CONCLUSION
L'histoire du Burkina Faso a de tout temps été
marquée par une grande mobilité des populations. L'accès
à la terre, qui se situe souvent au centre des relations entre les
différents groupes sociaux, s'opère à travers leur ordre
d'arrivée. Ces caractérisations par l'ordre
d'arrivée - autochtones, premiers arrivants, maîtres de la
terre... d'un côté, nouveaux arrivants, conquérants,
étrangers... de l'autre - attribuées à chaque groupe
par lui-même ou par les autres, constituent des enjeux politiques,
économiques et symboliques essentiels pour non seulement la construction
des identités mais surtout des enjeux déterminants dans la
gestion des ressources naturelles.
Zone agropastorale par excellence, le village de Dibien,
à l'instar des autres villages est en pleines mutations
socio-économiques et foncières. Cette réalité est
caractérisée par un ensemble de phénomènes
enchevêtrés et enclenchés par l'arrivée et
l'installation massive des migrants, l'insertion de l'économie paysanne
dans le marché avec le développement des cultures de rentre,
notamment le coton. Egalement, l'émergence de nouvelles
générations aussi bien du côté des autochtones que
des anciens migrants, entraîne une complexification de l'espace rural.
Toutefois, cette étude montre que cette dynamique, qui, selon les avis
des immigrants surtout, devrait modifier la structure des instances de
régulations et de gestions communautaires de la terre n'a pas eu d'effet
notable, même si l'on assiste à la disparition progressive du
rôle et du pouvoir réel du chef de terre. Les immigrants au regard
de leur installation dominante influencent énormément les
décisions de ces instances de régulation foncière.
La prééminence du droit légitime
(coutumier) d'accès à la terre sur celui dit législatif
(moderne) dénote d'une part que les institutions foncières
coutumières apparaissent aux yeux des populations comme incontournables,
même si elles suscitent des réserves de la part des acteurs locaux
du fait de leur gestion souvent inéquitable et non démocratiques
des ressources foncières et d'autre part elle se justifie par
l'échec de toutes les réformes agraires et foncières que
le Burkina Faso a entreprises dans la deuxième moitié des
années 80. Il s'agit de l'ineffectivité de la RAF dont les
lectures successives en 1991 et 1996 n'ont pas permis d'aboutir sur des
réponses appropriées à la question de la
sécurisation foncière rurale.
L'aspect incontournable du droit légitime se trouve
alors conforter et renforcer par le système de représentation du
sacré qui est le fond d'action des institutions coutumières.
C'est ce caractère sacré dont s'entoure la gestion
foncière au niveau de Dibien, qui fait la résignation des
immigrants à se proclamer propriétaires terriens, pour ne se
réclamer plutôt propriétaires de champs. En tout
état de cause, on peut soutenir avec FAURE A. (1990)
que les immigrants de Dibien, ont acquis `'un droit de mise en
valeur'' presqu'immuable sur les terres qu'ils exploitent aujourd'hui et
ce, au regard des informations, des observations et les analyses que nous en
avons faites. C'est en la croyance à la valeur sacrée de la
terre, difficile à transcender, que l'expression de la
propriété foncière des immigrants et de leurs descendances
se trouve entachée. Cela confirme notre première et
deuxième hypothèse secondaire.
En rapprochant le système de gestion foncière
à travers ses mécanismes d'accès à la terre,
à gestion des autres ressources naturelles, nous avons voulu
appréhender l'impact du premier aspect sur le second. Dans beaucoup de
cas, notamment dans la grande majorité de la littérature sur
cette question de la sécurité foncière et de la gestion
des ressources naturelles, les auteurs soutiennent que la faiblesse des
investissements dans les aires d'exploitation agricoles et même
pastorales est stricto sensu liée au manque de garantie de
sécurité foncière. La possession ou l'absence d'un titre
de propriété n'influence pas de manière
déterminante le niveau d'investissement dans le monde rural africain et
burkinabé en particulier.
En effet, au regard des informations obtenues sur la question
et de l'analyse qui en ressort, nous arrivons à la conclusion, que le
système foncier de Dibien, bien que coutumier, est suffisamment
flexible, adaptatif et ne constitue aucunement pas un obstacle majeur à
l'adoption des techniques GRN. D'ailleurs la majorité des producteurs,
au regard de la dégradation progressive et perceptible de
l'environnement, de leur vécu antérieur et leur trajectoire
migratoire, sont conscients que la seule alternative c'est d'adopter tout moyen
technique qui permettra de contrer la dégradation constatée des
ressources naturelles. Cela confirme également notre quatrième
hypothèse spécifique. L'adoption des techniques de gestion des
ressources naturelles est alors perçue comme une innovation majeure dans
le processus de cette gestion. Ce sont les conditions et les moyens
d'accès à celles-ci qui limitent leur adoption ou leur rejet. Ces
conditions sont d'ordre économique, social, culturel et institutionnel.
C'est pourquoi dans l'optique de promouvoir une agriculture et
un élevage plus productifs, plus rémunérateurs pour les
producteurs et de mettre en place des systèmes de production durable et
reproductible, il appartiendra à l'Etat de prendre l'initiative, de
créer un contexte législatif, administratif, économique et
politique favorables aux initiatives locales. Il doit également se
charger de la mise au point d'innovations techniques et économiques de
leur diffusion, de la sécurité foncière et de la gestion
des ressources naturelles. Nous pensons, au regard de l'ineffectivité
des différents textes de régulation foncière qui faisait
de l'Etat, le seul propriétaire du domaine foncier, alors que la
réalité est tout autre, qu'un accent particulier devrait
être mis sur la sécurisation foncière rurale. Cela passera
d'abord par la reconnaissance des droits légitimes et ses instances de
régulation, par l'installation des instances consensuelles locales de
gestions de la question foncière. De ce point de vue, l'Etat ne sera
efficace et viable dans ces domaines que s'il agit en concertation avec les
acteurs locaux et s'il les associe effectivement. Et le processus de
décentralisation à travers la mise en place des
collectivités territoriales (communes rurales) pourrait, à notre
avis, constituée une alternative à la résolution
concrète de ces question. Encore faut-il que l'Etat accepte
transférer à ces collectivités tous les pouvoirs et les
moyens nécessaires à leur exercice.
Nous pouvons, sur la base de nos analyses, dire que les
objectifs visés à travers cette étude ont
été atteints dans l'ensemble et nos hypothèses
vérifiées. Aussi, en tant que travail sociologique l'apport
théorique de notre étude est la connaissance multidimensionnelle
des effets migratoires sur la question de la sécurisation
foncière facteur déterminant dans l'adoption des techniques
modernes de gestion des ressources naturelles par les producteurs. Mais,
l'impact de la précarité économique des ménages en
milieu rural sur la gestion des ressources naturelles à une
échelle plus grande reste une perspective de recherche aussi
intéressante et importante pour un pays comme Burkina Faso.
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