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L'indicible à porté du regard. Les nouvelles technologies: vers un au-delà de la scène ?

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par Yannick Bressan
Université Paris 3, Sorbonne nouvelle - DES 2003
  

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a) Dispositif scénique / web, entrecroisement de scènes. Des planches au pixel : correspondances.

Dans cette série de créations, e-toile se pose la question de l'utilisation de l'outil Internet dans la construction d'un spectacle présenté sur Internet et face à un public. Internet comme outil dramaturgique. C'est le levier réseau qui est mis en question ici. e-toile adapte le questionnement de la représentation à un nouvel outil, un nouvel espace de création. C'est bien là que se situe le point aveugle d'Internet, tel qu'etoile l'utilise. Il est à la fois question d'outil et d'espace de création. Expliquons-nous plus précisément : considérer Internet comme un outil, tel que le groupe de recherche et de création e-toile l'utilise dans ses créations, c'est lui donner une part importante dans la construction dramaturgique ou chorégraphique. Du point de vue de l'émission, de la transmission et de la réception, il fait appel aux spécificités du réseau web et de l'outil informatique. La page web permet l'utilisation d'images, de vidéo, de sons, de textes, de liens hypertextes à partir desquels la lecture de la création proposée se fait à plusieurs entrées. L'espace de création est cette page

web, accessible aux internautes, avec lesquels elle entretient une relation intime, de l'ordre de celle qui relie le lecteur à son livre. L'internaute est seul devant son écran, l'équipe de réalisation artistique est seule dans le studio de réalisation, dans le cas de spectacles conçus exclusivement pour le web. Dans le cas des Bals, l'équipe technique (régisseur lumière, son, streaming, réalisateur vidéo) était à vue, sur le plateau. Les spectateurs dans le théâtre avaient accès au dispositif technique.

Finalement, pour le spectateur-net, de quoi s'agit-il ? D'une scène sans en être une, avec des danseurs présents sans être là, avec des spectateurs ailleurs, les internautes. « Imaginons une scène à distance, qui (...) s'adresserait à nous depuis l'ailleurs, un ailleurs physique autant que symbolique »106 . Dans le cas présent, celui des Bals, le problème est plus complexe que pour l'expérience étudiée précédemment. En effet, les Bals étaient présentés sur une scène réelle, face à des spectateurs présents ici et maintenant en même temps que sur Internet. Que se passait-il concrètement ?

Sur la scène de multiples caméras captaient la chorégraphie en action. Certaines de ces caméras étaient fixes, d'autres étaient rendues mobiles par un cadreur, certaines étaient au plafond, d'autres encore dans le fond de scène filmaient le point de vue inverse de celui du spectateur dans le théâtre (voir annexes 9G, page XXXVII). Des écrans disposés sur la scène présentaient aux spectateurs présents les prises de vues des caméras. Un réalisateur vidéo faisait un choix parmi elles et envoyait son mixage sur la « scène-net ». Certains plans choisis par le réalisateur pouvaient être des gros plans, des vues prises du plafond (plongées), des parcelles de corps des danseurs, des fondus entre deux caméras etc... Les spectateurs in-situ et les spectateurs-net avaient donc deux visions très différentes d'un même spectacle. Il faut noter, de plus, que le spectateur-web pouvait avoir ponctuellement la possibilité d'adresser des propositions chorégraphiques qui étaient transmises aux danseurs. Ces propositions venaient orienter le développement de la chorégraphie. L'interface de la série Bals, bien qu `elle ait évolué d'un spectacle à l'autre, est restée sensiblement la même dans son fonctionnement. Le spectateur-net avait face à lui, sur son écran d'ordinateur, une page web dans laquelle une fenêtre vidéo d'environ huit centimètres sur dix retransmettait la réalisation de l'opérateur vidéo. Le cyberspectateur avait ainsi accès à une lecture de l'oeuvre qui par ailleurs était présentée

106 Cécile Huet, Faust I et II, quel théâtre, pour quel monde ?, Mémoire de DEA, sous la direction de Mme Marie-Madeleine Mervant-Roux et M. Jean-François Peyret, Université Paris III, p. 89.

face à un « public réel », dans le théâtre. L'Internaute n'avait, bien entendu, pas la possibilité de « toucher » cette réalité. Il avait en revanche une autre possibilité. Il était offert aux Internautes connectés pour le spectacle d'agir directement sur la chorégraphie qui se déroulait dans le théâtre. L'interface du spectacle, sur le web, proposait à un Internaute sélectionné aléatoirement toutes les x minutes parmi ceux connectés, de choisir un élément proposé par l'interface (Voir annexes 9 G, page XXXVII). Cet élément, le plus souvent un mot ou une expression comme « solo » ou « haïku », était transmis au danseur par des projections scénographiées (nous l'avons vu en préambule de ce point sur les Bals). Les danseurs avaient travaillés en amont du spectacle des développements chorégraphiques qui correspondaient aux mots ou groupes de mots. Ainsi donc, le web-spectacteur, à partir de la grammaire et de l'orthographe mise à sa disposition au travers de ces mots conversait, d'une certaine façon, avec les danseurs qui lui répondaient par leurs propres formes corporelles pré-déterminées, sorte d'alphabet corporel. Il s'agissait donc, de part et d'autre de l'écran de s'écouter et d'avancer ensemble dans la création. Ce qui intéresse e-toile, ici plus précisément, c'est le fait qu'un « ailleurs de la scène », par le truchement du levier réseau, ait des incidences physiques sur le spectacle, tant actuel que virtuel. Il est intéressant, de plus, de noter que ces propositions de l'ailleurs (levier) étaient la résultante d'une vue parcellaire du spectacle, et de plus, d'une vue filtrée par le regard du réalisateur. Le choix des Internautes n'était-il pas d'une certaine manière induit par tous les filtres par lesquels passait le spectacle avant de lui être offert ? Que penser alors de ces propositions aux danseurs ? Elles avaient des répercussions sur la scène réelle mais c'est depuis la scène virtuelle qu'elles étaient adressées. Sans cesse les scènes s'entrechoquaient, s'entremêlaient.

Les spectateurs dans le théâtre voyaient donc sous leurs yeux se développer un spectacle dont les choix de développement étaient effectués par des « habitants de l'ailleurs » non présents dans leur temps et leur lieu. Les spectateurs du théâtre étaient informés par des projections des mots ou termes choisis par le cyberspectateur. Ces projections de propositions étaient bien entendues scénographiées et intégrées au spectacle107 avant d'être récupérées par les danseurs pour être dansées. Pour Bal 6, les propositions et « chat » des internautes étaient

107 Voir annexes 9 D et 9 F, pages XXXIV et XXXVI

« poétisées » et lues par une comédienne présente sur le plateau108 au fur et à mesure que les propositions arrivaient sur l'ordinateur face à elle.

Le levier réseau joue dans ces créations un vrai et important rôle de pont entre deux réalités. La scène est, ici de façon évidente, un lieu de l'espace de communication. C'est du moins l'une des volontés d'e-toile dans ce type de création.

La (les) scène (s) telle (s) que l' (les) utilise e-toile dans les Bals comme espace de communication nous ouvre (ent) un territoire d'investigation large et c'est par les questions soulevées que nous conclurons ce point de notre travail en élargissant au levier technologique sur la scène d'e-toile.

La scène, au regard de l'expérience des Bals, est clairement l'espace de communication entre l'ailleurs et les spectateurs, la cité. Le théâtre est un média, comme Internet en est un. Si Internet sonne, avec évidence, à nos oreilles comme étant un média de communication, le théâtre en est un aussi. Penser à faire du théâtre pour Internet ou pour une scène, c'est penser à transmettre quelque chose, du sens, de l'émotion, etc. Ce peut être la même chose, mais la façon dont elle est dite est différente, elle est adaptée au média utilisé. Sur Internet, la réception est solitaire. L'internaute entretient une relation intime et active avec l'écran de son ordinateur, dans le sens où il peut directement agir sur l'écran (selon la création proposée). Cette page web est une scène à part entière. Elle est extraite de la scène réelle sur laquelle les danseurs se trouvent par captation vidéo. Celle-ci n'est pas une simple retransmission mais le résultat du choix d'un cadrage. Les danseurs jouent pour cette scène, qu'ils ne voient pas, ils jouent avec sa spécificité : l'ouverture d'une fenêtre vidéo dans la page web et sa mise en relation avec cette page. C'est-à-dire avec l'intimité créée par la « proximité » de l'internaute face à son écran, avec les animations de la page, son graphisme, la possibilité d'interactivité etc. Ils appartiennent à la dramaturgie et sont les acteurs d'une scène à l'autre.

b) Le mode d'interactivité choisi

108 Voir annexes 9 F, page XXXVI.

Dans la série des Bals, comme pour toutes leurs créations, e-toile conçoit avec attention l'interface et le rôle de l'interactivité dans le développement de son spectacle afin de rendre celle-ci la plus pertinente. Il est évident pour l'équipe d'etoile que « (...) l'interface ne peut être imaginée après-coup, elle constitue l'enjeu même de l'oeuvre, elle devient la clef de l'ensemble du dispositif dans lequel elle est impliquée »109 .

Pour l'exemple des Bals, si nous reprenons le schéma sur l'interactivité employé dans l'étude de Côté noir / Côté blanc,110 nous pouvons dire que l'interactivité est :

· Réelle, ou plus précisément semi-réelle : le dispositif se place entre deux personnes (généralement situées en deux points géographiquement éloignés, l'une de l'autre) qui interagissent l'une sur l'autre. Dans le cas des Bals, il est plus juste de parler de semi-réalité de l'interactivité car l'interactivité n'a lieu physiquement que dans le sens internaute / danseur. L'internaute n'agit pas simplement sur un programme, mais par le programme sur les danseurs. La réciprocité n'a, dans les Bals, pas lieu bien qu'il soit probable que le développement chorégraphique influence quelque peu dans ses choix l'internaute qui en reçoit la vidéo. e-toile a, par ailleurs, mené des expériences de ce type (Cf. le site d'e-toile : www.e-toiler.com).

· Fonctionnelles : L'internaute a la possibilité, en s'appuyant sur le système mis en place par l'équipe artistique, de manipuler l'oeuvre ou tout au moins de proposer à l'adresse du vivant (danseurs) de la scène des propositions de développement.

· Hétéronome : Les lois de l'interactivité du spectacle sont fixées précisément par l'équipe d'e-toile bien en amont du spectacle présenté face au public et aux internautes.

109 Duguet Anne-Marie, Déjouer l'image, créations électroniques et numériques, coll. Critiques d'art, Editions Jacqueline Chambon, 2002, p. 116.

110 Cf supra p. 54.


· Hexogène : L'interactivité est au centre d'un rapport étroit entre les spectateurs-net et les danseurs. D'une certaine façon le cyber-spectateur entre en interaction avec l'image et ses composantes en temps réel.

Dans ce point sur l'interactivité, outre le type d'interactivité en question dans cette série de spectacle, une question essentielle se dégage : quelle est la place de l'internaute ? Il est, chez lui, face à un écran d'ordinateur et assiste à un événement présenté physiquement ailleurs dans lequel il pourra être amené à intervenir. De plus, pour les derniers Bals, il aura la possibilité de commenter son intervention par un système de « chat ». Son statut n'est plus celui d'un spectateur au sens commun du terme, c'est à dire « une personne qui est [le] témoin oculaire d'un événement »111, mais plutôt d'un « spectacteur »112. Des choix multiples lui sont offerts, nous l'avons vu, et de ces choix que l'interface lui propose la communauté de « spectacteurs » va mettre en place, dans un système de cadavres exquis chorégraphiques, un spectacle dont le pilier dramaturgique est le levier réseau. Ce système d'interactivité a, dans la série des Bals, une répercussion scénique première. Il s'agit du travail même des danseurs. L'aléatoire des propositions adressées par les internautes détermine le mode chorégraphique. La danse d'improvisation est alors apparue à e-toile comme une réponse appropriée à ce mode d'(inter)actions. Le chorégraphe Louis Ziegler était alors tout indiqué pour prendre en charge la direction chorégraphique des Bals. Comment ce mode de travail chorégraphique a-t-il été mis en place pour répondre aux propositions des spectateurs-net ? L'interaction venait-elle bousculer l'espace artistique personnel du danseur ? Enfin, l'improvisation chorégraphique a-t-elle été une réponse satisfaisante à l'utilisation du levier réseau dans les Bals ?

Autant de questions auxquelles nous tâcherons de répondre pour conclure ce point sur l'interactivité dans les Bals. En effet, comme dans tous les projets d'e-toile la part technique et la part artistique sont, comme pour l'interface, nous l'avons vu, étroitement liées. Première question donc :

111 « Spectateur », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, Larousse, Bordas, 1998.

112 Cf Weissberg Jean-Louis, Présences à distance, Edition l'Harmattan, 1999, pp 57-58.

Comment ce mode de travail chorégraphique a-t-il été mis en place pour répondre aux propositions des spectateurs-net ?

Les danseurs ont travaillé, en préparation du spectacle, sur les mots et expressions qui étaient proposés par l'interface aux internautes. Ils constituaient ainsi un « alphabet corporel » qui servit de base à l'élaboration des cadavres exquis chorégraphiques. A partir de ces éléments chorégraphiques repérés, ils développaient des formes artistiques souples qui leur permettaient d'avoir une réactivité importante aux propositions des spectateurs-net. Il était, par exemple, une forme appelée, « solo » qui voyait un danseur seul sur les scènes, réelle et virtuelle, présenter une forme chorégraphique. Pendant ce temps les autres danseurs, hors champ de la caméra et dans l'ombre de la scène, restaient en observation et en attente de la prochaine proposition d'internaute pour intervenir et venir prolonger, en la faisant évoluer, la chorégraphie déjà en cours. Après « solo » donc pouvait, par exemple, être proposé « répertoire » aux danseurs. Quelques danseurs entraient donc sur scène et face aux caméras et à partir du solo de l'un d'entre eux, ils entraînaient la chorégraphie, en développement, vers un élément de leur répertoire commun qu'ils avaient mis en place en amont.

La troupe du Grand Leu, de Louis Ziegler, travaille depuis des années sur le mode de l'improvisation utilisé dans les Bals. La nouveauté et la difficulté, pour elle, fut de réagir à des propositions émanant d'un ailleurs de la scène. La réponse à une absence, ainsi que la conscience des caméras fut une des importantes parties du travail des danseurs dans les Bals qui, selon le propre aveux du metteur en scène Cécile Huet et du chorégraphe, restent encore à creuser pour aller plus loin dans la conscience de l'image, de son potentiel et de ses limites. Louis Ziegler nous dit à propos de cette expérience dans un entretien de juillet 2003 réalisé par nos soins : « Cela ouvre des possibilités extraordinaires : on danse en fixant la caméra du haut ou en tournant le dos au public. Ce sont de nouveaux points de repère. On le ressent dans la salle mais aussi sur l'écran d'ordinateur. Car même si le spectacle perd son aspect tridimensionnel, l'internaute assiste à un dépaysement complet. Les danseurs jouent à entrer et sortir de son champ de vision »,

L'interaction venait-elle bousculer l'espace artistique personnel du danseur ?

Le danseur « pris » dans le développement d'une forme proposée a besoin de temps pour « entrer » dans la forme. Lorsque, toutes les x minutes (le temps était défini aléatoirement par l'ordinateur dans une duré comprise entre une à trois minutes), une autre proposition était faite, par l'internaute, le danseur se retrouvait dans le besoin de changer d'état mental et physique pour répondre à cette autre forme. Son espace mental (et physique) pouvait se voir bousculé, voire violé, par cette nouvelle proposition d'un spectateur absent, invisible, qui pouvait parfois lui sembler omnipotent, omniscient à l'image du Big Brother d'Orwell113. En effet, le danseur pouvait ne pas avoir envie d'interrompre son développement chorégraphique pour en intégrer un autre au moment choisi par le spectateur-net. Le « spectacteur » pouvait sembler alors, au danseur, être un censeur, ou lui donner l'impression d'avoir un contrôle trop grand de ses faits et gestes. e-toile insista beaucoup auprès des danseurs pour qu'ils trouvent leur liberté d'action dans leur for intérieur. La contrainte apparente de l'interactivité proposée aux internautes ne devait pas être un frein à l'expression des danseurs mais un tremplin à leurs imaginaires. C`est sur cette base que les artistes des Bals ont travaillés pour intégrer l'interaction du cyber-spectateur au développement artistique sans que la sensibilité du danseur soit violemment heurtée par la sensation d'être manipulé.

L'improvisation chorégraphique a-t-elle été une réponse satisfaisante à l'utilisation du levier réseau dans les Bals ?

L'improvisation n'a pas besoin d'une écriture linéaire. Cela en fait un type d'expression privilégiée lorsque l'interactivité entre dans la composition d'un spectacle. La souplesse de jeu, la réactivité permise par l'improvisation en font une réponse artistique adaptée à l'utilisation de l'interactivité. Sa faiblesse est peut-être, parfois, le manque de cohérence et d'unité artistique sur la longueur d'un spectacle. L'équipe d'e-toile semble rester vigilante à ce que le spectacle conserve une cohérence artistique qui propose aux spectateurs, in-situ et sur Internet, un voyage des sens. C'est surtout et logiquement à la fin de la série des Bals, prévue à cet effet,

113 George Orwell, 1984, Collection Folio, Gallimard, 2002

que l'artistique, la technique et le concept se rencontrèrent et formèrent un ensemble cohérent vivant / technologie, actuel / virtuel.

Il importe, enfin, de souligner l'importance pour le cyber-spectateur, dans les Bals, de l'interactivité. Pourquoi ce désir d'interaction dans un projet comme celui-ci ?

Ce désir d'interactivité avec l'oeuvre nous semble avoir une explication, qui pour le cas de l'utilisation de l'outil réseau est fort troublante. Nous conclurons ce point sur l'interactivité par cette réflexion :

Jean Dubuffet, artiste majeur d'après la seconde guerre mondiale a probablement pressenti l'évolution de notre société lorsqu'il a dit :

« Il n'y aura plus de regardeur dans ma cité, plus rien que des acteurs. » Ce à quoi il nous semble possible de répondre :

« L'art vivant ne s'offrirait plus à la seule contemplation passive du spectateur mais viserait à déclencher chez celui-ci une reconnaissance plus viscérale de l'esthétique propre au corps en mouvement. » 114

On pourrait penser à priori le contraire, que saturés d'images nous sommes dans une société de regardeurs, voire de voyeurs, mais passifs, cantonnés derrière un écran. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, on se range très vite du côté de la phrase de Dubuffet. Il faut se sentir vivant : interagir est nécessaire. L'interaction serait l'action nécessaire qui nous démontre notre existence, le « prière de toucher » de Marcel Duchamp.« Prière de toucher » ; n'est-ce pas une réaction contre les prémisses de la société de fantasmes dans laquelle nous vivons aujourd'hui ? N'estce pas une réaction à cette carence de palpable, dans une société de l'intangible, de l'à-côté?

Nous avons abordé avec l'exemple d'e-toile deux types d'interactivité, celle qui conduit à une réaction de l'équipe artistique et une remise en question du déroulement de l'expérience qui n'est pas prévu à l'avance, d'une part (Bals), celle qui conduit à la réaction du dispositif technique lui-même, d'autre part (Côté noir / Côté blanc), et permet à l'internaute de faire son propre chemin dans la dramaturgie. Dans un cas comme dans l'autre, l'interactivité est outil qui transforme la relation de

114 Sally Jane Norman, « Nouvelles scénographies du regard ou scénographie du nouveau regard » in Debray Régis (coordonné par), Cahier de médiologie 1, La querelle du spectacle, Gallimard, 1996, p. 94

l'internaute à la barrière de l'écran. Il n'est plus passif, il est en attente de ce qui va arriver. Il est actif. Pour aller où ?

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille