Dans cette série de créations, e-toile
se pose la question de l'utilisation de l'outil Internet dans la construction
d'un spectacle présenté sur Internet et face à un public.
Internet comme outil dramaturgique. C'est le levier réseau qui est mis
en question ici. e-toile adapte le questionnement de la
représentation à un nouvel outil, un nouvel espace de
création. C'est bien là que se situe le point aveugle d'Internet,
tel qu'etoile l'utilise. Il est à la fois question d'outil et
d'espace de création. Expliquons-nous plus précisément :
considérer Internet comme un outil, tel que le groupe de recherche et de
création e-toile l'utilise dans ses créations, c'est lui
donner une part importante dans la construction dramaturgique ou
chorégraphique. Du point de vue de l'émission, de la transmission
et de la réception, il fait appel aux spécificités du
réseau web et de l'outil informatique. La page web permet l'utilisation
d'images, de vidéo, de sons, de textes, de liens hypertextes à
partir desquels la lecture de la création proposée se fait
à plusieurs entrées. L'espace de création est cette
page
web, accessible aux internautes, avec lesquels elle
entretient une relation intime, de l'ordre de celle qui relie le lecteur
à son livre. L'internaute est seul devant son écran,
l'équipe de réalisation artistique est seule dans le studio de
réalisation, dans le cas de spectacles conçus exclusivement pour
le web. Dans le cas des Bals, l'équipe technique
(régisseur lumière, son, streaming, réalisateur
vidéo) était à vue, sur le plateau. Les spectateurs dans
le théâtre avaient accès au dispositif technique.
Finalement, pour le spectateur-net, de quoi s'agit-il ? D'une
scène sans en être une, avec des danseurs présents sans
être là, avec des spectateurs ailleurs, les internautes. «
Imaginons une scène à distance, qui (...) s'adresserait à
nous depuis l'ailleurs, un ailleurs physique autant que symbolique
»106 . Dans le cas présent, celui des Bals, le
problème est plus complexe que pour l'expérience
étudiée précédemment. En effet, les Bals
étaient présentés sur une scène réelle, face
à des spectateurs présents ici et maintenant en même temps
que sur Internet. Que se passait-il concrètement ?
Sur la scène de multiples caméras captaient la
chorégraphie en action. Certaines de ces caméras étaient
fixes, d'autres étaient rendues mobiles par un cadreur, certaines
étaient au plafond, d'autres encore dans le fond de scène
filmaient le point de vue inverse de celui du spectateur dans le
théâtre (voir annexes 9G, page XXXVII). Des écrans
disposés sur la scène présentaient aux spectateurs
présents les prises de vues des caméras. Un réalisateur
vidéo faisait un choix parmi elles et envoyait son mixage sur la «
scène-net ». Certains plans choisis par le réalisateur
pouvaient être des gros plans, des vues prises du plafond
(plongées), des parcelles de corps des danseurs, des fondus entre deux
caméras etc... Les spectateurs in-situ et les spectateurs-net avaient
donc deux visions très différentes d'un même spectacle. Il
faut noter, de plus, que le spectateur-web pouvait avoir ponctuellement la
possibilité d'adresser des propositions chorégraphiques qui
étaient transmises aux danseurs. Ces propositions venaient orienter le
développement de la chorégraphie. L'interface de la série
Bals, bien qu `elle ait évolué d'un spectacle à
l'autre, est restée sensiblement la même dans son fonctionnement.
Le spectateur-net avait face à lui, sur son écran d'ordinateur,
une page web dans laquelle une fenêtre vidéo d'environ huit
centimètres sur dix retransmettait la réalisation de
l'opérateur vidéo. Le cyberspectateur avait ainsi accès
à une lecture de l'oeuvre qui par ailleurs était
présentée
106 Cécile Huet, Faust I et II, quel
théâtre, pour quel monde ?, Mémoire de DEA, sous la
direction de Mme Marie-Madeleine Mervant-Roux et M. Jean-François
Peyret, Université Paris III, p. 89.
face à un « public réel », dans le
théâtre. L'Internaute n'avait, bien entendu, pas la
possibilité de « toucher » cette réalité. Il
avait en revanche une autre possibilité. Il était offert aux
Internautes connectés pour le spectacle d'agir directement sur la
chorégraphie qui se déroulait dans le théâtre.
L'interface du spectacle, sur le web, proposait à un Internaute
sélectionné aléatoirement toutes les x minutes parmi ceux
connectés, de choisir un élément proposé par
l'interface (Voir annexes 9 G, page XXXVII). Cet élément, le plus
souvent un mot ou une expression comme « solo » ou « haïku
», était transmis au danseur par des projections
scénographiées (nous l'avons vu en préambule de ce point
sur les Bals). Les danseurs avaient travaillés en amont du
spectacle des développements chorégraphiques qui correspondaient
aux mots ou groupes de mots. Ainsi donc, le web-spectacteur, à partir de
la grammaire et de l'orthographe mise à sa disposition au travers de ces
mots conversait, d'une certaine façon, avec les danseurs qui lui
répondaient par leurs propres formes corporelles
pré-déterminées, sorte d'alphabet corporel. Il s'agissait
donc, de part et d'autre de l'écran de s'écouter et d'avancer
ensemble dans la création. Ce qui intéresse e-toile, ici
plus précisément, c'est le fait qu'un « ailleurs de la
scène », par le truchement du levier réseau, ait des
incidences physiques sur le spectacle, tant actuel que virtuel. Il est
intéressant, de plus, de noter que ces propositions de l'ailleurs
(levier) étaient la résultante d'une vue parcellaire du
spectacle, et de plus, d'une vue filtrée par le regard du
réalisateur. Le choix des Internautes n'était-il pas d'une
certaine manière induit par tous les filtres par lesquels passait le
spectacle avant de lui être offert ? Que penser alors de ces propositions
aux danseurs ? Elles avaient des répercussions sur la scène
réelle mais c'est depuis la scène virtuelle qu'elles
étaient adressées. Sans cesse les scènes
s'entrechoquaient, s'entremêlaient.
Les spectateurs dans le théâtre voyaient donc
sous leurs yeux se développer un spectacle dont les choix de
développement étaient effectués par des « habitants
de l'ailleurs » non présents dans leur temps et leur lieu. Les
spectateurs du théâtre étaient informés par des
projections des mots ou termes choisis par le cyberspectateur. Ces projections
de propositions étaient bien entendues scénographiées et
intégrées au spectacle107 avant d'être
récupérées par les danseurs pour être
dansées. Pour Bal 6, les propositions et « chat » des
internautes étaient
107 Voir annexes 9 D et 9 F, pages XXXIV et XXXVI
« poétisées » et lues par une
comédienne présente sur le plateau108 au fur et
à mesure que les propositions arrivaient sur l'ordinateur face à
elle.
Le levier réseau joue dans ces créations un
vrai et important rôle de pont entre deux réalités. La
scène est, ici de façon évidente, un lieu de l'espace de
communication. C'est du moins l'une des volontés d'e-toile dans
ce type de création.
La (les) scène (s) telle (s) que l' (les) utilise
e-toile dans les Bals comme espace de communication nous ouvre (ent)
un territoire d'investigation large et c'est par les questions soulevées
que nous conclurons ce point de notre travail en élargissant au levier
technologique sur la scène d'e-toile.
La scène, au regard de l'expérience des
Bals, est clairement l'espace de communication entre
l'ailleurs et les spectateurs, la cité. Le théâtre
est un média, comme Internet en est un. Si Internet sonne, avec
évidence, à nos oreilles comme étant un média de
communication, le théâtre en est un aussi. Penser à faire
du théâtre pour Internet ou pour une scène, c'est penser
à transmettre quelque chose, du sens, de l'émotion, etc. Ce peut
être la même chose, mais la façon dont elle est dite est
différente, elle est adaptée au média utilisé. Sur
Internet, la réception est solitaire. L'internaute entretient une
relation intime et active avec l'écran de son ordinateur, dans le sens
où il peut directement agir sur l'écran (selon la création
proposée). Cette page web est une scène à part
entière. Elle est extraite de la scène réelle sur
laquelle les danseurs se trouvent par captation vidéo. Celle-ci n'est
pas une simple retransmission mais le résultat du choix d'un cadrage.
Les danseurs jouent pour cette scène, qu'ils ne voient pas, ils jouent
avec sa spécificité : l'ouverture d'une fenêtre
vidéo dans la page web et sa mise en relation avec cette page.
C'est-à-dire avec l'intimité créée par la «
proximité » de l'internaute face à son écran, avec
les animations de la page, son graphisme, la possibilité
d'interactivité etc. Ils appartiennent à la dramaturgie et sont
les acteurs d'une scène à l'autre.
b) Le mode d'interactivité choisi
108 Voir annexes 9 F, page XXXVI.
Dans la série des Bals, comme pour toutes
leurs créations, e-toile conçoit avec attention
l'interface et le rôle de l'interactivité dans le
développement de son spectacle afin de rendre celle-ci la plus
pertinente. Il est évident pour l'équipe d'etoile que «
(...) l'interface ne peut être imaginée après-coup, elle
constitue l'enjeu même de l'oeuvre, elle devient la clef de l'ensemble du
dispositif dans lequel elle est impliquée »109 .
Pour l'exemple des Bals, si nous reprenons le
schéma sur l'interactivité employé dans l'étude de
Côté noir / Côté blanc,110 nous
pouvons dire que l'interactivité est :
· Réelle, ou plus précisément
semi-réelle : le dispositif se place entre deux personnes
(généralement situées en deux points
géographiquement éloignés, l'une de l'autre) qui
interagissent l'une sur l'autre. Dans le cas des Bals, il est plus
juste de parler de semi-réalité de l'interactivité car
l'interactivité n'a lieu physiquement que dans le sens internaute /
danseur. L'internaute n'agit pas simplement sur un programme, mais par le
programme sur les danseurs. La réciprocité n'a, dans les
Bals, pas lieu bien qu'il soit probable que le développement
chorégraphique influence quelque peu dans ses choix l'internaute qui en
reçoit la vidéo. e-toile a, par ailleurs, mené
des expériences de ce type (Cf. le site d'e-toile :
www.e-toiler.com).
· Fonctionnelles : L'internaute a la possibilité,
en s'appuyant sur le système mis en place par l'équipe
artistique, de manipuler l'oeuvre ou tout au moins de proposer à
l'adresse du vivant (danseurs) de la scène des propositions de
développement.
· Hétéronome : Les lois de
l'interactivité du spectacle sont fixées
précisément par l'équipe d'e-toile bien en amont
du spectacle présenté face au public et aux internautes.
109 Duguet Anne-Marie, Déjouer l'image,
créations électroniques et numériques, coll.
Critiques d'art, Editions Jacqueline Chambon, 2002, p. 116.
110 Cf supra p. 54.
· Hexogène : L'interactivité est au
centre d'un rapport étroit entre les spectateurs-net et les danseurs.
D'une certaine façon le cyber-spectateur entre en interaction avec
l'image et ses composantes en temps réel.
Dans ce point sur l'interactivité, outre le type
d'interactivité en question dans cette série de spectacle, une
question essentielle se dégage : quelle est la place de l'internaute ?
Il est, chez lui, face à un écran d'ordinateur et assiste
à un événement présenté physiquement
ailleurs dans lequel il pourra être amené à intervenir. De
plus, pour les derniers Bals, il aura la possibilité de
commenter son intervention par un système de « chat ». Son
statut n'est plus celui d'un spectateur au sens commun du terme, c'est à
dire « une personne qui est [le] témoin oculaire d'un
événement »111, mais plutôt d'un «
spectacteur »112. Des choix multiples lui sont offerts, nous
l'avons vu, et de ces choix que l'interface lui propose la communauté de
« spectacteurs » va mettre en place, dans un système de
cadavres exquis chorégraphiques, un spectacle dont le pilier
dramaturgique est le levier réseau. Ce système
d'interactivité a, dans la série des Bals, une
répercussion scénique première. Il s'agit du travail
même des danseurs. L'aléatoire des propositions adressées
par les internautes détermine le mode chorégraphique. La danse
d'improvisation est alors apparue à e-toile comme une réponse
appropriée à ce mode d'(inter)actions. Le chorégraphe
Louis Ziegler était alors tout indiqué pour prendre en charge la
direction chorégraphique des Bals. Comment ce mode de travail
chorégraphique a-t-il été mis en place pour
répondre aux propositions des spectateurs-net ? L'interaction
venait-elle bousculer l'espace artistique personnel du danseur ? Enfin,
l'improvisation chorégraphique a-t-elle été une
réponse satisfaisante à l'utilisation du levier réseau
dans les Bals ?
Autant de questions auxquelles nous tâcherons de
répondre pour conclure ce point sur l'interactivité dans les
Bals. En effet, comme dans tous les projets d'e-toile la part
technique et la part artistique sont, comme pour l'interface, nous l'avons vu,
étroitement liées. Première question donc :
111 « Spectateur », in Le nouveau petit Larousse
grand format en couleur, Larousse, Bordas, 1998.
112 Cf Weissberg Jean-Louis, Présences à
distance, Edition l'Harmattan, 1999, pp 57-58.
Comment ce mode de travail chorégraphique a-t-il
été mis en place pour répondre aux propositions des
spectateurs-net ?
Les danseurs ont travaillé, en préparation du
spectacle, sur les mots et expressions qui étaient proposés par
l'interface aux internautes. Ils constituaient ainsi un « alphabet
corporel » qui servit de base à l'élaboration des cadavres
exquis chorégraphiques. A partir de ces éléments
chorégraphiques repérés, ils développaient des
formes artistiques souples qui leur permettaient d'avoir une
réactivité importante aux propositions des spectateurs-net. Il
était, par exemple, une forme appelée, « solo » qui
voyait un danseur seul sur les scènes, réelle et virtuelle,
présenter une forme chorégraphique. Pendant ce temps les autres
danseurs, hors champ de la caméra et dans l'ombre de la scène,
restaient en observation et en attente de la prochaine proposition d'internaute
pour intervenir et venir prolonger, en la faisant évoluer, la
chorégraphie déjà en cours. Après « solo
» donc pouvait, par exemple, être proposé «
répertoire » aux danseurs. Quelques danseurs entraient donc sur
scène et face aux caméras et à partir du solo de l'un
d'entre eux, ils entraînaient la chorégraphie, en
développement, vers un élément de leur répertoire
commun qu'ils avaient mis en place en amont.
La troupe du Grand Leu, de Louis Ziegler, travaille
depuis des années sur le mode de l'improvisation utilisé dans les
Bals. La nouveauté et la difficulté, pour elle, fut de
réagir à des propositions émanant d'un ailleurs de la
scène. La réponse à une absence, ainsi que la conscience
des caméras fut une des importantes parties du travail des danseurs dans
les Bals qui, selon le propre aveux du metteur en scène
Cécile Huet et du chorégraphe, restent encore à creuser
pour aller plus loin dans la conscience de l'image, de son potentiel et de ses
limites. Louis Ziegler nous dit à propos de cette expérience dans
un entretien de juillet 2003 réalisé par nos soins : « Cela
ouvre des possibilités extraordinaires : on danse en fixant la
caméra du haut ou en tournant le dos au public. Ce sont de nouveaux
points de repère. On le ressent dans la salle mais aussi sur
l'écran d'ordinateur. Car même si le spectacle perd son aspect
tridimensionnel, l'internaute assiste à un dépaysement complet.
Les danseurs jouent à entrer et sortir de son champ de vision »,
L'interaction venait-elle bousculer l'espace artistique
personnel du danseur ?
Le danseur « pris » dans le développement
d'une forme proposée a besoin de temps pour « entrer » dans la
forme. Lorsque, toutes les x minutes (le temps était défini
aléatoirement par l'ordinateur dans une duré comprise entre une
à trois minutes), une autre proposition était faite, par
l'internaute, le danseur se retrouvait dans le besoin de changer d'état
mental et physique pour répondre à cette autre forme. Son espace
mental (et physique) pouvait se voir bousculé, voire violé, par
cette nouvelle proposition d'un spectateur absent, invisible, qui pouvait
parfois lui sembler omnipotent, omniscient à l'image du Big
Brother d'Orwell113. En effet, le danseur pouvait ne pas avoir
envie d'interrompre son développement chorégraphique pour en
intégrer un autre au moment choisi par le spectateur-net. Le «
spectacteur » pouvait sembler alors, au danseur, être un censeur, ou
lui donner l'impression d'avoir un contrôle trop grand de ses faits et
gestes. e-toile insista beaucoup auprès des danseurs pour
qu'ils trouvent leur liberté d'action dans leur for intérieur. La
contrainte apparente de l'interactivité proposée aux internautes
ne devait pas être un frein à l'expression des danseurs mais un
tremplin à leurs imaginaires. C`est sur cette base que les artistes des
Bals ont travaillés pour intégrer l'interaction du
cyber-spectateur au développement artistique sans que la
sensibilité du danseur soit violemment heurtée par la sensation
d'être manipulé.
L'improvisation chorégraphique a-t-elle été
une réponse satisfaisante à l'utilisation du levier réseau
dans les Bals ?
L'improvisation n'a pas besoin d'une écriture
linéaire. Cela en fait un type d'expression privilégiée
lorsque l'interactivité entre dans la composition d'un spectacle. La
souplesse de jeu, la réactivité permise par l'improvisation en
font une réponse artistique adaptée à l'utilisation de
l'interactivité. Sa faiblesse est peut-être, parfois, le manque de
cohérence et d'unité artistique sur la longueur d'un spectacle.
L'équipe d'e-toile semble rester vigilante à ce que le
spectacle conserve une cohérence artistique qui propose aux spectateurs,
in-situ et sur Internet, un voyage des sens. C'est surtout et logiquement
à la fin de la série des Bals, prévue à
cet effet,
113 George Orwell, 1984, Collection Folio, Gallimard,
2002
que l'artistique, la technique et le concept se
rencontrèrent et formèrent un ensemble cohérent vivant /
technologie, actuel / virtuel.
Il importe, enfin, de souligner l'importance pour le
cyber-spectateur, dans les Bals, de l'interactivité. Pourquoi
ce désir d'interaction dans un projet comme celui-ci ?
Ce désir d'interactivité avec l'oeuvre nous
semble avoir une explication, qui pour le cas de l'utilisation de l'outil
réseau est fort troublante. Nous conclurons ce point sur
l'interactivité par cette réflexion :
Jean Dubuffet, artiste majeur d'après la seconde guerre
mondiale a probablement pressenti l'évolution de notre
société lorsqu'il a dit :
« Il n'y aura plus de regardeur dans ma cité,
plus rien que des acteurs. » Ce à quoi il nous semble possible
de répondre :
« L'art vivant ne s'offrirait plus à la seule
contemplation passive du spectateur mais viserait à déclencher
chez celui-ci une reconnaissance plus viscérale de l'esthétique
propre au corps en mouvement. » 114
On pourrait penser à priori le contraire, que
saturés d'images nous sommes dans une société de
regardeurs, voire de voyeurs, mais passifs, cantonnés derrière un
écran. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, on se range
très vite du côté de la phrase de Dubuffet. Il faut se
sentir vivant : interagir est nécessaire. L'interaction serait l'action
nécessaire qui nous démontre notre existence, le «
prière de toucher » de Marcel Duchamp.«
Prière de toucher » ; n'est-ce pas une réaction
contre les prémisses de la société de fantasmes dans
laquelle nous vivons aujourd'hui ? N'estce pas une réaction à
cette carence de palpable, dans une société de l'intangible, de
l'à-côté?
Nous avons abordé avec l'exemple d'e-toile deux types
d'interactivité, celle qui conduit à une réaction de
l'équipe artistique et une remise en question du déroulement de
l'expérience qui n'est pas prévu à l'avance, d'une part
(Bals), celle qui conduit à la réaction du dispositif
technique lui-même, d'autre part (Côté noir /
Côté blanc), et permet à l'internaute de faire son
propre chemin dans la dramaturgie. Dans un cas comme dans l'autre,
l'interactivité est outil qui transforme la relation de
114 Sally Jane Norman, « Nouvelles scénographies
du regard ou scénographie du nouveau regard » in Debray
Régis (coordonné par), Cahier de médiologie 1, La
querelle du spectacle, Gallimard, 1996, p. 94
l'internaute à la barrière de l'écran. Il
n'est plus passif, il est en attente de ce qui va arriver. Il est actif. Pour
aller où ?