La théorie des cycles dans la controverse entre Keynes et Hayek( Télécharger le fichier original )par Ousmane Thiané DIOP Paul Cezanne Aix en Provence - Master II Philosophie Economique 2007 |
Section III : Contexte de la controverseOn se souvient à peine du temps où les nouvelles théories de Hayek étaient les principales rivales de celles de Keynes. A qui fallait il donner raison, à Hayek ou à Keynes ? Hicks, 1967, p. 203 La controverse entre Keynes et Hayek est certainement l'une des preuves que la science économique reste une science sociale, par opposition aux sciences naturelles dans lesquelles toute divergence de vue est en sursis ; grâce à des expérimentations plus poussées ou des théories ultérieures plus raffinées, l'on parvient facilement à dire non seulement laquelle des vues est fallacieuse au moins mais en quoi l'une des théorie au moins s'était égarée si ce n'est les deux. Pour le débat Keynes Hayek, il existe toujours des partisans farouches à chaque vision. Au sens de Shackle (1967), cette controverse eut lieu dans le contexte des « années de haute théorie », période pendant laquelle le noyau de la science économique moderne s'est constituée grâce à la contribution d'auteurs tels que Schumpeter, Keynes, Hayek, Mises, Friedman.... ; pour certains auteurs l'arrivée de Hayek à la London School of Economics s'inscrit dans la volonté de Robbins de constituer un obstacle aux idées de Keynes contenues dans Treatise on Money et qui, pendant cette période, dominait la pensée économique en grande Bretagne ; le Treatise de décembre 1930 qui globalement prône une intervention monétaire afin de permettre à la classe des producteurs de disposer des ressources nécessaires à leurs activités et à la modernisation du système de production en vue de plus d'emplois de richesse moyennant un peu plus d'inflation, a eu comme réponse les quatre conférences prononcées par Hayek en février 1931 à LSE avant d'être réunies sous la forme d'un ouvrage intitulé Prix et Production en septembre 1931. Ces écrits prennent pour une large part le contre-pied des thèses développées par Keynes dans le Treatise. Selon Hayek les politiques keynésiennes ne produisent leurs effets escomptés qu'à court terme avant de révéler leur totale impuissance. Elles sont dangereuses et irresponsables. Il fut chargé par Robbins de passer en revue le Treatise afin d'en montrer l'inconsistance. En résumé, il lui reprochait d'avoir élaboré une théorie macroéconomique sans fondement microéconomique, l'absence d'une théorie du capital, la non élucidation du rôle du taux d'intérêt dans la relation entre épargne et investissement et le recours aux agrégats : « in particular Hayek's critic of Keynes capital theory implies that Keynes' framework in the treatise is totally without micro foundations since it focuses on the functional relation between aggregates. (Zouache, 2005, p5) En février 1932 une autre partie de la critique fut publiée. Keynes dut à son tour chargé Piero Sraffa de procéder à la critique de Prix et Production dont lui-même fit le commentaire suivant : « il s'agit de l'un des plus effroyables embrouillaminis que je n'ai jamais lus, contenant rarement un proposition sensée au delà de la page 45. C'est un exemple extraordinaire de la manière dont, partant d'une erreur, un logicien impitoyable peut se retrouver à Bedlam23(*) (Keynes, 1971-1989, vol 13, p. 154)24(*) Hayek, en plus des reproches qu'il fit à Keynes sur l'usage d'agrégats incapables d'établir des liens entre eux, avait pointé du doigt le caractère difficile et obscur de son exposé, l'emploi inconsistant de plusieurs expressions, la faiblesse de l'argumentation ainsi qu'une maîtrise imparfaite de la théorie économique que l'on pouvait identifier dans la négligence du rôle du capital et de l'intérêt. Keynes répondit en soutenant : « Hayek n'a pas lu mon livre avec la bonne volonté qu'un auteur est en droit d'attendre d'un lecteur. il y'a dans ses écrits une dimension passionnelle qui l'a conduit à s'en prendre à moi, sans qu'il me soit possible d'en déterminer l'origine. » 1973, vol 13, p 243 La critique de Sraffa fut assez virulente. S'il reconnaît à Hayek le mérite d'avoir mis l'accent sur l'impact d'une impulsion monétaire sur les prix relatifs et non sur le niveau général des prix comme c'était de tradition, il ne lui attribue par ailleurs aucune autre innovation et lui reproche d'avoir pris en compte une monnaie émasculée qui ne remplirait que la fonction d'instrument d'échange sans réserve de valeur. A son avis Hayek n'a fait qu'alimenter la confusion générale autour de ce sujet. Hayek et Keynes entretiennent une correspondance de décembre 1931 à mars 1932 (Zouache 2003). Cette correspondance où chacun essayait de convaincre l'autre des fondements légitimes de sa théorie ainsi que des errements de la sienne prit fin sous l'impulsion de Keynes qui prétexta préférer se consacrer à affiner ses théories. Comment se fait il que deux auteurs avec autant de partisans aient pu s'opposer avec autant de netteté ? Ceci a fait l'objet de diverses interprétations. Tieben l'attribue à une sorte de tour de Babel où chaque auteur aurait son propre vocabulaire. Steele considère que la différence de principe est plutôt philosophique alors que Dostaler en trouve les fondements sur le plan éthique et politique. (Zouache, 2003) Toutefois une théorie, par opposition à une politique a pour objet de décrire une réalité objective. Il est compréhensible qu'ils aient des propositions de politiques économiques différentes du fait de leurs préférences philosophiques, éthiques ou politiques. Cependant, la description d'une réalité objective ne doit pas être influencée par les passions ou la foi mais uniquement par la raison. * 23 Célèbre hôpital psychiatrique de Londres. * 24 Comme toujours, les auteurs se montrent plus experts dans les critiques qu'ils s'adressent les uns aux autres que dans la partie positive de leurs travaux. |
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