La communication participative communautaire au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Sébastien Froger Universite Stendhal Grenoble 3 - Institu de la communication et des médias - Master 2 communication scientifique et technique 2005 |
II.2. Pistes de réflexion et axes de recherches pour développer le conceptEn dehors de ces difficultés et limites rencontrées et les débuts de solutions qui s'y rapportent, on peut émettre des pistes de réflexion pour développer et améliorer le concept, pour plus d'efficacité et de pertinence dans la communication participative. a. Evaluation des projets de communication participative La nécessité de mettre en oeuvre des outils d'évaluation en cours de projet pour les expériences elles-mêmes est une idée communément admise, et largement employée. Mais pour ce qui est de l'évaluation des résultats de ces expériences, très peu de recherches ont été menées dans ce domaine. Il existe bien sûr des comptes rendus, des bilans plus ou moins poussés, mais qui restent le plus souvent qualitatifs et faits par les acteurs de développement inclus dans le projet, ce qui pose un problème de subjectivité. Or, si on veut connaître réellement la pertinence de ces méthodes, les points à améliorer, l'influence du milieu sur les stratégies adoptées, les changements induits... Une évaluation rigoureuse à l'aide d'outils adaptés est primordiale. Sans quoi, le retour d'expérience, si important dans ce type de stratégies, ne peut se faire. Et quand bien même cette évaluation serait faite, il faut ensuite pouvoir partager cette expérience, au sein d'un même organisme (ce qui est fait en général), mais aussi entre les différents organismes. D'autant plus dans le contexte de spécialisation des ONG. Il nous semble indispensable, pour progresser dans la manière d'aborder cette communication participative, de se nourrir des pratiques issues du terrain, au risque de répéter sans cesse les mêmes erreurs et de ne pas progresser en laissant de côté des expériences, positives comme négatives. b. Complémentarité et concurrence des médias La communication participative communautaire peut se révéler très efficace, mais les communautés sont rarement coupées du monde. Or, si on reçoit des messages contradictoires de l'extérieur d'autres médias à plus large diffusion, ou même de niveau équivalent, il y a un risque de concurrence. De plus, il existe des médias participatifs au niveau régional ou même national, qui possèdent des avantages certains par rapport à la communication au niveau communautaire, ne serait-ce que d'un point de vue économique. Mais souvent ces niveaux sont pensés séparément, alors qu'une complémentarité entre ces divers médias serait sûrement bénéfique. Les chercheurs dans le domaine le pressentent déjà, mais aucune ou très peu de recherches sont faites sur la complémentarité de ces approches, leur conjugaison, leur synchronisation, etc. On admet que ces actions à différentes échelles sont complémentaires le plus souvent, en particulier dans le domaine de l'éducation à la santé. Mais il s'agit plus d'un postulat que d'un sujet d'étude. Les médias de masse agiraient sur les changements sociaux avec plus ou moins d'efficacité et les outils interpersonnels plus en profondeur au niveau individuel. Mais attention au contexte, car en Afrique de l'Ouest, en milieu rural plus particulièrement, l'accès aux médias est difficile pour de multiples causes. Prenons l'exemple de la région d'Agadez au Niger. Dans leur rapport 36 sur la situation de la communication pour le développement, les agents de développement de la FAO de cette région recensent quelques besoins au regard des nombreuses contraintes dues au milieu. Le rapport mentionne des besoins notamment de modernisation, d'extension et d'accessibilité aux réseaux de télécommunication; l'extension de la couverture TV; la valorisation des langues nationales; la dotation des radios en matériels de production adéquats; la consolidation de la liberté de la presse; une plus grande autonomie à la radio régionale en matière de gestion, de production et de diffusion; la revitalisation de la presse rurale; le renforcement de l'environnement lettré; la création d'unités de production des outils de communication de proximité... On voit bien par l'expression de ces besoins l'ampleur des
besoins en infrastructures, mais 36 FAO, Situation de la communication pour le développement au Niger tome1 [en ligne], FAO, Rome, 2003, p 119 disponible sur : ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/006/Y4957F/Y4957F00.pdf (consulté le 04/08/2205) médias de masse est problématique dans un contexte multilinguistique, avec une population en majorité analphabète qui ne connaît bien souvent que son dialecte local. c. Accès à l'inO1LP D.ioL Si on désire développer ce principe d'autonomisation des communautés pour agir pour leur propre développement, il est impératif qu'elles puissent avoir un accès facile à l'information. Sans sources d'information, on voit mal comment une communauté pourrait se développer en autonomie. Or il suffit de lire les rapports 37 faisant état de la communication pour le développement dans les divers pays d'Afrique de l'Ouest pour se rendre compte de l'ampleur des besoins. Les politiques de développement des pays de la sous région vont dans le sens de l'utilisation des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) pour combler ces lacunes. Mais en dehors des centres urbains, l'accès au réseau Internet par exemple est quasi inexistant. De plus, il nous semble utopiste de miser sur ce genre de technologie qui nécessite de lourds investissements en matériel ainsi qu'en formation. Comme le souligne Annie Chéneau-Loquay : « Comment relier différents points du Sénégal importe plus aux associations rurales que de naviguer à l'international sur la toile. Alors qu'en Afrique l'oralité est privilégiée, Internet fait appel d'abord à une bonne maîtrise de l'écrit ; les commerçants rencontrés à Saint Louis, désireux de connaître et éventuellement d'utiliser Internet, mais largement illettrés, ont bien perçu cet obstacle » 38. Elle affirme également que bien que le développement de ces NTIC permet de désenclaver les pays africains dans certains domaines, tel que celui de la recherche, au niveau de la population en général, on est loin d'avoir les conditions nécessaires pour assurer un accès au plus grand nombre (pour elle le désenclavement par le réseau filaire au niveau rural n'est pas possible car demandant trop d'investissements coûteux et non rentables pour les opérateurs). 39 37 Voir notes de bas de page n° 35 et 36 38 CHENEAU-LOQUAY A., DIOUF P. N., LE RENARD T., Disponibilités et usages des technologies de la communication dans les espaces de l?échange au Sénégal in CH EN EA U-LOQUAY A., Enjeux des technologies de la communication en Afrique : du téléphone à Internet [en ligne], Editions Karthala, 2000, 105 p. disponible sur : http://www.africanti.org/resultats/Livre_enjeux/Annied.pdf (consulté le 05/08/2005) 39 CHENEAU-LOQUAY A., entre leurre et miracle, in CHENEAU-LOQUAY A., Enjeux des technologies de la communication en Afrique : du téléphone à Internet [en ligne], Editions Karthala, 2000, 105 p. disponible sur : http://www.africanti.org/resultats/documents/enjeux.htm#intro (consulté le 05/08/2005) d. Le rôle de facilitateur Les intervenants ou acteurs de développement devant faciliter la démarche participative en utilisant des outils de communication participative ont un rôle très délicat. C'est une fonction clé dans ce genre de démarche. Il est nécessaire que ce «facilitateur» ait un profil et une formation bien adaptés à sa mission. Or, nous avons pu voir à quel point ce rôle était complexe, demandait de multiples compétences et à quel point il pouvait influer sur le déroulement d'un projet. L'expérience montre que la formation de ces agents est le plus souvent insuffisante. De fait, ils sont confrontés à des difficultés pour assurer leur mission. Ils doivent être à la fois compétents dans leur domaine de base, mais aussi connaître parfaitement le milieu où ils auront à intervenir, savoir manipuler les outils de communication traditionnels et populaires, gérer des conflits, faciliter le consensus, planifier, évaluer, écouter etc. s Profil En plus des compétences déjà énumérées précédemment, le praticien doit être crédible aux yeux de la communauté. Pour acquérir cette légitimité, ce facilitateur doit afficher une compétence reconnue dans le domaine où se situe le projet. Par exemple, pour un programme de lutte contre la désertification, on fera plutôt appel à un agent forestier, pour un programme de prévention en IST/SIDA, à un médecin ou autre personnel médical. Ensuite, pour accroître cette légitimité et rendre le dialogue entre les partenaires et la communauté plus facile, il est préférable que les praticiens soient, sinon issus de ces communautés, proches de celles-ci. La connaissance de la langue est indispensable par exemple. De même, il sera plus facile d'accepter l'intervention d'une personne avec la même culture que celle d'un occidental. Ce facilitateur est donc une personne ressource possédant les compétences dans un domaine technique en rapport avec le thème du projet, les compétences nécessaires à la mise en oeuvre de la communication participative. Et il est proche du milieu où il doit intervenir. Ces conditions, bien que nécessaires, sont difficiles à toutes réunir. Beaucoup d'enjeux reposent sur une ou quelques personnes, selon la taille du projet. Néanmoins, on peut accroître les chances de réussite d'une telle entreprise par une formation accrue des praticiens. ? Accentuer et revoir la formation des praticiens Les domaines de compétence auxquels doivent être formés ces «facilitateurs» sont déjà connus, nous les avons déjà évoqués. Ils se rapportent aux diverses étapes de la mise en oeuvre de la communication participative. Cette formation peut s'effectuer de façon non structurée, dans le cadre d'activités organisées par la collectivité (sur le terrain) ou au moyen de cours structurés. Jusqu'à maintenant, ce sont des professionnels de la communication en tant qu'experts en formation qui assurent ces formations structurées aux personnels des ONG ou autres organismes devant intervenir dans une communauté. Une formation est donc dispensée par des formateurs «extérieurs», pour des gens extérieurs à une communauté pour travailler au sein de celle-ci. Si cette formation est nécessaire, il apparaît clairement qu'elle ne prend pas en compte le milieu d'intervention. La communication participative apprend à favoriser les échanges horizontaux, en se servant des médias traditionnels en particulier, alors que les formateurs ne sont pas initiés à ces médias et sont très rarement en contact avec les communautés pour lesquelles ils forment du personnel. Il nous semble important que les communicateurs soient formés aux méthodes indigènes de communication de façon à pouvoir mieux participer aux pratiques de communication de la collectivité. D'une part, il semble pertinent d'utiliser les moyens de communication traditionnels des communautés concernées, car c'est la communication de tous les jours qui nourrit l'identité d'une collectivité. D'autre part, il semble aberrant d'enseigner uniquement des moyens de communication externes à une communauté, alors qu'on parle de communication participative ; ou bien de former à des moyens de communication indigènes sans y avoir été soit même formé. Nous pensons donc que ce serait une erreur de baser les formations sur des méthodes descendantes selon lesquelles le savoir est transmis du maître à l'étudiant, mais plutôt s'accorder avec les principes de la participation, chacun apprenant de l'autre. Ensuite, il existe certaines qualités qu'il n'est pas possible d'acquérir par la formation. Du moins elles nous échappent pour le moment. Certaines personnes semblent posséder des qualités particulières, comme le «charisme» qui font qu'elles peuvent grandement faciliter le processus. e. Interdisciplinarité On a vu que la communication participative appelait un échange de savoirs Or il ne faut pas que les savoirs transmis influent sur le pouvoir de décision de la communauté, pour rester dans cette relation d'échange. On a souvent tendance à négliger la manière de transmettre ces savoirs qui sont pourtant fondamentaux. Il ne s'agit pas seulement de rendre la population actrice en communication participative, mais que chacun apprenne de l'autre pour aller dans le sens du développement ou de l'intérêt commun. L'expérience de l'éducation des adultes possède beaucoup de similitudes avec la communication participative. Pourtant ces deux interdisciplines sont très cloisonnées. Il y aurait tout intérêt à aller vers ces domaines pour apprendre des expériences de chacun, tout comme la communication prône de le faire dans son domaine. Plus généralement, les chercheurs en communication pour le développement auraient tout intérêt à se servir des expériences des autres domaines qui se rapportent de près ou de loin aux activités de communication participative, pour compenser les lacunes du concept. f. Recherches Comme beaucoup d'auteurs spécialistes de la communication participative pour le développement le soulignent, la recherche participative possède de nombreux avantages, dans le domaine du développement en particulier. En effet, l'idée repose sur le principe de la communication participative toujours, mais appliquée au domaine spécifique de la recherche scientifique. En incluant les bénéficiaires potentiels de l'application de la recherche, on espère ainsi éliminer les énormes problèmes rencontrés dans la transition recherche/développement. Si les programmes de recherche sont élaborés à l'aide des futurs bénéficiaires, on espère ainsi d'une part impliquer ces derniers dans la recherche et l'appropriation future de l'innovation, mais surtout adapter les recherches pour le développement aux besoins réels des populations. Reste à savoir si la communication participative peut également être bénéfique dans ce domaine, qui se heurte à beaucoup de résistances, en particulier pour les sciences dites « exactes ». Il faudrait pour cela que les scientifiques en ressentent le besoin, ainsi que les bénéficiaires, ce qui peut passer par le développement de la culture scientifique pour ces derniers. Pour en revenir à la communication participative, les chercheurs du domaine auraient sans doute tout intérêt à s'appliquer leurs préconisations. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait des chercheurs du CRDI (Centre de Recherche pour le Développement International), un institut Canadien, dans un programme de communication pour le développement, afin de témoigner de l'importance des interrelations entre la Communication à la base, l'échange d'Information, l'utilisation à double voie des Médias et l'Education non formelle (CIME) 40, établi en collaboration avec une centaine d'ONG de neuf pays d'Afrique de l'Ouest. 40 Programme détaillé sur le site Internet du CRDI à l'adresse suivante : http://www.crdi.ca/fr/ev-9302-201-1- DO_TOPIC.html (consulté le 02/08/2005). g. Autres pistes On peut noter encore d'autres pistes de recherches issues des recommandations de chercheurs et d'acteurs de développement qui seraient certainement bénéfiques pour faire avancer l'interdiscipline, par exemple :
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