2.5.2 La perception du mode de règlement des
différends
2.5.2.1 Les modes usuels de règlement des
différends civils et commerciaux à Hydro-Québec.
L'analyse du discours de l'acteur D-05 laisse entendre que
lorsque l'entrepreneur rencontre des conditions qu'il considère
imprévisibles et qu'il juge avoir subi des préjudices, en premier
lieu, il présente un dossier de demande de compensation à
l'administrateur du contrat désigné par la société
d'État dans l'avis d'attribution. Ce dernier étudie le dossier et
tente de négocier avec le représentant de l'entrepreneur un
règlement. Il s'agit le plus souvent d'une négociation bipartite
que le représentant d'Hydro-Québec doit conduire avec
équité et transparence, en se basant sur les clauses
contractuelles, les lois et les règlements en vigueurs. À cet
effet, des directives sont données aux administrateurs des contrats pour
être réceptifs aux demandes de l'entrepreneur et pour analyser la
demande selon des critères objectifs bien fondés en droit :
« Si on a eu de plus sur nos ouvrages quelque part et on a une valeur
ajoutée sur nos ouvrages on lui doit. Alors, c'est le principe de base.
Tu nous as fait des travaux ça fait améliorer nos actifs, on te
doit quelque chose. » (Acteur D05)
Si l'entrepreneur n'arrive pas à s'entendre avec
l'administrateur désigné du contrat, la procédure inscrite
dans le contrat lui permet de s'adresser à un niveau hiérarchique
plus haut avec un dossier complet justifiant sa demande dans le but de trouver
une entente et changer la décision de l'administrateur. Ainsi, le
supérieur hiérarchique reçoit le dossier de l'entrepreneur
comme un appel de la décision de son employé et tente de trouver
un règlement, mais toujours en se basant sur la normativité
juridique du contrat : « S'il n'est pas satisfait de cela, il peut faire
appel au directeur, il va chercher un niveau hiérarchique plus
élevé que celui de l'administrateur de son contrat. »
(Acteur D-05)
Selon la conception de ce gestionnaire, les
négociations avec l'entrepreneur et l'analyse du dossier de
réclamation présenté par l'entrepreneur sont faites en
équité et avec transparence en s'appuyant sur des critères
objectifs où le dossier doit être bien fondé en droit. Les
clauses contractuelles, les lois et règlements demeurent la source de
toute justification pour la prise de décision : « Il y a toujours
le Code civil qui lui permet dans les trois ans qui suivent la date de
l'événement de pouvoir nous poursuivre. [...] À mesure
où l'entrepreneur
soulève une problématique, la première
chose qu'on regarde : est-ce que c'est prévu au contrat? » (Acteur
D-05) À cet effet, un avis préalable du contentieux de la
société d'État est nécessaire pour conclure toute
entente concernant le règlement d'une réclamation par un
gestionnaire. Le fardeau de la justification incombe à l'entrepreneur
où il doit présenter sa demande de compensation avec une bonne
argumentation détaillée et basée sur le contrat qui lie
les parties.
Les forces des modes usuels de règlement des
différends civils et commerciaux à
Hydro-Québec
L'acteur D-05 croie que les modes, tel que pratiqués,
sont satisfaisants car ils ont démontré leur efficacité
dans les règlements de plusieurs demandes des fournisseurs au niveau de
chantier avant que ces demandes se retrouvent devant le comité du
Directeur sous forme des réclamations. Pour appuyer cette satisfaction,
le gestionnaire invoque le règlement de tous les changements qui
surviennent pendant l'exécution d'un contrat. Il mentionne que les
réclamations qui sont difficiles à régler
représentent environ 5 % du montant du contrat et la durée
moyenne pour régler une réclamation est d'environ deux ans :
« Mais j'ai des réclamations là-dedans qui
datent en moyenne de 24 à 18 mois. Alors quand je regarde cela, toute
proportion gardée, je me dis les réclamations dans le coût
final d'un projet vont représenter entre 4 % à 5 % du projet.
Mais ce n'est pas si pire que cela. [...] Actuellement avec notre mode de
fonctionnement, quand on a des changements contractuels à faire, on
finit par les régler à 95 %. On finit par les régler dans
des délais qui paraissent acceptables de part et d'autre. Il en reste un
petit bout et ça, c'est le mode de fonctionnement actuel qui nous a
amené là» (Acteur D-05)
Selon lui, la gestion des deniers publics impose un compte
rendu au corps social. Ce qui n'est pas le cas dans la gestion des affaires
privées. Il paraît qu'il est plus facile de faire de compromis
lorsqu'on gère des intérêts privés que des fonds
publics. Ce qui laisse entendre que la gestion des compromis dans les
négociations des affaires de la société d'État est
très fastidieuse en raison des justifications qui doivent supporter
chaque décision ou chaque entente conclue pour un règlement :
« Chez nous, il faut toujours être capable
d'expliquer à un moment donné à l'externe, pourquoi est-ce
qu'on l'a réglé à 70 % de ce qu'il nous réclamait.
[...] Dans le privé, j'ai déjà connu et travaillé
dans une entreprise qui avait une liste restreinte d'entrepreneurs. Quand c'est
le temps de régler un litige à un moment donné, on fait le
break down de tout cela. On s'entend sur un montant forfaitaire X. Selon mon
jugement, je pense que c'est correct, aussi selon le jugement de
l'entrepreneur, on pense tous les deux que c'est correct.
Tandis qu'Hydro-Québec est une société d'État, la
règle de transparence est de rigueur, je ne peux pas dire qu'on a
réglé à soixante dix pourcent, je dois être capable
de dire 70% est composé de ça, ça, ça. »
(Acteur D-05)
Selon ce gestionnaire de première ligne, le statut
d'Hydro-Québec comme société d'État exige un
traitement équitable, avec rigueur et transparence, de toute demande
provenant d'un fournisseur et toute négociation pour trouver une
solution à un différend doit être guidée par ces
valeurs fondamentales de la gestion de la chose publique. Il associe
l'équité à l'honnêteté. Ainsi, il
considère que son offre est équitable car il est sûr de sa
façon de voir les choses et de la justesse de son évaluation de
la demande du fournisseur :
<< On est une société d'État, alors
on doit faire beaucoup de transparence. Je me rappelais souvent à dire
qu'il faillait beaucoup plus de rigueur, comme n'importe quelle entreprise
privée avec un astérisque de plus. [...] Il y a des règles
d'équité par rapport à l'entrepreneur, et il y a des
règles de transparence par rapport à l'ensemble du public
québécois. » (Acteur D-05)
Les faiblesses des modes usuels de règlement des
différends civils et commerciaux à
Hydro-Québec
Selon l'acteur D-05 qui a vécu le conflit, il fait part
de ses déceptions du mode judiciaire où toutes les parties en
conflit se sont engouffrées dans une démarche coûteuse et
sans fin. La médiation a permis de trouver une solution en achetant la
paix :
<< C'est difficile à dire pace que nous avons
appliqué une pénalité. Juste pour te mettre dans le
contexte, 371 000 $ en 1990. En 1991, il y a eu une poursuite de l'entrepreneur
général contre nous pour le montant plus les
intérêts. Il y a eu une poursuite d'un sous-traitant contre
l'entrepreneur général. Il y a eu la caution, le bureau d'avocat
tout cela a fait une grosse boule. On était imbriqué
là-dedans. À tous les six mois, un an, ils sortaient une
procédure. Au bout de dix ans, [nous avions] changé d'avocat 2
à 3 fois. Au bout de dix ans, tu dis : on veut-tu se débarrasser
de cela? Tu sais, cela finit par faire de l'usure. Puis quand il y a eu
l'idée de la médiation, on avait offert 50 000 $, dans ma
tête on avait trop offert, On avait offert d'acheter la paix. »
(Acteur D-05)
|