L'Union Africaine et le projet des Etats-Unis d'Afrique: Identification et Analyse des facteurs entravant la concrétisation de cet idéal panafricain( Télécharger le fichier original )par Djibril FOFANA Université Gaston Berger de Saint-Louis - Maitrise de sciences politiques 2007 |
SECTION 2 : l'Union Africaine entre textes et réalitésEn succédant à l'organisation de l'unité africaine(OUA), l'UA se donne pour mission de renouveler et de consolider le projet d'intégration politique et économique à l'échelle continentale, dont les bases avaient été jetées en 1963. A cet effet, l'Acte constitutif de cette nouvelle organisation dont les contours avaient été tracés dans la Déclaration de Syrte du 9 Septembre 1999, a fixé les objectifs et instauré un cadre institutionnel allant bien au-delà de l'approche diplomatique finalement privilégiée par l'OUA. C'est sous l'angle organique que les changements sont les plus notables, avec notamment une Commission et un Parlement appelés à relayer et à impulser la dynamique unitaire. A travers ce dernier aspect, la création du Conseil de Paix et de Sécurité, traduit la volonté de rompre avec la fatalité des guerres et de se doter d'instruments aptes à relever les défis de la paix et à promouvoir une politique de défense commune. Cependant, la rupture tant annoncée avec les égarements de l'OUA se heurte une nouvelle fois aux réalités d'une Afrique toujours repliée sur le dogme de la souveraineté étatique et confronté à des difficultés, notamment financières, qui risquent de renvoyer à un avenir plus lointain et incertain le vaste chantier des politiques communes de construction des États-Unis d'Afrique (paragraphe1). Ainsi, la mise en place de l'UA représente à bien des égards une problématique assez complexe tant l'acte constitutif sur lequel elle repose est ambigu et imprécis (paragraphe2).
Paragraphe2 : l'Union Africaine : Une « coquille vide » en réalité.Le 9 Juillet 2002 à Durban, en Afrique du Sud, la 38ème Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'OUA proclame la naissance officielle de l'Union Africaine. Au- delà de la symbolique d'une telle décision, décision inaugurant une période intérimaire d'un an au cours de laquelle les principaux acteurs de la nouvelle institution seront mis en place, les dirigeants africains prenaient définitivement acte de leur volonté d'ouvrir une nouvelle page de l'intégration de leur continent. Pareil tournant consacrait certes plusieurs années de préparation et de négociation des textes fondateurs de l'UA, mais il marquait dans le même temps le souci de clore définitivement les débats parfois controversés et toujours passionnés sur le calendrier et les modalités de passage de l'OUA à l'UA. En effet, pendant près de trois années, entre la réunion de Syrte ou était pris l'engagement solennel de créer l'UA, et la réunion de Durban de 2002 en passant par les sommets de Lomé(2000) et de Lusaka(2001), bien des divergences avaient été surmontées sur les structures de l'Union et, en particulier sur la nature des rapports entre ses organes interétatiques classiques et la future Commission. En arrière plan de ces problèmes d'organisation et d'ordonnancement institutionnels, sans pour autant que cela affecte l'affirmation de la souveraineté des Etats-membres, se profilait surtout le souci de ne pas réduire l'Union Africaine à un simple changement de dénomination de l'OUA. C'est autour de ce postulat qu'ont surgi les interrogations sur les ambitions de l'UA, sur les rapports entre cette dernière et les Etats membres, sur son architecture institutionnelle, sur le calendrier de mise en place des organes prévus par l'Acte constitutif, ainsi que sur le contenu des politiques communes, notamment en matière d'intégration économique, politique et de défense. C'est pour prévenir les critiques éventuelles sur les fondements de la nouvelle organisation et surtout répondre aux appréhensions de nombreux Etats sur les finalités réelles de l'Union et la préservation de leurs attributs de souveraineté, que le Secrétaire général de l'OUA, Amara Essy, a initié une large concertation impliquant des acteurs venant des horizons les plus divers. Car, comme le soulignait Albert Bourgi « Le projet de l'UA a beau figurer à l'ordre du jour du 36ème sommet de l'OUA, qui doit se tenir à Lomé du 10 au 12 Juillet 2000 et avoir de grandes chances d'être entériné par les chefs d'Etat, plus par pur réflexe légaliste que par conviction, sa mise en oeuvre n'en soulève pas moins des interrogations ».43(*) Jamais dans l'histoire de l'OUA, une aussi large consultation n'avait été organisée. Outre les représentants des Etats-membres à tous les niveaux, elle associa pendant des mois des membres de la société civile africaine, des experts tant nationaux qu'internationaux et bénéficia du concours des Nations-Unies. L'originalité de cette procédure de consultation a été illustrée par l'avis que le Secrétaire général de l'OUA a donné à un groupe consultatif d'éminentes personnalités sur la transition de l'OUA à l'UA. Présidée par un ancien chef d'Etat, le Général nigérian Yakubu Gowon, cette instance avait un mandat élargi, recouvrant aussi bien les questions institutionnelles que les objectifs assignés à l'Union ou encore l'intégration de certaines initiatives dans les programmes de l'Union Africaine. L'attention ainsi portée au processus de mise en place de l'UA fut d'autant plus rigoureuse que l'Acte constitutif n'était pas d'un grand secours en la matière. En effet, le schéma institutionnel discuté et arrêté à Tripoli peut paraître séduisant. Mieux encore, et c'est sous cet aspect que le leader libyen a su emporter l'adhésion de ses pairs, il s'inscrit pleinement dans la mystique de l'unité africaine qui habite tous les africains. Mais entre le rêve d'unité qui sous-tend confusément les débats, même les plus houleux à l'OUA depuis plus de trois décennies, et la réalité sous la forme institutionnelle bannissant les frontières nationales, il subsiste encore et toujours des obstacles. Dès-lors, dixit Albert Bourgi « On voit mal comment des constructions supranationales aussi prudentes soient-elles, peuvent se substituer à des organisations de coopération fortement ancrées dans la logique des pouvoirs nationaux »44(*) . Certes, il faut un début à tout, et les peuples africains ont besoin de rêves, de desseins à long terme du type de celui de l'UA qui ambitionne à plus longue échéance la construction des Etats-Unis d'Afrique. Le projet d'Union Africaine, du moins dans sa version consensuelle et minimale telle qu'elle existe aujourd'hui, parait être d'autant plus accessible qu'il ne comporte que peu d'engagements précis. Il se présente au mieux, comme un cadre organique aux futures relations interafricaines, coiffée par une Conférence de l'Union ressemblant à s'y méprendre à la conférence des chefs d'Etats et gouvernement de la « défunte OUA », au pire comme une « coquille vide » ayant vocation à se remplir au fil des années et avancer sur le chemin de l'intégration politique. Paragraphe 2 : Les ambiguïtés et imprécisions sur la forme politique de l'Union : Fédération ou simple cadre de coopération interafricaine ? L'UA est une organisation dont les contours et la forme politique sont encore mal définis. La précipitation avec laquelle cette organisation a été créée en est certainement une des causes principales. Les divergences entre minimalistes et maximalistes ont eu raison du projet d'unité politique dont été porteur le colonel Kadhafi et plus connue sous le vocable des Etats-Unis d'Afrique. C'est ainsi que l'on a assisté à la mise en marche d'une organisation « ambiguë et imprécise », dont l'Acte constitutif traduit de fort pertinente manière cette situation. Libellé en termes très généraux, celui-ci se contente d'énumérer dans trente trois articles, les objectifs de l'Union (article3) et les principes (article4) sur lesquels devra fonctionner l'organisation. C'est ce même type d'énoncé très bref, que recouvrent les dispositions qui traitent des pouvoirs et attributions des principaux organes de l'Union. Cette rédaction plutôt sobre reflète, l'accord minimal sur lequel se sont finalement entendus les Etats membres, et qui permettait de dissiper les craintes exprimées lors de l'élaboration de l'Acte constitutif de cette Union, sur la nature de celle-ci et sur son éventuel caractère supranational. Sur ce dernier point, l'Acte constitutif ne laisse planer aucun doute sur le fondement interétatique de l'organisation. En effet, on n'y trouve nulle part de dispositions préfigurant les « Etats-Unis d'Afrique » chers au colonel Kadhafi. Les rédacteurs ont ainsi voulu semble t-il tirer toutes les leçons de l'ambiguïté de certains articles de la charte de l'OUA de 1963, source de multiples spéculations et de surenchères qui, au fil des ans avaient entamé la crédibilité de l'institution. De toute évidence, les Etats africains ont pris le pari de laisser au temps et à la pratique le soin de déterminer, voire d'étendre le champ de compétence de l'Union et partant, de fixer au vu des résultats, les différentes étapes à venir de l'intégration continentale. Et cela pour plusieurs raisons : D'abord au nombre des objectifs de l'Union, il est inscrit la défense de « la souveraineté, l'intégrité et l'interdépendance de ses Etats membres ». La souveraineté est l'apanage des seuls Etats comme le définit le droit international. La souveraineté des membres de l'Union est rappelée par l'article4, alinéa (a), qui institue une « une égalité souveraine... de tous les Etats membres de l'Union ». Ce constat du caractère non fédéral de l'Union est conforté par les termes mêmes de l'Acte constitutif où il n'est question que des Etats membres. L'intégrité territoriale et l'interdépendance qui doivent être défendues impliquent aussi qu'il s'agit des structures étatiques africaines telles qu'elles existent au moment de la naissance de cette Union Africaine. Les membres de celle-ci sont donc les Etats africains actuels. L'article4, alinéa (b) ajoute un autre élément qui est la frontière. Il inscrit au nombre des principes « le respect des frontières existant au moment de l'accession à l'indépendance » ; or, les limites entre Etats dans une structure fédérale ne constituent pas des frontières au sens du droit international. En conséquence cette disposition ne vient que renforcer l'analyse selon laquelle l'UA est une organisation internationale dans laquelle les Etats sont représentés par leurs chefs d'Etat ou de Gouvernement, conformément à l'article6, alinéa 1 : « La conférence est composée des Chefs d'Etats et de gouvernement ». Ensuite, des documents antérieurs à l'Acte constitutif offrent divers éléments allant dans le même sens, confirmant que l'Union Africaine est une organisation internationale à l'instar de l'OUA. Le premier de ces éléments est la déclaration de Syrte qui indique que les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont délibéré sur les voies et moyens pour renforcer l' « organisation continentale »45(*) et non pour créer les Etats-Unis d'Afrique. L'objectif est donc de renforcer l'OUA en lui donnant les moyens d'être plus efficace dans un environnement ou la nécessité de positions communes se faisait plus que jamais pressante. Les Chefs d'Etat et de Gouvernement y rappellent qu'ils ont juste été inspirés par les propositions soumises par le Colonel Kadhafi. Or, ces propositions étaient claires quant à l'objectif fédératif. Ainsi, comme l'a rapporté l'hebdomadaire Jeune Afrique, « la Libye voulait, à travers le projet de déclaration finale qu'elle a soumis, amener les Etats africains à s'unir dans le cadre d'une fédération, un Etat unique et seul détenteur de la souveraineté, et donc unique représentant de l'Afrique sur la scène internationale au lieu des cinquante trois voix dont l'harmonie reste difficile et rare »46(*). Ce projet libyen, se caractérisait par l'institution d'un gouvernement unique avec un pouvoir réel de décision et de gestion des affaires de la fédération, et d'autres organes comme la Banque Africaine de Développement et le Fonds Monétaire Africain dont les pouvoirs sont aussi plus conformes à la pratique dans les fédérations d'Etats. C'est ce projet, qui a été écarté pour une structure ou les Etats restent ce qu'ils sont, c'est-à-dire les seuls sujets du droit international, avec une souveraineté qu'ils ne veulent point céder, ce qui aurait été le cas dans le cadre d'une fédération des Etats-Unis d'Afrique. Alors même que cette souveraineté reste théorique pour la plupart de ces Etats, étant donné les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans le « village planétaire »47(*).
* 43 Voir Jeune Afrique l'intelligent, n°2060 du 4 au 10 juillet 2000.p.26 * 44Albert Bourgi, « l'Union Africaine, un rêve difficile à réaliser »in Jeune Afrique, n°2070 du 11 au 17 Juillet 2002, P 26. * 45 Déclaration de Syrte, 4e session extraordinaire de Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'OUA, 8-9 septembre, 1999. * 46 S.GHARDI « Les Etats-Unis d'Afrique : faut-il y croire »in Jeune Afrique, n°2019 du 21-27 septembre 1999, p.14-18 * 47 Expression utilisée par Paul Valéry pour désigner le monde globalisé |
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