, métal, 50,7 x 40,9 cm.
Le dessin est une ligne ininterrompue prolongée par environ vingt
choristes de l'Orchestre et CÏur des Universités de Paris. La
consigne répétée à chacun était de
reproduire le plus fidèlement possible le motif initial.
Dessin participatif n°1 est un travail né
d'un motif proliférant que j'utilise de manière récurrente
depuis plus de dix ans. Ce motif est proliférant parce qu'il couvre une
surface en se dispersant comme une tache d'huile. Récemment, j'ai
aperçu ce motif sur un tissu dessiné par Patrick Frey. J'ai alors
réalisé que ce motif ne m'était pas propre, mais seulement
un motif simple que l'on pourrait par exemple modéliser par ordinateur
(réaliser un programme qui construirait ce motif sur un espace infini).
J'ai voulu faire l'expérience de donner à dessiner ce motif
à plusieurs personnes. Sur une feuille de papier noir, j'ai
dessiné le motif. Une vingtaine de personnes ont continué le
dessin, en essayant de reproduire au mieux le motif initial. Ce dessin est donc
une expérience à partir d'une règle du jeu simple comme
l'étaient les Blind Time Drawings de Robert
Morris21 Avant l'expérience, je pensais que
les autres auraient tendance à reproduire fidèlement le motif
avec cependant des écarts d'échelle. En fait, le résultat
montre que l'échelle reste à peu près la méme mais
que par contre la forme varie. Chacun interprète le motif suivant sa
personnalité. Dans un court texte sur sa peinture, Henri Michaux
explique qu'il peint <<pour montrer, [É] si c'est possible, les
vibrations méme de l'esprit
»22
Cette expérience rejoint des préoccupations de
l'ordre de la psychologie et je pense qu'il serait possible de numériser
le résultat et d'étudier par exemple le pourcentage de
correspondance entre le dessin initial et les suivants à partir de
paramètres définissant la qualité des courbes,
l'épaisseur du trait, etc. Le << LaboratoireÈ à
Paris, lieu d'expérimentation commun entre des artistes et des
scientifiques pourrait éventuellement accueillir ce type de recherches.
Il serait possible de conduire l'expérience avec d'autres motifs
initiaux, avec des motifs modélisés par ordinateur, de faire
participer différentes catégories de personnes, d'établir
des statistiques, etc. Inciter à l'esprit ludique est un des buts des
mes actions collectives. Pour une analyse détaillée de la place
du jeu dans l'art, se référer au chapitre <<De la
création ludique à la créativitéÈ dans
l'ouvrage de Frank Popper intitulé Art, action et participation,
l'artiste et la créativité aujourd'hui.23
La dimension métaphorique et poétique de ce
travail est celle qui me concerne plus immédiatement. Cette ligne
tracée par une succession de personnes différentes n'est- elle
pas une métaphore éventuelle de la succession des vies humaines
qui, mises bout à bout forment un tracé sinueux et ininterrompu?
Ainsi chacun reprendrait le chemin d'un autre pour le conduire plus loin,
élargissant au passage le champ de l'existant. Afin d'approfondir cette
métaphore, il faudrait qu'au début le trait soit minuscule et
qu'il s'agrandisse au fur et à mesure pour figurer l'éloignement
du passé.
Dessin participatif n°1 partage une certaine
approche dans sa réalisation avec les Fields d'Antony Gormley.
A la demande de celui-ci, des centaines de personnes, souvent appartenant
à un groupe social spécifique (famille, école, village)
ont modelé des figurines en argile. Antony Gormley explique aux
participants le type de sculptures qu'il souhaite, en terme de dimensions et de
manière de faire. Les figurines sont ensuite rassemblées et
posées côte à côte sur le sol du lieu
d'exposition.
21 A ce sujet voir notamment l'article de Jean-Pierre
Criqui dans la revue 20/27 n1, 2007.
22 Michaux, Henri, Sur ma peinture, Paris,
Gallimard, La Pléiade, t.2, p. 1026.
23 Frank Popper, Art, action et participation,
l'artiste et la créativité aujourd'hui, Paris, Klincksieck,
1980.
3.d. Le langage de la danse
Ce travail fait référence à un atelier
sur la danse que Jan Kopp a mené avec un groupe d'étudiants de
l'Ecole des Beaux-Arts de Perpignan. Jan Kopp a adopté une approche
originale en s'adressant aux étudiants dans un langage qui n'existe pas.
Il établit ce faisant des liens entre langage parlé et langage du
corps. Souhaitant utiliser les ressources de ce fameux langage, Amelia et moi
avons pris la pose afin de créer un alphabet dansé qui affirme :
Ç Dugadel vrax lugumbuma sync fijhokp.È
Fig. 27. Le langage de la danse, 2010, tirage
noir et blanc sur machine à plans, 90 x 80 cm. (photo: Diana
Belci)
3.e. Le penseur de Rodin
Le 7 mars 2009 j'ai participé à une performance
de La ·za Pautehea. La ·za a créé une performance
oü nous prenions la pose du penseur de Rodin. La ·za voulait que
la performance se déroule devant la sculpture du musée Rodin,
mais elle n'a pas eu l'autorisation à temps. Nous avons alors mis en
place cette performance devant l'université Paris Descartes. C'est
devenu une action politique remettant en cause la loi LRU. Les photos de cette
performance sont des éléments susceptibles d'être
utilisés pour une Installation proliférante.
Fig. 28. Trois photographies de la Performance Le
penseur de Rodin devant la faculté Paris-Descartes, 7 mars
2009.
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