III Evénements et preuves intervenants lors de
ces crises.
Ces deux crises Ti et CT présentent respectivement
des intervalles d'extinction de 0.6 et 0.42 millions d'années, cela
tend à montrer qu'il n'y a pas un seul événement
catastrophique commandant l'extinction.
Cela laisse supposer deux hypothèses :
- Soit un événement qui a agi sur un grand laps
de temps.
- Soit une conjonction de plusieurs causes.
Plusieurs événements se sont passés
à ces époques qui ont pu provoquer ces crises, cependant il est
très difficile de pouvoir définir la principale.
Ces deux événements arrivent juste avant et
pendant un grand pic eustatique avec une élévation du niveau
marin (transgression). Cela a entraîné lors de ces intervalles une
augmentation des routes épicontinentales marines. L'extension des mers
épicontinentales a continuellement varié au cours des temps
géologiques. Ces phénomènes affectent évidemment
les différents organismes, selon l'effet surface-biodiversité. Il
existe une relation entre la surface occupée et le nombre de taxons pour
le benthos marin, figure 15, cette augmentation de surface des mers
épicontinentales est favorable à l'augmentation de la
diversité.
Figure 15 : Illustration de l'effet
surface-biodiversité,
( évolution de la biosphère et
événements géologiques, F.Lethiers P127)
L'ensemble de ces deux crises est associé à une
anoxie très répandue et un dépôt de schiste argileux
noir.
Ces deux crises possèdent une lithologie très
proche dans le bassin environnemental :
- Ti possède le schiste argileux et des
concrétions carbonatées,
- CT des schistes argileux ou marnes et des
concrétions carbonatées.
Ces deux intervalles correspondent à un climat chaud
mais constant. De nombreux scientifiques pensent qu'il fut engendré par
un effet de serre. Ces conditions ont amené une circulation
océanique difficile. De plus la formation d'une eau chaude salée
dans la partie inférieure de l'eau met en évidence une
stratification de la mer d'où un potentiel pour l'anoxie. En effet, la
teneur en O2 dépend de la salinité et de la température
qui, lorsqu'elles augmentent, provoquent une baisse de la teneur en O2 comme
l'illustre la figure 16.
Figure 16 : Dissolution de O2 dans l'eau en fonction de
la salinité et de la température (valeurs de saturation à
l'équilibre, sous Patm normale dans l'air saturé en vapeur d'eau.
(Ivanoff 1972) Evolution de la biosphére et événements
géologiques, F.Lethiers P158
Cela affecte nombre de taxons puisque l'oxygène dissous
dans l'eau est nécessaire à la respiration d'organisme marin
même si certains, comme les bivalves benthiques, tolèrent une
carence en oxygène. La similarité dans la réponse biotique
des deux crises suggère que les événements
favorisés par l'anoxie possèdent une structure
« prévisible ».
Certaines données géochimiques, comme le delta
du Carbone13 montre qu'il existe un lien solide entre le modèle de
repopulation et les conditions environnementales. Le delta 13C positif
enregistré dans plusieurs aires peut être comparé. Ces
courbes (figure 17) s'avèrent remarquablement similaires, bien que
quelque peu compensées, et suggèrent que les perturbations
environnementales étaient au moins régionales. Le champ de
digression va de 0.38% à 0.25% selon le lieu de mesure pour Ti. Pour CT,
les digressions du delta 13C mesurées dans le bassin intérieur de
l'Ouest en Amérique du Nord sont de 0.3% en moyennes. La tendance est
similaire pour les deux crises.
Figure 17 : Points montrant la tendance du delta C13 pour Et
et CT .Les données dans l'ancien d'après Jenkyns et Clayton
(19986-1997), Jimenez (1996) et pour le supérieur Pratt 1985.Dans les
deux cas les données ont été placées à
l'intérieur de l'encadrement temporel de la figure (celles des
ammonites).
( Paleogeography, Paleoclimatology, Paleoecology 154 (1999) P
63)
Les digressions positives du delta 13C, toutes les deux
caractéristiques des extinctions Ti et CT qui ont été
reliées à des événements anoxiques,
suggèrent que l'amplitude et la durée de l'anoxie et son stress
environnemental associé, étaient au moins un acteur significatif
dans la détermination de la réponse biotique.
Les digressions du delta 13C peuvent être
utilisées en tant qu'outil de prédiction puisque lorsqu'elles
reviennent vers des niveaux de l'intervalle de fond, elles suggèrent une
amélioration environnementale et donc que la reconquête est
initiée. Il existe deux hypothèses pour expliquer les
digressions : certains pensent qu'elles sont dues à l'augmentation
de la productivité, d'autres penchent pour la diminution du recyclage
des matières organiques, mais quelles que soient les causes de ces
digressions elles représentent un piégeage du carbone organique.
Cette préservation à l'intérieur des sédiments est
dépendante et peut-être la cause de cette anoxie.
Notons que le principal intervalle de perturbation
géochimique pour les deux événements est temporairement
similaire (0.8 et 0.65 millions d'années pour respectivement Ti et CT).
La fin de la digression du delta 13C correspond à la
fin de l'intervalle de survie, cela indique que les perturbations de
l'environnement enregistrées par le delta 13C affectent également
les biotopes. Cela semble pouvoir également s'appliquer à la
crise Crétacé Tertiaire puisque la perturbation majeure
a une très courte durée et l'intervalle de survie est de ce fait
inexistant.
Pour les données du CT l'intervalle d'extinction
initié à la première digression majeure est absente pour
Ti, cela suggère qu'il se produit une traîné à
l'arrière de l'intervalle d'extinction. Ce point est soutenu par
l'association des plus frappantes étapes d'extinction avec la partie
supérieure de l'intervalle d'extinction (figure 17).
Il existe à la limite CT (il y a 95 millions
d'années) la présence d'un taux d'iridium en Amérique du
Nord et du Sud, qui suggère l'hypothèse d'un
astroproblème. Celui-ci serait arrivé en Amérique du Nord,
dans l'Alberta à Steen River. Cet astroproblème par sa taille
relativement modeste (cratère de 25 km de diamètre) a pu jouer un
rôle dans la crise CT, mais on ne peut pas lui imputer la crise à
lui seul, en effet plusieurs astroproblémes de dimension
supérieure ne sont pas rattachés à des extinctions
significatives, pour illustrer cela citons l'impact majeur du cratère de
Montagnais, en Atlantique Nord il y a 51 millions d'années, qui ne
correspond à aucune extinction importante malgré une dimension de
45 km de diamètre (Lethiers 1997 P102). De plus, un cratère de 25
km « apparaît » tous les 1 million d'années
environ (d'après Raup (1992)).
A la limite CT il existe également de fortes anomalies
des rapports isotopiques de l'oxygène (18O/16O) et du carbone (13C/12C)
ainsi que du manganèse, mais l'avis des géochimistes diverge sur
leur interprétation. Ainsi M Kuyper pense qu'il s'est produit une baisse
de température liée à une chute en CO2
atmosphérique, d'où une baisse de l'effet de serre due à
une séquestration d'une grande quantité de matière
organique marine et continentale dans les parties profondes des océans.
Il s'appuie sur le fort enrichissement des couches en matière organique
dans ces milieux à cette époque, résultant, semble t-il
d'une stagnation des eaux profondes (Pour la science no28 P91).
Ces conclusions tirées par ce scientifique sont
diamétralement opposées à celles proposées
précédemment, cela souligne la difficulté
d'interprétation des faits.
On peut donc légitimement penser que ces crises
résultent d'une conjonction de plusieurs événements. Si
certains semblent plus importants, comme l'anoxie, ils ne peuvent pas expliquer
les crises à eux seuls.
Cependant notons l'absence de données sur l'influence
de ces crises sur la flore et sur l'aspect écologique. Cela peut
être du à trois raisons : soit une absence de données,
cela semble peu plausible; soit un choix délibéré de ne
pas en parler; soit qu'aucun changement ne s'y produit. Ces données si
elles existent auraient pu, peut être, nous apporter des
éléments qui auraient permis de trancher entre les
hypothèses contraires des scientifiques.
Quoi qu'il en soit, on peut penser que l'extinction de
certains organismes ont du influencer le développement de certains types
de flore. De plus, la disparition d'une seule catégorie
d'éléments floraux peut entraîner un
déséquilibre écologique et entrer dans une conjonction de
causes qui peut-être à l'origine d'une cascade de disparitions.
Cela nous démontre bien l'importance qu'ils revêtent.
Les similarités dans les réponses biotiques de
ces événements remettent en question les hypothèses tel
que l'événement « imprécis ». Cette
hypothèse relègue une bonne partie de l'histoire de la vie au
rôle de chance.
Néanmoins, la similarité dans les modèles
biotiques ente Ti et CT implique que si les mécanismes d'extinctions
sont similaires, la réponse biotique est prévisible.
Les événements de natures différentes
font que les lignées ne sont pas atteintes de la même façon
et avec la même intensité : cela dégage la notion de
sélectivité des crises.
Il peut être difficile de prédire les
espèces exactes qui survivraient mais pas les modèles
basés sur les groupes taxoniques. Les événements
anoxiques, très fréquents dans les crises, dévastent les
éléments fouisseurs, limitent les taxons benthiques,
spécialement gastéropodes et brachiopodes articulés. Ils
permettent la prolifération des taxons des parties supérieures
des colonnes d'eau aussi bien qu'à des taxons benthiques
spécifiques.
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