II.5. LA MALTRAITANCE DES
ENFANTS.
La Convention internationale des droits de l'enfant
signée à Genève par 191 pays de l'Organisation des Nations
Unies (ONU) reconnaît toute une panoplie des droits fondamentaux et
inaliénables à tout enfant. La violation d'un de ces droits
constitue un mauvais traitement à l'égard des enfants. Et cette
violation est punissable par la loi. Mais, dans la quasi-totalité des
pays du monde, les droits des enfants sont méconnus, bafoués,
foulés aux pieds par les adultes, qui pourtant sont censés les
protéger.
Il existe plusieurs types de maltraitances des enfants :
de la négligence à la violence verbale, de la maltraitance
psychologique à la maltraitance physiologique ou physique, en passant
par la maltraitance morale. Dans ce roman, il est plus question de la
maltraitance psychologico-verbale et de la maltraitance morale.
La maltraitance psychologique est celle qui plonge l'enfant
dans un conflit intérieur et le stresse. C'est le cas du système
policier qui annihile tout sentiment de liberté chez l'enfant. C'est
également le cas des ordres contradictoires qui mettent l'enfant dans
l'embarras, embarras qui est fatal dans la formation de la personnalité
de l'enfant. Car il l'empêche de distinguer le bien à faire, du
mal à éviter.
La maltraitance verbale concerne toutes les paroles blessantes
qu'un parent ou un éducateur adresse régulièrement
à un enfant. Le risque ici est de plonger l'enfant dans une obsession,
une certaine dépréciation de soi et une sous-estimation de ses
capacités. C'est le cas des insultes, des propos pessimistes, de la
calomnie...
La maltraitance morale est celle qui touche à des
attitudes et des agissements visant à nuire au bonheur d'un enfant.
C'est le cas des inégalités dans le traitement des enfants :
à certains on prive de l'argent pendant qu'on en donne à
d'autres, certains sont obligés à prendre part à des
activités spirituelles (retraite...) pendant que d'autres en sont
dispensés. Et cela, non pas parce que l'on se soucie du salut de leurs
âmes. C'est également le cas de l'oubli volontaire dans
planification des vacances, pour certains enfants...
II.5.1. LA MALTRAITANCE
PSYCHOLOGICO-VERBALE.
Jean n'a jamais eu de mère, plutôt une
marâtre, qu'il surnomme « Folcoche », c.-à-d.
« folle et cochonne ». Jean Rezeau a grandi dans une
atmosphère de révolte continuelle, qu'il nomme
« haine ». Il n'a jamais connu cet amour maternel
qu'expérimentent d'autres enfants. Quand bien même, avant d'aller
dormir, Fred et Jean recevaient à l'accoutumée un signe de croix
sur leur front, tracé du bout du doigt par leur père, c'est du
bout de « l'ongle » qu'ils le recevaient de leur
mère. L'enfance pour Jean a toujours été cette faiblesse
livrée aux muscles des parents. Durant les sept ans passés en
famille, les siens n'ont été que des commensaux, divisés
en deux factions rivales.
Dès le début du roman, nous voyons les enfants
Rezeau soumis à un régime de surveillance, à l'exception
de Marcel. Fred, à Nantes, est surveillé par la tante Bartolomi
et Jean, à Angers, est à la charge de Félicien Ladourd.
Dès sa tendre enfance, Jean grandit dans un climat
familial où règnent la rivalité et la
conflictualité. Cette tendre enfance dont les psychologues, sociologues
et pédagogues conviennent qu'elle est très déterminante
dans le devenir d'un individu.
Bien plus, Jean souffre d'une crise de modèles. Son
oncle et son père, dont il cite plus d'une fois les propos en
référence dans le premier chapitre de ce roman, l'ont
déçu. Il n'aurait jamais cru qu'ils réagiraient ainsi
à la crise économique de l'heure, crise qui n'épargne
personne, même pas la famille Rezeau, et dont les conséquences
sont alarmantes.
Elevé dans une famille bourgeoise, Jean Rezeau n'en
revient pas. Son oncle, le baron de Selle d'Auzelle, pour qui l'honneur valait
plus que la vie, pratique maintenant le népotisme à grande
échelle : il fait de sa nièce, Edith Torure, la
secrétaire de la Santima et de son neveu, Léon Rezeau, un
commerçant. Pourtant, quelques années auparavant le baron de
Selle d'Auzelle déclarait à Jacques Rezeau, à La Belle
Angerie, que la situation de leur soeur était alarmante et qu'il
aimerait mieux la voir mourir de faim que de lui décrocher un quelconque
poste d'institutrice. « Mieux vaut ne pas aider les siens que les
aider à s'encanailler », disait-il.
Pire encore, Jacques Rezeau, professeur honoraire de Droit
à la Faculté catholique d'Angers, qui affirmait, il y a quelques
temps, à Félicien Ladourd que personne ne pouvait encore accepter
le métier de magistrat, a décidé de coiffer la toque comme
substitut de troisième classe. Il n'a pas su rester à Angers. Il
a été envoyé dans les colonies, en Guadeloupe, où
la paie était consistante.
Pour des « raisons inconnues », les
enfants Rezeau (Fred, Jean et Marcel) sont retirés du collège
Sainte Croix où ils étudiaient et sont dispersés dans
trois écoles différentes. Fred est envoyé à Nantes
sous la surveillance de sa tante, Bartolomi. Jean est envoyé à
Angers sous la garde de Félicien Ladourd, un étranger à la
famille, sous-prétexte qu'il n'y aurait personne d'autre pour tenir ce
rôle. Mais, en réalité, ce choix vise plus à vexer
Jean. Quant à Marcel, il est envoyé à Combrée.
Puis, en guise de « récompense » pour les prix
obtenus, il rejoint ses parents en Guadeloupe, où il est inscrit au
lycée Basse-Terre.
C'est avec une désinvolture qui frise la moquerie que
Madame Rezeau parle des prochaines études universitaires de Jean. Quand
M. Rezeau demande à son fils s'il s'est décidé finalement
à faire le Droit, celui-ci proteste par le silence. Prenant ce silence
pour un oui, « Folcoche » s'étonne:
« Généralement, il ne sait pas ce qu'il
veut ». Et elle ajoute : « Je ne parle pas de Fred.
Celui-là sait peut-être ce qu'il veut. Mais ce qu'il veut, c'est
de ne rien faire. » Lorsque M. Rezeau tente de nuancer les propos de
son épouse, un seul regard de celle-ci suffit à lui imposer le
silence. Puis, Paul Rezeau ignore ses autres interlocuteurs et se met à
parler de tout et de rien avec Marcel : timbres antillais...
Cette maltraitance verbale à l'égard de Jean et
de Fred s'étend de la première à la dernière page.
C'est en termes de plaintes que Paule Rezeau parle de Brasse-bouillon et de
Chiffe et d'éloges quand elle parle de Cropette. « Vous nous
causez bien de soucis, leur dit-elle. Heureusement que nous avons
Marcel. » Dans tout le roman nous voyons Madame Rezeau absente de
toute effusion de tendresse à l'égard de Jean et de Fred. Elle
ne leur prodigue aucune marque d'affection ni ne leur adresse aucune
félicitation, aucun éloge, aucun encouragement. Par contre, elle
apparaît dans toutes les décisions injustes à leur
égard. Elle excelle dans l'art de miner leur carrière, de briser
leur vie en décourageant toutes les personnes (la famille Ladourd, Fine,
Paule Leconidec, Monique Arbin) qui leur offrent de l'affection.
Pire encore, Paule Rezeau donne des ordres contradictoires
à Jean. Oubliant sa recommandation précédente, où
elle demandait à Jean de se prendre désormais en charge
financièrement pour l'habillement, Paule Rezeau lui reproche de
s'être acheté de beaux habits. Sans qu'il ne le sache, elle met
son fils sous surveillance.
Quand elle remarque que son fils est en train de devenir un
homme responsable et qu'il acquiert progressivement une certaine autonomie
financière, plutôt que de s'en réjouir,
« Folcoche » va prendre une série de mesures pour
briser cette autonomie. Ce faisant, « Madame Mère »
voulait obtenir l'insoumission de Jean pour briser à jamais sa
carrière en mettant fin à ses études. Elle met fin au
travail de Jean à la Santima, « afin qu'il se consacre
uniquement à ses études de Droit ». Elle décide
de le retirer de chez Mme Polin pour l'envoyer aux internats de la
Faculté, où l'on ne sort pas quand on veut. Pis encore, elle met
fin au flirt de Jean avec Michelle Ladourd. Elle le calomnie auprès de
Félicien Ladourd et de son épouse : « Mon fils
raconte partout que votre fille est sa maîtresse. » Quand Jean
se rend dans la famille Ladourd, il est bien tard pour réparer le tort
causé. Il y est persona non grata.
Jean se révolte, il décide d'abandonner ses
études et de rompre avec sa famille. Il quitte Angers et s'en va
à Paris. Là, il s'inscrit en Journalisme à la Sorbonne et
rend quelques services le soir, pour se payer les études. Mais
« Folcoche » ne désarme pas. Elle continue tout de
même à le faire surveiller.
Elle raconte, avec fierté, à qui veut l'entendre
que Jean a échappé de justesse à une affaire de moeurs,
qu'il vit maintenant aux crochets d'une putain et qu'il serait malade.
Avant le mariage de Jean avec Monique, « Mme
Mère » mandate son mari, « le chef de la
famille », de l'en dissuader, mais de manière diplomatique.
Cela dans le but de jeter un discrédit sur Jean et sur son épouse
en cas de refus. Ainsi l'épouse de Jean ne serait pas comptée
comme membre de la famille Rezeau. Toutefois, en cas de soumission, Paule
dirait : « Voilà, comme je le disais, ce garçon ne
sait jamais ce qu'il veut. »
Paule Rezeau recommande à Jean que les autres formes de
mariage manquent, sauf le mariage religieux, convaincue que Jean ferait
diamétralement l'opposé. Ainsi, elle pourrait
déconsidérer l'épouse de Jean, la qualifiant de
maîtresse légale.
Voilà bien autant de maltraitances
psychologico-verbales que devaient endurer ces infortunés, Fred et Jean.
Ce n'est pas tout, ils connaîtront aussi des maltraitances morales. C'est
de ces dernières dont question maintenant.
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