LA LIBERTE DE SE VETIR
A SA GUISE AU LIEU ET
AU TEMPS DU TRAVAIL.
Mernoire dirige par Diane de Saint-
Affrique et Gregory Bourdrez
MiM - M2 Droit des Affaires
Année 2009-2010
Nb de pages : 82 p.
« J'atteste que ce travail est personnel et cite
systématiquement toute source utilisée entre guillemets et ne
comporte pas de plagiat »
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SOMMAIRE
INTRODUCTION 3
SECTION 1 : UNE LIBERTE DE SE VETIR A SA GUISE AU LIEU ET
AU TEMPS DU TRAVAIL NIEE ? 8
I - DE L'EVIDENTE RECONNAISSANCE SOCIALE D'UNE LIBERTE DE SE
VETIR A SA GUISE, 8
1. Vers une personnalisation et une individualisation des
apparences, 8
2. Le monde du travail comme miroir de la
société, 11
II - DE L'ABSENCE DE RECONNAISSANCE JURIDIQUE D'UNE LIBERTE DE SE
VETIR A SA GUISE AU TRAVAIL ; 16
III - DU REFUS DE RAPPROCHER LA LIBERTE VESTIMENTAIRE DU SALARIE
D'AUTRES LIBERTES CONSACREES PAR DES TEXTES JURIDIQUES OU PAR LA JURISPRUDENCE
; 21
1. Liberté de se vêtir et liberté
d'expression individuelle du salarié ; 23
2. Liberté de se vêtir et lutte contre les
discriminations illicites fondées sur l'apparence
physique ; 24
3. Liberté de se vêtir et liberté
religieuse ; 27
4. Liberté de se vêtir et droit à la vie
privée du salarié ; 29
5. Liberté de se vêtir et droit au respect de
la dignité de la personne ; 30
SECTION 2 : UNE LIBERTE QUI N'EST PAS NIEE CAR CONFONDUE
DANS LES LIBERTES INDIVIDUELLES ET LES DROITS DU SALARIE PROTEGES PAR
L'ARTICLE L.1121 DU CODE DU TRAVAIL ; 36
I - LE RAPPORT DIALECTIQUE DU TRAVAIL ET DES LIBERTES DU SALARIE
; 36
1. Le lien de subordination et le contrat de travail au
coeur de la relation dialectique du travail et des libertés du
salarié ; 36
2. Réflexions autour de l'article L 1121-1 du Code du
travail issu de la loi du 31 décembre 1992: un article pour le moins
flou et paradoxal qui ne fait que renforcer l'idée d'une difficile
articulation du travail et des libertés du salarié ; 37
2.1. Un article flou : 38
2.2. Un article paradoxal : 41
II - DE L'APPLICATION PAR LA JURISPRUDENCE DE L'ARTICLE
L.1121-1 : UN CONTROLE RIGOUREUX DE LA COUR DE CASSATION DE LA JUSTIFICATION
DU LICENCIEMENT EFFECTUE DANS LE CADRE D'UN CONTENTIEUX VESTIMENTAIRE; 43
1. Sur la nature des fonctions exercées, 43
2. Sur la finalité propre de l'entreprise, 44
2.1. Impératifs d'hygiène et de
sécurité 45
2.2. Contact avec la clientèle, 46
2.3. Atteinte à la décence ou aux bonnes moeurs
47
3. Sur le trouble caractérisé et le principe
de proportionnalité, 47
4. Préserver avant tout le but recherché par
l'entreprise ? 49
4.1. Le critère de finalité propre de l'entreprise
peut suffire seul à justifier un licenciement
non disciplinaire motivé par des comportements se
rapportant à la vie professionnelle du salarié, 49
4.2. L'obligation de loyauté et de bonne foi du
salarié : l'habit ne fait pas le moine, mais il
peut faire le salarié, 51
5. Ou défendre les intérêts des
salariés ? 52
5.1. L'utilisation de l'article L.1121-1 du Code du travail pour
protéger également la liberté
vestimentaire du salarié ; 52
5.2. Refus de considérer la liberté vestimentaire
du salarié comme une faute, 53
5.3. La Cour de cassation contrôle fermement la bonne
application des critères nécessaires à justifier un
licenciement effectué dans le cadre d'un contentieux lié à
la liberté d'habillement par les juridictions de première et
de seconde instance ; 54
5.4. Licencier seulement si le salarié fait preuve de
mauvaise volonté ; 56
SECTION 3 : DE LA LIBERTE DE SE VETIR A SA GUISE COMME
LIBERTE FONDAMENTALE DU SALARIE ? 61
I - N'EST PAS LIBERTE FONDAMENTALE N'IMPORTE QUELLE LIBERTE ;
61
1. Des critères stricts à la reconnaissance
des droits fondamentaux propres au droit du travail ; 61
2. Insérer la tenue vestimentaire dans l'article
L.1132-1 du Code du travail ne « fondamentalisera » pas la
liberté d'habillement ; 64
3. Des conséquences d'une sanction prise en violation
d'une liberté fondamentale disproportionnées pour la
liberté vestimentaire ; 65
3.1. L'activation d'une procédure particulière ;
65
3.2. Le règlement des conflits de droits entre les parties
; 66
II - LA LIBERTE DE SE VETIR N'EST PAS UNE LIBERTE FONDAMENTALE DU
SALARIE ; 69
1. Le choix du vêtement se situe à l'interface
de l'expression d'une individualité et du lien social qu'il incarne ;
69
2. La liberté de se vêtir : le prolongement
d'autres libertés fondamentales plutôt que d'en constituer une
à part entière ; 71
CONCLUSION 75
BIBLIOGRAPHIE 77
INTRODUCTION
Le débat né il y a plus de 20 ans sur la
compatibilité des libertés et des droits de la personne avec
l'exécution du contrat de travail n'est pas clos. Il est, en effet,
régulièrement ravivé par des initiatives salariales ou
patronales justifiées tantôt par la volonté de faire valoir
un droit dont l'usage semble abusivement restreint, tantôt par le souci
de faire prévaloir les intérêts de l'entreprise.
C'est le Conseil d'État qui, en 1962, déclare
pour la première fois qu'un règlement intérieur ne peut
comporter de limitations qui excèdent par leur
généralité l'étendue des sujétions qu'un
employeur peut imposer à son personnel afin d'assurer le bon ordre et la
discipline. En 1980, la Haute juridiction administrative précise
à un employeur, voulant assurer l'hygiène et la
sécurité et soumettre ses salariés à
l'épreuve de l'alcootest que les droits de la personne ne pouvaient
être limités que si le but recherché rendait
nécessaires les restrictions et ne concernait pas indistinctement
l'ensemble des salariés. Ce n'est qu'en 1982, avec les lois Auroux et
plus précisément celle du 4 août 1982 qu'apparaît
l'idée que le règlement intérieur «ne peut apporter
aux droits et libertés des personnes des restrictions qui ne seraient
pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni
proportionnées au but recherché ». Mais l'exercice du
pouvoir réglementaire de l'employeur ne constitue pas l'unique occasion
d'atteinte possible aux libertés. La loi du 31 décembre 1992,
initialement animée par le souci d'assurer le respect des
libertés individuelles au moment de l'embauche, devient, grâce
à l'article L 1121-1 du code du travail qui reprend mot pour mot les
termes de l'article L 122- 35, un instrument de protection des libertés
tout au long de la vie professionnelle du salarié.
L'évocation rapide de cette évolution conduit
alors à se demander s'il existe des libertés dont l'employeur
peut restreindre l'exercice et d'autres, au contraire, qui revêtent un
caractère absolu.
C'est sans doute le concept de « dignité humaine
» qui fédère un ensemble de droits et de libertés
auquel aucune autorité ne semble pouvoir porter atteinte.
Présente dans des textes hiérarchiquement supérieurs aux
lois ordinaires, tels que la Déclaration universelle des droits de
l'homme adoptée an 1948, cette notion est largement répandue en
droit du travail.
D'un autre côté existerait un ensemble de
prérogatives que tout individu et tout salarié serait susceptible
de faire valoir. Cependant, l'employeur, dans un souci de sauvegarde des
intérêts de l'entreprise, pourrait imposer des restrictions. La
loi ne donne évidemment pas la liste de ces libertés. Les
articles L 1121-1 et L 122-35 du Code du travail fixent alors des conditions de
validité aux contraintes patronales : obéir au double principe de
nécessité et de proportionnalité.
Mais un conflit est inévitable et la liberté de
se vêtir à sa guise au lieu et au temps du travail n'y
échappe pas, bien au contraire.
En effet, on pourrait tout à fait envisager que la
liberté de se vêtir est une composante à part
entière de la dignité de la personne et, qu'à ce titre,
elle mériterait d'être érigée au rang de
liberté fondamentale qui pourrait être opposée à
l'employeur sans que celui-ci ne puisse y apporter une quelconque restriction.
Après tout, se voir licencier pour une tenue qui ne correspondrait pas
aux attentes de l'employeur en la matière peut tout à fait
constituer une atteinte à la dignité de la personne car touchant
à sa personnalité propre et donc une violation d'une
liberté fondamentale du salarié.
On pourrait, a contrario, considérer que la
liberté de se vêtir à sa guise ne revêt pas un
caractère suffisamment absolu pour qu'il soit pensable de
l'ériger au rang de liberté fondamentale. En effet, la vie du
salarié n'est pas en jeu si sa liberté de se vêtir à
sa guise est remise en question une fois passé le seuil de
l'entreprise.
C'est bien souvent autour d'un tel débat d'opinions sur
la liberté de se vêtir à sa guise que se sont construits
les divers développements sur la question de savoir si oui ou non cette
liberté est une liberté fondamentale, opposant les
défenseurs acharnés des libertés du salarié et les
partisans d'une protection tout aussi légitime des intérêts
de l'entreprise. Le débat s'est donc essentiellement focalisé sur
la liberté fondamentale que constituerait ou pas la liberté de se
vêtir à sa guise au lieu et au temps du travail.
Cependant, avant même que de s'attarder sur cette
délicate question de trancher sur le caractère fondamental de la
liberté de se vêtir à sa guise, il semblerait utile de
s'intéresser à l'existence même de cette liberté qui
pose de nombreuses questions aux juristes, car même si les juges de la
Cour de cassation ont affirmé haut et fort que « la liberté
de se vêtir à sa guise
au lieu et au temps du travail n'est pas une liberté
fondamentale » (cass.soc.,29 mai 2003), l'analyse du traitement
et de la prise en compte de la liberté de se vêtir dans le
contentieux opposant le salarié et l'employeur, nous allons le voir, ne
semble pas encore permettre de dégager une liberté de se
vêtir à sa guise à part entière une fois
passée le seuil de l'entreprise.
Il nous semble donc utile, avant de s'interroger sur l'essence
et les fondements de la liberté de se vêtir à sa guise lui
permettant une éventuelle qualification de liberté fondamentale,
de questionner l'existence même de cette liberté dans
l'entreprise.
En effet, si la liberté de se vêtir à sa
guise n'est pas reconnue comme une liberté ad hoc pouvant
être valablement opposée à l'employeur, ne serait-ce qu'en
tant que liberté individuelle et que droit de la personne
protégés notamment par l'article L 1121-1 du Code du
travail1, comment pourrait-elle lui être opposée en
tant que liberté fondamentale ?
La liberté de se vêtir à sa guise
mérite-t-elle donc une meilleure considération dans l'entreprise
?
Nous verrons donc, dans un premier temps, que malgré le
fait qu'il semble exister une véritable liberté de se vêtir
reconnue comme faisant partie des libertés individuelles et des droits
de la personne, voire des libertés fondamentales dans la vie
privée des salariés, cette liberté n'est pas reconnue
comme telle au lieu et au temps du travail : la liberté de se
vêtir à sa guise n'apparaît donc pas comme une
liberté valablement opposable à l'entreprise.
Nous tâcherons ensuite de montrer qu'il existe diverses
difficultés, ne tenant pas à un refus que l'on pourrait qualifier
de « rétrograde » du droit du travail de ne pas
reconnaître la liberté de se vêtir à sa guise au
travail comme une liberté en tant que telle, mais plutôt à
la délicate articulation entre le travail et les libertés du
salarié. Nous démontrerons ainsi que la liberté de se
vêtir n'est pas niée, à proprement parler, puisqu'elle est
rigoureusement protégée (et pas uniquement restreinte), elle est
ainsi plutôt confondue dans l'ensemble des « libertés
individuelles » et « droits des personnes »
protégés par le droit du travail.
1 Article L.1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut
apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et
collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature
de la tâche à accomplir ni proportionnées au but
recherché ».
Après avoir conclu à l'existence d'une
liberté de se vêtir à sa guise élevée au rang
de liberté individuelle de salarié lui permettant à la
fois d'être protégée mais aussi d'être restreinte
pour sauvegarder les intérêts légitimes de l'entreprise,
nous nous demanderons si le fait d'envisager cette liberté du
salarié comme une liberté fondamentale ne relève pas
plutôt d'une tendance marquée à vouloir considérer
tous les droits et libertés du salarié comme fondamentaux, les
critères permettant d'élever cette liberté au rang de
liberté fondamentale faisant défaut.
SECTION 1 : UNE LIBERTE DE SE VETIR A SA GUISE AU
LIEU ET AU TEMPS DU TRAVAIL NIEE ?
Avant de rentrer dans le coeur du débat consistant
à déterminer si la liberté de se vêtir à sa
guise au travail est une liberté fondamentale ou pas, il nous a
premièrement semblé opportun de nous poser la question de savoir
si la liberté en question était considérée comme
telle par le droit du travail et par le droit positif dans son ensemble.
En effet, les recherches effectuées sur le sujet ne nous
ont pas permis de dégager une liberté du salarié de se
vêtir à sa guise au travail à part entière.
Or, cette constatation nous a quelque peu déroutés,
la liberté de s'habiller comme bon nous semble semblant être une
liberté acquise, effective et reconnue comme telle.
I - DE L'EVIDENTE RECONNAISSANCE SOCIALE D'UNE LIBERTE
DE SE VETIR A SA GUISE,
1. Vers une personnalisation et une individualisation des
apparences,
Les tenues et vêtements ne sont désormais plus
réglementés comme ils ont autrefois pu l'être.
Par exemple, pendant la Révolution française, le
port du pantalon était strictement interdit aux femmes par un
décret qui interdisait le port de vêtement de sexe
opposé.
De plus, même si le port du pantalon n'a ensuite plus
été juridiquement interdit aux femmes, l'interdit social n'a
rendu celui-ci d'usage courant dans nos sociétés occidentales
qu'à partir des années 1970.
Au Moyen-âge, c'est un édit de Charles VIII qui
interdisait les draps d'or à tous et le velours aux écuyers. Les
gentilshommes pouvaient seuls user de soieries pour marquer leur rang
social2.
AU XIXe siècle, c'est un règlement
intérieur d'une bonneterie de Chaumont qui dispose que « les
employées ne se laisseront pas aller aux fantaisies des couleurs vives ;
elles ne porteront que des bas raccommodés »3
Aujourd'hui, il n'est guère plus légalement
interdit aux femmes de porter un pantalon et l'interdit social semble
s'être, quant à lui, beaucoup atténué.
Même si un homme arborant une jupe se ferait sans nul
doute remarquer, il ne viendrait à l'idée de personne d'interdire
à ce dernier le port de la jupe sous prétexte qu'il s'agit
là d'un vêtement traditionnellement réservé aux
femmes.
Un homme portant une telle tenue serait simplement
qualifié d' « original » faisant pleinement usage de sa
liberté de se vêtir à sa guise. Il ne viendrait à
l'idée de personne de s'insurger contre le port d'un tel vêtement
par un homme et il viendrait encore moins à l'idée du
législateur de légiférer sur un tel sujet, non seulement
parce qu'il s'agit d'une liberté que l'on reconnait désormais aux
individus, mais également, et moins glorieusement, car ce sujet semble
être désormais bien trop futile pour qu'une intervention du
législateur soit nécessaire.
La seule limite qui pourrait être aujourd'hui
apportée à la liberté de se vêtir se situe
peut-être sur le terrain de la notion d'exhibition consistant à
exhiber volontairement une partie du corps à caractère sexuel
afin de provoquer la pudeur publique et réprimée par le Code
pénal en son article 222-32.
Mais, finalement, c'est plus la nudité, autrement dit
le manque de vêtements, qui est ici réprimée.
Se vêtir comme l'on souhaite, dans les limites
imposées par la pudeur, ne pose donc aujourd'hui plus aucun souci.
2 V. André Bertrand, La mode et la loi, Ed.Litec,
p.8 et s.
3 Cité par J.-E. Ray dans « Droit du travail, Droit
vivant », 4e. éd. p.76.
Avec le temps, une certaine liberté de se vêtir
à sa guise s'est ainsi implicitement développée en
s'imposant au fil des siècles comme le reflet, l'expression d'une
personnalité.
Sur ce point, nous souhaitons souligner les propos de
Frédéric Monneyron : « tout le long du XIXe
siècle jusqu'à aujourd'hui, le vêtement parle de moins en
moins du social et de plus en plus de style et de goût personne
»4.
Le vêtement est désormais considéré
comme la pure émanation d'une individualité loin de toute
éthique chrétienne « qui, en distinguant le corps et
l'âme, stipule que l'attention portée au corps est
préjudiciable au salut de l'âme et, par suite, fait tout ce qui
touche à la parure une activité, sinon complètement
superflue, en tout cas secondaire. »5
Ainsi, comme le souligne Louis Dumont : « La mode est
très intimement liée à l'avènement, exclusivement
occidental lui aussi, de sociétés où l'individu devient la
valeur suprême, qui se substituent progressivement aux
sociétés traditionnelles où la valeur se trouvait
placée dans la société comme un tout »6
Chacun est à présent considéré
comme responsable de l'image qu'il donne de lui-même, y compris quand il
choisit d'en rester à une expression utilitaire ou passe-partout du
vêtement, simple version du refus d'entrer dans une compétition
autrement lourde de conséquences que les précédentes.
« Le vêtement contemporain marque
l'étape où le paraitre avoue l'être : on entre dans
l'ère du « look » qui individualise l'usage du vêtement
»7. Le vêtement est devenu une manifestation des
préférences de chacun. « Partout, on note, avec
l'avènement de la notion de « look » , une complexification
croissante des codes sociaux relatifs à l'apparence. Désormais,
l'apparence dévoile, plus que par le passé, des «
vérités intérieures », une
4 F.Monneyron, Sociologie de la mode, Paris, PUF,
p.72
5 F.Monneyon, Sociologie de la mode, Paris, PUF,
p.74.
6 L.Dumont, Essais sur l'individualisme : une perspective
anthropologique sur l'idéologie moderne.
7 P.Yonnet, Jeux, modes et masses, Paris, Éd.
Gallimard, 1985.
personnalité.(...) On observe donc une certaine
personnalisation ou individualisation des apparences »8
2. Le monde du travail comme miroir de la
société,
Le monde du travail, parce qu'il n'est pas détaché
de la société, ne peut donc suivre que la même tendance.
Il semble en effet loin le temps où les différences
hiérarchiques rimaient nécessairement avec différences
vestimentaires.
Nous n'irions pas jusqu'à dire qu'aujourd'hui le chef
d'entreprise porte la même tenue que les ouvriers, cependant, il est
évident que les codes vestimentaires au travail se sont
également, à l'instar des codes vestimentaires de notre
société, peu à peu effacés.
Certains croient même pouvoir évoquer aujourd'hui
une disparition progressive des repères vestimentaires au travail
à l'aune de la nouvelle économie.
Il suffit de citer l'émergence des start-up
à la fin des années 1990 pour s'en convaincre : ces jeunes
sociétés ayant profité de la « bulle internet »
étaient créées et composées par des jeunes
diplômés qui recherchaient à se distinguer par le
vêtement au détriment du costume-cravate
traditionnel9.
Néanmoins, les start-up ne sont plus le seul
exemple de décrochage du costume-cravate en entreprise.
En effet, d'après une enquête
réalisée auprès de 1 000 actifs européens, le
costume ne serait plus porté que par 28% des Français sur leur
lieu de travail et serait remplacé par le jean
8 J-F. Amadieu, Le poids des apparences, Paris,
Éd. Odile Jacob, 2005.
9 L.Gimalac, « La tenue vestimentaire, l'identité
et le lien social dans le cadre des rapports professionnels »,
(32%) et les autres pantalons en toile ou en velours (40%). La
décontraction serait plus visible en Allemagne ou en
Suède10
L'émergence progressive de la pratique du Friday
Wear dans les entreprises françaises traduit, de la même
manière, cette idée de disparition des repères
vestimentaires dans l'entreprise.
Porter une tenue plus décontractée avant le
week-end marque ainsi, à la fois, un certain attachement aux codes
vestimentaires propres à l'entreprise - puisqu'il souligne aussi le fait
que le reste de la semaine le costume-cravate reste de vigueur - mais
également une certaine reconnaissance du fait que le port du
costume-cravate est une contrainte imposée aux salariés et
restrictive de leur liberté vestimentaire.
La liberté de se vêtir à sa guise au lieu
et au temps du travail est ainsi, en creux, reconnue aux salariés.
D'ailleurs, celle-ci est de plus en plus revendiquée par
ces mêmes salariés.
Depuis les années 1980, ceux-ci n'hésitent plus
à revendiquer une certaine liberté de se vêtir à sa
guise au travail, voire à l'ériger au rang de liberté
fondamentale afin de contester une sanction prise par l'employeur, souvent un
licenciement.
D'abord, les salariés se sont peu à peu
insurgés contre l'obligation de porter une tenue de travail
imposée et/ou fournie par l'employeur.
Un arrêt de la Cour de cassation du 19 mai 1998 en est
l'illustration : un salarié s'est opposée contre une sanction
prononcée à son encontre relative à une clause du
règlement intérieur de l'entreprise disposant que le port de
« jeans » et de « baskets » était
interdit11.
De la même manière, un arrêt de la Cour
d'appel de Paris du 7 juin 199012nous expose le cas de deux
salariées qui se sont opposées à une mise à pied et
à un licenciement consécutifs au non-respect d'une note de
service imposant le port d'une nouvelle tenue de travail qui
10 S.S.G, « le costard décroche »,
L'Entreprise, n°201, 21 juin 2002
11 Cass.soc.19 mai 1998, n°96-41.123
12 Ca Paris 7 juin 1990 n°90-30904,21e ch.B, SA
Superest Carrefour c/ Bouchez et a.
interdisait aux femmes le port du pantalon sauf si celui-ci
était recouvert par des bottes arrivant à hauteur du bas de la
robe.
Progressivement, les salariés se sont également
opposés à la tenue « modèle » imposée,
cette fois- ci, de manière implicite par l'entreprise.
On peut citer, à ce sujet, un arrêt
célèbre de la Cour de cassation du 22 juillet 1986
13dans lequel le refus d'une salariée de changer de tenue,
jugée inconvenante, par l'employeur est en question. En l'espèce,
la salariée avait été licenciée au motif qu'elle
portait un chemisier qui laissait entrevoir sa poitrine.
Dans le même ordre d'idées, et plus
récemment, la Cour d'appel de Metz a eu à se prononcer sur le
licenciement d'une salariée, vendeuse dans un magasin de
prêt-à-porter, qui refusait d'avoir à porter des tenues de
la marque de vêtement pour laquelle elle travaillait14.
Certains salariés ont même été
jusqu'à demander l'annulation du licenciement dont ils ont
été victimes au motif que leur liberté
fondamentale de se vêtir à leur guise avait
été violée15.
On le voit, les revendications des salariés quant à
leur liberté de se vêtir comme bon leur semble au travail se sont
multipliées ces dernières décennies.
Ainsi, à l'image de la tendance de la
société de revendiquer une certaine liberté d'habillement,
les individus, en tant que salariés, refusent aujourd'hui de se plier
sagement aux préconisations, voire aux obligations vestimentaires de
l'entreprise.
Il faut dire, comme le souligne Jean-François Amadieu, que
la vie professionnelle n'échappe pas à l'influence croissante et
insidieuse de l'apparence16.
Par exemple, dans la banque, l'assurance ou l'expertise
comptable, l'apparence des salariés, surtout s'ils sont en contact
avec la clientèle, doit être austère, inspirant le
sérieux, voire le
13 Cass.soc.22 juillet 1986
14 CA Metz 3 mars 2009 n°06-2417, ch.soc., SA Maurice Gladek
c/ Becker : RJS 8-9/09 n°683
15 Cass.soc.28 mai 2003, °1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205.
16 J-F. Amadieu, Le poids des apparences, « Vie
professionnelle, l'inavouable réalité », «
Déguisements de circonstance », p.121.
souci de l'économie, car il s'agit de rassurer la
clientèle. Les costumes et les tailleurs seront donc de coupe droite et
stricte et de coloris foncés.
Dans les métiers du conseil, les tenues seront
volontairement adaptées aux types de clients. Chez Ernst et Young, par
exemple, on adopte un style « low profile » (costume non
coordonné et chemise à col boutonné) pour un client de la
grande distribution et un look « high chuch »(costume de
marque et chemise blanche) si le client audité travaille dans les
métiers du luxe.
A contrario, dans les secteurs à forte
créativité, où l'originalité, l'ouverture d'esprit
et l'intellectualisme sont valorisés, les tenues seront plus
décontractées : la cravate n'est pas indispensable, les
matières sont plus sensuelles, les coupes sont amples ou très
moulantes, les couleurs diversifiées et sensibles à la mode.
Dans les entreprises high-tech, le fait de porter une veste et
une cravate ne s'impose pas pour un développeur et peut même ne
pas être bien perçu par l'entreprise17. En revanche,
cette décontraction n'est plus de mise s'il y a relation commerciale
avec des clients habitués à d'autres normes vestimentaires.
Enfin, Dans les métiers commerciaux, des tenues plus
colorées ou fantaisie sont fréquentes même si on constate
des différences fortes en fonction du type d'activité
commerciale.
Il faut, de surcroît, reconnaître que les choix
vestimentaires des salariés sont parfois de plus en plus restreints, les
entreprises imposant toujours un peu plus aux salariés une tenue de
travail portant le logo ou la marque de l'entreprise.
Le cas du secteur du nettoyage industriel est ici
intéressant : les entreprises les plus performantes cherchent
aujourd'hui à se donner une apparence « respectable » et
technique. Du coup, elles imposent à leurs agents de propreté le
port d'uniformes impeccables, généralement de couleurs vives,
pour symboliser le professionnalisme accru du secteur.
L'entreprise Eurodisney, de son côté,
prévoyait un « code des apparences » imposant
de manière très précise une tenue, jusque dans le choix
des bijoux et des sous-vêtements.
17 On peut « avoir l'air un peu décalé »
si l'on en croit le DRH de BVRP Software. Interview paru dans Le Figaro
Economiedu 15 novembre 1999.
Evidemment, ce « code des apparences »,
venu tout droit des Etats- Unis, n'a pas pu être adopté en France,
néanmoins, on peut tout à fait envisager que celui-ci produit
toujours ses effets dans l'entreprise, du moins d'une manière
informelle.
Enfin, il est vrai que plusieurs études ont
montré l'importance du physique pour le client et permettent donc
d'expliquer la raison de l'emprise importante de l'entreprise sur la
liberté vestimentaire des salariés.
On a ainsi constaté que, de leur côté, les
clients préféraient également avoir affaire à des
individus au physique agréable18.
Une autre étude a montré que les avocats
américains les plus séduisants étaient d'ailleurs ceux qui
réalisaient le meilleur chiffre d'affaires19.
D'autre part, si l'on en croit les études menées
par certains psychologues américains, le vêtement aurait parfois
plus d'impact sur la décision des recruteurs que la beauté
physique20.
Il est intéressant de noter, par ailleurs, le
rapprochement fait par Jean-François Amadieu entre l'importance que
revêtent les codes vestimentaires dans l'entreprise et le chômage
de longue durée : « un des problèmes du chômage de
longue durée réside dans la difficulté qu'éprouvent
les chômeurs à tenir compte des considérations physiques
attendues avec l'emploi visé. Garder le contact avec le monde
professionnel passe notamment par le souci de son apparence et le respect des
codes vestimentaires en vigueur »21
On comprend mieux, dès lors, le succès et l'essor
des sociétés spécialisées dans le conseil
en image personnelle et d'entreprises qui revendiquent un véritable
art de s'habiller juste au travail en reconnaissant ainsi implicitement les
contraintes vestimentaires imposées aux
18 O.DeSchields et alii, « Source effects in
purchase decisions : The impact of physical attractiveness and accent of
salesperson », International Journal of Research in Marketing,
13, 1996, p.89-101.
19 D.Hamermesh et J.Biddle, « Beauty, productivity and
discrimination : Lawyers'looks and lucre », Journal of Labors
Economics, 16, 1, 1998, P.172-201.
20 R.E.Riggio et B.Throckmorton, « The relative effects of
verbal and non verbal behavior, appearance, and social skills on evaluations
made in hiring interviews », Journal of Applied Social
Psychology, 18, 1988, p.331- 348.
21 Voir J-F. Amadieu, Le poids des apparences, Paris,
éd. Odile Jacob, p.121.
salariés comme nous le souligne les propos d'un
créateur d'une telle société : « on ne travaille
pas que sur l'image type « costume-cravate » : cela va bien
au-delà car il faut travailler sur l'image que l'on attend de la
personne par rapport au métier qu'elle fait et à ce qu'elle fait.
Cette personne doit ainsi représenter les valeurs de l'entreprise,
exprimer ses compétences dans son métier tout en respectant sa
personnalité. (...). Une personne qui présente bien et a un fort
potentiel peut donc tout à fait être choisi par rapport à
un autre qui a les compétences mais qui passe moins bien... (...)
L'idée n'est pas d'imposer un look particulier mais d'expliquer quels
sont les objectifs de l'entreprise en terme d'image et en quoi les
vêtements, le style, l'attitude de chacun peuvent contribuer à la
construction de cette image22 ».
II - DE L'ABSENCE DE RECONNAISSANCE JURIDIQUE D'UNE
LIBERTE DE SE VETIR A SA GUISE AU TRAVAIL ;
Cependant, alors même que l'on vient d'exposer le fait
que la liberté de se vêtir à sa guise semble bel et bien
exister et avoir sa place dans la vie quotidienne de chaque individu,
c'est-àdire aussi bien dans leur vie privée que dans leur vie
professionnelle, le choix du vêtement fait partie des libertés non
consacrées par des textes juridiques.
S'il ne fait pas de doute qu'un individu est libre de porter
le vêtement de son choix en-dehors de son travail, en vertu du respect
dû à sa vie privée, en revanche, rien ne permet aujourd'hui
d'étendre cette liberté à l'enceinte de l'entreprise.
En effet, il n'y a pas de liberté vestimentaire
envisagée par le droit du travail, ni même par le droit positif
dans son ensemble.
22 V. Propos de M.Morel recueillis par P.Gillard-Dupin et
M-C.Tual, « De l'art de s'habiller juste au travail », Les cahiers
Lamy du Comité d'entreprise, n°73, juillet 2008, p.19.
La liberté de se vêtir n'apparaît ainsi
nulle part dans le Code du travail, elle n'est pas nommée dans la loi du
4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans
l'entreprise23, elle n'apparaît pas dans la loi du 16 novembre
2001 relative à la lutte contre les discriminations24, ni
dans la loi du 31 décembre 1982, elle n'apparaît pas dans les
libertés défendues par la Constitution, elle n'apparaît pas
dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, pas non plus dans
la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
Fondamentales de l'Union Européenne, et enfin, elle n'apparaît pas
dans la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne.
La liberté de se vêtir à sa guise manque
cruellement d'une source juridique adéquate.
Pourtant, cette liberté avait d'ores et
déjà été consacrée après la
Révolution Française par le décret 8 brumaire an II
disposant que « nulle personne de l'un ou l'autre sexe ne pourra
contraindre au citoyen ou citoyenne à se vêtir d'une
manière particulière, sous peine d'être
considérée et traitée comme suspecte et poursuivie comme
perturbatrice du repos public. Chacun est libre de porter le vêtement et
ajustement de son sexe qui lui convient ».
On aurait pu, par ailleurs, penser que la liberté
d'habillement du salarié trouve sa définition dans la
jurisprudence.
Il n'en est rien.
On a pu trouver une attention portée à la notion
de « tenue correcte » de la part de la Cour de cassation. Celle-ci a
en effet considéré que l'exigence d'une tenue soignée
n'était pas incompatible avec le « jeans » et les
« baskets »25.
Cependant, la seule occurrence du terme de «
liberté de se vêtir à sa guise au lieu et au temps du
travail » n'a été envisagée par la Haute
juridiction que pour décider que cette dernière liberté ne
constituait pas une liberté fondamentale26.
23 Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise.
24 Loi n° n°2001-1066 du 16 juillet 2001 relative
à la lutte contre les discriminations, NOR :MESX0004437L.
25 Cass.soc.19 mai 1998, n°96-41.123.
26 Cass.soc. 28 mai 2003, n°1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205.
D'ailleurs, la Cour de cassation a refusé le moyen du
salarié fondé sur cette liberté. En l'espèce, un
salarié embauché en qualité d'agent technique des
méthodes, a été licencié après être
venu travailler plusieurs jours en bermuda alors que ses supérieurs
hiérarchiques lui avaient demandé, oralement puis par
écrit, de porter un pantalon sous la blouse prescrite par le
règlement intérieur de l'entreprise. Il décide de saisir
la formation de référé du Conseil des Prud'hommes pour
obtenir, sur le fondement de l'article L.1132-127et
L.1121-128 du Code du travail l'annulation de son licenciement et sa
réintégration sous astreinte. Sa demande est rejetée par
le Conseil des Prud'hommes puis en cause d'appel. Le salarié se pourvoit
donc en cassation : il réitère son intention de fonder sa demande
sur l'article L.1121-1 du Code du travail et veut ainsi faire reconnaître
que la liberté de se vêtir à sa guise relève des
droits de la personnes et des libertés individuelles et collectives
visées par l'article précédemment cité. En outre,
celui-ci estime qu'en excluant cette liberté de la catégorie des
libertés fondamentales au motif qu'elle n'entre pas dans
l'énumération des cas de différenciation illicite
proscrits par l'article L.1132-1 du Code du travail, la Cour d'appel a
privé sa décision de base légale. Toutefois, la Cour de
cassation confirme la décision rendue en cause d'appel. La
liberté de se vêtir à sa guise au lieu et au temps du
travail n'est donc pas une liberté fondamentale : le salarié n'a
donc pas pu obtenir l'annulation de son licenciement et sa
réintégration dans l'entreprise.
27 C.trav., art.L.1132-1 : « Aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de
recrutement ou de l'accès à un stage ou à une
période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut
être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure
discriminatoire, directe ou indirecte, (Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008,
art. 6) « telle que définie à l'article 1er de la loi
n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au
droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations,
» notamment en matière de rémunération, au sens de
l'article L 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution
d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de
classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement
de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son
orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa
grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son
appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une
ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses
activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de
son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état
de santé ou de son handicap. »
28 C.trav., art.L.1121-1 : «
Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux
libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient
pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché. »
Le salarié qui souhaiterait contester son licenciement
lié à un contentieux vestimentaire pourrait, en revanche,
prétendre à des dommages-intérêts pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse si les contraintes imposées
par l'employeur son jugées injustifiées ou excessives sur le
fondement de l'article L.1121-1 du Code du travail.
Toutefois, à la lecture de l'article L.1121-1 du Code
du travail, on peut tout à fait arguer que la Cour de cassation accepte
les moyens du salarié fondés sur cet article, mais non pas afin
de défendre la liberté de se vêtir à sa guise en
premier lieu, mais plutôt afin d'en envisager des restrictions qui
pourraient lui être apportées.
Ainsi, la Cour de cassation semble s'intéresser
davantage à la définition des restrictions que l'on peut apporter
à la liberté de se vêtir à sa guise au travail
qu'à la définition même de cette liberté.
Il est intéressant de noter qu'un arrêt de la
Cour d'appel de Paris du 7 janvier 198829résume assez bien la
position de la jurisprudence : « le problème n'est donc pas de
savoir si, dans l'abstrait, au nom de la liberté individuelle, un
salarié peut ou non adopter une tenue insolite, la réponse
étant négative lorsque cette tenue, comme en l'espèce, est
contraire aux engagements contractuels, aux usages de la profession et aux
intérêts de l'entreprise ».
Il apparaît en plus que d'autres sources juridiques
envisagent de la même manière cette liberté.
On trouve ainsi diverses circulaires ou réponses du
Garde des Sceaux qui traitent pareillement du sujet, telle cette circulaire
administrative du 15 mars 198330 qui pose le principe que le
règlement intérieur peut rendre obligatoire le port d'une tenue
de travail même si la circulaire dispose aussi que cette mesure doit
être justifiée par la nature des tâches à accomplir
et qu'elle ne doit pas être disproportionnée par rapport à
l'objectif de protection recherché.
Dans le même ordre d'idées, on peut citer une
réponse du Garde des Sceaux du 29 juillet 199131 à
la question de savoir si un employeur a la possibilité d'obliger un
salarié en contact
29 CA Paris, 7 janvier 1988 n°86-34010, 22e
ch.C., Banque régionale d'escomptez et de dépôts c/
Tavier.
30 Circ. DRT n°5-83 du 15 mars 1983, n° 12 et 123 :
BOMT n° 83/16.
31 Réponse du Garde des Sceaux, 29 juillet 1991
avec le public à porter son nom sur ses vêtements
: « en premier lieu, il convient de souligner qu'une telle obligation
doit figurer dans le règlement intérieur de l'entreprise
concernée. En effet, en application de l'article L 1321-1 du Code du
travail, l'employeur doit fixer dans ce document les règles
générales et permanentes relatives à la discipline. Par
ailleurs, aux termes de l'article L 1321-332 du Code du
travail, le règlement intérieur ne peut apporter aux droits des
personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions
qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à
accomplir ni proportionnées au but recherché. Dès lors, il
apparaît qu'une telle obligation ne se justifie que si l'employeur
démontre qu'elle est liée à l'intérêt de la
clientèle, à l'exercice de certaines fonctions ou à des
nécessités de sécurité ».
Enfin, il convient de citer cette circulaire du 10 septembre
199133 par laquelle le Ministère du travail envisage «
l'obligation pour le personnel qui est en contact avec la clientèle
d'avoir une présentation correcte et soignée adaptée
à l'image de marque du magasin » comme une règle de
discipline conforme aux exigences légales.
*
32 Article L.1321-3 du Code du travail : « Le
règlement intérieur ne peut contenir :
1° Des dispositions contraires aux lois et
règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords
collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement
;
2° Des dispositions apportant aux droits des personnes
et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne
seraient pas justifiées par la nature de la tâche à
accomplir ni proportionnées au but recherché ;
3° Des dispositions discriminant les salariés
dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle
égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs moeurs, de leur
orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de
leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de
leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée,
à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de
leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions
religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de
leur état de santé ou de leur handicap ».
33 Circ.Ministère du travail, 10 septembre 1991,
n°91/17
* *
Pour résumer, la liberté de se vêtir du
salarié n'est consacrée par aucune source juridique, n'est pas
définie par la jurisprudence et n'est envisagée que pour lui
apporter des restrictions.
Par conséquent, certains salariés qui ont
souhaité contester une sanction relative à un contentieux
vestimentaire ont tenté de manière détournée de
faire valoir leur liberté d'habillement : ils l'ont rapprochée
d'autres libertés, fondamentales ou pas, mais qui ont d'ores et
déjà été consacrées par la jurisprudence ou
par la loi.
Ces libertés sont les suivantes : la liberté
d'expression individuelle du salarié, le droit à ne pas
être discriminé sur le fondement de l'article L.1132-1 du Code du
travail et la liberté religieuse.
De plus, et même si aucun salarié ne s'est jusque
là risqué de faire de tels rapprochements, nous pensons que la
liberté d'habillement du salarié pourrait également
être rapprochée d'autres droits reconnus au salarié, tel le
droit au respect de sa vie privée ou le droit au respect de sa
dignité.
III - DU REFUS DE RAPPROCHER LA LIBERTE VESTIMENTAIRE DU
SALARIE D'AUTRES LIBERTES CONSACREES PAR DES TEXTES JURIDIQUES OU PAR
LA JURISPRUDENCE ;
Nous sommes face à une liberté complexe qui
ressemble parfois à d'autres libertés, telle la liberté
d'expression par exemple, ou, du moins, qui emprunte certains traits d'autres
libertés d'ores et déjà consacrées par des textes
juridiques ou par la jurisprudence.
Toutefois, alors même que certains salariés ont
essayé d'effectuer de tels rapprochements pour faire valoir leur
droit de s'habiller comme bon leur semble, vu que la liberté de se
vêtir à
sa guise n'a jamais été jusque là
acceptée comme un moyen recevable par la justice, ceux-ciont
été déboutés de leur demande.
1. Liberté de se vêtir et liberté
d'expression individuelle du salarié ;
La liberté d'habillement du salarié a tout d'abord
en vain été rapprochée de la liberté d'expression
individuelle du salarié.
L'expression dans l'entreprise ne se limite pas au droit
d'expression direct et collectif des salariés prévu à
l'article L.2281-1 du Code du travail.
Chaque salarié bénéficie en outre d'une
liberté individuelle d'expression qui relève des libertés
fondamentales garantie par la Convention Européenne des droits de
l'homme et par la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Elle s'est
également vue reconnaître une valeur constitutionnelle.
La jurisprudence a reconnu pour chaque salarié une
liberté d'expression en-dehors de l'entreprise au travers du
célèbre arrêt Clavaud34, puis au sein de
l'entreprise sur le fondement de l'article L.1121-1 du Code du travail.
La chambre sociale a ainsi considéré qu'un
salarié licencié ne pouvait être licencié pour avoir
produit des écrits injurieux à l'occasion d'une instance. Un tel
licenciement est nul, car contraire à l'article L.1121-1 du Code du
travail.
La jurisprudence s'est depuis lors maintenue : la
liberté d'expression du salarié est une liberté de
principe avec le tempérament de l'abus.
Il ne s'agit donc pas de dire simplement que le licenciement
effectué en violation de la liberté d'expression du
salarié est sans cause réelle et sérieuse, ce qui
permettrait l'octroi de dommages-intérêts pour le salarié
lésé, il s'agit de dire que le licenciement est nul. Autrement
dit, il faut annuler le licenciement et donc réintégrer le
salarié.
Voilà la sanction infligée à l'employeur
qui a violé une liberté fondamentale, voilà la sanction
qui n'est donc jamais infligé à l'employeur qui a de
manière injustifiée et exagérée négliger la
liberté de se vêtir à sa guise du salarié dans le
cadre de l'entreprise, puisqu'il ne s'agit pas là d'une liberté
fondamentale.
34 Cass.Soc., 28 avril 1988, n°87-41.804, Sté Dunlop
France c/ Clavaud : Bull.civ.V,n°257.
Pourtant, on peut légitimement affirmer que la
liberté de se vêtir à sa guise dispose de nombreux traits
de ressemblance avec la liberté d'expression du salarié.
Le salarié en question dans l'arrêt de la Cour de
cassation du 12 novembre 200835 et qui s'était vu licencier
pour avoir refusé d'enlever son bermuda comme le préconisait sa
hiérarchie avait d'ailleurs fondé sa demande sur la violation
d'une liberté fondamentale puis sur la violation de sa liberté
d'expression. La Cour de cassation, suite à une première action
engagée devant le juge des référés, avait
été claire le 28 mai 200336, quant au traitement de la
question de savoir si la liberté de se vêtir pouvait être
considérée comme une liberté fondamentale puisqu'ils ont
nettement affirmé que « la liberté de se vêtir
à sa guise au lieu et au temps du travail n'entre pas dans la
catégorie des libertés fondamentales ».
Le 12 novembre 2008, le salarié avait donc tenté
une nouvelle approche en souhaitant rapprocher sa liberté vestimentaire
de sa liberté d'expression en disposant que celle-ci « ne peut
justifier aucune sanction sauf si [son exercice] dégénère
en abus ».
Cependant, la chambre sociale ne se prononce pas sur la question
de savoir si la liberté en question peut être légitimement
rapprochée de la liberté d'expression du salarié,
Or, nous l'avons précédemment vu, le vêtement
est de nos jours considéré comme l'expression d'une
personnalité, d'une individualité...
2. Liberté de se vêtir et lutte contre les
discriminations illicites fondées sur l'apparence physique37 ;
L'article L 1132 -138 du Code du travail s'est enrichi
d'une nouvelle hypothèse de discrimination depuis la loi du 16 novembre
2001 : l'apparence physique.
35 Cass.soc.12 novembre 2008, n°07-42.220, F-D, Monribot c/
Sté Sagem défense sécurité , JurisData n°2008-
046041.
36 Cass.soc. 28 mai 2003, n°1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205.
37 Voir Danielle Corrignan-Carsin, « la liberté de se
vêtir au temps et au lieu du travail n'est pas une liberté
fondamentale », La Semaine Juridique Edition
Générale, n°30, 23 juillet 2003.
Or, une partie de la doctrine considère que la
liberté corporelle se manifeste par le choix de son apparence et,
notamment, de ses vêtements39
Dans l'arrêt de la chambre sociale du 28 mai
200340, on retient que les juges de la Cour d'appel de Rouen n'ont -
implicitement - pas retenu cette assimilation en estimant qu'aucune disposition
n'autorise d'étendre la liste fixée par L.1132-1 à
d'autres libertés.
Dans son arrêt de rejet, la Cour de cassation s'est
bornée à écarter la liberté de se vêtir du
champ des libertés fondamentales sans se prononcer sur ce point
À l'époque des faits, l'article L 1132-1 ne
visait et ne sanctionnait par la nullité que certaines
différenciations illicites fondées sur l'origine, le sexe, les
moeurs, la situation de famille, l'appartenance à une ethnie, une nation
ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou
mutualistes, les convictions religieuses, l'état de santé ou le
handicap et l'exercice normal du droit de grève.
38 Article L.1132-1 du Code du travail : « Aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de
recrutement ou de l'accès à un stage ou à une
période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut
être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure
discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à
l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses
dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte
contre les discriminations, notamment en matière de
rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures
d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de
reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion
professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son
origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son
âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses
caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa
non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou
une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou
mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son
nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son
handicap ».
39 Voir Pr. Lyon-Caen, les libertés publiques et
l'emploi, éd. La Documentation Française, 2003.
40 Cass.soc. 28 mai 2003, n°1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205.
En première instance, le salarié avait
effectivement dénoncé la discrimination sexuelle à
l'égard des hommes, les femmes, selon lui, bénéficiant
d'un sort meilleur puisque le port du bermuda était autorisé pour
les femmes41.
Le Conseil des Prud'hommes a estimé, invoquant les
usages vestimentaires, que la pratique discriminatoire n'était pas
établie car le droit de l'intéressé de se vêtir
comme bon lui semble ne bénéficiait pas à l'époque
de la protection de l'article L.1132-1 du Code du travail.
L'article ayant été modifié par la loi du
16 novembre 200142, il importe de savoir si la tenue vestimentaire
est ou non susceptible de relever de l'apparence physique, nouveau motif de
discrimination interdite.
Il est intéressant, à ce sujet, de noter qu'au
cours des débats parlementaires ont été seulement
envisagés à ce titre la taille, le poids et
l'esthétique.
Le maquillage, la coiffure, les bijoux, les vêtements
doivent-ils cependant être exclus de la notion d'apparence physique ?
Si la réponse devrait être positive, la sanction
prévue serait celle de la nullité du licenciement prononcé
et l'intervention du juge des référés ordonnant la remise
des choses en leur état antérieur serait alors parfaitement
justifiée.
C'est d'ailleurs en ce sens que, interprétant la notion
d'apparence physique, le Conseil des Prud'hommes de Paris, le 17
décembre 200243, par voie du référé, a
prononcé la nullité du licenciement et ordonné la
réintégration d'une salariée portant un foulard islamique
: « si le législateur avait entendu limiter l'apparence
physique au corps, il pouvait évoquer, simplement, l'apparence
corporelle ou même, de manière plus restrictive, la physionomie
» ; « lorsqu'un salarié se présente, c'est son
aspect général qui est vu, c'est-à-dire aussi bien
sa
41 C.prud.Rouen 30 août 2001, Monribot c/ SA Sagem.
42 Loi n°2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la
lutte contre les discriminations, NOR :MESX0004437L
43 C.prud.Paris 17 décembre 2002, Dallia Thari c/
Sté Téléperformance
physionomie, sa constitution physique et sa tenue
vestimentaire. Il y a donc lieu de considérer que la notion d'apparence
physique renvoie à l'ensemble de ces éléments
».
3. Liberté de se vêtir et liberté
religieuse ;
La question de la liberté religieuse se trouve parfois
à la frontière entre la liberté de se vêtir et la
liberté d'opinion, notamment en ce qui concerne le port du foulard
islamique.
La liberté de religion et de convictions est un
principe consacré par le Préambule de la Constitution du 27
octobre 1946 et par l'article 9 de la Convention Européenne de
sauvegarde des Droits de l'Homme, qu'il s'agisse de la liberté de
conscience ou du droit d'exprimer ses convictions.
L'article L.1132-1 du Code du travail protège, de
surcroît, les convictions religieuses du salarié puisque cet
article y fait expressément référence pour interdire toute
mesure discriminatoire prise en raison des choix religieux du
salarié.
Le licenciement d'une salariée en raison de son refus
de se conformer à l'interdiction qui lui a été faite, au
moment de sa mutation au siège social, de porter un foulard
islamique44 fait clairement référence, en violation de
l'article précité, à la fois aux convictions religieuses
et à l'apparence physique de l'intéressée, ce dernier
élément renvoyant aussi bien à sa physionomie, sa
constitution physique et sa tenue vestimentaire.
Cette mesure a été jugée discriminatoire
au sens du texte précité et constitue donc un trouble
manifestement illicite qu'il appartient au juge des
référés de faire cesser en prononçant la
nullité du licenciement et en ordonnant la réintégration
de la salariée dans son emploi, dès lors que l'employeur ne
fournit aucun élément objectif étranger à cette
discrimination justifiant sa décision.
44 C.prud.Paris 17 décembre 2002, Réf.,
n°02-3547, Tahri c/ Téléperformance France.
L'article L.1132-1 du Code du travail prohibe donc tout
licenciement prononcé en raison des convictions religieuses du
salarié qui peuvent avoir des répercussions sur la façon
de se vêtir du salarié.
La liberté religieuse du salarié est donc bien
protégée, et, qui plus est, protégée comme telle
puisque celle-ci est reconnue comme une liberté à part
entière même s'il y a une volonté claire de la Cour de
cassation d'éviter l'envahissement des impératifs religieux dans
la relation de travail.
4. Liberté de se vêtir et droit à la
vie privée du salarié ;
La liberté de se vêtir à sa guise au
travail pourrait également être valablement rapprochée du
droit à la vie privée du salarié, consacrée par la
jurisprudence comme une liberté fondamentale au travers du
célèbre arrêt NIKON45qui dispose que «
le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au
respect de l'intimité de sa vie privée ».
Un tel rapprochement n'a pourtant encore jamais été
tenté, au regard de la jurisprudence actuelle.
Certains auteurs estiment que l'employeur ne doit pas porter
atteinte, à certains espaces irréductibles de la vie
privée : il s'agit du respect du secret des correspondances comme dans
l'arrêt NIKON.
Toutefois, il pourrait aussi s'agir de la liberté de se
vêtir, de se coiffer, de se maquiller selon ses
goûts46
La protection de la vie privée peut en effet parfois
être entendue de manière large : il ne s'agit plus seulement de
garantir le secret de la vie privée mais d'assurer la protection de la
liberté de la vie privée qui peut prendre l'allure d'un
véritable droit à l'épanouissement qui peut passer par le
port de vêtement librement choisis.
45 Cass.soc.2 octobre 2001, n°99-42.942
46 G. couturier, « Droit du travail »,
Libertés et droits fondamentaux, sous la direction de
M.Delmas-Marty et Claude Lucas de Leyssac, Ed. Seuil, Coll.Points, 1996.
5. Liberté de se vêtir et droit au respect de
la dignité de la personne ;
Il est aussi possible d'effectuer un rapprochement entre la
liberté de se vêtir à sa guise et le respect de la
dignité de la personne du salarié défendu par la Cour de
cassation.
La haute juridiction a clairement affirmé comme
étant une valeur majeure l'obligation de respecter la dignité du
salarié.
Il est, à cet égard, intéressant de se
pencher sur un arrêt rendu le 25 février 200347 par la
chambre sociale.
Le droit à la dignité y connaît une
application nouvelle en étant rattaché pour la première
fois à l'article L.1121-1 du Code du travail.
En l'espèce, la salariée réclamait le
versement de dommages-intérêts en réparation du
préjudice qui lui avait été causé par la diffusion,
lors de réunion de service, des motifs pour lesquels l'employeur
engageait une procédure disciplinaire à son encontre.
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel
qui avait débouté la plaignante de ses demandes, en
décidant, au visa des articles 9 et 1147 du Code civil et L.1121-1 du
Code du travail, que " le fait de porter à la connaissance du
personnel, sans motif légitime, les agissements d'un salarié
nommément désigné constitue une atteinte à la
dignité de celui-ci de nature à lui causer un préjudice
distinct de celui résultant de la perte de son emploi ".
Cet arrêt est particulièrement intéressant
puisqu'il souligne la consécration du droit à la dignité,
même si celle-ci n'est pas nouvelle48.
47 Cass.soc., 25 février 2003, n°00-42.031.
48 Voir la décision du Conseil constitutionnel du 27
juillet 1994 n°94-343/344, ainsi que plusieurs textes comme l'article 31
de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7
décembre 2000 proclamant le droit à la dignité au travail
: " Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui
respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité
".
Le Conseil Constitutionnel a en effet déjà
élevé la dignité au rang de « principe à
valeur constitutionnelle », dans une décision de 1994 au sujet
de la loi dite de bioéthique.
Dans ce cadre, la dignité est considérée
comme partie intégrante des droits de la personnalité, qui sont
inaliénables.
Certains considèrent que le la liberté de se
vêtir ne serait une composante de la dignité que dans la mesure
où l'employeur imposerait au salarié des vêtements
ridicules, dégradants ou indécents.
Cependant, on pourrait également soutenir le fait
qu'imposer une tenue de travail ou sanctionner un salarié en raison
d'une tenue jugée inconvenante par l'employeur peuvent également
constituer une atteinte à la dignité de la personne du
salarié.
* * *
On le voit, la liberté de se vêtir à sa
guise au travail pourrait être légitimement rapprochée
d'autres libertés, fondamentales ou pas, mais tout du moins reconnues et
consacrées par la jurisprudence ou par d'autres sources juridiques, ce
qui, nous l'avons vu, n'est actuellement pas le cas de la liberté de se
vêtir à sa guise.
Cependant, certains salariés soucieux de
défendre leur liberté d'habillement sur leur lieu de travail ont
déjà tenté en vain d'effectuer un tel rapprochement. Nous
vous renvoyons sur ce point au cas du salarié défendant son droit
de venir travailler en bermuda sur le fondement de sa liberté de se
vêtir à sa guise rapprochée , successivement, de son droit
à ne pas être discriminé en raison de son sexe, et de sa
liberté d'expression.
En tout état de cause, c'est sans doute car la
liberté de se vêtir à sa guise est une composante, une
petite partie de chacune des libertés et droits du salarié
exposés précédemment qu'elle peine à être
consacrée comme une liberté à part entière
La liberté de se vêtir à sa guise au lieu et
au temps du travail a bien du mal à se faire une place de choix dans le
droit du travail.
Pourtant, et comme le suggère le décalage
exposé entre une poussée de cette liberté comme une
liberté individuelle à part entière dans notre
société, voire comme une liberté fondamentale, et son
absence d'existence et de reconnaissance juridique, le contentieux en la
matière ne peut que se développer : le dernier arrêt de la
chambre sociale en la matière date d'ailleurs du 3 juillet 2009.
Cependant, irions-nous jusqu'à dire que le droit est en
retard sur les libertés revendiquées par la société
?
Ne peut-on pas plutôt penser que la liberté de se
vêtir au travail est confondue dans l'ensemble des libertés
individuelles protégées par le Code du travail, et plus
particulièrement par l'article L.11211 du Code du travail, et que,
même si cela ne reconnaît pas cette liberté comme une
liberté individuelle du salarié à part entière,
protège du moins efficacement le salarié ?
*
* *
SECTION 2 : UNE LIBERTE QUI N'EST PAS NIEE
CAR CONFONDUE DANS LES LIBERTES INDIVIDUELLES ET LES DROITS DU SALARIE
PROTEGES PAR L'ARTICLE L.1121 DU CODE DU TRAVAIL ;
I - LE RAPPORT DIALECTIQUE DU TRAVAIL ET DES LIBERTES
DU SALARIE ;
Il convient de noter les difficiles relations qu'entretiennent
les libertés du salarié avec la relation subordonnée que
suppose le travail, pour bien comprendre les difficultés à
esquisser les contours d'une liberté de se vêtir à sa guise
à part entière qui pourrait être valablement opposée
à l'entreprise.
1. Le lien de subordination et le contrat de travail au
coeur de la relation dialectique du travail et des libertés du
salarié ;
Le contrat de travail est à la fois un contrat de droit
commun à exécutions successive mais aussi un contrat
d'adhésion : le plus souvent, le travailleur, à la recherche d'un
emploi, ne peut discuter librement les termes du contrat et en est
réduit à accepter les conditions fixées par
l'employeur.
Le contrat de travail crée donc un rapport
d'inégalité : un individu s'engage, moyennant un salaire,
à accomplir un travail sous la subordination de son employeur.
Les relations qui naissent du contrat de travail ont donc la
caractéristique essentielle d'être des relations
subordonnées.
La relation de travail comporte des contraintes, des
exigences, qui, pendant le temps de la prestation de travail s'imposent au
salarié et limite son autonomie : au moins au temps et au lieu du
travail, le salarié ne fait plus ce qu'il veut, mais il doit accomplir
la tâche qui lui est assignée. Son indiscipline ou sa carence
peuvent être sanctionnées, notamment par le règlement
intérieur, prévu par la loi49.
Le lien de subordination, constitutif du contrat de travail,
confère ainsi à l'employeur un triple pouvoir : celui de donner
des ordres et des directives, celui d'en contrôler l'exécution,
celui de sanctionner disciplinairement les manquements du
salarié50.
Certes, la loi du 4 août 198251a
créé un droit disciplinaire et a complètement
remanié le statut du règlement intérieur, symbole du
pouvoir de direction de l'employeur, en le soumettant notamment au
contrôle permanent de l'inspecteur du travail.
Il reste que la relation de travail demeure une relation
subordonnée au coeur de laquelle le salarié n'est pas
placé sur un pied d'égalité avec son employeur.
Le législateur l'a bien compris : les articles L.1132-1
relatif au principe de nondiscrimination, L.1321-3 relatif aux dispositions du
règlement intérieur et L.1121-1 relatif à la protection
des libertés du salarié du Code du travail ne font que le
souligner.
2. Réflexions autour de l'article L 1121-1 du Code
du travail issu de la loi du 31 décembre 199252: un article pour le
moins flou et paradoxal qui ne fait que renforcer l'idée d'une difficile
articulation du travail et des libertés du salarié53 ;
49 V. art.L1321-3 du Code du travail
50 Voir E.Dockès, « Pouvoir patronal et
démocratie », Semaine Sociale Lamy, n°1340
Supplément, 11 février 2008.
51 Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise.
52 Loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 relative
à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et
à l'assurance chômage.
2.1. Un article flou :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et
aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne
seraient pas justifiées par la nature de la tâche à
accomplir ni proportionnée au but recherché »
La formule vient directement du célèbre
arrêt Corona rendu par la Conseil d'Etat le 1e février
198054 à propos de la légalité d'un
règlement intérieur. Elle a été reprise par la loi
du 4 août 198255 et spécialement par l'article L.1321-3
du Code du travail concernant le règlement intérieur.
La loi du 31 décembre 1992 l'a étendue à
l'ensemble de la relation salariale.
Cependant, il convient de s'interroger sur plusieurs points
abordés par cet article et qui sont, pour le moins, flous.
2.1.1. Quelles sont les « libertés individuelles
et collectives » visées ?
Pour reprendre les termes utilisés par F.Favennec-Hery,
« la formule est un peu bâtarde associant les droits de la
personnalité, les libertés publiques, les droits
constitutionnels, les libertés dans les rapports privés
»56.
53 Voir P.Waquet, « Libertés et contrat de travail,
réflexions sur l'article L 120-2 du Code du travail, devenu l'article L
1121-1 », RJS 05/09, p.347.
54 CE 1e février 1980
55 Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise
56 V. Chronique de F.Favennec-Hery, « Vie privée dans
l'entreprise et à domicile », RJS 2001, p.941.
Il a fallu attendre le 20e siècle pour que
les libertés du salarié deviennent une préoccupation pour
les juristes. Les libertés ont en effet essentiellement
été envisagées depuis le 18e siècle sous
l'angle politique.
L'entreprise est longtemps restée à
l'écart de ce mouvement libéral car le droit du travail a
engendré, lui-même, des libertés spécifiques (droit
de grève, liberté syndicale, droit de représentation des
salariés) et parce que l'effort des salariés s'est longtemps
concentré sur une conquête de droits collectifs propres au monde
du travail.
Par ailleurs, comme nous venons de le voir, l'entreprise s'est
construite autour de la notion d'autorité.
Néanmoins, à partir des années 1970, et
surtout après Mai 1968, on a commencé à parler de la
« vie privée » du salarié, puis de «
salarié-citoyen » dès 1983 sous l'impulsion du rapport du
Professeur Lyon-Caen qui a amené le vote de la loi du 31 décembre
1992.
Des droits fondamentaux du salarié ont ainsi vu le jour
: le droit d'expression créé par la loi du 4 août 1982, le
droit de retrait créé par la loi du 23 décembre 1982, le
droit à la nondiscrimination consacré par l'article L.1132-1 du
Code du travail et le droit au repos, droit fondamental non seulement à
raison de sa source (il est énoncé dans le préambule de la
Constitution de 1946 et dans la Déclaration Universelle des droits de
l'Homme) mais aussi à raison de sa finalité (la protection de la
vie et de la santé du travailleur et développement de la
personne).
Plus de 20 ans plus tard, cette préoccupation trouve un
regain d'actualité mais, cette fois-ci, le mouvement est essentiellement
initié par la jurisprudence et il s'intéresse au
salarié-citoyen dans sa dimension individuelle.
Il s'agit bien d'atténuer, voire de faire
disparaître, la dichotomie entre la vie du citoyen et celle de
travailleur, néanmoins, l'article L1121-1 reste très vague quant
au contenu des « libertés individuelles » et «
droits de la personne » qu'il cite.
2.1.2. Quel type de restriction est envisagé ?
D'autre part, à propos de la possibilité de
réduire les droits et libertés des salariés posée
par l'article L.1121-1 du Code du travail, s'agit-il d'une possibilité
légale de réduire les droits et libertés des
salariés en général ?
Le salarié est-il donc un citoyen de seconde zone ?
Ou s'agit-il d'une possibilité de réduire
seulement une partie des droits et libertés des salariés dans le
seul cadre de l'exécution du contrat de travail ?
On peut distinguer des catégories de situation
échappant totalement à l'application de l'article L1121-1, tel
est tout d'abord le cas des libertés individuelles et collectives
propres au droit du travail (la liberté syndicale, le droit de
grève, le droit à la participation, le droit de retrait, le droit
à la formation et le droit au repos).
L'exercice de ces droits est sous le contrôle du juge
qui peut, si les conditions sont remplies, retenir un abus du droit de
grève, par exemple. Mais, si les conditions légales de la
grève sont réunies, elle s'exerce sans que l'employeur puisse,
sous la bannière de L. 1121-1, en réduire la durée ou les
modalités.
Le concept de vie personnelle, forgé par la
jurisprudence échappe également à l'application de
L.1121-1. La vie personnelle du salarié est la partie de sa vi qui
échappe précisément à l'autorité de
l'employeur, celle-ci recoupe sa vie privée, protégée par
l'article 9 du code civil, et sa vie publique qui s'exercent en-dehors des murs
de l'entreprise. Dans le domaine de la vie personnelle, l'employeur ne dispose
d'aucun pouvoir de réduire les droits et libertés du
salarié. Deux correctifs peuvent néanmoins être
apportés à cette solution, lorsqu'il y a une délimitation
parfois extensive, du domaine contractuel et lorsque l'on peut opposer la
notion de trouble objectif qui est la compensation nécessaire à
l'élimination, dans la vie personnelle, non seulement du pouvoir de
réduction par l'employeur des droits et libertés du
salarié, mais encore du pouvoir disciplinaire.
Cette notion est une solution au conflit des logiques : si un
conflit irréductible éclate dans l'exercice des libertés
de l'employeur et du salarié, un licenciement non-disciplinaire doit
pouvoir intervenir.
A côté de ces situations échappant
totalement à l'application de l'article L1121-1, il y a les situations
dans lesquelles l'employeur peut restreindre les droits et libertés des
salariés et, tout d'abord, lorsque la restriction concerne le temps et
le lieu du travail : les périodes de travail sont sous la subordination
de l'employeur.
Par ailleurs, les mesures de restriction des droits et
libertés qui s'inscrivent dans le cadre de l'exécution du contrat
de travail sont légitimes.
Une tension reste cependant : en effet, la jurisprudence a
toujours admis l'existence d'une zone frontière où les faits,
bien qu'extérieurs à l'exécution du contrat de travail
peuvent s'y rattacher par un lien plus ou moins précis. La solution
n'est pas en soi contestable mais cette zone est actuellement floue et la
jurisprudence gagnerait à en définir les contours.
La délimitation du domaine de l'autorité de
l'employeur ne peut dépendre d'appréciations subjectives : des
critères précis doivent être définis.
2.2.Un article paradoxal :
Il convient aussi de souligner que nous sommes en présence
d'un article de surcroît paradoxal.
En effet, sous couvert de protéger des droits et des
libertés non déterminés, il organise avant toute chose
leur restriction et semble plutôt vouloir définir le pouvoir de
direction de l'employeur. Ainsi, le terme « nul » va pouvoir limiter
les droits et libertés d'un ou de plusieurs citoyens.
On aurait pu légitimement s'attendre à
découvrir, premièrement, un article posant le principe de
protection des « libertés individuelles et collectives
» et des « droits de la personne » du
salarié et, pourquoi pas, listant les libertés
dont il est question, puis à trouver, deuxièmement, l'article
L.1121-1 du Code du travail qui organise les restrictions qu'il est possible
d'apporter aux libertés préalablement définies.
Il semble que nous soyons ici loin de l'influence du droit
administratif qui depuis longtemps a disposé que : « la
liberté est la règle et la restriction de police l'exception
»57.
* * *
L'article L.1121-1 du Code du travail ne nous aide pas à
délimiter les contours d'une définition adéquate de la
liberté de se vêtir du salarié.
Nous pourrions même dire que cet article, alors
même qu'il protège indirectement la liberté de se
vêtir du salarié, de par sa rédaction floue et paradoxale
l'empêche d'être consacrée comme une liberté à
part entière.
Nous pourrions également soutenir que cet article, bien
qu'il ait pour ambition de rendre moins évidentes les difficiles
relations du travail et des libertés du salarié, ne fait
qu'entretenir ces difficiles relations.
Voyons maintenant l'application de cet article par la
jurisprudence dans le cadre d'un contentieux vestimentaire.
Nous verrons ainsi que l'article L.1121-1 du Code du travail
ne nous aide effectivement pas à faire émerger une liberté
vestimentaire ad hoc mais qu'il la protège efficacement en la
confondant parmi les « libertés individuelles » du
salarié qu'il énonce.
57 CE 10 août 1917, Baldy conclusions Corneille ; voir
Chapus, Droit administratif général, 8e
éd. N°783 et s.
II - DE L'APPLICATION PAR LA JURISPRUDENCE DE L'ARTICLE
L.1121-1 : UN CONTROLE RIGOUREUX DE LA COUR DE CASSATION DE LA JUSTIFICATION
DU LICENCIEMENT EFFECTUE DANS LE CADRE D'UN
CONTENTIEUX VESTIMENTAIRE;
Eu égard à l'article L.1121-1 du Code du
travail, la justification des restrictions apportées aux libertés
et droits du salarié peut être envisagée de 2
manières58.
Tout d'abord, les restrictions apportées doivent
être justifiées par la nature de la tâche à accomplir
: la tâche du salarié peut générer des contraintes
d'intensité très différente, c'est pourquoi l'obligation
de porter un vêtement de travail, qui restreint la liberté du
salarié de s'habiller à sa guise, doit correspondre à un
impératif professionnel.
Dans ce sens, la justification par la nature de la tâche
à accomplir ressemble à celle en vigueur dans la théorie
des libertés publiques : l'atteinte aux libertés doit être
adaptée aux risques de trouble à l'ordre public.
Mais la justification peut aussi prendre un aspect plus proche
du droit civil : la cause (ex : la clause de non concurrence doit avoir une
cause juridique : elle doit être indispensable à la sauvegarde des
intérêts légitimes de l'entreprise et ne pas atteindre sa
finalité propre)
Le contrôle des juges des sanctions infligées
à un salarié en raison d'un contentieux relatif à la
liberté d'habillement est donc un contrôle très classique
de la justification de la sanction, sa cause objective, qui doit être
constituée par l'examen de trois éléments : la nature des
fonctions exercées, la finalité propre de l'entreprise et le
trouble caractérisé que le comportement du salarié a
créé.
1. Sur la nature des fonctions exercées,
58 Voir P.Waquet, « Les libertés dans l'entreprise
», RJS 2000.
Premièrement, en ce qui concerne l'analyse des
fonctions assurées par le salarié au sein de l'entreprise, on
peut voir, dans un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 7 juin
200159, que les juges vérifient que les restrictions
apportées à la liberté d'habillement du salarié
sont légitimes eu égard à ces fonctions.
En l'espèce, un menuisier travaillant dans une
menuiserie industrielle avait été licencié pour faute
grave pour avoir refusé à plusieurs reprises de porter les tenues
de travail imposées par l'employeur à l'ensemble du personnel.
La Cour d'appel a analysé l'emploi occupé par le
salarié pour décider que « ni la nature des tâches
accomplies par un menuisier, ni l'activité de menuiserie industrielle de
l'employeur n'apparaissent nécessiter que soit imposé à
l'ensemble du personnel le port d'une tenue vestimentaire uniforme [...]
»).
2. Sur la finalité propre de l'entreprise,
La chambre sociale a employé pour la première
fois l'expression « finalité propre de l'entreprise »
pour désigner l'un des éléments pouvant contribuer
à justifier un licenciement fondé sur le comportement du
salarié dans un arrêt devenu célèbre dit du
sacristain60de Saint Nicolas du Chardonnet : « il peut
être procédé à un licenciement dont la cause
objective est fondée sur le comportement du salarié qui, compte
tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de
l'entreprise a créé un trouble caractérisé au sein
de cette dernière ». Jusque là, on se
référait au « caractère propre » de
l'entreprise et cela, seulement pour désigner la
spécificité de ce qu'il est convenu d'appeler « les
entreprises de tendance ».
La finalité propre de l'entreprise renvoie à la
protection de ses intérêts et à sa «
bonne marche »61, notion qui intègre des
considérations liées à plusieurs éléments,
à savoir des
59 CA Toulouse, 7 juin 2001, n° 00-4707 Cau c/ Sarl
Escaliers Dumas
60 Cass.soc.17 avril 1991, n° 1704 P, Painsecq c/
Association Fraternité Saint-Pie X : RJS 5/91 n° 558, Bull. civ. V
p. 122 n° 201
61 CA Montpellier 21 juin 1990, n°89-845, ch.soc.A, SARL DMG
Intersport c/ Clemens.
impératifs d'hygiène et de sécurité,
le contact avec la clientèle, ou encore la décence et les bonnes
moeurs.
2.1. Impératifs d'hygiène et de
sécurité
Concernant les impératifs d'hygiène et de
sécurité, les restrictions à la liberté de choisir
ses vêtements et son apparence sont autorisées par l'article
L.4221-1 du Code du travail quidispose que « les
entreprises doivent être aménagés de manière
à garantir la sécurité des travailleurs ».
L'employeur a une obligation de résultat de garantie de
sécurité et de santé du salarié sur le lieu de
travail, aussi, il a non seulement le droit mais également l'obligation
de fournir aux salariés les tenues vestimentaires appropriées.
Ainsi, dès lors que la société
démontre que ces restrictions sont conformes à cette
finalité, les refus des salariés de se conformer à ces
exigences doivent être sanctionnés62
62 CA Paris, 17 juin 1992, n° 92-31363, 18e ch. C, Millot c/
Sté AM Chaudronnerie Serrurerie Générale.
2.2.Contact avec la clientèle,
En ce qui concerne le contact avec la clientèle, cette
notion s'est peu à peu imposée dans la jurisprudence comme une
cause objective de licenciement d'un salarié dans les contentieux
où la liberté vestimentaire du salarié est en jeu.
Imposer une tenue au salarié peut en effet être
tout à fait utile afin, premièrement, que le client puisse
repérer son interlocuteur, mais aussi afin de véhiculer au mieux
l'image de marque de l'entreprise.
Ainsi, une salariée qui refuse de porter la tenue de
travail imposée par un article du règlement intérieur d'un
magasin d'une enseigne de la grande distribution au motif que celle-ci
était affectée à la salle des coffres du magasin et
qu'elle n'était ainsi amenée que rarement à entrer en
contact avec la clientèle, peut être licenciée car
l'article litigieux du règlement intérieur « en ce qu'il
a pour but notamment de permettre aux clients d'identifier immédiatement
le personnel du magasin et d'améliorer ainsi l'image de marque de
celui-ci n'apporte aux droits et libertés de Melle X aucune restriction
qui n'est pas justifiée par la nature de la tâche à
accomplir et proportionnée au but recherché
»63.
De la même manière, véhiculer une mauvaise
image de marque de l'entreprise auprès des clients de en raison d'une
tenue vestimentaire jugée inconvenante peut être une cause
objective de licenciement.
Dans l'arrêt de la chambre sociale du 28 mai
200364, l'examen des décisions de première et seconde
instance montre que les juges ont considéré que le port d'un
bermuda, inhabituel pour un administratif, donnait une image de marque
négative de l'entreprise auprès des clients. Il apparaît
que le salarié travaillait dans un bureau paysagé ouvert et
vitré et était amené à se déplacer dans des
locaux où circulaient également des clients.
63 CA Versailles, 21 septembre 1992, n° 91-6646 Syndicat du
commerce 78 et a. c/ Sté Carrefour Montesson
64 Cass.soc.28 mai 2003, n°1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205
2.3.Atteinte à la décence ou aux bonnes
moeurs
Une atteinte à la décence ou aux bonnes moeurs
par le biais d'une tenue vestimentaire inadaptée du salarié peut
constituer une autre cause objective de licenciement.
On peut ici citer l'arrêt rendu par la chambre sociale
le 22 juillet 198665 et dans lequel il était question du
licenciement d'une salariée au motif que celle-ci portait un chemisier
transparent sur ses seins nus. La cour avait considéré que le
licenciement de la salariée était justifié «
quelque soit l'évolution des moeurs et des codes vestimentaires
alors en vogue ».
3. Sur le trouble caractérisé et le principe
de proportionnalité,
En ce qui concerne le contrôle du principe de
proportionnalité, il amène souvent le juge à s'interroger
sur le comportement de l'employeur et sur celui du salarié. Sa
volonté est ici de concilier les intérêts en
présence.
Dans l'affaire du bermuda, l'employeur ne semble pas avoir agi
avec légèreté avant que d'entamer une procédure de
licenciement à l'encontre du salarié récalcitrant puisque
de nombreux avertissements lui avaient été préalablement
notifiés.
Ce principe de proportionnalité est
contrôlé au regard de l'examen de la notion de trouble
objectif66 qui permet de résoudre le conflit de logiques
entre la liberté du salarié et l'intérêt
légitime de l'entreprise.
Elle est apparue avec l'arrêt Picquart du 12 mars 1991
et s'est trouvée mise en oeuvre dans l'arrêt célèbre
dit du sacristain de Saint Nicolas du Chardonnet dans lequel la chambre sociale
a déclaré pour la première fois qu'« il peut
être procédé à un licenciement dont la cause
objective est fondée sur le comportement du salarié qui, compte
tenu de la nature de ses
65 Cass.soc.22 juillet 1986
66 Voir P.Waquet, « Trouble objectif : le retour à la
case départ », Semaine Sociale Lamy, n°1310, 04 juin
2007.
fonctions et de la finalité propre de l'entreprise
a créé un trouble caractérisé au sein de cette
dernière ».
La jurisprudence n'admet la légitimité d'une
rupture du contrat de travail que si le trouble est suffisamment
caractérisé. Le trouble ne doit pas être subjectif mais
objectif, c'est-à-dire provoquer une réelle impossibilité
de maintenir la relation de travail.
La question qui se pose est donc de savoir si la Cour de
cassation, lors de son contrôle des restrictions apportées
à la liberté vestimentaire, est plutôt en faveur de la
sauvegarde des intérêts légitimes de l'entreprise ou de la
protection des libertés individuelles du salarié.
4. Préserver avant tout le but recherché par
l'entreprise ?
4.1. Le critère de finalité propre de
l'entreprise peut suffire seul à justifier un licenciement non
disciplinaire motivé par des comportements se rapportant à la vie
professionnelle du salarié,
Nous venons de voir que les cours de justice sont soucieuses
de concilier les intérêts en présence.
Ce souci se traduit notamment par une vérification de
la justification des licenciements sur la base de trois principaux
critères qui peuvent constituer autant de causes objectives de
licenciement : la nature des fonctions exercées, la finalité
propre de l'entreprise et le trouble caractérisé au sein de
l'entreprise.
Toutefois, ces critères ne font que souligner
l'importance donnée au but recherché par l'entreprise - la
jurisprudence ne fait aujourd'hui plus référence aux
intérêts dans l'entreprise mais bien au but recherché par
l'employeur - par la Cour de cassation dans ce type de contentieux puisque le
raisonnement de la chambre sociale consiste à déterminer si le
licenciement est justifié eu égard aux intérêts de
l'entreprise plutôt qu'en considération de la préservation
des libertés du salarié.
Il s'agit donc de déterminer avant tout si les
libertés du salarié sont compatibles avec les
intérêts de l'entreprise plutôt que de savoir si les
intérêts de l'entreprise ne nuisent pas aux libertés du
salarié.
Il suffit d'analyser le traitement fait par la Cour de
cassation de la justification des licenciements non disciplinaires et
motivés par des comportements se rapportant à la vie
professionnelle du salarié pour s'en convaincre67.
67 V. Marie-Cécile Escande-Varniol, « Les
éléments constitutifs d'une cause réelle et
sérieuse de licenciement pour motif extraprofessionnel », RJS
1993.
Ce type de licenciement est celui qui est effectué dans
le cadre de contentieux vestimentaires puisque la Cour de cassation ne
reconnaît pas comme justifié un licenciement pour faute dans ce
type de litige.
Or, dans les licenciements extraprofessionnels, le
critère de la finalité propre de l'entreprise ou du but
recherché ne pourra pas à lui seul suffire à les justifier
: il faudra également rechercher l'existence d'un trouble
caractérisé.
Pourtant, ce concept de finalité propre de l'entreprise
peut suffire à lui seul à justifier des licenciements non
disciplinaires motivés par des comportements se rapportant à la
vie professionnelle du salarié.
Le critère relatif à la finalité propre
de l'entreprise semble donc permettre de sanctionner seul certains
comportements personnels non fautifs.
Cette jurisprudence relative au comportement du salarié
dans sa vie professionnelle est donc très protectrice des
intérêts de l'entreprise car elle ne s'arrête pas à
un simple comportement extérieur.
Si la finalité propre de l'entreprise le commande, le
salarié peut être renvoyé pour des motifs tenant à
des convictions personnelles, à sa personnalité.
4.2.L'obligation de loyauté et de bonne foi du
salarié : l'habit ne fait pas le moine, mais il peut faire le
salarié,
D'autre part, quand le licenciement trouve sa cause objective
dans un trouble apporté aux intérêts de l'entreprise, il
est intéressant de remarquer que ce trouble trouve son fondement dans
l'obligation contractuelle implicite de loyauté et de bonne foi,
inhérente au contrat de travail68.
En d'autres termes, pour la chambre sociale, si l'habit ne
fait pas le moine, il peut faire le salarié en considération de
l'obligation de bonne foi et de loyauté du salarié envers
l'entreprise avec laquelle il a signé un contrat de travail.
Comme l'écrivait MM.Gaudu et Vatiner69,
« l'essor de l'obligation de bonne foi montre que les parties au
contrat de travail sont traitées comme de véritables
contractants », au détriment des libertés du
salarié ?
68 Voir Ming Henderson - Vu Thi, « Libertés et vie
privée du salarié sur le lieu de travail. Lorsque le principe de
proportionnalité fait loi », Semaine sociale Lamy, 21 mai
2007.
69 MM Gaudu et Vatiner, Traité des contrats, sous
la direction de J.Ghestin, « Les contrats de travail », n°85n
p.162.
5. Ou défendre les intérêts des
salariés ?
5.1. L'utilisation de l'article L.1121-1 du Code du travail
pour protéger également la liberté vestimentaire du
salarié ;
Bien que nous ayons vu jusque là que la Cour de
cassation semblait plus encline à donner la primauté aux
intérêts de l'entreprise sur la liberté du salarié
de se vêtir à sa guise - et sur les libertés du
salarié en général - dans le conflit de logique qui oppose
ces deux entités, il demeure que la Haute juridiction reste sensible
à la protection des « libertés individuelles »
et des « droits de la personne » du salarié.
Il faut à ce titre considérer l'article L.1121-1
du Code du travail sous un autre angle : il est utilisé par la chambre
sociale en visa afin de protéger également la liberté du
salarié de se vêtir à sa guise et pas seulement afin de lui
apporter des restrictions.
La jurisprudence interprète, en effet, de la
manière la plus étroite les restrictions à la
liberté individuelle de se vêtir contenues dans le
règlement intérieur.
La Cour de cassation a ainsi refusé de
considérer qu'un salarié avait commis une faute en refusant de
porter une blouse blanche car il n'était pas démontré que
le port de ce vêtement était justifié par la nature de la
tâche à accomplir et proportionné au but
recherché70.
Dans une autre affaire, la Cour a refusé
d'élargir le domaine d'application d'un règlement
intérieur à une catégorie du personnel qui n'était
pas concernée par l'obligation de porter une tenue règlementaire
: « le contrat individuel de travail [d'un gardien] ne pouvait
comporter de restrictions plus importantes aux libertés individuelles
que celles prévues par la
70 Cass.soc.18 février 1998, TPS 1998, comm.n°114,
Jurisdata, n°1998-000650, Dr.soc.1998, p.506.
convention collective nationale [...] qui n'impose le port
d'un uniforme qu'au personnel de la catégorie B »71
Il suffit également de regarder les positions de M.
Lyon-Caen, avocat général, en la matière : dans chaque
cas, celui-ci vérifie scrupuleusement si la restriction apportée
à la liberté de se vêtir était justifiée ou
non dans les termes de L 1121-1.
Par exemple, dans l'affaire en date du 19 mai
199872, dans laquelle un salarié
s'était vu licencier pour avoir porter un jean et des baskets
contrairement aux dispositions du règlement intérieur qui
stipulait « pas de jean ni de baskets » ce dernier s'est
opposé au licenciement.
Rappelons enfin que l'article L.1121-1, même s'il ne
définit pas les libertés dont il envisage les restrictions, ne
parle justement que de restrictions aux droits des personnes et aux
libertés individuelles et collectives.
Cela veut dire que ces droits et libertés ne sont
jamais supprimés : ils sont seulement encadrés et
réglementés.
5.2.Refus de considérer la liberté
vestimentaire du salarié comme une faute,
La chambre sociale part du principe que si l'on veut
protéger les libertés du salarié, ceux-ci ne peuvent pas
constituer des fautes puisqu'ils ne tombent pas dans la sphère de
l'autorité de l'employeur.
Or, le conflit qui surgit entre l'employeur et le
salarié ne peut parfois trouver une issue que dans une rupture du
contrat de travail lorsque la cause objective du licenciement est
vérifiée : ce sera un licenciement non disciplinaire
motivé par des comportements se rapportant à la vie
professionnelle du salarié.
71 Cass.soc.16 janvier 2001, arrêt n°119, pourvois
n°98-44.252 et n°98-44.253.
72 Cass.soc.19 mai 1998, n°96-41.123.
Un arrêt important, rendu en chambre mixte le 18 mai
2007 a jugé que « un trouble objectif dans le fonctionnement de
l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction
disciplinaire à l'encontre de celui par lequel il est survenu
»73 bien que, jusqu'alors dès que la haute
juridiction avait à traiter d'un licenciement non disciplinaire, la
notion de trouble objectif seule suffisait à provoquer la rupture du
contrat de travail74.
La chambre sociale applique désormais cette
jurisprudence : un trouble objectif dans l'entreprise ne peut justifier un
licenciement disciplinaire75 mais seulement un licenciement de droit
commun.
5.3.La Cour de cassation contrôle fermement la bonne
application des critères nécessaires à justifier un
licenciement effectué dans le cadre d'un contentieux lié à
la liberté d'habillement par les juridictions de première et de
seconde instance ;
Plusieurs arrêts de la Cour de cassation nous montrent que
son contrôle sur la base légale par les juridictions de
première et de seconde instance est assez sévère.
Ainsi, un arrêt en date du 18 février
199876nous souligne ce contrôle aigu effectué par la
cour de cassation : la chambre sociale a cassé un arrêt de Cour
d'appel au motif que « les juges auraient dû rechercher si
l'obligation du port de la blouse était justifiée par la nature
de la tâche à accomplir et proportionnée au but
recherché », condition à défaut de laquelle le
refus du salarié ne pouvait être constitutif d'une faute.
En effet, La Cour d'appel avait cru pouvoir juger le licenciement
valable au motif que la consigne était certaine et bien connue des
salariés.
73 Cass.ch.mixte 18 mai 2007 : RJS 07/07 n°810.
74 V. P.Waquet, « Le trouble objectif dans l'entreprise :
une notion à redéfinir » : DRT 2006, p.304.
75 V. cass.soc. 19 décembre 2007 n°06-41.731 : RJS
02/08 n°154 ; cass.soc. 29 janvier 2008 n°05-43.745 : RJS 04/08
n°384.
76 Cass.soc.18 février 1998, TPS 1998, comm.n°114,
Jurisdata, n°1998-000650, Dr.soc.1998, p.506.
Il y a donc un contrôle fort de la cour de cassation sur
la base légale donnée par les Cours d'appel qui acceptent un
licenciement pour faute dans le cadre d'un contentieux vestimentaire : il faut
absolument qu'elles recherchent si la restriction apportée par
l'employeur à la liberté individuelle du salarié de se
vêtir est légitime, c'est-à-dire justifiée par la
nature de la tâche et proportionnée au but recherché.
Dans un arrêt du 20 juin 2006, à nouveau, la Cour
de cassation exerce un contrôle rigoureux de l'application du principe de
proportionnalité par les juridictions de première et de seconde
instance : « mais attendu que la CA, qui a fait ressortir que la
contrainte vestimentaire imposée à la salariée
n'était pas justifiée par la tâche à accomplir, ni
proportionnée au but recherché, a légalement
justifié sa décision ».
Par conséquent, « le salarié citoyen,
cher à M.AUROUX, entre en scène, c'est-à-dire un
salarié qui a des droits et contre lequel une sanction, et encore plus
un licenciement disciplinaire, ne peut être prononcé que sur la
base de faits objectifs susceptibles de caractériser une faute
»77
77 V.P.Waquet, « Les libertés dans l'entreprise
», RJS 2000, p.345.
5.4. Licencier seulement si le salarié fait preuve
de mauvaise volonté ;
Il convient de souligner le fait que dans les contentieux
d'ordre vestimentaire, le licenciement du salarié sera d'autant plus
jugé comme disposant bel et bien d'une ca use réelle et
sérieuse, que celui-ci aura fait preuve d'une certaine obstination et
qu'il aura refusé à plusieurs reprises de modifier son
comportement.
Dans le célèbre arrêt dit du bermuda, la
Cour de cassation a donné raison à l'employeur car ce dernier
avait plusieurs fois mis en garde le salarié sur l'inconvenance de sa
tenue au travers de plusieurs avertissements.
Ainsi, le salarié qui fait preuve d'une certaine
mauvaise volonté et qui n'est pas très conciliant, voire qui
cherche à provoquer l'employeur en refusant obstinément de
modifier sa tenue vestimentaire, sera plus aisément sanctionnée
par la Haute juridiction.
Cette même idée se retrouve dans l'arrêt du
3 mars 2009 de la Cour d'appel de Metz78 : la salariée,
vendeuse dans un magasin de prêt-à-porter, qui refusait
obstinément de porter les vêtements vendus dans le magasin dans
lequel elle travaillait, a ainsi vu son licenciement approuvée par la
Cour d'appel.
* * *
Pour conclure sur ce point, nous pouvons dire que
l'évolution du droit du travail se dessine vers davantage de
conciliation entre les intérêts de l'entreprise et la protection
des libertés et droits fondamentaux du salarié79.
78 CA Metz 3 mars 2009 n°06-2417, ch.soc., SA Maurice Gladek
c/ Becker : RJS 8-9/09 n°683
79 V. Etude par A.Boisgibault-De Bryas, « La tenue
vestimentaire du salarié », La Semaine Juridique Entreprises et
Affaires, n°23, 5 juin 2003.
Le Pr. Alain SUPIOT résume cette mutation en trois
temps : le temps de la protection des salariés jusqu'à la fin des
années soixante ; le temps de la sauvegarde des intérêts du
patronat jusqu'au début des années quatre-vingt ; le temps de
l'équilibre depuis80, autrement dit, la liberté
vestimentaire du salarié n'est certes pas reconnue comme une
liberté à part entière pouvant être opposée
à l'entreprise, il demeure toutefois que celle-ci est efficacement
protégée par l'application faite par la chambre sociale de
l'article L.1121-1 du Code du travail qui la confond parmi toutes les autres
libertés individuelles du salarié.
80 V. A.Supiot, « Pourquoi un droit du travail ? » :
Dr.soc. 1990, p.486.
*
* *
La liberté de se vêtir à sa guise est donc
bien reconnue comme une liberté individuelle et un droit de la personne,
l'article L 1121-1 du Code du travail souhaitant traiter de toutes les «
libertés individuelles » sans les énumérer.
Par conséquent, on doit plutôt parler d'une
volonté de concilier les droits des parties que d'un éventuel
déni de la liberté de se vêtir, comme l'absence d'existence
dans les textes de cette liberté tendrait à le faire penser, de
prime abord.
Cependant, il ne serait pas exagéré de demander
au législateur de définir un peu mieux ces « libertés
individuelles » et « droits de la personne » du salarié,
ne serait-ce que pour leur conférer une existence, la liberté de
se vêtir à sa guise du salarié existant bel et bien et
méritant d'être reconnue en tant que telle, et pas en tant que
liberté individuelle du salarié parmi tant d' autres.
Néanmoins, si la liberté de se vêtir
à sa guise mériterait sûrement d'être mieux
considérée comme une liberté individuelle du
salarié à part entière, mérite-t-elle d'être
qualifiée de liberté fondamentale ?
*
* *
SECTION 3 : DE LA LIBERTE DE SE VETIR A SA
GUISE COMME LIBERTE FONDAMENTALE DU SALARIE ?
I - N'EST PAS LIBERTE FONDAMENTALE N'IMPORTE QUELLE
LIBERTE ;
1. Des critères stricts à la reconnaissance
des droits fondamentaux propres au droit du travail ;
La matière des libertés est
étudiée à travers des prismes différents, ce qui la
rend quelque peu hermétique : celui du droit constitutionnel qui
s'attarde sur les droits de l'homme et d'une manière
générale sur les droits fondamentaux ; celui du droit
administratif qui a créé une branche spéciale : les
libertés publiques ; celui du droit européen avec la Convention
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou la
Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ; celui
enfin du droit civil qui met aussi en oeuvre les droits de la personne.
La matière est en outre peu claire quant à son
objet81 puisque la Convention de sauvegarde traite à la fois
des « droits de l'homme » et des « libertés
fondamentales ».
Quant à la loi du 31 décembre 199282,
elle garantit les « droits des personnes » et les «
libertés individuelles et collectives ».
Le Conseil constitutionnel emploie, de son côté,
l'expression « libertés et droits fondamentaux
»83.
81 V.J.Fayard, « Le labyrinthe des droits fondamentaux
» : Dr.soc. 1999, p.215
82 Loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 relative
à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et
à l'assurance chômage.
Toutefois, plusieurs éléments sont
fréquemment mis en avant pour donner un contenu approximatif à la
notion.
Les libertés fondamentales peuvent ainsi
définies « des libertés protégées contre
l'exécutif ou le législatif, en vertu de textes constitutionnels
ou internationaux, par le juge constitutionnel (ou le juge international)
»84.
Les libertés fondamentales sont, en conséquence,
celles qui sont inscrites dans les textes les plus élevés de la
hiérarchie des normes, c'est-à-dire la Constitution ou autres
conventions internationales.
En France, les libertés fondamentales sont
protégées par le Conseil Constitutionnel qui a
élaboré une théorie générale des
libertés fondamentales dès 198485
Elles sont apparues au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale
et ont permis de donner un nouvel essor à la protection des droits
individuels : il s'agit d'affirmer et de rappeler que ces droits fondamentaux
constituent le socle indépassable sur lequel repose les
sociétés occidentales démocratiques.
Il ressort de sa jurisprudence, 3 éléments
principaux relatifs à ces libertés : elles ne sauraient tout
d'abord être soumises à un régime d'autorisation
préalable, elles doivent ensuite être appliquées
uniformément sur le territoire de la République et elles ne
doivent, enfin, être soumises qu'à l'intervention du
législateur qui ne doit intervenir qu'afin de rendre leur exercice plus
effectif ou de concilier avec d'autres règles ou principes de valeur
constitutionnelle.
Ainsi, refusant toute définition générale,
la chambre sociale décide au cas par cas si telle ou telle
liberté est ou non fondamentale : le respect de l'intimité de la
vie privée du salarié a été
83 Décisions n°89.259 DC du 22 janvier 1990 : RJS
3/90 n°259 et 263 ; n°92.325 DC du 13 Août 1993 : RJS 10/93
n°1041 ; n°97.389 DC du 22 avril 1997 ; n°98.401 DC du 10 juin
1998 : RJS 77/98 n°939.
84 G. couturier, « Droit du travail », Libertés
et droits fondamentaux, sous la direction de M.Delmas-Marty et Claude Lucas de
Leyssac, Ed. Seuil, Coll.Points, 1996
85 CC n°84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984.
consacré comme telle86, la liberté de se
vêtir à sa guise s'est vue refuser l'accès à la
« fondamentalité »87.
Deux critères stricts à la reconnaissance de la
« fondamentalité » de certains droits spécifiques au
droit du travail peuvent toutefois être utilisés88.
D'abord un critère formel, autrement dit la source du
droit, le plus souvent la Constitution ou les grands textes internationaux
garantissant les droits de l'homme.
Ensuite un critère matériel : il s'agit de
protéger la personne, sa vie et sa dignité.
Or, premièrement, le critère formel manque
cruellement à la liberté vestimentaire du salarié : cette
liberté, nous l'avons vu, n'est actuellement reconnue par aucune source
juridique.
Puis, deuxièmement, le critère matériel de
cette liberté est discutable.
Nous avons d'ores et déjà vu que la liberté
de se vêtir du salarié pouvait être rapprochée du
respect de sa dignité.
Toutefois, on peut soutenir que l'employeur ne manque pas de
respect et ne porte nullement atteinte à la dignité du
salarié lorsqu'il veut le voir accomplir sa tâche dans les
conditions de réussite maximales, que ce soit d'un point de vue
économique, mais également au regard de la cohésion du
groupe que forme l'ensemble des salariés de la
société89.
De plus, il faut bien admettre que la vie du salarié n'est
pas en jeu dans les contentieux vestimentaires.
86 Cass.soc.2 octobre 2001, n°99-42.942.
87 Cass soc 28 mai 2003, n°1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205.
88 V.P.Waquet, « Les libertés dans l'entreprise
», RJS 2000, p.335.
89 V. Etude par A Boisgibault - De Bryas, « La tenue
vestimentaire du salarié », La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires, n°23, 5 juin 2003.
2. Insérer la tenue vestimentaire dans l'article
L.1132-1 du Code du travail ne « fondamentalisera » pas la
liberté d'habillement ;
Il faut combattre l'idée selon laquelle l'insertion de
la tenue vestimentaire dans l'article L.1132-1 du Code du travail permettrait
par là même de « fondamentaliser » la liberté
vestimentaire90.
Certes, le législateur n'est pas totalement
réfractaire à de tels procédés puisqu'il s'est
déjà autorisé, par l'article L.2141-4 du Code du
travail91, à ranger la liberté du travail parmi les
« droits et libertés garantis par la Constitution de la
République ».
L'éventuel allongement de la liste des cas de
différenciation illicite ne saurait augmenter ipso facto le
catalogue des libertés fondamentales.
Si un licenciement fondé sur l'exercice d'une telle
liberté doit être interdit, toute sanction illicite ne
découle pas de la violation d'un droit qui mérite
d'accéder à la fondamentalité.
Le parallèle peut être fait avec l'article
L.1121-1 : si tous les droits fondamentaux sont bien soumis à
l'encadrement décrit à cet article, toutes les
prérogatives susceptibles d'être assujetties par cette disposition
ne constituent pas pour autant des libertés fondamentales.
Nous pensons d'ailleurs que le fait même que l'on traite
ce sujet de savoir si oui ou non il faille considérer la liberté
de se vêtir à sa guise au travail comme une liberté
fondamentale démontre qu'il y a aujourd'hui une tendance marquée
à mettre sur un pied d'égalité toutes les libertés
du salarié et à considérer, de ce fait, que chaque
liberté individuelle du salarié devrait être
considérée comme une liberté fondamentale .
90 V. J.Raynaud, « Entreprise et Droits fondamentaux »,
obs. sous Cass.soc.28 mai 2003, La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires, n°10, 4 mars 2004.
91 Article L.2141-4 du Code du travail : « L'exercice du
droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des
droits et libertés garantis par la Constitution de la République,
en particulier de la liberté individuelle du travail. Les syndicats
professionnels peuvent s'organiser librement dans toutes les entreprises
conformément aux dispositions du présent titre ».
3. Des conséquences d'une sanction prise en
violation d'une liberté fondamentale disproportionnées pour la
liberté vestimentaire ;
La « fondamentalité » assure principalement
deux grandes fonctions dans la jurisprudence judiciaire : l'activation d'une
procédure ou d'un régime particulier et le règlement d'un
conflit de droits entre les parties.
Ces deux fonctions ont des conséquences importantes,
relatives aux libertés fondamentales qu'elles protègent.
Par exemple, une sanction prise en violation d'une liberté
fondamentale dans le cadre de la relation de travail obligera l'employeur
à réintégrer le salarié dans les effectifs.
Ces conséquences ne sont donc pas bénignes : elles
sont proportionnées aux libertés qu'elles défendent car il
ne s'agit pas de « simples » libertés mais bien de
libertés fondamentales.
3.1.L'activation d'une procédure particulière
;
En droit du travail, la violation d'une liberté
fondamentale se traduit par l'activation d'une procédure de
référé, la nullité du licenciement et la
réintégration du salarié92.
Une telle violation permet d'identifier l'existence d'un
trouble manifestement illicite et donc de justifier l'intervention du juge des
référés nonobstant l'existence d'une contestation
sérieuse.
92 Voir Xavier Dupré de Boulois, « Les notions de
liberté et de droit fondamentaux en droit privé », La
Semaine Juridique Edition générale, n°49, 5
décembre 2007.
Il s'agit de faire cesser le trouble le plus rapidement
possible dans le but d'éviter à tout prix toute atteinte à
une liberté fondamentale, voilà pourquoi, dans ce cas, le juge de
l'évidence est sollicité.
En ce qui concerne la nullité du licenciement, celle-ci
pourrait être envisagée au titre d'une liberté
fondamentale, puisque, même en l'absence de disposition
législative, la Cour admet la nullité d'un licenciement dans une
telle hypothèse mais aussi sur le fondement de l'article L.1132-1 du
Code du travail qui sanctionne les discriminations illicites.
Dans un arrêt de la chambre sociale du 30 octobre
200293, la Cour a déclaré qu'un licenciement ne peut
être annulé que si la loi en dispose expressément ou en cas
de violation d'une liberté fondamentale.
Or, puisque la liberté de se vêtir n'a pas
été jusque là considérée comme une
liberté fondamentale, le licenciement ne peut pas être
annulé.
Le salarié pourra cependant obtenir des
dommages-intérêts si le licenciement ne dispose pas d'une cause
réelle et sérieuse. En effet, en droit du travail, la sanction du
licenciement irrégulier ou abusif est financière.
En revanche, le salarié ne pourra pas être
réintégré puisque la réintégration n'est
envisageable qu'en cas de nullité du licenciement.
3.2.Le règlement des conflits de droits entre les
parties ;
Le juge judiciaire recourt souvent à la «
fondamentalité » pour faire prévaloir un droit sur une
prétention contraire.
Il assure par là une hiérarchisation des
intérêts évoqués devant lui.
93 Cass.soc.30 octobre 2002, n° 00-45.608 (n° 3100
F-P), Verdier c/ Sté France Télécom : RJS 1/03 n° 24,
Bull. civ. V n° 331.
Or, il semblerait étrange de faire prévaloir la
liberté vestimentaire du salarié sur la prétention de
l'entreprise, par exemple, de véhiculer dans les meilleures conditions
son image de marque.
La liberté de se vêtir du salarié ne
revêt pas une importance suffisante pour que celle-ci puisse être
sans conteste élevée au-dessus des prétentions de
l'entreprise.
En effet, il nous semble que la liberté vestimentaire
ne peut pas être l'égale d'une liberté d'expression du
salarié par exemple dont l'atteinte justifierait pleinement le recours
à la procédure de référé.
* * *
Nous avons vu qu'ériger au rang de liberté
fondamentale un droit ou une liberté du salarié n'est pas sans
revêtir une importance capitale du fait de la signification même de
la notion de liberté fondamentale.
Par conséquent, on ne peut raisonnablement envisager de
ranger dans la catégorie des libertés fondamentales toutes les
libertés du salarié.
C'est d'ailleurs bien pour cela que les notions de
libertés individuelles, libertés fondamentales et droits de la
personne coexistent : il s'agit bien là de notions différentes,
au contenu différent, à la symbolique différente et aux
répercussions différentes.
Prétendre que toutes les libertés du
salarié sont des libertés fondamentales affaiblirait sans nul
doute cette notion de liberté fondamentale puisque ces libertés
que l'on appelle fondamentales sont presque par essence un noyau dur
composé uniquement de quelques libertés indispensables dans toute
société démocratique.
On ne peut faire entrer toutes les libertés du
salarié dans le cercle très fermé des libertés
fondamentales car, même si la liberté vestimentaire du
salarié ne doit pas être niée, elle ne constitue pas pour
autant une liberté fondamentale.
II - LA LIBERTE DE SE VETIR N'EST PAS UNE LIBERTE
FONDAMENTALE DU SALARIE ;
1. Le choix du vêtement se situe à l'interface
de l'expression d'une individualité et du lien social qu'il incarne
;
Se pose ici la question de l'étendue de la liberté
dans les choix vestimentaires du salarié.
En effet, si la liberté n'est pas totale dans le choix
fait par le salarié en ce qui concerne sa tenue vestimentaire, il nous
semble difficile d'élever la liberté d'habillement au rang de
liberté fondamentale.
Tout le monde a l'impression de faire preuve d'une grande
originalité et d'être totalement libre lorsqu'il s'agit de choisir
ses vêtements et le salarié considère
généralement qu'il est libre de choisir le vêtement de son
choix dans son activité professionnelle.
Or, il faut bien l'admettre, lorsque chacun d'entre nous
choisit sa tenue vestimentaire, d'autres facteurs, notamment des facteurs
sociaux, entrent en compte que la simple liberté d'exprimer, au travers
de ses vêtements, sa personnalité.
Il semble que le vêtement soit avant tout le symbole de
l'assujettissement à des codes sociaux plutôt que la pure
expression d'une individualité.
En réalité, il ne s'agit que d'un « ersatz
de liberté individuelle »94 conforté par la
jurisprudence.
Pour André Bertrand, les vêtements ont, depuis
toujours, eu « pour fonction sociale essentielle d'indiquer, d'une
manière visible, l'appartenance des personnes qui les portent
à
94 L.Gimalac, « La tenue vestimentaire,
l'identité et le lien social dans le cadre des rapports professionnels
», Les Petites Affiches, Dr.soc., 20 décembre 2002,
n°254,p.11.
une tribu (...) ou à un clan, si ce n'est
même dans certains cas, leur statut et leur rang social
»95.
La place que tient le vêtement dans le monde du travail
ne fait que corroborer cette assertion puisque le vêtement joue un
rôle toujours important, par pression sociale, et pas
nécessairement par simple contrainte de l'employeur.
Certains effets ou accessoires restent spontanément
associés à l'exercice d'une profession sans la moindre contrainte
juridique ou règlementaire96.
Le port de la cravate dans les cénacles du pouvoir en
est l'illustration : lorsque l'ancien ministre Jack Lang s'est un jour
présenté en costume à col Mao, cela a immédiatement
constitué un événement hautement médiatique.
Le vêtement joue un rôle toujours aussi important
à chaque étape de la vie professionnelle du salarié, il
illustre l'existence de codes sociaux qui s'imposent aux salariés pour
marquer leur appartenance à un groupe.
Les cérémonies de remise de diplômes dans
certaines universités ou dans les grandes écoles, tels des rites
initiatiques du passage à l'âge adulte, sont souvent l'occasion de
nouer les premières cravates ou de revêtir les premiers
tailleurs.
Ainsi, tout comme le baggy indiquait leur
appartenance au groupe des adolescents, le costume-cravate signifie
désormais leur appartenance au groupe des adultes insérés
dans le monde du travail.
Cela peut être plus ou moins bien vécu, et cela
est sans doute dû, comme le relève JeanFrançois
Amadieu97aux « standards qui régissent les
apparences au sein des groupes sociaux [qui] sont beaucoup plus complexes et
subtils que par le passé. Gare à celui qui n'est pas à
l'aise dans son costume, qui a l'air « endimanché » quand il
arrive face à un recruteur ».
95 André Bertrand, La Mode et La Loi, éd.
Litec, p.8 et s.
96 V. L.Gimalac, « La tenue vestimentaire, l'identité
et le lien social dans le cadre des rapports professionnels », Les
Petites Affiches, 20 décembre 2002, n°254, p.11
97 Voir J.F.Amadieu, Le poids des apparences, éd.
Odile Jacob, 2005.
S'il est vrai que la génération des 25-35 ans
supporte plus difficilement les contraintes vestimentaires, l'évolution
des moeurs et la complexification des codes sociaux ne doit pas dissimuler la
réalité sous-jacente.
Les codes vestimentaires demeurent et conservent une haute
valeur symbolique dans notre société : la recherche du style est
certes plus forte pour maintenir une forme de distinction mais
également, comme le souligne L.Gimalac « pour marquer un
assujettissement à un ordre social minimum qui permet de maintenir la
cohésion d'un groupe »98
L'influence sociale est donc prépondérante dans
le choix vestimentaire du salarié, elle « marque nos
chairs » : « Il existe des normes et des règles non
écrites, mais bien connues, qui définissent ce qui est
convenable, de bon goût et qui dénote l'appartenance au beau
monde. Ces standards sont assez stables pour servir de marqueurs sociaux : au
premier coup d'oeil chacun sait à qui il a affaire
»99.
Autrement dit, changeons de perspective : l'entreprise n'est
pas seule à imposer des contraintes vestimentaires, c'est la
société dans son ensemble qui a toujours imposé ces codes
vestimentaires et qui réduit significativement l'étendue de la
liberté dans les choix vestimentaires du salarié qui se voit
obligé « d'être un autre », c'est-à-dire
d'incarner l'image d'une profession et non plus simplement sa propre
individualité.
La prétendue démocratisation de la mode au cours du
XXe siècle n'a donc pas eu raison des signes distinctifs qui subsistent
dans toute notre civilisation occidentale.
2. La liberté de se vêtir : le prolongement
d'autres libertés fondamentales plutôt que d'en constituer une
à part entière ;
98 L.Gimalac, « La tenue vestimentaire,
l'identité et le lien social dans le cadre des rapports professionnels
», Les Petites Affiches, Dr.soc., 20 décembre 2002,
n°254
99 Voir J.F. Amadieu, Le poids des apparences, «
les standards de la beauté », éd. Odile Jacob, 2005,
p.32.
Nous avons vu que certains salariés ont tenté en
vain d'effectuer un rapprochement entre la liberté vestimentaire et
d'autres libertés déjà consacrées par des textes
juridiques afin de contester une sanction prise par l'employeur à leur
encontre dans le cadre d'un contentieux vestimentaire.
Il faut dire que la liberté de se vêtir à
sa guise au travail emprunte divers traits de ressemblance avec une
liberté fondamentale d'expression par exemple.
La liberté vestimentaire cacherait donc plusieurs
autres libertés, certaines étant des libertés
fondamentales - le droit au respect de la vie privée du salarié
-, d'autres non - le droit à la non discrimination fondée sur
l'apparence physique ou le sexe.
Elle serait une liberté complexe et composite,
composée d'un peu de toutes ces libertés que nous avons
exposées dans la première section, III, de ce mémoire.
Dès lors, il semble étrange de ne pas
reconnaître la liberté d'habillement comme une liberté
fondamentale.
Pourtant, nous avons aussi précédemment vu que
la liberté vestimentaire du salarié ne revêtait pas les
caractéristiques nécessaires pour être élevée
au rang de liberté fondamentale.
Nous pensons que la résolution de ce paradoxe se situe
dans cette affirmation : la liberté d'habillement du salarié
n'est pas une liberté complexe qui pourrait valablement être mise
sur le même plan que les libertés fondamentales avec lesquelles
elle possède certains traits de ressemblance, elle en est le simple
prolongement.
Autrement dit, la liberté de se vêtir à sa
guise au lieu et au temps du travail est plutôt une expression, une
conséquence de la liberté religieuse du salarié, à
titre d'exemple.
Elle est une des manifestations de ces libertés auxquelles
elle emprunte certaines similitudes. La liberté de religion peut par
exemple avoir des conséquences sur la tenue vestimentaire
Cette constatation ne doit pas permettre à un employeur
de prononcer des sanctions à l'encontre d'un salarié en raison de
sa tenue vestimentaire qui seraient un moyen détourné pour le
sanctionner en raison de ses convictions religieuses pouvant s'exprimer par la
tenue vestimentaire.
Si la liberté de religion est absolue et ne saurait
supporter des restrictions, il n'en va pas de même de son expression qui
ne doit pas être incompatible avec la fonction exercée.
Cette constatation ne fait que souligner notre propos selon
lequel la liberté vestimentaire du salarié ne saurait être
considérée à elle seule comme une liberté
fondamentale.
*
* *
CONCLUSION
A l'issue de ce mémoire, nous pouvons donc dire que ce
ne sont pas des considérations rétrogrades de la Cour de
cassation qui lui font ne pas considérer la liberté d'habillement
du salarié comme une liberté fondamentale.
Une confrontation de la liberté vestimentaire avec les
critères nécessaires à toute liberté fondamentale
nous a fait pencher pour cette affirmation : tous les droits du salarié
ne doivent pas être élevés au rang de liberté
fondamentale, c'est le cas de la liberté de se vêtir à sa
guise au lieu et au temps du travail.
Néanmoins, ne pas élever au rang de
liberté fondamentale à part entière cette liberté
ne devrait pas permettre de l'écarter du champ d'autres types de
libertés, telles les libertés individuelles du salarié.
Il est vrai que les juridictions sont très vigilantes
quant à la protection des libertés individuelles et des droits de
la personne du salarié, notamment sur le fondement de l'article L.1121-1
du Code du travail,
Toutefois il n'est toujours pas possible de parler d'une
liberté vestimentaire ad hoc qui puisse être
opposée à l'entreprise.
Ceci est sans doute dû à l'utilisation de
l'article précité du Code du travail : article flou et paradoxal,
il ne permet pas à la liberté vestimentaire de s'épanouir
puisqu'il la confond dans toutes les autres libertés individuelles
reconnues au salarié au lieu et au temps du travail.
Autrement dit, plus de vingt ans après l'entrée
des libertés individuelles et des droits de la personne dans l'enceinte
de l'entreprise, peut-être serait-il aujourd'hui nécessaire de les
redéfinir plus précisément.
*
* *
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Monribot c/ Sté Sagem défense sécurité , JurisData
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à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et
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· Circ. DRT n°5-83 du 15 mars 1983, n° 12 et 123
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· Circ. Ministère du travail, 10 septembre 1991,
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· Réponse du Garde des Sceaux, 29 juillet 1991
|