Le Roman français et l' Avenir de la littérature francophone, face au Manifeste pour une littérature Monde( Télécharger le fichier original )par Mame Diarra DIOP Université Paris IV La Sorbonne - Master 1 de Lettres Modernes Appliquées 2007 |
3 Le classement des auteurs francophones en librairiesPour Denis Laborey, responsable à la librairie L'oeil écoute, situé sur le boulevard du Montparnasse, il n'est pas facile de classer les auteurs étrangers ou auteurs francophones. Si le manifeste n'évoque rien dans son esprit, la francophonie renvoie d'abord aux auteurs québécois ou caribéens et Denis Laborey précise que dans sa librairie, il n' y pas de classement séparé entre littérature française et littérature francophone d' autre part. Dans ses rayons, on trouve aussi bien Edouard Glissant que Gisèle Pineau ou Alain Mabanckou à côté d'Erik Orsenna, de Dany Lafferière ou de Lyonel Trouillot, tous considérés comme des auteurs de langue française. « De toute façon, ajoute Denis Laborey, je n'ai pas le choix et ici, c'est surtout une librairie touristique, alors le client doit pouvoir trouver de tout ». A la Fnac60(*) de Montparnasse, dès l'entrée dans le rayon littérature, on distingue deux catégories : Littérature française et Littérature Etrangère. Aucune trace d'un rayon francophone comme à la Fnac de Châtelet-Les Halles. Pourquoi ? Virginie Parmentier, une employée m'explique que dans la Littérature française, on trouve aussi les auteurs antillais. Si auparavant, le classement se faisait par collections, aujourd'hui, il s'agit de bassins linguistiques et la littérature dite francophone se fond très bien dans la littérature française. Cela a d'ailleurs posé problème à une époque. En effet, certains clients se sont plaints car ils ne trouvaient plus la section Antilles auparavant couplée avec l'Afrique et le Maghreb, alors, la Fnac de Montparnasse a du réaménager ses étagères pour séparer les auteurs antillais des auteurs de métropole. Toujours présents dans le rayon Littérature française, ils sont groupés sur une étagère annexe, afin de permettre à tout un chacun de choisir entre Maryse Condé, Patrick Chamoiseau ou l'haïtienne Kettly Mars. D'ailleurs, quand tous les livres étaient mélangés, les ventes de littérature antillaise avaient chuté. Mais comme chacun le sait, le client d'une grande surface culturelle est roi. Pour la littérature d'Afrique Noire, un rayon intitulé Roman Afrique, accueille les auteurs de Continents Noirs61(*) comme la gabonaise Bessora, ou la sénégalaise Ken Bugul, publiée chez Motifs, une section des éditions du Serpents à Plumes. Il y aussi le djiboutien Abdourahman A. Waberi ou le togolais Kangni Alem et même la camerounaise Calixte Beyala, qui s'est plainte de ne pas être classée en Littérature française, car après tout, son dernier livre L'Homme qui m'offrait le ciel62(*), évoque à peine de l'Afrique. De plus, Calixthe Beyala, a reçu le Grand Prix de l'Académie Française pour son roman Les Honneurs Perdus en 1996, ce qui lui vaut un traitement particulier. Alors, la Fnac a décidé de classer ses livres dans les deux rayons, Afrique et Littérature Française pour éviter toute discrimination, explique Hélène Perentidis, une autre employée. Pour elle, le terme francophonie revêt une forte connotation politique et renvoie aux blessures de la décolonisation. Quant à la littérature monde, cette jeune diplômée des Métiers du Livre, pense qu'il n' y a pas une littérature monde tel que l'affirme le manifeste, mais plusieurs littératures mondes. Un terme qu'il aurait fallu mettre au pluriel afin de satisfaire l'ego de tous. Hélène considère également que le débat autour de la francophonie est un faux débat même s'il révèle ce désir des auteurs étrangers, utilisant le français comme langue de travail, d'être acceptés parmi la grande littérature française. En fin de compte, quelle posture, ou quelle identité défendent les auteurs ? Une rencontre organisée entre libraires parisiens et les Fnac sur le thème de la francophonie après la publication du Manifeste, a suscité maintes questions parmi ces acteurs de l'industrie du Livre. La francophonie reste décidément vague, indéfinissable ou à signification multiple pour les uns et les autres. Si Virginie Parmentier se référait aux auteurs québécois et un client aux auteurs étrangers écrivant en français, pour les plus virulents détracteurs de la Francophonie, il s'agit tout bonnement des écrivains originaires des ex-colonies françaises. Le débat n'est pas prêt de s'essouffler... On voit bien que le classement des auteurs étrangers pose des difficultés aux responsables de librairies, mais il sous tend également la question de l'identité d'un auteur. Le commentaire de l'intellectuelle Lilyan Kesteloot63(*), est clair et sans équivoque à ce propos : « Dire, je ne suis pas un romancier africain, quand on écrit sur l'Afrique avec cette facilité, ce naturel, c'est ridicule. Pourquoi cacher ou refuser son identité ? Le premier courage de l'homme, c'est de s'assumer. Après quoi, on peut se tenir debout. Rappelez-vous de Peaux Noires, Masques Blancs...64(*) ». Continuant mon enquête, je me suis rendue chez à la Fnac des Halles où il y a une large section intitulée Roman Francophone et dans laquelle sont classés des auteurs du monde entier. Dans le même espace, il y a les section Roman Afrique et Roman Antilles. Il y a aussi la section Roman Anglophone et les romans de Terroirs. « Voilà un bon compromis linguistique et géopolitique pour satisfaire tout le monde, même si Tahar Ben Jelloun, s'est indigné d'être classé dans le rayon Maghreb plutôt qu'en Littérature Française », explique Erik, responsable de ce rayon, avec humour. Et il ajoute que la francophonie est un fourre-tout. Pour lui, il y a d'abord des auteurs africains et des auteurs antillais. Quant à la littérature monde, la notion reste vague, et la reconnaissance des auteurs francophones reste une affaire complexe. D'un autre côté, on ne peut pas nier à un écrivain sa maîtrise de la langue française. Et pour conclure, Erik estime que, tant qu'une langue émettra de la littérature écrite, elle existera davantage... Or la littérature écrite en langue africaine n'est pas très développée, et seul le sénégalais Boubacar Boris Diop a commis un roman intégralement écrit en wolof et intitulé Doomi Golo65(*). ou l'enfant du singe. J'ai ensuite été à la librairie Le Divan, une filiale du groupe Gallimard, afin de voir comment le manifeste influençait le classement des auteurs en rayons : Sur place, j'ai été un peu déçue de trouver la librairie en remaniement. En effet, faute de place, les romans africains par exemple, étaient cachés au fond d'une pauvre étagère en attente d'être mis en valeur, m'expliqua Louis, l'un des employés. « Et il y aura un rayon Francophonie ! Oui, nous ferons en sorte que cette littérature du Québec, des Antilles et d'Afrique, soit visible ». Et sur d'autres rayons promotionnels, on trouve ensemble des auteurs français, des auteurs africains, des auteurs israéliens ou même arabes, pourvu qu'ils aient eu du succès, à l'instar de Lily La Tigresse de l'israélienne Alona Kimhi ou Lignes de Faille66(*), de la canadienne Nancy Huston, prix Femina 2006... Pour Anne, une autre employée au Divan, la francophonie renvoie d'emblée aux québécois. Et le Maghreb reste une littérature à part. C'est tout récemment que cette jeune libraire a découvert la littérature francophone à travers Les Petits enfants nègres de Vercingétorix d'Alain Mabanckou ou L'hibiscus Pourpre de la Nigériane Chimamanda Ngozie Adichie, pour la littérature anglophone. Anne admet qu'elle méconnaît encore la littérature francophone et que les auteurs sont tout aussi valables que les écrivains hexagonaux du simple fait qu'ils écrivent dans la langue française. Et rejoignant l'avis d' Erik de la Fnac des Halles, Anne estime que la francophonie est une notion ambiguë et fourre tout qui sert à mettre des littératures complètement différentes et originales dans un même sac. Dommage... Enfin, j'ai rendu visite à quelques librairies africaines installées à Paris. Pour cause de fermeture estivale, je n'ai pu recueillir d'avis chez Présence Africaine, installée à la Rue des écoles. Je me suis donc rabattue sur les librairies Anibwe et l' Harmattan toutes aussi célèbres que la doyenne des lettres africaines : Pour Kassi Assemian d'origine ivoirienne et propriétaire d'Anibwe, carrefour d'un public amoureux de lettres plurielles, l'équation est simple : « Il n' y a pas de littérature monde, mais des littératures de pays. Ceux qui se réclament de cette littérature monde, n'assument pas leur africanité, ajoute t-il en citant quelques noms célèbres... Il n'existe pas de littérature tout court mais une littérature italienne, une littérature américaine, une littérature belge ou haïtienne... ». Quant à la francophonie, c' est un faux prétexte pour des auteurs qui n'assument pas d'où ils viennent, juge Kassi Assemian, légèrement énervée par ces « débats stériles » ou ces « nouvelles terminologies », qui dénotent d'un complexe d'infériorité... Chez l'Harmattan, j'ai rencontré Raphaëlle, responsable du magasin et auteur d'un mémoire sur Le Bilinguisme dans le Roman Sénégalais. Dans ses locaux, Raphaëlle affirme qu'un rayon francophonie serait tout simplement impossible à gérer, car il comporterait tellement d'auteurs qu'il serait compliqué pour les clients de s'y retrouver. Alors chez l'Harmattan, on retrouve des rayons multiples et variés. Rien que pour l' Afrique Noire, on fait la distinction entre les écrivains africains d'expression française, lusophone ou anglaise. Pour le Maghreb, on distingue la littérature libanaise de la littérature arabophone classique ou moderne. Il y a même un rayon pour la littérature dite beur ou littérature des auteurs issus de l'immigration, avec des plumes comme Rachid Djaïdani (Viscéral, Mon Nerf et Boumkoeur67(*)), ou Mohamed Razane ( Dit Violent) chez Gallimard...Quant à la littérature monde, Raphaëlle, pense que c'est un terme trop vague et Edouard Glissant s'est déjà exprimé sur cette notion avec le concept de Tout-Monde... Si le terme francophonie ne gêne en rien la jeune libraire, il se réfère juste aux auteurs d'expression française et n'a aucune connotation négative ou coloniale... Il faut aller au-delà d'une telle terminologie pour se consacrer aux textes seuls. De toute façon, ajoute Raphaëlle, la francophonie n'est pas Une mais variée et les auteurs sont d'abord des écrivains avec un univers singulier... Précieux, le témoignage de Marie France Emery, responsable de la section Francophonie à la Bibliothèque François Mitterrand de Paris, m'a un peu plus éclairé sur la question : bibliothécaire avertie et grande lectrice d'ouvrages, puisque chargée de les mettre en valeur, Marie France Emery estime que la francophonie littéraire est très difficile à définir et qu'elle englobe plusieurs choses à la fois. Elle est à double sens : Si d'un côté, elle met en valeur les auteurs, de l'autre, elle les marginalise. Mais il est certain que l'on va vers la fin de la francophonie, sa mort, comme l'a annoncé le manifeste... Alors que faudra t-il dire à l'avenir ? Littérature française d'expression africaine ? Littérature antillaise d'expression française ? Littérature monde ? Marie France Emery confie que certains auteurs de province, qui peinent à se faire un nom à Paris, auraient aimé bénéficier du sceau de la francophonie lors du salon du livre 2006, tandis que d' autres y voyaient un enfermement, une séparation d'avec la littérature franco-française. « Pourtant, ajoute Madame Emery, la littérature francophone est une littérature métissée, qui dit le monde. C'est évident. C'est une littérature qui est beaucoup plus traduite à l'étranger que la littérature franco-française. Alors, il faut reconnaître à ces auteurs francophones, une plume originale et qui a toute sa légitimité dans le champ littéraire de l'hexagone. Si le concept de littérature monde est une belle idée, il vaut mieux dire des littératures mondes. Mais l'un des risques de ce manifeste, c'est encore de créer une autre catégorisation littéraire, alors qu'on cherche justement à sortir des cercles élitistes... Dire, qu'il y a là de la grande littérature et ailleurs, une littérature intimiste ou mineure, consiste à porter un jugement ». Or, un auteur a tout à fait le droit d'exprimer son Moi. D'ailleurs, Marie France Emery, fonctionnaire dans une institution qui compte près de 13 millions de titres, aime lire de tout : aussi bien le japonais Murakami68(*) que le camerounais Gaston Paul Effa69(*) ou l'haïtien, Lyonel Trouillot qui vient de sortir L'amour avant que j'oublie, chez Actes Sud. Pour Alain Mabanckou, signataire du manifeste, des questions se poseront encore : « Verrons-nous bientôt venir ce jour où des écrivains africains cesseront vraiment d'être francophones ?», il est évident que nous nous éloignons du domaine de la création pour emprunter les sentes embourbées de la militance. Être francophone nous empêche-t-il d'être des écrivains ? L'ombre de la France pèserait-elle si fort au point de nous empêcher d'écrire en toute liberté ? N'avons-nous pas encore compris qu'il y a longtemps que la langue française est devenue pour les Français eux-mêmes une langue étrangère, et que l'Académie française n'en a plus le contrôle ? Que dire de l'impertinence, des fugues de langue venant d'un Ahmadou Kourouma, d'un Patrick Chamoiseau, d'un Sony Labou Tansi ou d'un Daniel Biyaoula ? Si, dans le terme «écrivain francophone», l'adjectif « francophone » est de trop pour certains, peut-être faudrait-il déjà commencer par être écrivain tout court ! ». * 60 Chaînes de magasins spécialisées dans la distribution de produits culturels. * 61 Collection Afrique de Gallimard. * 62 Editions Albin Michel, 2006. * 63 Professeur à l'université de Dakar et chercheuse à l' IFAN, Institut fondamental d' Afrique Noire... * 64 Frantz Fanon, Peaux Noires, Masques blancs, Le Seuil, 1952 * 65 Voir bibliographie * 66 Lignes de Failles, Actes Sud, 2006 * 67 Editions du Seuil. * 68 Auteur japonais, La fin des Temps, Le Seuil,1992. * 69 Le cri que tu pousses ne réveillera personne, Continents Noirs, Gallimard, |
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