La question des l'universalite des droits de l'homme dans les manuels relatifs aux droits et libertés( Télécharger le fichier original )par Mohamed Hedi SEHILI Université Montpellier 1 - Master recherche Droit constitutionnel et théorie du droit 2007 |
§. 2. L'internationalisation des mécanismes de protection des droits de l'hommeOn s'intéresse dans cette partie à l'étude des affirmations sur la scène internationale des mécanismes de protection des droits de l'homme. Le professeur Frederic Sudre affirme que « La justiciabilité de la règle conditionne l'efficacité de la garantie et de sa sanction. Aucune protection internationale des droits de l'homme ne peut être sérieusement mise en oeuvre si elle ne s'accompagne pas des mécanismes juridictionnels appropriés »99(*). Les mécanismes de contrôle de l'application des traités internationaux en matière de protection des droits de l'Homme ont été développés au sein du système des Nations Unies. Les Etats Parties aux dits traités, ont l'obligation principale de mettre en application les droits fondamentaux prévus par les textes. En identifiant les techniques de protection mises en place dans le cadre de l'O.N.U, on remarque qu'il est difficile d'organiser au niveau international de véritables sanctions juridiques. Les techniques politiques de contrôle et les mécanismes de protection non juridictionnels jouent un rôle plus important. De plus, il est inutile de multiplier au sein des organisations internationales ou régionales les techniques de contrôle, surtout lorsque les sanctions qui sont prévues n'ont qu'un effet relativement modeste. Plusieurs procédures ont été mises en place permettant l'examen de communications interétatiques et de communications individuelles. La procédure qui nous intéresse le plus en l'espèce, est celle applicable aux deux Pactes internationaux de 1966 ; c'est à dire la procédure d'examen sur rapport étatique qui procède de la notion de dialogue entre un ensemble d'experts indépendants provenant de régions et de systèmes juridiques différents et une délégation composée de représentants de l'Etat Partie concerné. Une telle procédure, délibérément non accusatoire, permet à la communauté internationale d'influencer directement sur la rédaction de textes de Lois, de Règlements ou la mise en pratique des normes nationales. Plusieurs normes internationales affirment qu'il incombe aux gouvernements de prévenir et de sanctionner les violations des droits de l'Homme lorsqu'elles sont commises sur leur territoire. Elargir la responsabilité implique non seulement de s'intéresser à ce que font les gouvernements, mais aussi à ce qu'ils ne font pas pour promouvoir les droits de l'Homme et pour prévenir les violations de ces droits. Cet élargissement va expliquer la relativisation du corpus juridique de l'universalité des droits de l'Homme. Parlant du rejet de l'autorité ou la méconnaissance des mécanismes de garantie, certains Etats se sont montrés moins coopératifs et opposés à ces procédures qui n'ont en fait qu'une valeur relative. Beaucoup dépend de la bonne volonté des Etats. Il est, en effet bien rare qu'un Etat, de l'avis Du professeur Gilbert Guillaume, accepte volontairement de voir contester son action dans le domaine des droits de l'homme où qu'il conteste le comportement d'un autre Etat en pareil domaine100(*). Cela se manifeste par la répugnance instinctive ou consciente à l'égard de tout mécanisme supranational de contrôle dont le point de départ est la ratification même des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme101(*). Le professeur Paul Tavernier trouve, en effet, intéressant de s'interroger sur le sort réservé à ces instruments, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans sa longue marche vers l'universalité et de l'avenir qui lui est réservé en se basant sur les études du professeur Jacques Mourgeon. Le constat qui en est fait est que l'avenir du Pacte est incertain à cause de l'indifférence, l'hostilité, le dédain des Etats. En effet, à la fin de la 81e Session du Comité des droits de l'homme qui s'est tenue du 5 au 30 juillet 2004, 153 sont parties au Pacte tandis que 104 seulement sont parties au premier Protocole et 53 au second (sur la peine de mort). L'acceptation par les Etats des obligations découlant du Pacte est donc loin d'atteindre l'universalité car une partie non négligeable de la communauté internationale demeure à l'écart du système conventionnel qui ne peut, dès lors, être considéré comme reflétant l'état du droit coutumier. Même les Etats initiateurs n'échappent pas à l'attitude de réticence. Tel est le cas des Etats Unis qui n'ont toujours pas ratifié les Protocoles se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques, la France dont le Conseil d'Etat n'avait pas suivi les conclusions du commissaire du gouvernement Philippe Martin sur le fait que les principes du droit international correspondaient exactement à ceux du droit interne en matière d'égalité à propos de l'affaire Doukoure 102(*) ; ce qui a contredit la position prise par le Comité des droits de l'homme dans l'affaire Gueye , conséquence d'un nationalisme orgueilleux. Cet état des choses constitue un véritable modèle suivi par les « petits Etats ». Comme l'avait écrit le professeur Paul Tavernier, il s'agit d'un vaste débat, Certes, qui ne sera pas clos de sitôt. Toutefois, dans cette perspective, il peut être intéressant d'observer quelle a été l'attitude des États arabes vis à vis des textes adoptés au sein de l'Organisation des Nations Unies en matière de droits de l'homme. Lors de l'adoption de la Déclaration universelle, la position des six États arabes membres à l'époque des Nations Unies révélait une certaine diversité: quatre voix en faveur (Égypte, Irak, Liban et Syrie), une opposition (Arabie Saoudite) et une absence au vote (Yémen). Ces positions doivent être appréciées par rapport au contexte de l'époque. Si Paul Tavernier semble lier le vote positif de l'Égypte et du Liban à leur participation active à la rédaction de la Déclaration et celui de l'Arabie saoudite et du Yémen à des considérations religieuses, aucune raison n'est donnée quant à l'adhésion de l'Irak et de la Syrie dont il faudrait rechercher l'explication non seulement dans les options modernistes de ces deux pays, mais aussi dans leur caractère multiconfessionnel (Chrétiens, Juifs, Chiites et Alaouites coexistant avec une majorité Sunnite). C'est une explication tout aussi valables pour l'Égypte et le Liban. Le fait qu'aucun vote négatif arabe n'ait été répertorié lors de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies des deux Pactes de 1966 s'expliquerait pour l'auteur par l'absence de toute référence à la religion contrairement à ce qui s'était fait dans la Déclaration de 1948. Mais, Paul Tavernier nous précise que la signature des Pactes ne signifie pas pour autant une adhésion aux mécanismes de contrôle révélant une « certaine méfiance de la part des États arabes, à l'égard des procédures de mise en oeuvre des deux Pactes, et notamment du Pacte relatif aux droits civils et politiques qui a le mérite d'avoir prévu la création d'un Comité des droits de l'homme », constatant toutefois que cette méfiance « est moins systématique que celle d'autres groupes d'États ». Il est vrai que si l'adhésion de l'Algérie, de la Libye et de la Somalie au Protocole 1 du Pacte sur les droits civils et politiques (1989) fut significative à l'époque, la suite des événements a mis en exergue son coté paradoxal. Les problèmes de mise en oeuvre des deux Pactes s'expliqueraient par la « difficile conciliation » entre les impératifs de la Chariaâ et les normes universelles des droits de l'homme. Ainsi, les États arabes ont fréquemment recours à des réserves ou des déclarations interprétatives pour limiter le champ d'application des normes onusiennes dans les domaines qui relèvent totalement ou partiellement de la loi islamique. Toutefois même dans ce domaine il n'y a pas une position unifiée des pays arabes, certains plus que d'autres insistant sur les prescriptions de la Chariaâ. C'est une question complexe qui révèle l'absence de consensus parmi les juristes musulmans qui a pour conséquence on le voit de créer une situation complexe ou prévaut un double système de normes au champ d'application imprécis car investissant pratiquement toutes les branches du droit (civil, pénal, constitutionnel). C'est dans ce sens aussi que la Tunisie, même si elle a reconnu la valeur et l'importance des instruments internationaux en les ayant ratifié sans restriction ni réserve, limite par exemple la pleine application de ces instruments. En effet, ce dernier pays n'a jamais ratifié le Protocole additionnel au Pacte pour ne pas se soumettre au contrôle du Comité des droits de l'homme, n'a jamais pu procéder à la publication dans le journal officiel pour ne pas susciter l'attention et l'intérêt de la doctrine et des défenseurs des droits humains. Les raisons des réticences sont liées aux facteurs religieux sur l'égalité des sexes (homme femme).103(*) Il est une autre plaie qui affecte l'action des mécanismes de protection des droits de l'homme et par ricochet, leur universalité : ce sont les réserves. En effet, les réticences à l'égard du Pacte se sont manifesté par l'adoption des réserves de fond refusant ou minimisant ainsi leurs obligations et à marginaliser le contrôle universel des droits de l'homme104(*). Fruit d'une certaine méfiance à l'égard de l'originalité de l'instrument universel, les réserves font montre d'une réelle hostilité qui, globalement, limite l'avancée des droits de l'homme. Ces réserves sont de différentes natures. Certaines concernent les modes de règlement des différends pouvant naître de l'application ou de l'interprétation des conventions. Elles ont été souvent présentées lors des ratifications. D'autres, les plus importantes et les plus nombreuses, portent sur les droits qui ont été consacrés par les conventions, en somme sur l'objet des conventions. Toutes les réserves ou déclarations sont normalement, et du point de vue du droit international, utilisées pour garantir le plus d'adhésion aux instruments internationaux et s'assurer de la jouissance par les personnes de l'intégralité des droits qu'ils consacrent. Elles représentent donc des exceptions admises, acceptées à l'encontre du principe général des ratifications totales et sans réserves105(*) Mais, en vertu de l'article 2(1)(d) de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, la définition et la délimitation des conditions de leur utilisation sont déterminées. Pourtant, malgré ces restrictions, la majorité d'Etats a formulé les réserves au moment de la ratification ou de l'adhésion aux conventions sur les droits de l'homme en entravant, de ce fait, l'application universelle ou intégrale suite au refus d'accepter certaines de leurs dispositions. A titre illustratif, en effet, les Etats Unis ont formulé les réserves à propos de la peine de mort106(*) ; la Norvège, le Royaume-Uni, la Suisse, la Suède, le Danemark, la Finlande, l'Irlande, l'Islande, le Luxembourg et le Malte qui sont hostiles à l'article 20(1) qui interdit toute propagande en faveur de la guerre ont ainsi émis des réserves à ce sujet107(*). Tous les Etats arabes, dont la Tunisie, ont formulé des réserves au moment de la ratification ou de l'adhésion à ces conventions en matière de la reconnaissance des droits universels des femmes en raison de la prédominance d'un ordre social inégalitaire conformément à l'interprétation de l'Islam108(*). Pour cette raison, et pour d'autres, l'universalité des droits de l'homme reste encore fragile.
Sans doute l'universalité des droits de l'homme demeure encore fragile, dans notre première partie, on a analysé la reconnaissance de l'universalité des droits de l'homme et ce en réfléchissant d'abord sur les fondements de cette universalité et en deuxième temps sur les affirmations de cette universalité. Mais il parait que notre réflexion était dans un sens unique. En effet l'examen des manuels des droits et libertés nous permet de déduire que La « mondialisation » des droits de l'Homme n'est pas, à elle seule, gage d'universalité : encore faut-il que cette diffusion planétaire résulte d'une adhésion partagée et non de l'imposition à l'ensemble du monde d'une conception qui serait en réalité purement occidentale109(*). Plus précisément notre réflexion dans cette partie doit être au sens de la réception des droits de l'homme et non pas au sens de leur destination. Cette distinction était soulignée par la doctrine des droits et libertés notamment par le professeur Patrick Wachsmann qui avait affirmé que « les droits de l'homme sont [donc] un universalisme, ils s'adressent a tous mais ils ne sont pas universels »110(*) Le professeur Frederic Sudre partage l'avis de Patrick Wachsmann en déclarant à son tour qu'il est plus juste de dire que les droits de l'homme sont un universalisme sans pour autant être universels. Certes la ratification de la DUDH par les différents Etats était massive, mais « l'unanimité masque toujours des arrière-pensées et révèle en l'espèce qu'il est de bon ton dans la société internationale de proclamer son attachement aux droits de l'homme, alors même qu'on les bafoue quotidiennement »111(*). Certains autres affirment, a tort ou a raison, que l'internationalisation des droits de l'homme (la forme spatiale de l'universalité des droits de l'homme), est une politique112(*) et non pas une réalité prétendant que les seuls droits incontestablement universels sont les droits économiques et sociaux. Aujourd'hui, l'universalité des droits de l'homme se heurte à des limites, des obstacles, des résistances, des freins. Ces obstacles sont nécessairement liés à la nature même de la DUDH qui comme l'avait explique le professeur Frederic Sudre était « avant tout l'expression de l'individualisme occidental »113(*) Même si, l'universalité des droits de l'homme est reconnue, ça n'empêche que ces droits sacrés sont toujours méconnus en pratique et cette méconnaissance est aussi universelle114(*) . Compte tenu des éléments qui viennent d'être retracés, il est alors légitime de s'interroger sur les problèmes de l'universalité des droits de l'homme (Chapitre 1), avant de s'interroger sur la problématique de la démarcation des Etats orientaux de la conception universelle des droits de l'homme (Chapitre 2). * 99 SUDRE (F), Droit international et européen des droits de l'homme, 3e Edition, Paris, PUF, 1989, p.13 * 100 GUILLAUME (Gilbert), « La cour Internationale de justice et les droits de l'homme » In Revue Droits Fondamentaux, N°1, juillet décembre 2001 ( www.droits-fondamentaux.org/ ) * 101 CHARVIN (R.), SUEUR (J.-J.), Droits de l'homme et libertés de la personne, Litec, 2000, p.46-67 * 102 TAVERNIER (Paul) « Destin du Pacte international relatif aux droits civils et politiques vingt ans après son entrée en vigueur », Pouvoir et liberté, Etudes offertes à Jacques Mourgeon, pp 479-493 * 103 CHEKIR (Hafidha), « Universalité et spécificité : autour des droits des femmes en Tunisie », Center for philosophy of international Law and global politics, JURA GENTIUM, s.d. ( http://dexl.tsd.unifi.it/juragentium/en/index.htm * 104 DHOMMEAUX (Jean), « Les Etats parties à la Convention européenne des droits de l'homme et le Comité des droits de l'homme de l'ONU : de la cohabitation du système universel de protection des droits de l'homme avec le système européen » In Liber Amicorum Marc-André Eissen, Bruxelle/Paris, Bruylan/LGDJ, 1995, p120 * 105 CHEKIR (Hafidha), Op.Cit. * 106 SCHABAS A. (William), « Les réserves des Etats Unis au Pacte international relatif aux droits civils et politique en ce qui concerne la peine de mort », in Revue Universelle des droits de l'homme, vol.6, n° 4-6, septembre 1994. pp137-150 * 107 TRAVERNIER (Paul), Op.Cit., p482 * 108 CHERIK (Hafidha), Op.Cit * 109 LOCHAK (D). Les droits de l'homme, éditions la Découverte, 2005, p. 58 * 110 WACHSAMANN (P). Les droits de l'homme, 4e éd. - Paris : Dalloz, 2002, p. 50 * 111 WACHSAMANN (P). Les droits de l'homme, 4e éd. - Paris : Dalloz, 2002, p. 39 * 112 CHARVIN (R.), SUEUR (J.-J.), Droits de l'homme et libertés de la personne, Litec, 2000, p. 60 * 113 SUDRE (F.), Droit international et européen des droits de l'Homme, PUF, Droit fondamental, 2000, p. 44 * 114 RIVERO J. ET MOUTOUH H Les libertés publiques - PUF - Thémis - t.1, 9e éd., 2003, p. 110 |
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