Troisième Partie
De la planification à l'aménagement
de l'espace sanitaire
« Un médecin, un juge ou un homme d'Etat peuvent
avoir dans la tête beaucoup de belles règles, de pathologies, de
jurisprudence ou de politique à un degré capable de les rendre de
savants professeurs en ces matières et pourtant se tromper facilement
dans l'application de ces règles, soit parce qu'ils manquent de jugement
naturel, sans manquer cependant d'entendement et que, s'ils voient bien le
général in abstracto, ils sont incapables de distinguer
si un cas y est contenu in concreto, soit parce qu'ils n'ont pas
été assez exercés à ce jugement par des exemples et
des affaires réelles. » E. KANT, " Critique de la Raison Pure ",
1781.
Chapitre I : LA SANTÉ,
ENJEU D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Selon M. NOGUES et B. AZEMA, « la planification dans son
sens général vise à promouvoir sous un précepte
d'équité, les biens et les ressources ; elle suppose un
encadrement qui peut être autoritaire, empirique, normatif, pragmatique
ou seulement incitatif. » Elle se doit donc de définir dans un
contexte prospectif « les marques d'une configuration de l'espace-temps
», à partir du développement et d'une volonté
d'organisation et d'aménagement.
Toutefois, cette attitude est soumise à une
concertation entre les différentes forces et secteurs
socioprofessionnels concernés. La planification actuelle est
indissociable de la régionalisation en s'appuyant sur les lois et
ordonnances prônant décentralisation et déconcentration, et
la mise en place des contrats de plan Etats-Régions. Or il
apparaît bien souvent que la concertation évoquée
précédemment repose avant tout sur les moyens financiers
alloués, modifiant la planification sanitaire en planification des
ressources. Cette planification s'exprime en tant qu'outil « posant les
conditions d'un véritable contrat social dans un système
d'économie mixte où coexistent actions publiques et
privées » ; mais outil soumis également aux rapports
conflictuels des forces sociales et/ou économiques.
De manière générale, il est courant
d'évoquer la notion d'aménagement du territoire en lieu et place
de la planification sanitaire ; concept plus abordable mais aussi plus
généraliste qui définit mal la spécificité
des actions réalisées. De plus, l'aménagement du
territoire peut avoir des objectifs différents de ceux de la
planification sanitaire quitte parfois à les associer afin de mieux
distribuer les activités, les acteurs et les populations sur le
territoire, pour réduire les disparités et améliorer sa
performance globale ou celle de certains lieux. L'aménagement du
territoire possède d'autres définitions, reprises dans les
ouvrages " Les spécificités démographiques des
régions et l'aménagement du territoire " (DUMONT, 1996) et "
L'aménagement du territoire français " (alii, sous la
direction de G. WACKERMANN, 1996).
En outre, la planification se veut être un acte
législatif d'orientation, tandis que l'aménagement du territoire
est, dans son sens premier, l'acte matériel entrepris dans la
réalité, traduisant cette décision. Ceci explique bien
souvent l'incohérence ou l'inadéquation de l'une à
l'autre, tant elles peuvent être de nature et de volonté
différente.
L'objectif de la planification sanitaire est la
répartition équitable des services de santé sur le
territoire. Celui de l'aménagement de l'espace sanitaire est
d'intervenir sur l'organisation du système de soins, afin de rendre
l'offre de soins accessible à tous en réduisant autant que faire
se peut les inégalités et les disparités
géographiques de santé, sachant qu'il est utopique de vouloir
atteindre un objectif de totale équité, car ce concept
d'équité ne dépend pas uniquement du système de
soins ou de sa gestion, mais également des usagers, des professionnels
de santé et des caractéristiques démographiques et
épidémiologiques des populations locales, si différentes
entre elles.
La densité des professionnels de santé est un
élément primordial du système de soins, mais n'est pas le
seul facteur influençant l'état de santé : la
disponibilité de l'offre de soins ne signifie pas accès effectif
aux soins, ni efficience de cet accès.
Outre une intervention sur l'aspect matériel du
système de soins (structure, équipement, localisation...), la
planification sanitaire, mais aussi la prévention et l'éducation
sanitaire, notamment en rapport avec les comportements et la perception du
système de soins, font aussi partie des actions publiques de
planification sanitaire. Or ces actions nécessitent de disposer de
structures et de personnels à répartir sur le territoire dans cet
esprit d'équité : il s'agit d'aménager le territoire.
L'aménagement de l'espace sanitaire doit donc conjuguer
politique de santé publique (prévention et éducation
sanitaire vis-à-vis du système de soins et des principaux
problèmes de santé) et allocations régionales de
ressources afin de maîtriser les dépenses et les orienter le plus
efficacement possible.
Mais il est nécessaire de sortir d'un contexte
d'expertise financière et technocratique qui ne se soucie pas des
spécificités locales. De fait, déterminer un cadre
d'intervention à échelle plus fine qui éliminerait les
déséquilibres de l'espace et de l'environnement
socio-économique, comme les bassins de santé (TONNELLIER et
VIGNERON), les bassins d'emploi, les ZAU...
Il faut replacer les questions de santé dans le cadre
de l'aménagement du territoire. Car la santé constitue un enjeu
d'aménagement du territoire particulièrement sensible. La
question de l'égalité d'accès aux soins en tout point du
territoire occupe une place important dans l'élaboration des SROS et
dans les débats sur la loi d'orientation de « la politique
d'aménagement et de développement du territoire » du 04
février 1995. (DUMONT, 1996)
Ceci est une exigence démocratique auquel doit
répondre directement l'aménagement du territoire.
Néanmoins, à l'heure actuelle, nombre de contraintes techniques
et financières empêche toute réalisation dans ce sens. Car
« il existe pourtant des solutions réalistes, soutient M. AMIEL de
la DATAR, des moyens qui permettent de dépasser le noeud des
contradictions et d'oppositions qui constitue cette épineuse question de
l'égalité d'accès aux soins. » (AMIEL, 1995)
La question est particulièrement vive lorsqu'il s'agit
de territoires à faible densité démographique, à
dominante rurale, dépourvues d'agglomérations importantes ou
polarisantes. Car l'absence ou la présence d'un réseau
suffisamment denses de services de soins, représente un facteur
d'attraction ou de répulsion des territoire, un atout ou un handicap
pour le développement local.
Les préoccupations sont duales : d'ordre sanitaire,
qualité et proximité de l'offre de soins ; d'ordre
économique, la structure de soins qu'est l'hôpital ou la clinique,
privé ou public, est un acteur économique déterminant,
bien souvent le premier employeur, la première entreprise de moyennes et
de grandes agglomérations, d'un bassin de vie ou d'emploi, un des "
poumons " de l'activité économique locale ; mais également
un élément indispensable d'organisation, de structuration du
territoire environnant, qui renforce l'aire d'attraction d'une ville ou d'une
agglomération. Ce dernier point explique la vigueur de certaines
réactions quant aux projets de restructurations hospitalières
proposés ces dernières années. Dans ce cas, le rôle
indispensable de l'aménagement de l'espace sanitaire devrait être
de maintenir un réseau de proximité, afin d'éviter toutes
formes d'exclusion ou d'enclavement. Cependant, il faut se méfier d'une
égalité territoriale à tout prix qui recouvrirait une
inégalité sociale bien réelle ; seuls les plus
démunis recourent à l'établissement de proximité
(Carte 15 p. 91). Il est impensable de maintenir des unités
obsolètes voire dangereuses car vétustes et insalubres.
L'aménagement du territoire se doit donc d'éviter tout
immobilisme.
En outre, subsiste un second problème structurel
inhérent au système de santé français, la
maîtrise des dépenses de santé, question épineuse
dans le contexte de la société actuelle en termes
économiques et de cohésion sociale d'autant que les pouvoirs
publics ont tendance à négliger certaines réalités
démographiques tel le vieillissement de la population. L'offre de soins
a besoin d'une plus grande rationalité. Dans ce contexte, s'inscrivent
les récentes restructurations hospitalières
générant tant de débats, qu'il s'agisse de la fermeture de
certains services de chirurgie ou d'obstétrique dans lesquels le nombre
d'interventions est jugé insuffisant pour garantir l'expérience
des équipes médicales et attirer les praticiens les plus
performants, qu'il soit libéraux ou hospitaliers.
Nonobstant ces considérations, les opérations
menées actuellement ne paraissent pas toujours prendre suffisamment en
compte les préoccupations sanitaires et économiques des
populations ou des professionnels de santé, non plus que les
préoccupations d'aménagement évoquées
précédemment. Car, comme le confirme M. AMIEL, « il existe
des solutions réalistes, des moyens concrets pour valoriser les sites de
proximité dans de bonnes conditions de coût et
d'efficacité, et résoudre ainsi - au moins en partie - le conflit
entre demande de qualité et de proximité d'un côté,
contraintes techniques et financières d'autre part. » (AMIEL,
1995)
Il est tout à fait possible de développer des
solutions techniques préexistantes, amplifier un mouvement en cours
tendant, par exemple, à :
Ø instituer de nouvelles formes de présence et
de nouvelles formes de production du service de soins, grâce aux postes
de consultations avancés, à la chirurgie ambulatoire ou à
la télémédecine ;
Ø assurer des services nouveaux, en particulier
l'hébergement en court séjour de proximité en lits de
moyen et long séjour pour les soins de suite, les réadaptations
et les personnes âgées, qui font défaut en bien des endroit
en Aquitaine (Landes, Dordogne, Lot-et-Garonne), ce qui est un des objectifs
des reconversions de lits.
De plus, il est également dans le domaine du possible
de développer les coopérations entre établissements, ce
qui a déjà débuté en Aquitaine dans le cas des
pôles hospitaliers de Mont-de-Marsan et Dax :
Ø horizontalement afin d'accroître la
complémentarité entre établissements voisins (par exemple
dans le cas de la chirurgie ambulatoire) pour mettre ainsi fin aux concurrences
stériles ;
Ø verticalement dans le but de mettre en place des
postes de consultations avancés ou la
télémédecine.
Ce point implique la mise en réseau des
établissements voulue par la circulaire du 3 juin 1993 « relative
à l'adaptation de l'offre de soins hospitalière en
cohérence avec une politique équilibrée
d'aménagement du territoire. » Cette circulaire n'eut pas
immédiatement les échos opérationnels attendus, puisque
aujourd'hui encore cette volonté tarde à se réaliser
concrètement.
Toutefois, ceci implique également de prendre
clairement conscience de la responsabilité territoriale de
l'hôpital, d'accorder une attention particulière aux
établissements de proximité à la limite des seuils
techniques nationaux de fonctionnement (trois cents accouchements par an au
minimum pour le maintien d'une maternité), dont la pertinence n'a pas
été prouvée. Ces seuils, souvent théoriques,
devraient être appliqués en tenant compte de ces
spécificités locales évoquées
précédemment, notamment dans les zones de faible densité,
rurales ou de montagne où, de surcroît, les distances-temps entre
le patient et la structure de soins peuvent être importantes et poser
également des problèmes de sécurité sanitaire.
Il est enfin indispensable de prendre en compte le "
gigantisme " (AMIEL, 1995) de certains établissements type CHR ou CHU,
dont on est droit de se demander si leur croissance ne se fait pas au
détriment des pôles hospitaliers de l'arrière-pays. En
cela, le SROS Aquitaine, deuxième génération, prend
parfaitement en considération ce phénomène.
Cependant, au-delà de l'intervention
opérationnelle destinée à une égalité des
moyens, il paraît plus ambitieux, mais aussi plus réaliste, voire
pour certains peut-être plus inaccessible, de tendre vers un
rapprochement des niveaux de santé des populations au moins à un
niveau infrarégional. Si le système de soins agit sur
l'état de santé à la fois par sa dimension curative et par
sa dimension préventive, de nombreux autres déterminants
interviennent en amont.
Or les enveloppes constituées par les allocations
régionales de ressources ont pour but de financer l'offre de soins. Il
est dans ce cas impératif de faire en sorte que ces allocations
contribue directement à atteindre l'objectif recherché.
Toutefois, on ne peut affirmer que le rapprochement des enveloppes moyennes est
un facteur d'homogénéisation des états de santé.
En effet, d'une part, dans un système de soins
satisfaisant en terme d'offre au plan national, un niveau d'offre
inférieur à un ratio national (la densité moyenne
nationale par exemple) n'est pas pour autant synonyme d'insuffisances ou
d'immobilisme, que des financements supplémentaires permettraient de
corriger. D'autre part, un dispositif d'allocation très
différenciée au niveau régional, telle que la gestion
actuelle des enveloppes et leur déclinaison, ne donne en aucun cas de
gage que ces sommes supplémentaires allouées soient parfaitement
ciblées sur des problèmes ou sur des populations qui sont
effectivement à la source d'inégalités régionales.
De fait, ces inégalités régionales recouvrent bien souvent
des inégalités infrarégionales bien plus importantes qui
tiennent tout autant compte des spécificités locales que de la
gestion du système de soins.
L'harmonisation et la maîtrise des dépenses,
définies par le SROS 1999 - 2004 et le Plan régional de
l'assurance maladie 2000 - 2002, ne peuvent donc à elles seules
contribuer de facto à l'harmonisation des états de
santé. Il est nécessaire qu'elles soient associées
à une politique volontariste régionale ayant le même
objectif et gérant les enveloppes au profit des zones les plus
défavorisées ou, a contrario, en restreignant le budget
alloué aux zones surdotées.
Ainsi, si le principe de justice recherché est celui de
la réduction des inégalités des citoyens devant la maladie
ou la mort, la répartition régionale des enveloppes de
médecine ambulatoire ou hospitalière n'est certainement pas en
mesure d'assurer seule la réalisation de cet objectif de planification
sanitaire, du fait de l'absence de liens étroits entre état de
santé, offre et accès de soins. En cela, les axes de
développement en matière d'aménagement de l'espace
sanitaire sont les parfaits usages opérationnels.
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