Donnons, dans un premier temps, ce qui nous semble être
la définition traditionnelle du metteur en scène : Une personne
qui est chargée de la conception intégrale du spectacle, garant
de l'unité artistique. Cette définition mériterait, bien
entendu, d'être complétée pour être exhaustive. Notre
propos n'est pas là. Nous souhaitons, ici, donner les grandes lignes du
travail du « metteur en scène classique » et les comparer au
travail du metteur en scène utilisant le levier réseau sur sa
scène. Néanmoins nous compléterons notre définition
du metteur en scène par celle donnée par le nouveau petit
Larousse grand format en couleur : « Personne qui, pendant les
répétitions d'une pièce, règle les mouvements de
chacun des acteurs, la disposition des décors, etc. »
Les moyens ou les disciplines qu'il a à sa disposition et
avec lesquelles il travaille sont :
- La scène (espace vide, en attente).
- Les comédiens (leur corps, leur voix, leurs
sensibilités, leurs capacités à être présent
sur une scène et à exprimer idées et émotions).
- La scénographie.
- L'éclairage.
- La musique (bande son, musiciens présent en « live
»).
Voyons à présent, au regard de l'utilisation de
l'outil (du levier) réseau sur la scène l'élargissement de
la définition du concept de « metteur en scène ».
Jusqu'à maintenant l'utilisation d'écrans
restait la plus part du temps dans les limites propres de la
scénographie. La substitution de caméras à l'oeil physique
du public entraîne, forcément, la transformation de la
définition du public ou de ses rôles devant le spectacle. Dans ce
cas-là (spectacle en réseau), l'écran (l'ordinateur)
devient la scène pour les spectateurs (Internautes),
mais pour les acteurs, c'est un changement plus complexe qui s'opère.
Pour eux, la scène reste le plateau au départ et devient un
écran à l'arrivée.
Mais où donc le metteur en scène, afin de penser
sa mise en scène, peut il situer le public ?
- Dans un « ailleurs » de la salle de
théâtre.
- Dans un « ailleurs » du face à face public /
plateau réel.
Ces deux points restaient le caractère essentiel de la
définition d'une réalisation d'un programme de
télévision123.
Jusqu'à maintenant on comprenait que «
réalisateur » et « metteur en scène »
étaient deux métiers clairement différenciés
notamment par l'absence / présence, mais aussi par la différence
temps / espace. Hors, c'est justement une des composantes de l'utilisation du
« levier réseau » sur une scène de spectacle :
l'ailleurs, dans un autre temps (hors lieu, hors temps) mais aussi le visible /
invisible. Les frontières « metteur en scène » / «
réalisateur » s'effritent et donnent, par l'utilisation du
réseau sur la scène ou par la conception de spectacles
exclusivement conçus pour le réseau, naissance à une autre
dimension du travail de metteur en scène : la conscience et le travail
d'un à côté de la scène, d'un ailleurs de la
scène,
existant conjointement à la réalité
scénique.
123 Pour les émissions de télévision
filmées en direct et en public il n'y a face à face public /
plateau qu'avec une partie du public alors qu'au théâtre la
totalité du public assiste à ce face à face.
Conclusion de la deuxième
partie
Vers une mise en abîme de « l'ailleurs »
?
Pour Lepage ou e-toile, un désir majeur semble motiver
la création : représenter l'irreprésentable, rendre
visible l'invisible. Il est certain que pour chacun, avec ses outils et sa
sensibilité, « représenter c'est rendre présent
l'absent »124 et de rendre présent le présent
autrement. Ce désir d'accéder à cet « autre
côté de la scène », cet « ailleurs que le visible
» passe chez eux par l'utilisation de technologies. Cette utilisation ne
prime pas, nous l'avons vu, sur le sens et la poésie du spectacle. Dans
le cas de l'utilisation du levier vidéo sur le plateau la
présence de la « scène écran vidéo » ou
projection vidéo vient s'imbriquer avec des caractéristiques
spatio- temporelles (autre temps, autre lieu) dans le temps scénique de
la représentation. Le levier technologique en action sur la scène
vient bousculer l'espace temps scénique. Qu'il s'agisse de vidéo
ou du levier réseau, bien plus qu'avec tout autre levier, «
l'ailleurs » en présence (révélé) sur la
scène change de statut. Weissberg parle de « présence
à distance »125 . C'est là, peut-être, que
se cristallise la force et l'intérêt du «
théâtre d'image » aujourd'hui. Nous avons vu
précédemment que nous parlons, dans le cadre de l'utilisation
d'Internet, d'un acteur physiquement « ailleurs » que devant nos yeux
de spectateur-net, d'une scène intangible et pourtant là,
présente, à distance. Wiener, le cybernéticien, parlait
dans son livre Cybernétique et société du «
doublage informationnel d'un corps pour le télé-déplacer
(... )». Une anecdote de Wiener est, à ce titre, éclairante,
celle de la première expérience de réalité
virtuelle qui a été réalisée par la N.A.S.A
à la fin des années 70. Dans cette expérience, nous sommes
plus précisément dans la télé-robotique spatiale.
Les mouvements d'un opérateur au sol étaient
exécutés par son exo-squelette dans l'espace. Dans ce projet, on
note que la simulation interactive et le déplacement informationnel
étaient déjà très liés l'un à
l'autre, ils étaient interdépendants. La proposition de Wiener
nous laisse encore dans une vision réaliste. Aujourd'hui, la «
virtualisation » ne reproduit pas forcément à l'identique,
mais invente de nouveaux mondes, pour lesquels les codes de la
représentation sont redéfinis. L'emploi sur la scène de
tels outils ouvre sur cette dernière des « pans de
réalités » dont la force, le
124 Debray Régis, Vie et mort de l'image, coll.
Folio essais, Gallimard, 1997, p.49.
125 Cf. Weissberg Jean-Louis, Présences à
distance, Edition l'Harmattan, 1999.
trouble et la séduction se situent dans l'absence.
« L'ailleurs » du levier vidéo ou réseau ouvre une
béance de l'ici vers un ailleurs autre que celui du plateau.