Chapitre I :
Gilbert Durand et l'approche anthropologique
Introduction :
Le développement des sciences humaines a depuis
toujours éclairé la critique littéraire en permettant une
meilleure compréhension voire, explication de toute oeuvre
littéraire. Le courant anthropologique est pour sa part d'un grand
apport théorique explicatif, notamment concernant la notion de
l'imaginaire.
Au XXe siècle, le professeur Gilbert Durand est le
fondateur du courant universitaire de l'anthropologie symbolique. Il est
l'auteur de nombreux ouvrages et articles qui traitent du trajet
anthropologique et des `structures anthropologiques de l'imaginaire'.
Avant de présenter l'approche anthropologique que
propose Durand, un historique de l'apport du courant anthropologique dans la
littérature s'impose pour situer, précisément, l'approche
duranienne dans le courant.
1- Historique :
a- Le XXe siècle et les théories
formatrices autour de l'image(1) :
Recueil d'articles sous la direction de Joël Thomas,
Introduction aux méthodologies de l'imaginaire est un ouvrage qui
retrace l'histoire de la notion de l'imaginaire. Réunis sous un chapitre
portant le nom de « Le XXe siècle et les théories
formatrices de l'image », quatre de ces articles présentent,
dans un ordre chronologique, ces théories sur l'imaginaire.
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(1) Titre pris dans le livre Introduction aux
méthodologies de l'imaginaire, Joël Thomas (ouvrage
collectif), ellipses, Paris, 1998, p. 83.
Proposé par J. Thomas, le premier article du
chapitre(1) présente l'oeuvre de Carle-Gustav Jung (1875-1961) qui est
d'un grand apport pour toute recherche sur l'imaginaire. Elle traite
essentiellement des notions d'imaginaire et de symbole.
Situer la pensée de C. G. Jung par rapport à
celle de Freud paraît très utile, selon J. Thomas, pour rendre
compte de la différence entre le père de la psychanalyse et son
disciple qui peu à peu, se sépare de lui. Freud, selon les termes
de J. Thomas, définit le symbole comme étant « ce
qui signifie »(2). Il déprécie le régime
diurne en faveur du régime nocturne, en considérant le rêve
comme action de libération et d'extériorisation. Jung, quant
à lui, considère le rêve comme un reflet de
l'inconscient.
Par ailleurs, chacun du maître et de
l'élève propose une dynamique différente de l'inconscient.
Freud le définit comme un puzzle éparpillé de la
psyché alors que pour Jung, il « se présente comme
formé de différents noyaux cohérents qui tendent, chacun,
à se poser en personnalité autonome. »(3).
L'analyse jungienne consiste essentiellement à « regrouper
ce qui est épars, et de trouver une cohérence fonctionnelle entre
ces niveaux de la psyché »(4).
Pour Jung, poursuit J. Thomas, tout individu a tendance
à croire que c'est sa personne même qui constitue l'ensemble de la
psyché. Pour expliquer cette position, Jung propose l'exemple d'un
ensemble de personnes vivant au centre d'une île et ignorant l'existence
de l'eau tout autour. Selon ses termes, cité par J. Thomas, il s'agit d'
« une sorte de materia prima nourricière, d'océan
sur lequel flotte la psyché, la notion d'un inconscient
collectif, énorme champs dans lequel notre imaginaire puise et
se ressource constamment »(5). Pour lui, les
_______________________________________________________________________
(1) Ibid.
(2) Ibid.
(3) Ibid., p. 84.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
ressources de l'inconscient collectif n'apparaissent
qu'à travers une obligatoire relation de la psyché et de
l'archétype qui n'apparaît à son tour qu'à travers
les symboles.
De par sa psychanalyse, Jung exprime également, selon
J. Thomas, une grande affinité vis-à-vis des fonctions
religieuses et des fonctions du sacré. Il est persuadé de
l'incontournable rôle que tient la fonction religieuse dans une
perspective sur l'homme.(1)
Le second article(2), visant à retracer l'histoire des
approches sur l'imaginaire, est proposé par J. J. Wünenburger. Il
présente les théories de trois chercheurs sur l'imaginaire :
Ernest Cassier, Hans Georg Gadamer et Raymond Ruyer.
Selon Wunenburger, une partie du travail d'E. Cassier, dont
la pensée prolonge celle de Kant, porte sur la culture à travers
le mythe, l'art et la religion. Cassier a également été
influencé par la pensée hégélienne qui renvoit,
selon les termes de Wünenburger, à « l'idée
d'un développement progressif de l'esprit à travers le temps
historique »(3)
La notion de forme symbolique se trouve valorisée chez
Cassier pour qui elle désigne : « (...) toute
énergie de l'esprit par laquelle un contenu de signification spirituelle
est accolé à un signe sensible concret et intrinsèquement
adapté à ce signe. »(5). Ce qui signifie, selon
l'interprétation de Wünenburger , que la notion de
forme symbolique englobe des représentations mythiques ,
religieuses et artistiques (5) . Ces mêmes représentations
connaissent une évolution historique et confèrent à
l'imagination, « une puissance de symbolisation liée
à l'affectivité »(6).
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(1) Ibid. p. 87.
(2) Ibid., p 91.
(3) Ibid.
(4) Cassier, Trois essais sur la symbolique, Cerf, 1997,
p. 13, in. Ibid., p. 92.
(5) Op. cit., J. Thomas.
(6) Ibid.
En s'appuyant sur le mythe et sur la religion, Cassier, sans
pour autant résoudre la question de l'imaginaire, proposera donc une
nouvelle théorie philosophique du sens, qui s'appuie à son tour
sur la culture collective.
De son côté, Hans Georg Gadamer (1900) lie la
compréhension du sens à une pré-compréhension qui
est à son tour liée à des traditions, culturelles ou
autres. L'interprétation de l'image repose par conséquent sur
l'expérience personnelle ainsi que sur la vie spirituelle de l'homme.
Dans sa tentative d'interprétation de l'imaginaire, et
par une approche s'appuyant essentiellement sur le caractère
traditionnel dans tout imaginaire, Paul Ricoeur (1913- ) recourt à
« la fonction mythique du discours, qui permet de (...) rendre
compte de la conscience morale.(1). Il s'oppose par ailleurs à la
psychanalyse freudienne et souligne, selon les mots de Wünenburger, que
« l'inconscient (...) met en oeuvre »(2) non
seulement « des processus organiques, pulsionnels, accessible
à une science, mais aussi au champ symbolique ouvert à des
interprétations existentielles qui excèdent les mécanismes
objectifs »(3). Par conséquent, « la
construction langagière du récit, dont le mythe
représente une forme primordiale témoigne donc des
nécessaires médiations entre la conscience et les actes et
illustrent la proximité entre histoire réelle et histoire
inventée »(4).
Wünenburger poursuit son article avec Raymond Ruyer
(1902-1987) pour qui « l'imagination n'est qu'un mode de
production subjectif par lequel les essences de la Nature
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(1) Ibid., p. 94.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
vivante pénètrent dans le domaine
spatio-temporel. »(1). Par ailleurs, et comme Cassier, Ruyer
reconnaît le rôle que remplit la religion dans
l'interprétation du sens des formes symboliques.
L'article suivant, écrit par J. Thomas, prend en
charge l'oeuvre de Roger Caillois qui parle de l'existence d'une relation
« dialogique »(2) entre la raison et l'imaginaire. Dans
ce sens, l'imaginaire se voit constamment contrôlé par la raison
en même temps que la mobilité des frontières de la raison
sont sans cesse repoussées par la grande étendue de
l'imaginaire(3). Tout comme ses contemporains, Caillois réfléchit
sur la notion du sacré qui « est fondamentalement religio,
lien, relation »(4)
Le dernier article qui sera cité dans ce survol des
théories sur l'image est proposé par J. Thomas. Il prend en
charge l'approche de Georg Gusdorf(5). Afin d'interpréter les
différentes formes symboliques dans l'imaginaire humain, Gusdorf
définit systématiquement, avant même la conscience
intellectuelle, une conscience mythique(6), qui renvoit chez lui à une
dimension où règnent la répétition et la
création .
Par ailleurs, Gusdorf insiste sur l'importance de deux notions
complémentaires malgré leur apparente contradiction. Il s'agit de
la notion d'universalité, « avec le développement
de l'astrologie (...) qui met en évidence la notion de la loi
cosmique »,(7) et la notion d'individualité qui, avec
« la découverte de la personnalité, correspondant
à l'entrée de l'homme dans l'âge historique et en
même temps de son souci de survie personnelle, (...) va être le
grand moteur de la création artistique moderne. »(8).
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(1) Ibid., p. 95.
(2) Ibid., p. 97.
(3) Ibid.
(4) Ibid., p.99.
(5) Ibid., p. 101.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) Ibid.
b- Historique des théories proposées par
Durand :
Dans l'introduction de Les structures anthropologiques de
l'imaginaire(1), Durand situe historiquement sa propre approche de
l'imaginaire.
En s'appuyant sur le point de vue sartrien, il commence par
préciser ce que la notion d'imaginaire représente pour les
« classiques »(2), chez qui elle est
réduite à tout ce qui se situe au-delà de la sensation(3).
Les premiers « classique »
évoqués par Durand sont Brunschvicg pour qui l'imaginaire est un
« pêché contre l'esprit »(4), et
Alain pour qui les mythes sont « des idées à
l'étant naissant »(5). En effet, Alain pense que
« notre mythologie est exactement copiée sur ces
idées d'enfance »(6). « C'est sur cette
conception d'un imaginaire dévalué que fleurit
L'associationnisme »(7), terme utilisé pour la
première fois par Taine(8) qui tente à son tour d'expliquer
« les connexions imaginatives »(9) en
réduisant l'image à « un puzzle statique et
plat »(10) et en plaçant l'image « à
mi-chemin entre la solidité de la sensation et la pureté de
l'idée »(11).
De son côté, Bergson souligne qu'à
l'origine de l'imagination se trouve en premier lieu la mémoire. Sartre
quant à lui, distingue entre ce qu'il appelle le
« compteur de l'existence »(12) et l'imagination,
en soulignant la différence qui existe entre la pensée du
poète et celle du chroniqueur.
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(1) Thèse d'état soutenue par Durand en
1960.
(2) Op. cit., G. Durand (1969) p.16.
(3) Ibid.
(4) Brunschvicg, Héritage de mots, héritage
d'idées, p. 98.in. op. cit., Durand (1969), p. 15.
(5) Alain, Vingt leçons sur les beaux arts,
7e leçon, Préliminaires à la mythologie, p.
89-90.in. op. cit., Durand (1969), p. 16.
(6) Op. cit., Durand, 1969, p. 16.
(7) Ibid.
(8) Ibid.
(9) Ibid.
(10) Ibid.
(11) Ibid.
(12) Ibid.
Afin de ne pas « `chosifier' l'image, Sartre
propose la méthode phénoménologique qui ne laisse
`apparaître' du phénomène imaginaire que des intentions
purifiées de toute illusion d'immanence. »(1). Cette
méthode propose trois caractères de l'image. Le premier lui donne
une nature transcendante en la qualifiant d'abord de conscience. Ce qui
différencie l'image des autres consciences, selon Sartre, est l'objet
imaginé qui est, dans le cas de l'image, immédiatement
donné pour ce qu'il est, sachant que « le savoir perceptif
se forme lentement par approximations et approches
successives »(2) et constituant ainsi le deuxième
caractère de l'image. Ceci donne naissance, note Durand, au
troisième caractère de l'image que Sartre appelle
« La conscience imageante »(3), qui est à
l'origine d'une spontanéité de l'image. Sartre affirme ainsi que
« L'image est une réalité psychique
certaine »(4). Affirmation que Durand finit par critiquer. En
effet, selon lui, « Sartre a manqué
(...)l'image »(5) et n'a pas réussi
« à saisir le rôle général de l'oeuvre
d'art et de son supportimaginaire »(6). Durand pense que cela
revient à la négligence vis-à-vis du
« patrimoine imaginaire de l'humanité que constituent la
poésie et la morphologie des religions »(7).
Pour Jung, poursuit Durand, « toute
pensée repose sur des images générales »(8)
et des « archétypes » (9) qui
« façonnent inconsciemment la
pensée » (10). De son côté, Piaget montre
la « cohérence fonctionnelle »(11)
de la « pensée symbolique et du sens conceptuel, affirmant
par
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(1) Ibid., p. 17.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) J. P. Sartre, Imagination, p. 138.in. op. cit.
Durand (1969), p. 19.
(5) Op. cit., Durand (1969)
(6) Ibid.
(7) Les archétypes sont définis par Jung comme
« schémas ou potentialités
fonctionnelles ». in. Ibid., p. 25.
(8) Jung, Types Psychologiques, p. 310.in. op. cit.
Durand (1969)
(9) Piaget, La formation du Symbole. in. Op. cit.,
Durand (1969)
(10) Op. cit., Durand (1969), p.25.
(11) Ibid.
là l'unité de la solidarité de toutes
les formes de la représentation »(1). Pour Piaget,
l'image remplit la fonction de « signifiant
différencié plus que l'indice, puisqu'il est
détaché de l'objet perçu, mais moins que le signe
puisqu'il demeure imitation de l'objet et donc signe motivé (par
opposition au signe verbal ou arbitraire »(2).
Pour finir, Durand expose l'approche bachelarienne du
symbolisme imaginaire qui repose sur « deux
intuitions »(3) qu'il reprend pour sa propre approche. La
première intuition transforme l'imagination en un dynamisme
organisateur et la deuxième fait de ce même dynamisme un
« facteur d'homogénéité dans la
représentation »(4). Par ailleurs, Durand
souligne que pour Bachelard, l'imagination est avant tout « une
puissance dynamique qui « déforme » les copies
pragmatiques fournies par la perception, et ce dynamisme
réformateur des sensations devient le fondement de la vie
psychique tout entière parce que « les lois de la
représentation sont
homogènes »(5) »(6).
En prenant pour point de départ ces deux intuitions
bachelariennes, Durand tente une classification des symboles de l'imaginaire en
faisant appel non seulement à Bachelard mais aussi à Krappe,
Dumézil et Piganiole.
2- Les symboles de l'imaginaire et leurs
classifications :
a- Présentation des différents principes
de classification :
Dans l'introduction de Les structures anthropologiques de
l'imaginaire, et avant de proposer sa propre
« classification des grands symboles de l'imagination sous
des catégories
______________________________________________________________________________
(1) Ibid.
(2) Ibid.
(3) Ibid., p. 26
(4) Bachelard, L'air et les songes. In. Ibid.
(5) Op. cit., Durand (1969), p. 26
(6) Ibid.
motivantes [et] distinctes. »(1), Durand
propose en premier lieu un état des différentes tentatives de
classification des symboles de l'imaginaire.
Selon lui, toute classification se fait « selon
les grands centres d'intérêt d'une
pensée »(2), que les motivations soient d'un symbolisme
religieux ou d'une imagination littéraire.
Il souligne par ailleurs(3) que la norme de classification
peut être, d'un côté, selon « un ordre de
motivation cosmologique et astral »(4), où ce sont les
saisons, les météores et les astres « qui
servent d'inducteur à la fabulation »(5), ou,
d'un autre côté, selon des « des données
sociologiques du microgroupe ou des groupes étendus jusqu'aux confins du
groupe linguistique. »(6).
Dans l'aperçu général des théories
proposées dans l'introduction de Les structures anthropologiques de
l'imaginaire, Durand évoque en premier la classification
proposée par Krappe, qui classe les mythes et les symboles en deux
ensembles : les symboles célestes et les symboles
terrestres(7). Dans son ouvrage intitulé Genèse des
mythes , Krappe s'intéresse aux fonctions remplies par les
hiérophanies, ainsi que par les rites et les cultes. Il médite
essentiellement « sur le Grand Temps et les mythes de l'Eternel
Retour »(8).
De son côté, Bachelard estime que c'est la
sensibilité qui sert de lien entre l'imaginaire et le réel. Il
propose, par ailleurs, la théorie des quatre éléments qui
représentent pour lui, selon les termes de Durand, de véritables
« hormones de l'imaginations »(9).
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(1) Ibid., p. 29.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid., p.30.
(8) Ibid.
(9) Ibid., p. 31.
A côté de ces propositions de classement selon un
ordre cosmique, Durand cite(1) l'exemple de Dumézil et de Piganiole qui
s'intéressent davantage aux influences sociologiques. Durand souligne
que pour Dumézil, les symboles de l'imaginaire sont d'origine sociale et
se dégagent plus précisément des mythes et des rituels.
Pour Piganiole, ils sont surtout d'origine historico-politiques.
La classification des symboles est donc établie selon
cinq critères. Elle peut être selon des motivations cosmologiques
(Krappe), selon les quatre éléments de la nature, (Bachelard),
selon des critères sociologiques, (Dumézil et Piganiol), ou selon
des critères psychanalytiques (approche freudienne et l'approche
jungienne).
b- Classification proposée par
Durand :
Dans Les structures anthropologiques de l'imaginaire,
Durand propose une approche globalisante qui, mêlant objectif et
subjectif, s'inspire des précédentes perspectives. Il nous semble
par ailleurs nécessaire, avant de présenter la classification
proposée par Durand, de préciser le courant anthropologique dans
lequel elle s'inscrit et pourquoi y avoir eu recours.
Fondateur du courant universitaire de l'anthropologie
symbolique, Durand propose dans son approche une analyse de l'imaginaire
anthropologique certes, mais inspirée de plusieurs autres approches. En
effet, il fonde sa recherche sur la psychologie des profondeurs de Jung, la
philosophie des images de Gaston Bachelard et la philosophie des formes
symboliques de Ernest Cassier(2). Il est ainsi possible de retrouver dans la
classification des symboles de l'imaginaire proposée par Durand quelques
unes des classification proposée à la fois par Jung, Cassier,
Gadamer, Ruyer, Caillois, Bergson Piaget, Bachelard ou Dumézil.
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(1) Ibid., p. 32.
(2) Cf. op. cit., J. Thomas, p. 140.
Durand soutient dans sa classification que les symboles de
l'imaginaire trouvent leurs origines soit dans « des matrices
sociales »(1), construites essentiellement à partir de la
langue, soit par « des gênes radicaux »(2)
qui « interviennent assez mystérieusement pour structurer
les ensembles symboliques, distribuant et les mentalités imaginaires et
les rituels religieux. »(3).Il part de la réflexologie
afin de préciser l'importance des réflexes dans la composition de
la nature de l'imaginaire humain. Il souligne, par ailleurs, l'existence d'une
interaction de ces mêmes réflexes, qui sont
héréditaires, et des données sociologiques qui sont
tout aussi bien imprégnées dans l'imaginaire humain. C'est ce que
Durand appelle le trajet anthropologique(4), qui correspond, dans un
premier temps, à « deux schèmes : celui de la
verticalisation ascendante et celui de la division tant visuelle que manuelle,
au geste de l'avalage correspond le schème de la descente et celui du
blotissement dans l'intimité »(5). A ce stade, les
schèmes(6) n'ont pas encore atteint le dynamisme des images. Ils se
« substentifient » en archétypes(7) et
« c'est ainsi qu'aux schème de l'ascension correspondent
immuablement les archétypes du sommet(...) »(8).
Durand propose, en se basant sur cette notion de trajet
anthropologique, une classification qui se fait selon
« deux Régimes du symbolisme, l'un diurne, l'autre
nocturne. »(9). Le premier régime correspond
« aux images déclenchées à partir de
la dominante posturale et des
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(1) Op. cit., Durand (1969), p. 29.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Cf. Définition de l'imaginaire, in.
Définitions de quelques notions, Introduction, p. 8.
(5) Op. cit. Durand (1969), p. 61.
(6) Le schème est défini par Durand comme
« une généralisation dynamique et affective de
l'image(...). Le schème s'apparente à ce que Piaget, après
Silberer, nomme « le symbole fonctionnel » à ce que
Bachelard appelle « symbole moteur ». il fait la jonction
(...) entre les gestes inconscients de la sensori-motricité (...). Ce
sont les schèmes qui forment le squelette dynamique, le canevas
fonctionnel de l'imagination. » in. Ibid. (Cette notion sera
reprise et définie dans les quelques lignes qui vont suivre).
(7) Les archétypes sont pour Durand « les
substentifications des schèmes » in. Op. cit., Durand (1969),
p. 62.
(8) Ibid. p. 63.
(9) Ibid., p. 58-59.
(10) Ibid., p. 58-59.
schèmes »(1), le second correspond,
quant à lui, à des
images« déclenchées par la dominante de nutrition
et ses schèmes »(2) ainsi que par les schèmes
cycliques.
Dans l'approche duranienne, toute image possède son
propre code sémantique. Les images sont qualifiées de
symboliques et dépendent du trajet anthropologique qui fait leur
stabilité. Durand leur confère le nom d'images
archétypes et les considère comme des images originales
à la source de toutes les autres images. Les archétypes(3) sont
« le point de jonction entre l'imaginaire et les processus
rationnelles »(4)
Après ce bref résumé de l'introduction
de Les structures anthropologiques de l'imaginaire, et après
les brèves précisions du vocabulaire proposé par Durand ,
il est capital de présenter les différentes classifications
proposées par l'auteur à l'intérieur même de l'un
des régimes proposés : le régime diurne.
Durand tente, dans la première partie de son livre
réservée au régime diurne, une analyse de
l'imaginaire à travers le recours à l'image animale. Il commence
par montrer le rôle important que tient la représentation animale
dans l'imaginaire humain en confirmant l'existence de « toute une
mythologie fabuleuse des moeurs animales »(5), qui montre le
bestiaire comme « solidement installé tant dans la
langue, la mentalité collective que dans la rêverie
individuelle »(6).
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(1) Op. cit., J. Thomas et al., p. 143.
(2) Ibid.
(3) Pour Jung, l'archétype est « synonyme
d'image primordiale », d' « engramme »,
d' « image originelle », de
« prototype ». Il écrit : « L'image
primordiale doit incontestablement être en rapport avec certains
processus perceptibles de la nature qui se produisent sans cesse et son
toujours actifs, mais d'autres part il est également indubitable qu'elle
se rapporte aussi à certaines conditions intérieures de la vie de
l'esprit et de la vie en général...i » in. Les
structures anthropologiques de l'imaginaire, p. 62. Pour distinguer entre
l'archétype et le symbole Durand propose un exemple :
« la roue, (...), est le grand archétype du schème
cyclique, car on voit quelle autre signification imaginaire on pourrait lui
donner, tandis que le serpent n'est que le symbole du cycle, symbole fort
polyvalent. » in. Ibid. p.63 .
(4) Op. cit. Durand (1969), p. 144.
(5) Ibid., p. 72.
(6) Ibid., p. 73.
Durand souligne par ailleurs, que malgré la fonction
que remplit son image archétypale, « l'animal peut
être surdéterminé par des caractères
particuliers en ne se rattachant pas
directement à
l'animalité »(1) . Il retient entre autre l'image de
l'oiseau qui, à côté de son image archétypale,
symbolise également d'autres qualités telle que l'ascension.
qualité qu'il partage, souligne Durand, avec la flèche.
Chez Baudelaire, à titre d'exemple, l'oiseau est non
seulement symbole d'ascension, mais également de mort. De leur
côté, le cheval et le chat symbolisent à la fois la mort et
la sensualité.
Par ailleurs, Durand semble penser que l'une des plus
importantes manifestations animales se fait à travers « le
schème de l'animé »(2). Ce dernier, qui se fait
par des mouvements brusques et indisciplinés, exprime essentiellement
une profonde inquiétude. Ce schème de l'animé qui
apparaît en général sous forme de fourmillement, est, selon
Durand, l'une des « primitives manifestations de
l'animalité »(3).
Etant toujours présent à travers l'image des
insectes et des vermines qui sont qualifiés de larves par
« la conscience commune »(4) le schème de
l'animé se « cerne d'une aura
péjorative »(5). Selon Bandoin cité par Durand,
ces larves que l'on retrouve à travers l'image terrifiante du ver sont
complémentaires d'une autre créature monstrueuse :
l'araignée. Proche du ver, Durand évoque aussi l'image du serpent
qui, de par son dynamisme, inspire « une `discursivité'
répugnante »(6).
Dans Les Fleurs du Mal, il est possible de noter non
seulement l'image du ver, mais aussi celle du serpent, de
l'araignée, des larves et des insectes de manière
générale. Cette répulsion
___________________________________________________________________________
(1) Ibid.
(2) Ibid., p. 71.
(3) Ibid., p. 76.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid., p. 77.
qu'inspire l'agitation fourmillante « se
rationalise dans la variante du schème de l'animation que constitue
l'archétype du chaos »(1). En effet, selon Durand, quand
le schème de l'animé s'accélère, il ne fait
« que compenser un changement brusque par un autre changement
brusque »(2). Il exprime une grande peur face au changement,
voire face à la mort. La mort que l'on retrouve aussi, note Durand,
avec la chevauchée infernale du cheval chthonien « qui
structure normalement la fuite et lui donne ce ton catastrophique que l'on
retrouve chez Hugo, comme chez Byron ou chez Goethe »(3).
Le sens dynamique des images, proposé par G. Durand
dans cet ouvrage, conduit l'imaginaire humain à utiliser ce même
dynamisme pour se protéger de certaines images agressives telle que
l'image de la mort. Il est souvent question en effet, dans l'imaginaire humain,
d'une euphémisation de la mort. Par ailleurs, à travers plusieurs
traditions et rites de différentes civilisations, la valeur de la mort
s'inverse pour « devenir le doux réveil du mauvais
rêve que serait la vie ici-bas. »(4). Nombreux sont, en
effet, les exemples en littérature, et notamment en poésie,
où on assiste à une « délectation morbide
que l'on retrouve souvent dans la poésie »(5).
L'euphémisation de la mort dans la poésie, Durand retient
l'exemple de « la légère nécrophile
baudelairienne »(6). Qui met en scène un poète
aspirant au véritable sommeil, à la mort.
Dans la deuxième partie consacrée au
régime diurne, Durand s'étale sur le schème de
l'ascension à travers l'image animale. Il montre la manière dont
se fait la désanimalisation de l'oiseau au profit de l'aile qui
est l'attribut du vol. L'oiseau est non seulement présenté
comme animal de libération mais aussi comme oiseau de malheur par sa
symbolisation de la mort.
______________________________________________________________________________
(1) Ibid.
(2) Ibid.
(3) Ibid., p. 78.
(4) Ibid., p. 79.
(5) Ibid., p. 273.
(6) Ibid., p. 272.
De cette surdétermination de l'image animale,
naît « une difficulté essentielle de
l'archétypologie (...) qui provoque toujours une polyvalence
sémantique au niveau de l'objet symbolique »(1). Cette
conception du sens dynamique des images permet d'échanger et de mettre
les images en mouvement les unes par rapport aux autres. Ces structures de
l'imaginaire opèrent donc, selon Durand, par redoublement et par
emboîtement, provoquant, entre autres, les inversions de valeurs des
images intolérables.
Ainsi, la classification des symboles de l'imaginaire que
propose Durand, s'appuie essentiellement sur deux régimes qui s'opposent
par définition, l'un diurne et l'autre nocturne. A
travers ces deux régimes, l'auteur tente de repérer des
invariants de sens et de les interpréter pour arriver à
constituer des constellations d'images convergeant autour d'un noyau stable.
A partir de ces images invariables, Durand s'applique à
montrer le dynamisme qui existe entre les différents symboles de
l'imaginaire qui puisent leurs significations dans des représentations
qui appartiennent en premier lieu à l'environnement culturel et social
d'une communauté, voire d'une civilisation fait à la fois, de
croyance populaires et de mythes. Ces origines culturelles que Durand appelle
le trajet anthropologique, seront employées dans l'analyse de
l'image animale dans Les Fleurs du Mal, afin de tenter de
déterminer l'origine (ou les origines) du bestiaire baudelairien.
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(1) Ibid., p. 73.
Conclusion :
Dans ce travail qui vise à analyser le bestiaire de
Les Fleurs du Mal, l'approche anthropologique duranienne
s'intéresse aux images animales, aux différents rapports qu'elles
entretiennent les unes avec les autres ainsi qu'au rapports qui relient ces
mêmes images aux thèmes dans lesquels elles s'inscrivent. Ceci
confère à l'analyse une dimension dynamique qui trouve à
son origine un `trajet anthropologique' reflétant, ainsi, les
différents aspects de la culture du poète.
Partie II :
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