3. Santé, planification, justices
sociale et spatiale
L'objectif de toute planification sanitaire ou politique
d'allocation des ressources, est l'adéquation des ressources aux besoins
des populations. Or ces besoins sont souvent réduits à la simple
demande des usagers, qui agit sur l'offre en termes quantitatifs et de
localisation spatiale. D'où la difficulté des principes et des
outils d'intervention adaptés pour corriger l'inégale
répartition des ressources sanitaires. Cependant les lieux
intègrent différentes représentations possédant une
valeur fonctionnelle, économique, sociale, culturelle... De cette valeur
attachée à l'espace ou au territoire va dépendre la
localisation de l'offre de soins, et par conséquent, son
accessibilité et son recours. Au niveau local, la valeur de l'espace va
guider « les choix, les plans, les stratégies, le niveau
d'encadrement sanitaire, la couverture médicale et hospitalière.
» (PICHERAL, 1998)
Cette structuration de l'espace détermine la valeur
sociale des lieux., et au-delà leur valeur marchande puisqu'il est
reconnu que certains critères socioéconomiques
(solvabilité, niveau de revenu...) constituent des facteurs de
localisation des professionnels de santé. Auquel cas, on ne peut plus
raisonner en terme de justice spatiale. La géographie de l'offre de
soins met alors en cause la justice (ou l'injustice) sociale du système
de santé.
Ce dernier a pour but « de prévenir et de soigner
des maladies et d'améliorer l'état de santé des patients
qu'il traite : en d'autres termes, il s'agit de produire de la santé.
» Ce qui revient à produire des soins. Or les critères
d'équité pour les soins définissent d'une certaine
façon les moyens mis en oeuvre en pratique pour obtenir un
résultat conforme à ce concept d'équité.
Les localisations des professionnels de santé
génèrent donc des injustices sociales et spatiales puisqu'elles
sont définies sur la base de critères non arbitraires et
inégalitaires donnant une valeur à l'espace qui n'est pas
réelle ou du moins ne faisant pas acte des critères
d'équité. En conséquence, cette "
ségrégation " tout d'abord spatiale, puis sociale, est
créatrice d'inégalités d'accès aux soins, induisant
des inégalités de traitements.
Afin d'évaluer et de corriger ces
inégalités, les mesures des disparités
géographiques sont standardisées de manière à tenir
compte des besoins de la population.. En outre, les critères
d'allocation de ressources tendent à intégrer, outre la taille de
la population, des indicateurs de besoins tels que l'âge, la
mortalité ou la morbidité. Néanmoins, même si elle
est répartie en tenant compte des besoins, la localisation de l'offre
n'est pas suffisante pour assurer une égalité de traitement au
sens de l'équité pour des besoins identiques.
H. PICHERAL (PICHERAL, 1996) estime que la planification
sanitaire est « le processus d'identification des besoins de santé
des populations, de détermination d'objectifs prioritaires, de
prévisions des moyens à mettre en oeuvre. » Cette
définition suppose qu'il est nécessaire de disposer d'une «
assise spatiale » dans lequel s'inscrit un « souci de plus grande
justice sociale ».
En terme de méthodologie, la planification suit trois
étapes (cette méthodologie est suivie par le projet URCAM) :
Ø la recherche d'un consensus sur les finalités
du projet ou de l'étude,
Ø la définition des objectifs prioritaires ou
spécifiques afin de cibler au mieux les interventions,
Ø la détermination et la mise en place des
moyens et des outils d'intervention.
Toutefois, il est important de dégager les perspectives
dans lesquelles s'inscrit la planification sanitaire ; définir la nature
des problèmes posés et l'approche considérée de ces
derniers : humaine ou organisationnelle ?
Dans le cas d'une approche humaine, les besoins de la
population constituent l'épicentre de la logique d'intervention. Ces
besoins sont identifiés par des critères
démographiques (sexe, âge, espérance de vie...),
géographiques (distance d'accès, transports,
topologie...), sociologiques (CSP, niveau et genre de vie,
chômage, précarité...) et
épidémiologiques (morbidité et
mortalité).
Dans une perspective organisationnelle,
l'aménagement de l'espace, l'organisation des
équipements, des services et des professionnels de
santé, est l'axe principal de la démarche planificatrice,
reléguant au second plan la population qui peut alors devenir une
contrainte. (NOGUES & AZEMA, 1996)
Il y a peu de temps encore tout projet de planification
sanitaire reposait sur un découpage de l'espace en secteurs sanitaires.
Or ceux-ci ne prennent en compte ni les mouvements de populations, ni les
spécificités ou les comportements locaux. De plus, ces
démarches ne s'inscrivaient pas dans le temps, en ignorant toute
évolution potentielle dans une dimension spatio-temporelle. Enfin,
l'organisation spatiale de l'offre n'était soumise à aucune
logique d'implantation et de localisation, ce qui provoquait une
inadéquation totale entre l'offre et les usagers. Car, comme le fait
remarquer E. VIGNERON, « l'offre sanitaire étant donnée,
chacun est libre d'aller où il veut ! » (VIGNERON, 1996).
Par conséquent, l'espace médical ne recouvre pas
entièrement l'espace sanitaire. La démarche planificatrice doit
donc être réalisée en faveur des espaces non couverts,
voire marginaux ; cette non-couverture ou marginalité étant
créatrice d'inégalités. De ce fait, le système de
santé peut se prévaloir d'être un « facteur correcteur
des inégalités sociales et spatiales. » (PICHERAL, 1997)
Il est également nécessaire dans ce contexte
d'intégrer les déterminants comportementaux des professionnels de
santé et des patients. C'est à dire tenter de définir au
mieux les besoins des uns et des autres.
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