Analyse dynamique, anthropologique et mythique
Introduction :
Dans l'intention de mieux comprendre l'imaginaire
baudelairien, dans les Fleurs du Mal, ainsi que son fonctionnement,
l'objectif de ce deuxième chapitre est de mettre l'accent sur le
dynamisme des images animales qui sont, avant tout, révélatrices
d'un trajet anthropologique baudelairien. Ce trajet reflète, à
priori, des influences qui remontent essentiellement à
l'Antiquité et aux histoires bibliques. Il s'agira donc de centrer la
lumière sur cet héritage classique et sur son apport à
l'imaginaire baudelairien.
Le recours aux images antiques et bibliques présente,
par ailleurs, un point commun qui donne une seule et même trajectoire au
trajet anthropologique baudelairien. En effet, toutes ces images d'origine
antique ou biblique sont, avant tout, des représentations mythiques.
Ainsi on parle, par exemple, du mythe du sphinx ou de celui du cheval
chthonien. Ces différents animaux classiques, qu'ils soient réels
ou imaginaires, connaissent par ailleurs, un riche destin littéraire,
autre point commun qu'ils partagent avec d'autres animaux qui ne sont pas
nécessairement antiques ou bibliques mais qui acquièrent un
caractère mythique de par leur grande utilisation littéraire.
Citons l'exemple du chat, la mouche, le ver ou encore l'araignée.
I- Analyse de la dynamique des signes dans le bestiaire
de Les Fleurs du Mal :
Les thèmes du bestiaire baudelairien analysés
ci-dessus naissent, selon Durand, de la mobilité des images qui, par
leur ambivalence et leur dynamisme renvoitnt, à plusieurs thèmes
à la fois. Il arrive même qu'une même image animale renvoit
à l'intérieur d'un même thème à
différents éléments ayant différentes valeurs.
Ainsi, les reptiles, entre autres, sont des créatures
qui font preuve d'un grand dynamisme symbolique. La vipère qui, dans le
poème Bénédiction, symbolise le malheur d'une
mère déçue d'avoir eu pour fils un poète, symbolise
également la mort dans Sépulture, où ce reptile
ira faire ses petits dans une tombe fraîchement creusée. Dans
L'Avertisseur, la vipère renvoit par sa
« Dent »(1) maudite au passage destructeur du
temps.
De son côté, le serpent se fait symbole de
séduction et de froideur de l'âme dans Le Serpent qui danse
ou dans Avec ses vêtements ondoyants et nacrés. A
travers son regard charmeur et sa forme sensuelle, il renvoit à une
féminité à laquelle le poète a du mal à
résister. Sensualité féminine et serpentine que l'on
retrouve de manière plus tendre et plus douce dans le Beau
navire avec l'image du boa.
Après avoir identifié la peur devant la fuite du
temps, la froideur, la beauté et la sensualité féminine,
l'image reptilienne est également employée pour identification
biblique des humains qui, inconscients sont comparés à
l'aspic(2). Par ailleurs, sous l'influence d'une tradition biblique, le
poète recourt à l'image du serpent qui renvoit dans A Une
Madone, à une représentation religieuse pervertie du mythe
d'Adam et Eve.
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(1) L'avertisseur, Les Fleurs du Mal, strophe 2, v.
3
(2) Cf. Identification des êtres humains, in.
L'homme-animal : le bestiaire de l'identification.
L'image du chat fait également preuve d'une grande
dynamique. Elle est employée afin d'identifier le poète,
être comme lui « sédentaire »(1) et
la femme qu'elle présente comme une créature sensuelle et
mystérieuse, séraphique et assassine qui conduit le lecteur dans
un univers fait de plaisirs, de magie mais aussi d'amour froid et distant.
Le chien, symbole de fidélité dans Hymne
à la beauté, est, avec son cri ténébreux, l'un
des animaux inspirant la mort. Son doublet, le loup l'est également,
faisant ainsi une transition du schème de l'animation vers celui du cri.
Par ailleurs, l'image de la louve
employée notamment dans J'aime le souvenir de ces
époques nues et dans Le Cygne, symbolise quant à
elle la mère et la prostituée.
Une influence da la fable est également à noter
dans Le Cygne, où cet oiseau, symbole des exilés, se
transforme en un animal parlant à Dieu, pour lui faire des reproches. De
son côté, l'emploi des images de créatures mythiques
connaît également une dynamique des signes, citons l'exemple du
vampire qui dans le poème éponyme identifie le poète,
alors que dans Les métamorphoses d'un vampire, il identifie la
femme.
L'image du cheval dans la poésie baudelairienne est
aussi l'une des plus dynamiques. Elle revoie à la sensualité
féminine à travers la « lourde
crinière »(2) de cet animal qui est également
symbole de la mort à travers son image de cheval chthonien
annonçant la fin du monde comme dans L'Apocalypse(3). Par
ailleurs, dans Femmes Damnées, un « lourd
attelage / de chevaux »(4) écrase le corps de l'amante
déchirée par l'amour physique d'un homme violeur.
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(1) Les Chats, Les Fleurs du Mal, strophe 1, v. 4.
(2) Le Léthé, Les Fleurs du Mal,
strophe 1, v. 4.
(3) Cf. analyse du thème de la mort à travers
l'image du cheval chthonien, in. La phobie d'Anubis ou le bestiaire de la
mort.
(4) Femme damnées (Delphine et Hippolyte), Les
Fleurs du Mal, strophe 9, vv. 1 & 2.
De son côté, le bestiaire ornithologique,
après avoir servi à l'identification du poète avec, entre
autres, l'image de l'albatros et du cygne, fait également preuve d'un
grand dynamisme, analysable à deux niveaux. Dans un premier lieu, le
bestiaire ascensionnel fonctionne selon une dynamique qui transforme l'oiseau,
en tant qu'animal volant, en une idée d'élévation. Cette
désanimalisation permet à l'être humain et à son
âme, d'avoir des ailes pour prendre un essor qui reste imaginaire.
Le dynamisme symbolique ornithologique se place, en
deuxième lieu, à un niveau plus proches des
« miasmes morbides »(1) terrestres. En effet,
l'oiseau, symbole d'ascension, se transforme en charognard à travers
l'image des « féroces oiseaux »(2),
symbolisant ainsi la mort.
L'image de la mort est très présente dans la
poésie baudelairienne où elle reflète la peur du
poète. Ce dernier qui dans un but d'exorciser sa terreur devant le temps
qui « mange la vie »(3) et devant la mort, recourt
à une importante dynamique.
Cette lutte contre la mort par une dynamique symbolique se
poursuit dans Une Charogne, où le poète cherche à
trouver une nouvelle définition de la beauté, pis encore, il met
de l'art et de la vie dans la mort.
Après les descriptions détaillées,
réalistes et choquantes faites dans Un Voyage à
Cythère ou dans Une Charogne, le poète propose un
autre visage de la mort. En effet, dans Le Mort Joyeux, elle est
envisagée d'une manière sarcastique. Le poète s'y
prépare et finit même par l'attendre avec grande impatience. Dans
ce poème où la mort est finement imaginée,
« la terre devient berceau magique et bienfaisant parce
qu'elle est le lieu du dernier repos . » ( 4 ) .
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(1) Elévation, Les Fleurs du Mal, strophe 3,
v. 1.
(2) Un Voyage à Cythère, Les Fleurs du
Mal, strophe 8, v. 1.
(3) L'ennemi, Les Fleurs du Mal, strophe 4, v.
1
(4) op. cit., Durand (1969), p. 270.
Par ailleurs, dans Brumes et Pluies, où
l'âme du poète ouvre « largement ses ailes de
corbeaux »(1), « On voit nettement la mort
s'inverser »(2) et « devenir le doux réveil du
mauvais rêve »(3), elle est présentée comme
étant une libération de la vie terrestre.
Il est, enfin, possible de relever la présence des
chrysalides, « à la fois tombe(s) et berceau(x) des promesses
de survie »(4), qui dans Le Flacon,
« dégagent leur aile et prennent leur
essor. »(5)
Cette évolution du thème de la mort montre
d'abord, à travers les descriptions effrayantes faites par le
poète, à quel point il en est terrorisé. Par ailleurs, les
images proposées dans Le Mort Joyeux, Brumes et Pluies
ou Le Flacon, dynamisent le symbole de la mort en lui attribuant des
vertus de paix, de libération et de renaissance.
La poésie baudelairienne dans Les Fleurs du
Mal est donc le théâtre d'une grande dynamique des signes qui
se voit non seulement à partir des relations ambivalentes
qu'entretiennent les images animales avec les thèmes analysés,
mais également à partir de ces mêmes thèmes. En
effet, comme il a été le cas pour la dynamique des
différentes images liées à la mort, celles qui renvoitnt
à la femme dans le bestiaire de l'identification font également
preuve d'une grande dynamique. En effet, la femme est à la fois
décrite comme une créature belle, sensuelle et envoûtante,
mais aussi animale, féroce et monstrueuse. Cette description changeante
voire, contradictoire reflète un Remords posthume qui habite le
poète et qui, souvent, exprime des regrets suite aux
péchés charnels qu'il commet et dont il tient la femme pour
responsable.
L'ambivalence des images renvoyant au poète, dans ce
même bestiaire de l'identification, comme étant à la fois
un « monstre rabougri » (6) , un «
tout jeune oiseau qui tremble et qui
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(1) Brumes et Pluies, Les Fleurs du Mal, strophe 2,
v. 4.
(2) Op. cit., Durand (1969), p. 273.
(3) Ibid., p. 271.
(4) Le Flacon, Les Fleurs du Mal, strophe 3, v. 3.
(5) Ibid.
(6) Bénédiction, Les Fleurs du Mal,
strophe 3, v. 4.
palpite »(1), un albatros
« Exilé sur le sol »(2),un
« gai (...) oiseau des bois »(3), un vampire, un
prédateur ou un Don Juan, montre, quant à elle, la
difficulté qu'éprouve le poète à s'identifier par
rapport à une monde d'où il sent rejeté.
Le bestiaire baudelairien, par sa richesse et par sa
variété, permet donc de dégager, à travers la
grande dynamique des différentes images animales qu'il propose,
plusieurs thèmes et plusieurs significations. Il est par ailleurs
important de noter que ces images sont reliées par des points communs
reflétant des représentations à la fois psychologiques,
sociales et culturelles. En effet, les différentes connotations
attribuées aux images animales ont, pour la plupart, une origine
folklorique, antique ou biblique. Le recours au bestiaire n'est il pas en
lui-même la preuve d'une grande influence de la culture
chrétienne ?
Analyse anthropologique d'un bestiaire antique et
biblique :
Par leurs rapports et leurs relations dynamiques ainsi que par
leurs connotations diversifiées, les images animales relevées
dans Les Fleurs du Mal, témoignent, dans une perspective d'un
trajet anthropologique, de la vie sociale et culturelle de Baudelaire. Cette
base socioculturelle, reflétée dans Les Fleurs du Mal
par diverses aspects et thèmes d'écriture, est l'expression
flagrante d'une influence à la fois antique et biblique que l'on
pourrait relever tout au long du recueil.
Parler de l'héritage antique et biblique dans la
poésie baudelairienne nécessiterait un travail de recherche
exclusif. Aussi, et vu l'objectif que se fixe ce travail, ces quelques pages
ne
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(1) Ibid., strophe 13, v. 1.
(2) L'Albatros, Les Fleurs du Mal, strophe 4, v.
3.
(3) Bénédiction, Les Fleurs du Mal,
strophe 7, v. 4.
serviront qu'à rendre compte de ces influences
classiques tout en leur proposant un ancrage dans la poésie
baudelairienne.
Cette présence à la fois antique et biblique
fait « partie de l'héritage littéraire et
artistique de l'époque »(1) de Baudelaire. Il faut noter
qu'à cette période de l'histoire, le système
éducatif était classique et très conservateur, et
dès son plus jeune âge,
« L'écolier »(2) a été
« mis en contact direct avec les plus grands écrivains
antiques »(3). Une influence qui, selon Gilbert Durand,
fait partie intégrante des `structures anthropologiques de l'imaginaire'
puisque faisant partie intégrante de la culture du poète.
Il serait, cependant, impossible de parler de ces influences
classiques sans passer par une notion très importante qui leur sert de
lien et qui n'est autre que le mythe.
Dans son livre intitulé Mythes et Mythologies dans
la Littérature Française, Pierre Albouy donne une
définition de l'origine du mythe qui s'avère fort
intéressante pour son analyse dans l'oeuvre poétique
baudelairienne. Pour lui, « le mythe est, le plus souvent,
emprunté à une tradition, que ce soit la Fable
gréco-latine ou les récits de la Bible, les mythologies
scandinave et germanique ou les légendes
médiévales »(4)
Qu'il s'agisse des Dieux de l'Olympe, des personnages
bibliques, de mythes scandinaves, germaniques ou médiévaux, ces
aspects du mythe sont, sans exception, présents dans Les Fleurs du
Mal. Baudelaire « reste »(5) en effet,
« attaché à deux mythes qu'on peut dire
« classiques »
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(1) G. Henry Freeman, Le message humaniste de LES FLEURS
DU MAL, Essai sur la création onomastico-thématique chez
Baudelaire, Paris, Librairie A.-G. Nizet, 1984, p. 25.
(2) Alain Michel, « Baudelaire et
l'Antiquité », in. Dix études sur Baudelaire,
Paris, Honoré Champion Editeur, 1993, p. 186.
(3) Ibid.
(4) Op. cit., P. Albouy, p. 11.
(5) Op. cit., P. Brunuel (1998), p. 171.
et qui ressortissent en fait à deux sources du
classicisme : la mythologie gréco-latine »(1) ainsi
que « l'Ancien Testament. »(2).
I- Les Fleurs du Mal : Poésie d'un
héritage antique :
Comme il a déjà été vu au
cours de l'analyse thématique proposée dans l'un des
chapitres précédents, la présence de la mythologie antique
se fait très fréquente dans Les Fleurs du Mal. Elle
apparaît d'une part à travers des images de créatures
imaginaires(3) tels que le monstre, le sphinx, les lutins ou les sirènes
et d'autre part la mythologie antique est présente à travers des
personnages antiques tels que Hercule, - le seul être humain devenu
immortel -, Midas(4), ou encore les Danaïdes(5) que l'on retrouve dans le
poème intitulé Les Tonneaux de la Haine. Au sujet de ce
poème, G. H. Freeman précise que « le premier vers
du sonnet dépeint, sous une forme allégorique, une fable qui nous
est connue grâce aux oeuvres d'Eschyle et de Platon. »(6).
D'Eschyle à Ovide passant par Virgile et
Juvénal, il est en effet possible de relever dans plusieurs
poèmes de Les Fleurs du Mal, diverses influences
d'écrivains antiques. Notons l'exemple de Sed Non Satiata, dont
le titre est emprunté à Juvénal, Les Plaintes d'un
Icare inspiré de la légende ovidienne, ou encore la
première et la septième partie de Le Voyage, où
Baudelaire réemploie des images de L'Odyssée.
Cette influence antique se lit, également dans
plusieurs autres poèmes de Les Fleurs du Mal. J'aime le
souvenir de ces époques nues, est l'un de ces poèmes
où la mythologie antique est
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(1) Ibid.
(2) Ibid.
(3) L'héritage antique qui se voit à travers des
figures d'animaux imaginaires a déjà été
analysé au cours du chapitre précédent (cf. thème
de la fuite antique), il ne sera donc que signalé, laissant place
à d'autres éléments antiques.
(4) Cf. p. 113.
(5) Cf. p. 114.
(6) Op. cit., G. H. Freeman, pp. 51-52.
présente de manière significative. En effet, ce
poème d'influence néo-païenne, représente
essentiellement « le paradigme d'une opposition entre âge
antique et âge moderne »(1). Les trois parties qui le
composent, constituent un parallèle entre le monde antique et la
société moderne du XIXe siècle.
Dans la première partie de ce poème, Baudelaire
chante les louanges de l'Antiquité qu'il décrit comme
étant harmonieuse et idéale. Il a recours entre autres à
l'image de la déesse Cybèle, héritière des
déesses-mères anatoliennes(2). Cette « Grande
Mère »(3), comme elle est souvent qualifiées, est
présente dans ce poème à travers l'image de la louve, la
nourricière des jumeaux Rémus et Romulus. Elle représente
ainsi à travers ses « tétines
brunes »(4), un mariage singulier entre la divinité et
l'animal ce qui est considéré comme « l'indice
qu'une même loi d'amour régit les ordres de l'univers, qu'il
soient célestes, humain ou animal, et que c'est cette même loi qui
fonde les cités. »(5). Cette même image de la
déesse sous forme de louve, est également présente
à la fin du poème intitulé Le Cygne où
elle se transforme en divinité du malheur, marquant le
« hiatus qui sépare l'antique du
moderne »(6).
Dans la seconde partie de J'aime le souvenir de ces
époques nues, cette notion de modernité se fait très
présente. En effet, le poète peint un « noir
tableau plein d'épouvantement »(7), où on assiste
à la douloureuse disparition de l'harmonieuse Cité, laissant
place à un monde où règnent le froid et le
désespoir. Monde où la généreuse et la
végétale
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(1) Op. cit., P. Labarthes, p. 320.
(2) Cf. op. cit., M. Philibert
(3) Cf. op. cit., M. Philibert
(4) J'aime le souvenir de ces époques nues,
Les Fleurs du Mal, v. 10.
(5) Op. cit., P. Labarthes, p. 322.
(6) Ibid.
(7) J'aime le souvenir de ces époques
nues, Les Fleurs du Mal, v. 19.
Cybèle, comme elle apparaît dans
Bohémiens en Voyage, est remplacée par
« le dieu de l'Utile »(1), le dieu de la
société capitaliste du XIXe siècle.
Un appauvrissement de l'être et de l'âme se fera
également ressentir à travers cette « diminution
physique »(2). Quant aux beautés, ces
« Fruits purs de tout outrage et vierges de
gerçures »(3), que l'on retrouve dans la première
partie, elles se verront dans la seconde, traîner
« l'hérédité »(4)
« Du vice maternel »(5) .
La troisième partie du poème joue, quant
à elle, un rôle d'exorcisme à la colère
éprouvée contre ce monde méprisé et qualifié
de `corrompu' par le poète. Ce dernier, tente par ailleurs de
définir, dans ce monde humain de « races
maladives »(6), la Beauté moderne qui est inspirée
par des muses qui sont tout aussi `maladives'.
Dans un autre poème portant le titre significatif de
La Muse Malade, il s'agira toujours de cette opposition entre
antiquité et modernité. Dans cette pièce, la muse rappelle
par son être froid et appauvri, les humains du poème
précédent.
A travers sa poésie, « Baudelaire saisit
les leçons et les exemples de l'Antiquité classique à
travers la modernité même »(7). Dans le
poème sur-cité, le monde moderne est envisagé à
travers la société antique où la muse moderne se
voit noyée dans les lieux marécageux des
« fabuleux Minturnes »(8). Cette même muse
qui en se faisant vénale, se voit exposée aux antiques
Borées, froids vents de Janvier.
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(1) Ibid., v. 23.
(2) Ibid., P. Labarthes, p. 321.
(3) J'aime le souvenir de ces époques nues,
Les Fleurs du Mal, v. 13.
(4) Ibid., v. 27.
(5) Ibid.
(6) Ibid., v. 34.
(7) Op. cit., A. Michel, p. 192
(8) J'aime le souvenir de ces époques nues,
Les Fleurs du Mal, v. 8.
S'oppose à cette muse maladivement moderne, une autre
qui exhale « l'odeur de la santé » (1). Une
muse antique qui inspire à la fois le vin, la force et la richesse,
à travers les images de Bacchus, de Phoebus et du « grand
Pan »(2).
Le Cygne est également un des poèmes
où à travers l'antiquité, Baudelaire
« saisit la plus âpre modernité »(3).
En effet, dans ce poème qui pleure la douleur des exilés, le
poète se trouve dans un Paris neuf qu'il ne reconnaît plus. Pour
s'en échapper, il fait vivre ses fantômes puisés dans le
monde antique en faisant appel à l'image du cygne. Cet oiseau qui
remonte jusqu'à l'oeuvre de Virgile en passant « par des
textes admirables de Samazar que tous les experts en vers latins connaissent au
temps de Baudelaire (...) évoque à la fois L'Enéïde
et « l'homme d'Ovide(4) », l'homme de Platon, dont
le regard se tend désespérément vers le
ciel. »(5). Cette dernière image que l'on retrouve dans
le vingt-cinquième vers du poème :
Vers le ciel quelques fois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s'il adressait des reproches à
Dieu !(6)
C'est à l'image de la déesse de la lune,
Séléné et de son amant Endymion, que le poète fait
référence dans le poème intitulé La Lune
Offensée. Cette même Déesse que l'on retrouve sous le
nom de Phoebé dans Le Jet D'eau.
La Lune Offensée est une autre pièce
où il est question de modernité à travers l'image de
l'antique. le poète utilise ce mythe en transformant
« cette fable antique en une arme redoutable, celle d'une ironie
mordante et nocive »(7).
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(1) Ibid., v. 9.
(2) Ibid., v. 10.
(3) Op. cit., A. Michel, p. 198.
(4) Il faut savoir que Ovide a été d'une grande
inspiration pour Baudelaire qui faisait une lecture romantique de son
oeuvre.
(5) Op. cit., A. Michel.
(6) Le Cygne I, Les Fleurs du Mal, strophe 7.
(7) Op. cit., G. H. Freeman, p. 31
Sur un ton familier et interpellant la déesse par le
nom de Cynthia, comme l'aurait fait un romantique anglais au nom de Cynthia, le
poète veut savoir « si la poésie d'inspiration
païenne suffit à la France du dix-neuvième
siècle. »(1). La lune répond au poète
« avec une véhémence
incisive »(2) :
« - Je vois ta mère, enfant de ce
siècle appauvri,
qui vers son miroir penche un lourd amas
d'années,
et plâtre artistement le sein qui t'a
nourri ! »(3)
Ces vers dévoilent les premiers caractères de la
Beauté moderne telle qu'elle sera conçue par Baudelaire une
dizaine d'années plus tard.
Dans De Profundis Clamavi, le poème où
le poète « jalouse le sort des plus vils animaux / Qui
peuvent se plonger dans un sommeil stupide, »(4), la mythologie
se fait tout aussi présente. En effet, ce monde dont parle le
poète, et où le soleil brille six mois et disparaît les six
autres mois, rappelle l'histoire de Perséphone, fille de
Déméter et de Zeus(5), qui se trouve condamnée à
vivre au monde des Hadès(6) pendant la période hivernale de
l'année.
Les Enfers, sous le noms des Hadès, que l'on retrouve
également dans Le Guignon où le poète fait appel
au courage et à la patience de Sisyphe condamné
éternellement à pousser un rocher. A travers cette image,
Baudelaire « renforce le caractère antique de l'aphorisme
et l'unit aux labours sans fin et sans récompense du poète
moderne »(7) :
______________________________________________________________________________
(1) Ibid.
(2) Ibid.
(3) La lune offensée, Les Fleurs du Mal,
strophe 3.
(4) De Profundis Clamavi, Les Fleurs du Mal, strophe
4, vv. 1-2.
(5) Guus Houtzager, L'Univers de la Mythologie
grecque, Adaptation française de Jean-Louis Houdebine, Paris,
Gründ, 2004, p.203.
(6) Hadès désigne à la fois le royaume
des morts et le dieu qui le régit. Ce dernier n'en sort qu'en des
occasions exceptionnelles, comme pour ravir Perséphone, qui sera son
épouse, ou pour chercher Sisyphe. Le royaume de l'Hadès n'a pas
de localisation précise. Delon l'Iliade, il s'agit d'un univers
souterrain. Sans l'Odyssée, la chemin qui y conduit débute aux
confins du monde et passe au-delà de l'océan. cf. op. cit. M.
Philibert.
(7) Op. cit., G. H. Freeman, p. 54.
Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage !
Bien qu'on ait du coeur à l'ouvrage,
L'Art est long et le Temps est court.(1)
La poésie baudelairienne est aussi celle des douleurs
qui naissent chez le poète des Temps modernes. « Les
plaintes de Baudelaire résonnent avec force parce que c'est au nom de
toutes les âmes angoissées de tous les siècles qu'il se
plaint. »(2). Baudelaire se plaint aussi à travers le
personnage ovidien d'Icare qui n'arrive pas à quitter la terre pour les
cieux.
Dans Horreur Sympathique, poème publié
trois ans après la condamnation de Les Fleurs du Mal, le
poète crie une fois de plus sa douleur et son angoisse. Il compare sa
destinée à celle d'Ovide, ce poète latin qui mourut en
exil après avoir été banni par l'empereur romain Auguste.
Poète qui avait connu un destin bien plus terrible et bien plus
sévère que celui que connaît le poète moderne.
:
Insatiablement avide
De l'obscur et de l'incertain,
Je ne geindrai pas comme Ovide
Chassé du paradis latin.(3)
Face à cette souffrance que le poète hurle
à travers les temps, c'est à travers une vie divine que dans
Bénédiction le poète conçoit sa
destinée. En effet, dans ce poème, il réussit à
trouver « dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il
mange »(4), « l'ambroisie et le nectar
vermeil »(5).
Dans Sed non Satiata, poème dont le titre
latin emprunté à Juvénal, signifie `Mais non
comblée', montre la désolation du poète et son
découragement lorsqu'il est devant la femme
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(1) Le Guignon, Les Fleurs du Mal, strophe 1.
(2) Op. cit., G. H. Freeman, p. 55.
(3) Horreur sympathique, Les Fleurs du Mal, strophe
2.
(4) Bénédiction, Les Fleurs du Mal,
strophe 6, v. 3.
(5) Ibid., v. 4.
métisse qui obsède son esprit et ses
pensées. On assiste dans ce poème à « une
perséphonisation de Jeanne Duval »(1) , ce
« démon sans pitié »(2) qui se
trouve captif de sa vie frivole. Dans ce poème,
« Baudelaire poursuit un jeu, qui est assurément un jeu
érotique, (...) mais c'est aussi un jeu
mythologique »(3) :
Hélas ! et je ne puis, Mégère
libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir
Prospérine !(4)
En plus de la référence à Juvénal,
le poète rend, une fois de plus, hommage à Ovide. Quand il
déclare au onzième vers : « Je ne suis
pas le Styx pour t'embrasser neuf fois. »(5).
Parallèlement à la référence au fleuve de l'Enfer,
une allusion est faite à L'Art d'aimer, oeuvre de l'auteur
latin Ovide, et où ce dernier
écrit : « Je me souviens d'avoir
été glorieux pendant neuf assauts »(6).
Le Voyage est un autre poème
« inséparable »(7) des
« textes canoniques »(8) tels que l'Odyssée
dont on retrouve l'influence, notamment dans la première et la
septième partie du poème. En effet, il est possible de relever
dans la troisième strophe de la première partie, la
référence à « la Circé(9)
tyrannique aux dangereux parfums »(10) qui changea les hommes
d'Ulysse en pourceaux.
Dans la septième partie, le poète fait appel
à plusieurs figures mythiques, notamment celles du juif errant
d'Electre, des Pylades et du lotus. Cette dernière
référence qui replonge une
______________________________________________________________________________
(1) Op. cit., P. Brunuel (1998), p.173.
(2) Sed non Satiata, Les Fleurs du Mal, strophe 3, v.
2.
(3) Op. cit. P. Brunuel (1998).
(4) Sed non Satiata, Les Fleurs du Mal, strophe 4.
(5) Sed non Satiata, Les Fleurs du Mal, strophe 3, v.
3.
(6) Ovide, L'Art d'aimer, in. Op. cit., R. Sctrick,
p.319.
(7) Op. cit., P. Brunuel (1998), p. 176.
(8) Ibid.
(9) Cf. pp. 64, 65, 114.
(10) Le Voyage I, Les Fleurs du Mal, strophe 3, v.
4.
fois de plus le poème dans l'univers de
l'Odyssée et de Ulysse dont les compagnons, après avoir
goutté à cette fleur de lotus, ne voulaient plus quitter la terre
où cette plante poussait.
D'autres références à des lieux antiques
sont également à relever, telle la référence
à Leucate ou à l'île de Cythère
« l'eldorado banal de tous les vieux
garçons »(1) ou encore celle aux éthers et tous
les espaces célestes imaginés par les Grecs, et que l'on retrouve
dans Elévation.
Lesbos(2) est un autre poème qui regorge de
références mythologiques. Dès le titre, nom de l'île
antique qui a vu naître Sapho(3) et ses écoles de musique et de
poésie, le poète rend hommage à celle-ci, notamment dans
les cinq dernières strophes :
De Sapho qui mourut le jour de son
blasphème,
Quand insultant le rite et le culte inventé,
Elle fit son beau corps la pâture
suprême
D'un brutal dont l'orgueil punit
l'impiété
De celle qui mourut le jour de son
blasphème.(4)
Lesbos représente aux yeux du poète un eldorado
antique. Contrairement à Cythère la « pauvre
terre »(5), cette île est la « Mère
des jeux latins et des voluptés grecques »(6) et la
« Reine du doux empire »(7) qui devient
féroce et morbide chez Baudelaire. Le poète fait
référence à d'autres endroits mythiques tels que Leucate
et Paphos. Cette dernière où se trouvait un des plus
célèbres temples d'Aphrodite.
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(1) Un Voyage à Cythère, Les Fleurs du
Mal, strophe 2, v. 3.
(2) Lesbos, en grec, Lésvos, est une grande île
de l'est de la Grèce qui fut habité dès l'époque
préhistorique et qui fut vraisemblablement édifiée par les
Troyens. Au début du Vie siècle A.-J., elle tomba entre les mains
du tyran Pittacos, qui la pacifia en lui donnant ses lois. Lesbos connut alors
une ère de prospérité. Ce siècle fut marqué
par la présence de la poétesse Sapho et du poète
Alcée, qui critiquèrent le gouvernement de Pittacos. Cf. op.
cit., Encyclopédie Encarta.
(3) Sapho, poétesse grecque née à
Mytilène, dans l'île de Lesbos. Issue d'une famille noble, elle
fut peut-être aimée d'Alcée et dut, comme lui, s'exiler en
Sicile pour avoir soutenu le parti aristocratique contre le tyran Pittacos.
Mariée et mère d'une fille nommée Cléïs selon
les uns, elle se serait, selon les autres, précipitée depuis les
rocher de l'île de Leucate. Cf. op. cit., Encyclopédie Encarta.
(4) Lesbos, Les Fleurs du Mal, strophe 14.
(5) Un Voyage à Cythère, Les Fleurs du
Mal, strophe 2, v. 4.
(6) Lesbos, Les Fleurs du Mal, strophe 1, v. 1 &
5.
(7) Ibid., strophe 5, v. 3.
Toutes les influences antiques vues jusqu'ici sont
exclusivement occidentales, cela dit, il faudrait noter, d'une part, la
présence d'une influence exotique à travers des poèmes
comme A Une Malabraise, A Une Dame Créole ou
L'Invitation au Voyage. D'autre part, une influence orientale,
notamment, indienne est également à signaler à travers des
animaux comme l'éléphant, ou à travers une tradition
culturelle comme l'hypnotisme des serpents dans Le serpent qui danse,
par exemple, ou la danse, avec la `bayadère' de Danse Macabre.
La présence d'une mythologie orientale est également à
noter avec des références à la mythologie
égyptienne. Signalons, entre autres, le Pharaon de Un Cabaret
Folâtre.
Il est également fréquent de rencontrer dans la
poésie baudelairienne des mythes modernes, retravaillés selon le
goût du poète et de son époque. Dans Don Juan aux
Enfers, par exemple, le poète imagine le jour du jugement de ce
personnage considéré comme l'un des plus grands mythes
littéraires. Pour cela, le poète fera référence
à Charon, le batelier légendaire des enfers au séjour des
morts.
II- Les Fleurs du Mal :
Poésie d'un héritage biblique :
La mythologie est aussi présente sous d'autres formes
plus religieuses, avec des animaux(1) comme le corbeau qui, entre les
différentes représentations qu'il lui sont attribuées par
l'imaginaire humain, inspire la charité, notamment quand il
« nourrit le prophète Elie dans le désert,
en lui apportant tous les jours du pain et de la viande »(2). Il
a également été associé aux mauvais augures, vu son
apparition négative dans l'histoire de l'arche de Noé, ainsi
qu'à la mort, vu son rôle dans la tradition relieuse de
l'enterrement. L'aigle et le cheval chthonien(3) sont également des
animaux bibliques auxquels s'est référé Baudelaire dans
Les Fleurs du Mal.
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(1) L'héritage biblique est visible à travers
des images d'animaux chthoniens pour la plupart. Celles-ci ont
été analysées au cours du chapitre
précédent. Elles ne seront donc que signalées, laissant
place à d'autres éléments bibliques.
(2) Op. cit., F.-Beyoncé et Fayol, p. 60.
(3) Cf. p. 90.
La poésie baudelairienne convoque également
d'autres mythes bibliques tels que celui du juif errant, de Satan, de
Caïn, où encore le mythe du Christ ou celui de Moïse.
Versatile, elle célèbre les deux revers de la religion, le bien
et le mal.
Dans la septième partie du poème intitulé
Le Voyage, et pour mieux rendre compte de l'errance de l'être
humain, le poète fait appel à l'image du juif errant et aux
apôtres tout en ajoutant une note supplémentaire de
modernité, à travers la référence au wagon. Engin
qui particularise le XIXe siècle, le siècle des
découvertes.
Comme le juif et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour finir ce rétiaire infâme, il en est
d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leurs berceau.(1)
Dans L'Héautontimorouménos, le
poète s'intéressera à l'histoire de Moïse, l'un des
personnages bibliques symbolisant la paix et la patience :
Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher !(2)
Dans Bohémiens en Voyage, cette
« tribu prophétique »(3) aux airs mystiques
rappelle étrangement la tribu de Caïn, du côté de
laquelle se rangera le poète dans Abel et Caïn. Cette
même tribu dont la caravane se dirige dans Le Voyage vers les
Enfers, faisant appel à la fin de l'Odyssée et à l'image
des prétendants tués par Ulysse.
Dans ce poème tous les personnages de la pièce
gravitent autour du grand séducteur espagnol dans un endroit qui n'est
pas la Géhenne biblique mais les Enfers classiques.
La poésie baudelairienne réserve donc une place
de choix aux mythes catholiques. Chose considérée comme normale
et prévisible par tous les critiques littéraires ,
étant donné que
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(1) Le Voyage VII, Les Fleurs du Mal, strophe 3.
(2) L'Héautontimorouménos, Les Fleurs du
Mal, strophe1, vv. 1-3.
(3) Bohémiens en Voyage, Les Fleurs du Mal,
strophe 1, v. 1.
Baudelaire a été, dès son plus jeune
âge, de part son éducation et son milieu familial, sous une
influence catholique.
Dans sa poésie, Baudelaire célèbre la
religion de Dieu et se met sous ses ordres en se déclarant
prophète dans Bénédiction. Par ailleurs, il
présente sa vie humaine, ainsi que celle de tous les poètes,
pétrie de peines et de souffrances, ce qui, cependant, est
considéré comme une purification de l'âme de tous les
péchés qu'elle a commis. Péchés que Baudelaire
présente, souvent, sous forme d'insectes qui rongent l'être humain
de l'intérieur.
Souvent, affaibli par les souffrances qui lui sont
infligées, le poète oublie leur vertu purificatrice. Dans Les
Petites Vieilles, près de ses âmes soeurs, les
« Eves octogénaires »(1) dont il se sent le
proche, le poète, désespéré, établit une
liaison entre divinité et animalité à travers l'image des
« griffes effroyables de Dieu »(2).
Baudelaire montre, de par sa grande ambivalence, l'existence
d'un revers à son éducation catholique, voire, une autre face
du monde qui n'est pas sous la `Bénédiction' de Dieu.
En effet, sa poésie se fait aussi chantre de « toute la
mythologie de Satan »(3). Mythologie faite de
« messes noires »(4) qui inspira le poète,
« stimule sa verve et enrichit sa pensée »(5).
Satan tient une place de marque dans la poésie
baudelairienne et notamment dans le poème qui chante ses louanges et qui
porte le nom de Les Litanies de Satan :
O toi, le plus savant et le plus beau des Anges,
Dieu trahit par le sort et privé de
louanges,
O Satan, prends pitié de ma longue
misère !
(...)
______________________________________________________________________________
(1) Les Petites Vieilles IV, Les Fleurs du Mal,
strophe 6, v. 3.
(2) Ibid., v. 4.
(3) Jean Prévost, Baudelaire, Essai sur
l'inspiration et la création poétique, Paris, Mercure de
France, 1953, p. 73.
(4) L'Imprévu, Les Fleurs du Mal, strophe 6,
v. 4.
(5) Op. cit. J. Prévost.
PRIERE
Gloire et louange à toi, Satan dans les
hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les
profondeurs
De l'Enfer, où vaincu, tu règnes en
silence !
Fais que mon âme un jour, sous l'Arbre de
Science,
Près de toi se repose, à l'heure ou sur ton
front
Comme un Temple nouveau ses rameaux
s'épandront !(1)
Dans Les Fleurs du Mal, « Baudelaire ne
blasphème qu'en chrétien »(2), il fait de
« Satan (le) Trismégiste »(3), le
« plus savant et le plus beau des Anges »(4) rappelant
l'image antique d'Hermès magicien.
Tous ces recours aux mythes antiques et bibliques
relevés dans la poésie baudelairienne, témoignent sans
équivoques d'une influence classique évidente. La notion de
trajet anthropologique proposée par G. Durand a donc été
profitable à cette analyse en ce qu'elle a permis de déterminer
les origines du bestiaire baudelairien. En effet, les animaux, dans Les
Fleurs du Mal, sont souvent évoqués par rapport à la
mise en avant de qualités ou d'attributs qui leurs sont
conférés par une tradition de représentations antiques et
bibliques voire folkloriques.
Les images animales du bestiaire baudelairien, qu'elles
soient classiques ou autre, présentent un point commun qui les rallie
sur une seule et même trajectoire faisant d'eux, avant tout, des animaux
mythiques.
C'est, en effet, un monde mythique qui prime dans l'imaginaire
baudelairien. Un monde d'animaux communs à différentes
mythologies qu'elles soient gréco-latine, égyptienne, celte ou
autre, donnant ainsi à ces animaux, en plus du thème, de la
dynamique et du trajet anthropologique qu'ils représentent, une
dimension plus historique. Cet autre aspect du bestiaire
______________________________________________________________________________
(1) Les Litanies de Satan, Les Fleurs du Mal, strophe 1
& PRIERE ( fin du poème).
(2) Op. cit., J. Prévost.
(3) Au lecteur, Les Fleurs du Mal, strophe 3, v. 1.
(4) Les Litanies de Satan, Les Fleurs du Mal, strophe 1,
v.1.
baudelairien nous pousse à nous interroger sur une
éventuelle origine commune aux images animales baudelairiennes.
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