CONCLUSION
82
Traiter de la dimension anthropologique de la violence
s'avère une entreprise délicate dans le contexte
géopolitique actuel. En effet, il s'agit d'une démarche originale
qui pose une question presque inédite par rapport à l'orientation
qui est parfois donnée à la question de la violence.
L'originalité d'une telle perspective réside d'abord dans le fait
qu'elle ne part pas d'une hypothèse négativiste de la violence.
Mais, en réalité, ce qui la rend délicate c'est qu'une
telle perspective nous conduit à reconnaître que la violence est
fondatrice de notre humanité, et qu'elle joue un rôle important,
non seulement dans le processus d'affirmation du sujet individuel, mais aussi
dans l'évolution de l'histoire universelle.
C'est justement une telle importance de la violence que Hegel
tente de mettre à nue dans son système philosophique, en
élaborant une démarche qui est fondée sur la
nécessité du conflit dans les rapports interindividuels, et aussi
interétatiques. Ces rapports conflictuels se manifestent d'abord dans le
processus phénoménologique qui met en scène le sujet
individuel dans son déploiement, du stade de la conscience
immédiate à celui de l'Esprit Absolu.
La première forme de violence met aux prises le sujet
et la nature qu'il est tenu de nier pour se départir de son
immédiateté, qui n'est que la manifestation de son
inadéquation avec son propre concept. Le moi passe ainsi à un
second stade où il entre en rapport de conflit avec d'autres sujets qui
sont comme lui en quête de reconnaissance. Cette lutte est le passage
obligé pour atteindre la réalisation du moi comme Esprit Absolu ;
réalisation qui ne sera effective que par une synthèse avec
l'absolu qui devra du coup renoncer à son infinité
première, qui n'est qu'une infinité immédiate, se rendre
fini pour ainsi se réconcilier avec le fini qui est une de ses
modalités. On le voit donc, avec Hegel, la violence n'épargne
aucun sujet, même le sujet divin, qui est souvent présenté
comme le symbole même du calme et de la stabilité, doit s'y
soumettre, en acceptant de subir la grande contradiction de l'histoire, car
c'est là que réside la condition de son effectivité.
C'est cette même nécessité de l'exercice
de la violence qui va accompagner toute la marche de l'histoire universelle. En
fait, avec Hegel, le passage de témoin entre le sujet individuel et le
sujet étatique se produit du moment où l'Etat est, en
réalité, en tant que totalité qui engloutit tous les
individus particuliers, le véritable acteur de l'histoire universelle.
Du coup, nous retrouvons le même type de rapports entre les sujets,
à savoir le conflit, dans la politique internationale. Avec Hegel, la
guerre acquiert un statut philosophique sans précédent dans
l'histoire de la pensée politique, puisque, pour lui c'est l'une des
voies les plus efficaces qu'un Etat qui aspire à la reconnaissance de sa
souveraineté puisse emprunter.
Nous voyons donc que, loin d'être un fait contingent,
l'exercice de la violence relève, pour Hegel, d'une
nécessité dans l'affirmation de la réalité humaine
dans toute sa valeur et son authenticité. C'est cela qui forge sa
supériorité sur les autres êtres, puisque c'est par la
violence qu'il se départit de son immédiateté et donc de
son animalité. L'homme peut, à la limite, être
défini, si nous suivons Hegel jusqu'au bout de sa logique, comme un
animal violent. La conséquence majeure qui découle d'une
telle position, c'est que toute tentative d'éradiquer la violence serait
non seulement en contradiction avec la volonté du progrès de
l'homme, mais également vouée à l'échec. Ceci se
justifie par le fait que, chez Hegel, l'histoire de l'humanité qui est
une longue quête de la liberté, et cette quête se fait
à travers la violence. Par conséquent, la violence est
appelée à cesser si l'Esprit universelle atteint son objectif qui
est la réalisation du principe de liberté universelle.
Il est vrai que la perspective anthropologique adoptée
dans ce travail ne se fonde pas sur des considérations éthiques,
mais il faut dire qu'elle ne ferme pas la porte a une prise en charge au plan
éthique puisqu'elle en est le préalable. Ce sont les conclusions
de la perspective anthropologique qui doivent servir de prémisses
à l'orientation éthique. Si une prise en charge au plan
éthique de la violence s'est toujours orientée vers un effort de
l'éradiquer, les conclusions d'une prise en charge dans la perspective
anthropologique nous montrent qu'en réalité, la seule orientation
pertinente qui devrait sous-tendre la perspective éthique, c'est celle
qui tenterait de répondre à la question suivante : «
comment faire un bon usage de la violence ? ».
84
Mais il faut reconnaître qu'une telle question laisse
apparaître l'idée que la violence n'est pas toujours au service
d'une cause juste, c'est-à-dire qu'elle peut faire l'objet d'une
mauvaise utilisation, et n'avoir pour autre fin que la destruction. Hegel lui
même en est bien conscient puisqu'il ne cautionne pas toutes les formes
d'expression de la violence. La violence n'est synonyme de progrès que
lorsqu'elle est au service de la marche de l'histoire universelle. Le fait que
l'humanité ne puisse pas toujours faire un bon usage de la violence peut
certainement trouver son explication dans le fait qu'il soit un être fini
et donc imparfait.
Ces deux dimensions contradictoires de la violence manifestent
donc la nature finie et corrompue de la réalité humaine. Il
ressort de là que la violence constructive et celle destructive sont
appelées à cohabiter éternellement. La conclusion à
laquelle nous a conduit notre recherche sera certainement qualifiée de
pessimiste, mais il faut dire qu'elle est plutôt réaliste
puisqu'elle est le résultat d'une anthropologie qui s'est voulu, «
une anthropologie sans complaisance ».
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IV AUTRES SOURCES :
La Bible.
90
MATIERES
|
Pages
|
Dédicaces
|
2
|
Remerciements
|
3
|
Introduction
|
..5
|
PREMIERE PARTIE : Le sujet Humain comme sujet de
violence
|
.11
|
CHAPITRE I : La révolte du sujet contre la nature
|
14
|
CHAPITRE II : La lutte pour la reconnaissance
|
24
|
CHAPITRE III : La dialectique de l'humain et du divin
|
37
|
DEUXIEME PARTIE : L'histoire universelle ou le
règne de la terreur
|
47
|
CHAPITRE I : La guerre comme forme de lutte pour la
reconnaissance
|
49
|
CHAPITRE II : Le drame de l'histoire universelle et le rôle
des Grands hommes
|
60
|
CHAPITRE III : De l'utopie d'une histoire universelle sans
violence
|
71
|
Conclusion
|
81
|
Bibliographie
|
.. 85
|
Table des Matières
|
90
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|