2 De ces collections
« ghettos » dédiées aux auteurs
étrangers
Pourquoi des collections pour éditer des
auteurs d'origine étrangère qui utilisent la langue
française ? Le flot est-il si important qu'il faut le juguler dans des
collections particulières ? Et quelle est donc la
spécificité de ces collections ? En quoi mettent-elles en
valeur des auteurs étrangers dont la plume est vivace ? Si beaucoup
jugent qu'elles enferment les écrivains et empêchent leurs livres
d'être lus à large échelle, Jean Noël Schifano,
directeur de la collection Continents Noirs de Gallimard,
répond dans un entretien accordé au site Africultures.com :
« En avion, il y a 5473 km entre l'aéroport Charles De
Gaulle et celui de Libreville. J'étais avec Antoine Gallimard. Nous
allions faire des conférences au Gabon. Au milieu du vol, Antoine a
parlé de Tutuola, qui avait été traduit jadis par Queneau.
Et puis, on s'est demandé s'il y avait un grand fleuve africain portant
les livres d'une façon claire. On a parlé du bon travail fait
chez Hatier, L'Harmattan, Le Serpent à Plumes, Actes Sud,
Présence Africaine, voire chez Gallimard, Grasset, Le Seuil, Albin
Michel, qui, de temps en temps, publient un auteur d'Afrique ou de la diaspora.
Mais tout ça était un peu éparpillé. On voyait mal
le puissant courant d'écritures africaines. Nous nous sommes alors dit
que nous allions relever le défi. Et il m'a confié la direction
de la future collection. Nous l'avons donc annoncée à la
conférence de presse de Libreville fin janvier 1999 ; fin janvier
2000, le contrat oral est respecté, avec cinq premiers titres. On ouvre
le siècle avec l'Afrique et ce n'est pas fini. Les éditeurs ont
tous du pain sur la planche. Il va se créer une exigence de
qualité. L'Afrique a au moins tout le siècle pour nous
étonner, parce qu'on aura, avec les écritures africaines,
beaucoup plus de surprises créatrices qu'on n'en a eu avec les
écritures d'Amérique latine »39(*)
Or cette collection Continents Noirs,
créée pour donner une meilleure visibilité à ce que
Jean-Noël Schifano appelle « le puissant courant
d'écritures africaines », comporte des livres tous
similaires à la couverture jaune pâle (et blanche au tout
début), décorés d'une poignée de terre rouge
représentant la latérite et qui se déplace au gré
de l' oeuvre. Et même si l'auteur d'un texte est bon, si son histoire
vaut le détour et qu'en plus, il possède un titre accrocheur
comme Rêve d' Albatros40(*) du togolais Kangni Alem, force est de constater
que très peu, émergent sur la scène littéraire
française, quant aux autres, ils vont se rajouter à la masse des
auteurs inconnus déjà publiés sous cette typographie
particulière. C'est là que Michel Cadence, directeur des
éditions Ndzé intervient et déclare : «
Quelle proportion d'Africains, c'est à dire de femmes ou d'hommes
vivant en Afrique, peut-on trouver chez Continents noirs de
Gallimard ? Chez Ndzé, c'est 80%
des auteurs, et si je poursuis ce travail, ce sera bientôt 90%.
J'édite les laissés-pour-compte de Gallimard, Hachette et autres
Serpents. Et j'en suis fier. Je publie des textes impubliables sur lesquels je
fais travailler les auteurs pendant trois ans ». Bien entendu,
tout le monde ne partage pas cet avis, et certains trouvent leur compte
à être publié chez Continents Noirs en
dépit des mauvaises langues ou des critiques
frustrés : C'est le cas d'Eugène Ebodé, auteur de
La Transmission puis La Divine Colère et
Silikani, une trilogie éditée chez Continents Noirs en
raison des très bons rapports de l'écrivain avec la maison. Ce
qui montre bien que la relation que l'on peut entretenir avec un éditeur
est primordiale, la collection ne fait alors plus cas de discussions et seul
compte le livre, cet objet q'il faut soumettre au lecteur, cet objet qui doit
séduire le lecteur !
* 39
www.africultures.com
* 40 Rêves d' albatros,
Kangni Alem, Continents Noirs, Gallimard.
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