Les compétences du juge étatique dans l'arbitrage OHADA( Télécharger le fichier original )par Francis NGUEGUIM LEKEDJI Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en Contentieux et Arbitrage des Affaires 2007 |
SECTION II : LA NEUTRALISATION DES DIFFICULTES DE CONSTITUTION DU TRIBUNAL ARBITRAL
Toutes les lois modernes sur l'arbitrage accordent aux parties la priorité de régler les détails du déroulement de l'arbitrage, y compris les modalités de désignation des arbitres. C'est le cas de la loi type de la CNUDCI en ce qui concerne le nombre et la procédure de nomination des arbitres67(*). C'est aussi le cas du Règlement d'arbitrage du Centre d'arbitrage du Groupement inter-patronal du Cameroun (R.A CAG)68(*). L'AU.A va dans le même sens en disposant que : « Les arbitres sont nommés, révoqués ou remplacés conformément à la volonté des parties »69(*). Il arrive souvent que les parties respectent scrupuleusement leurs engagements. Cependant, il sera aussi des cas de désaccord entre les parties lorsque survient le moment de choisir leur juge. C'est d'ailleurs l'un des points d'achoppement le plus récurrent dans le processus de démarrage de l'arbitrage. Pour le surmonter, l'efficacité de l'arbitrage suppose qu'il existe un relais pour désigner le ou les arbitres en cas de refus ou de désaccord entre les parties, ou pour trancher les difficultés ultérieures liées à cette désignation. Dans l'arbitrage institutionnel, le centre d'arbitrage pourvoira facilement à cette tâche conformément à son règlement d'arbitrage. La jurisprudence est bien fixée dans ce sens70(*). C'est aussi ce que l'on peut déduire de l'AU.A qui traduit le fait pour les parties de s'en remettre à une institution arbitrale comme un engagement à appliquer le Règlement d'arbitrage dudit centre. Il existe néanmoins la possibilité pour les parties d'écarter expressément certaines dispositions du règlement du centre choisi71(*). Tel n'est pas nécessairement le cas dans l'arbitrage ad hoc. Ici, il est souvent fait recours à un tiers ou au juge étatique pour résoudre ces difficultés. Notons tout de même que le juge étatique n'intervient que sous certaines conditions (§ I), et son domaine d'intervention est bien déterminé (§ II). § I : LES CONDITIONS DE L'INTERVENTION JUDICIAIRE
Il ne suffit pas qu'il y ait difficulté de constitution du tribunal arbitral pour que le juge étatique intervienne. Encore faut-il que certaines conditions soient réunies. L'article 5 AU.A prévoie deux conditions expresses : le défaut de convention et la convention insuffisante (A). On pense aussi que le juge étatique ne peut intervenir qu'en l'absence d'une convention contraire des parties (B). A- LES CONDITIONS PREVUES PAR L'ACTE UNIFORME L'article 5 alinéa 2 AU.A dispose qu'« à défaut d'une telle convention (convention des parties fixant les modalités de désignation des arbitres) ou si la convention est insuffisante », le juge étatique doit intervenir pour aider à la constitution du tribunal arbitral. Qu'entendre alors par « défaut de convention » et « convention insuffisante » ? Leur sens n'est pas donné par l'AU.A. Dans la pratique, des auteurs72(*) pensent que l'expression « défaut de convention » peut recouvrir une multitude de situations dont : - la convention qui porte sur des droits non disponibles au sens de l'article 2 AU.A ; - la convention qui n'est pas faite par écrit ou par tout moyen permettant d'en administrer la preuve ; - ou encore la convention qui a été antérieurement déclarée nulle par une décision revêtue de l'autorité de chose jugée. Il s'agit d'une énumération qui ne peut être exhaustive compte tenu du silence législatif. Il appartiendra alors à la jurisprudence de statuer au cas par cas pour faire avancer le débat.
Quant à la « convention insuffisante », nous pensons que l'hypothèse la plus plausible est celle d'une « clause blanche » ; c'est-à-dire, une clause par laquelle les parties prévoient le recours à l'arbitrage pour résoudre leur différend, mais celle-ci ne contenant aucune disposition quant à la désignation des arbitres. Il peut aussi s'agir d'une clause d'arbitrage incomplète ; ou qui même complète, ne permet néanmoins pas la constitution du tribunal arbitral73(*). Les blocages peuvent également résulter du caractère pathologique de la convention d'arbitrage qui se révèle dès lors que l'une des parties engage la procédure. Toutes ces hypothèses sont celles dont la survenance peut entraîner le concours du juge étatique pour annihiler les difficultés de constitution du tribunal arbitral; encore faut-il qu'il ne soit pas prévu autrement dans la convention des parties. B- L'ABSENCE DE CLAUSE CONTRAIRE DANS LA CONVENTION D'ARBITRAGE L'AU.A pose le principe de la liberté des parties pour la désignation des arbitres et n'autorise l'intervention judiciaire que de façon exceptionnelle. L'une des conséquences de ce postulat est la possibilité pour les parties de recourir à une personne autre que le juge étatique pour les aider à constituer le tribunal arbitral lorsqu'elles n'y parviendraient pas elles-mêmes. Autrement dit, les parties peuvent, expressément, exclure le juge étatique du lieu du siège du tribunal arbitral de toute intervention dans le processus de règlement des difficultés liés à la composition du tribunal arbitral. D'abord, le fait pour les parties de recourir à un centre d'arbitrage pour la résolution de leur différend consacre implicitement la compétence de ce centre pour la désignation des arbitres en cas de défaillance ou d'abstention de l'une d'elles ou de toutes les parties en présence. Cela est d'autant plus vrai qu'en cas d'arbitrage institutionnel, la liberté des parties se situe généralement en amont, quant à la désignation dudit centre ; alors qu'elles auraient pu faire autrement. En aval, elles adhèrent, en quelque sorte, au règlement d'arbitrage dudit centre, lequel régit désormais la procédure arbitrale. C'est ce qu'énoncent par exemple les Règlements d'arbitrage de la CCJA74(*) et du GICAM75(*). Cette solution est aussi expressément prévue en France par l'article 1493 alinéa 2 du N.C.P.C. Pour son application, Le TGI de Paris décide que le juge « n'a pas le pouvoir (...) de se substituer au centre préconstitué d'arbitrage, sauf carence reconnue ou prouvée de celui-ci, pour l'organisation et la mise en oeuvre de la procédure arbitrale, conformément à son règlement, charte convenue et acceptée par les parties»76(*). Ensuite, dans le cas d'un arbitrage ad hoc, le juge étatique est le plus à même d'intervenir ; mais les parties peuvent aussi, par une clause contraire, écarter sa compétence. En effet, il est toujours loisible dans ce cas de désigner une autorité quelconque, un tiers préconstitué qui pourvoira, le moment venu, à cette tâche. Mais, au cas où la compétence du juge étatique est prévue, celui-ci ne peut non plus régler tous les litiges, d'où l'intérêt de préciser l'objet de son intervention. * 67Son article 10 § 1 dispose que « Les parties sont libres de convenir du nombre d'arbitres. Faute d'une telle convention, il est nommé trois arbitres. ». Son article 11 est encore plus prolixe sur la procédure de nomination desdits arbitres. * 68Aricle 9 intitulé « Formation du tribunal arbitral ». * 69Article 5 alinéa 1er AU.A. * 70TGI paris, réf., 23 juin 1988, Rev. Arb., 1988. 657, note Ph. Fouchard. Le juge y décide qu' « en désignant la chambre arbitrale de Paris comme centre organisateur de leur arbitrage, les parties ont fait de son règlement la charte convenue et acceptée de leur procédure, et, par là même, ont confié à cette institution permanente la charge d'organiser les opérations d'arbitrage, en conformité avec ses statuts et à son règlement, et le pouvoir de statuer sur des difficultés ». * 71Article 10 alinéa 1er AU.A. * 72A. Dieng, « Les difficultés de constitution du tribunal arbitral dans le cadre de l'arbitrage ad hoc », communication lors du colloque organisé par l' A.P.A.A sur le thème général « l'Arbitrage en Afrique : questions d'actualités ». Inédit. * 73P. Meyer, commentaire de l'A.U.A, in J. Issa-Sayegh et alliés (Sous la coordination de ...), OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, Bruxelles, Juriscope, 2ème éd., 2002, pp. 110-111. On y évoque l'hypothèse d'un tiers préconstitué pour désigner un ou plusieurs arbitres, mais qui ne s'acquitte pas de sa mission. p. 111. * 74Article 3 Règlement d'arbitrage de la CCJA intitulé « La désignation des arbitres ». Il règle dans les moindres détails les compétences de la Cour pour suppléer à la carence des parties dans la désignation des arbitres. * 75V. article 9 dudit règlement. * 76TGI Paris, 18 janvier 1991, Société chérifienne des pétroles c/ société Mannesman Industria Iberica, Société Mannesman Anlagenbau et chambre de commerce internationale, cité par Ph. Fouchard, E. Gaillard , B. goldman, op. cit., p. 509. |
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