__________ CONCLUSION GENERALE __________
Dans ce travail qui traite du bestiaire baudelairien de
Les Fleurs du Mal, l'analyse se fait en deux étapes. La
première consiste à présenter les différentes
images animales employées dans le recueil ainsi que les
différents thèmes qui s'y attachent. La deuxième
étape se charge, quant à elle, de l'étude de l'emploi de
ces mêmes images animales dans leurs contextes thématiques et
imaginaires.
La première étape du travail présente un
bestiaire baudelairien porteur de différentes significations. Ce
bestiaire est, d'abord, celui de l'identification de l'homme et de la femme
à plusieurs animaux. Il reflète à la fois amour et
sensualité, savoir et ignorance, ou encore, attirance et
répulsion. Les images animales de Les Fleurs du Mal sont
également celles d'un bestiaire de la peur devant la fuite du
temps : Face à la mort, le poète exprime son angoisse et sa
terreur par un grouillement d'insectes, par des gueules lancinantes ainsi que
par des cris de carnassiers. Le bestiaire baudelairien est, enfin, celui de la
fuite. Celle-ci, qu'elle soit ascensionnelle ou mythique reflète le
besoin et l'envie qu'éprouve le poète de fuir dans l'espace et
dans le temps.
La deuxième étape du travail prend en charge
l'analyse, en trois temps, des images animales de Les Fleurs du Mal.
Le premier temps montre bien qu'une même image animale, par son
dynamisme, peut avoir, selon son emploi, différentes significations.
L'image de l'oiseau, par exemple, renvoit à plusieurs thèmes
à la fois : Pour incarner la sensualité de la femme dans le
bestiaire de l'identification, l'oiseau devient cygne. Il se fait
également albatros pour incarner la souffrance et l'exil du
poète. Dans le bestiaire de la mort, la phobie d'Anubis s'incarne dans
le lugubre corbeau de L'Irréparable et de Voyage à
Cythère. La fuite ascensionnelle, enfin, de part son nom et son
vocabulaire ornithologique, se fait entre autres à travers l'image de
l'alouette.
Les images animales de Les Fleurs du Mal sont donc
celles d'un bestiaire dynamique dont la multiplicité de sens a pour
origine un trajet anthropologique. En effet, l'analyse montre que l'imaginaire
baudelairien, comme tout imaginaire humain, puise ses images animales dans un
bestiaire dont la signification renvoit à un trajet anthropologique. Ce
dernier est, dans le cas de Baudelaire, essentiellement biblique et mythique.
Le cygne, par exemple, reflète la sensualité à travers
l'un des avatars du Dieu Zeus qui s'est transformé en cygne pour
séduire la belle Léda. Par ailleurs, le corbeau, symbole de la
mort, est celui qui a montré, dans l'histoire biblique d'Abel et
Caïn que les morts doivent être enterrés.
Ainsi, une grande part des animaux employés dans
Les Fleurs du Mal, trouve racine dans un trajet anthropologique. Ce
dernier, à l'origine du rapport dynamique entre les images animales, est
également l'indice d'une grande présence mythique. Qu'elle soit
antique, biblique ou littéraire, la présence du mythe se fait
ressentir tout au long de Les Fleurs du Mal.
La classification des animaux mythiques proposée par
Siganos et appliquée au bestiaire de Les Fleurs du Mal, montre
bien que la grande majorité des images animales employées dans le
bestiaire baudelairien, sont celles d'animaux mythiques, soulignant ainsi
l'importance du trajet anthropologique dans l'inspiration baudelairienne.
Le bestiaire baudelairien connaît par ailleurs, l'emploi
de quelques animaux comme l'aspic, la frégate, le colibri, le cafard ou
l'helminthe, qui ne connaissent pas un grand destin mythologique ou
littéraire. Ces mêmes animaux sont employés dans Les
Fleurs du Mal pour renvoyer à une sorte de mythologie personnelle
que l'on peut voir, par exemple, à travers l'image du colibri, oiseau
qui permet au poète de vivre pleinement son mythe de l'envol.
Les images animales employées dans Les Fleurs du
Mal sont l'expression la plus subtile et intime de l'esprit
poétique baudelairien qui s'oppose à la modernité tout en
cherchant une nouvelle conception de la beauté. Ainsi, le bestiaire
baudelairien, reflet à la fois d'un grand dynamisme, d'un trajet
anthropologique et d'une grande présence mythique, est, avant tout, le
reflet d'une philosophie personnelle du poète.
En plus des trois thèmes qu'évoquent les images
animales relevées dans Les Fleurs du Mal, nous pourrions
ajouter, en élargissant la recherche au deuxième recueil de
Baudelaire intitulé Spleen de Paris (Les Petits Poèmes en
Prose)(1), celui de l'humour, de la satire voire celui de la moralisation.
En effet, cette deuxième oeuvre, posthume, de Baudelaire présente
un nombre important de recours à la fois à l'image animale
(chien, cheval, chat etc.), et aux figures mythiques (Vénus, Eros,
etc.).
Une nouvelle perspective d'analyse permettrait, ainsi, d'avoir
une vision plus globale de l'utilisation du bestiaire dans la poésie
baudelairienne, qui présente des images animales récurrentes.
Selon la psychocritique de Charles Mauron, cette répétition est
significative, elle est l'expression de ce qu'il appelle le mythe
personnel. Notion qui désigne, selon Mauron, que l'oeuvre d'un
auteur, constitue un fantasme à la fois persistant et dynamique. Il
l'interprète comme « l'expression de la
personnalité inconsciente et de son évolution »(2)
Par ailleurs, le développement de la mythocritique a
donné naissance à une nouvelle perspective qui traite de cette
nouvelle dimension du mythe. Cette critique spécialisée du
mythe
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(1) Charles Baudelaire, Spleen de Paris (Les Petits
Poèmes en Prose), Paris, Hetzel, 1863.
(2) Charles Mauron, Des métaphores
obsédantes au mythe personnel, Introduction à la
psychocritique, José Corti, 1962, p. 212.
« prend pour postulat de base qu'une `image
obsédante', un symbole moyen, peut être non seulement
intégré à une oeuvre, mais encore pour être
intégrant, moteur d'intégration de l'ensemble de l'oeuvre d'un
auteur, doit s'ancrer dans un fond anthropologique plus profond que l'aventure
personnelle enregistrée dans les strates de l'inconscient
biographique. »(1).
Ainsi, un élargissement du champ d'analyse de l'image
animale dans Les Fleurs du Mal et dans Spleen de Paris,
permettrait d'identifier les mythes personnels ou les images obsédantes
de la poésie baudelairienne. Celles-ci permettront de mieux cerner la
philosophie personnelle et complexe de Baudelaire.
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(1) Gilbert Durand, « Le voyage et la chambre dans
l'oeuvre de Xavier de Maistre », in. Romantisme n°4,
1972, p.84.
Annexes
Annexe1
Classification des animaux du bestiaire de Les
Fleurs du Mal
Pour faciliter la lecture du bestiaire de Les Fleurs du
Mal, nous proposons, ci-dessous, la classification (en deux grandes
catégories) que nous avons fait des animaux du bestiaire baudelairien en
situant à chaque fois leurs places dans le recueil:
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