Liberté de presse et accès aux informations administratives en république du Bénin( Télécharger le fichier original )par Stéphane SONON Université de Nantes - DEA 2004 |
B- La Commission d'Accès aux Informations et l'application de la loiLa Commission d'Accès aux Informations (CAI) a été créée afin de surveiller le respect et l'application de la loi (article 103). La CAI est aussi une sorte de tribunal administratif. Elle est composée de commissaires nommés pour cinq (5) ans par l'Assemblée nationale. Après saisine, le CAI doit rendre sa décision dans un délai de six (6) mois. Les parties plaident leur cause devant un des cinq commissaires. Le commissaire prend l'affaire en délibéré et rend une décision environ un mois plus tard, après la comparution des parties. Une partie peut aller en appel devant la Cour du Québec. Selon Carole Wallace, une ancienne commissaire à la CAI, «Si un organisme public ou un ministère décide qu'il ne veut pas donner accès à certains documents, il peut facilement embourber l'affaire devant les tribunaux pendant cinq ans et même sept ans....Ce sont les dossiers chauds, ceux qui comptent et qui font couler beaucoup d'encre, bref les dossiers politiques qui se retrouvent ainsi pris dans les méandres de l'appareil judiciaire122(*)». Depuis sa création, la CAI a rendu plusieurs décisions qui constituent sa jurisprudence. Elle a permis d'établir que certains documents sont accessibles. Par exemple, les procès verbaux de municipalités, les bilans financiers adoptés, diverses analyses rédigées par les employés dans des consultations, .... Mais le bilan n'est pas si prestigieux quant à la finalité de la loi. Selon les conclusions tirées des enquêtes d'un journaliste canadien Rod Macdonel123(*), «lorsqu'un dossier se retrouve devant la Cour du Québec, les délais s'allongent, et les juges qui sont appelés à revoir les décisions de la CAI retiennent presque toujours le point de vue du gouvernement contre celui des citoyens et des journalistes. Depuis 1995, dans 27 causes sur 31, soit 78% des cas, la cour du Québec a acquiescé à la demande du gouvernement. Lorsqu'un citoyen présente la même demande, il ne gagne que trois (3) fois sur onze (11), soit dans 27 % des cas. La situation est toute aussi déséquilibrée dans les jugements. La Cour a depuis 1995, renversé à 87% des décisions de la CAI favorables à la divulgation des documents, soit 18 causes sur 23». Selon les propos du journaliste Jean PARE124(*), père de la loi et directeur de journal, « le traitement que les fonctionnaires ont fait subir au projet de loi, l'ont tellement dégoûté qu'il recommande aux journalistes de ne pas perdre leur temps à utiliser cette loi 125(*)». Ce qui a amené la Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec (FPJQ) à affirmer : «Les interprétations de la loi par la Cour du Québec sont en train de la vider de sa substance. A l'encontre des intentions de départ du législateur, la Cour du Québec s'oppose à la transparence de l'administration publique et ridiculise les efforts de la CAI lorsque celle-ci cherche à la garantir 126(*)». Une autre insuffisance de la loi demeure sa méconnaissance par les hommes des médias. En effet, les statistiques de la CAI ont révélé, qu'au cours de l'année 1995-1996, sur 1059 demandes, seulement 20 provenaient des journalistes, soit 2% de toutes les demandes. Les plus gros utilisateurs sont, par ordre décroissant, les citoyens avec 289 demandes, les syndicats (98), les entreprises (43), les groupes de pression (4), les journalistes (20), les avocats (12) et les élus (11). Il apparaît dès lors que les insuffisances de l'application de cette loi se retrouvent d'une part dans sa «judiciarisation» par les avocats ou certains organismes qui obligent les journalistes à utiliser la loi pour obtenir n'importe quel document ou qui vont en appel pour enliser le dossier. D'autre part, il y a la méconnaissance par les journalistes de la loi bien qu'ils soient les premières personnes concernées par son utilisation. Ils croient à tort que son utilisation est compliquée et qu'il faut se faire représenter par un avocat127(*). Le Bénin n'est pas encore face à ces situations malheureuses. L'idée de création de sa loi d'accès suit son chemin et il est important qu'elle évite de tomber dans les erreurs de la France et du Québec. Chapitre II : VERS UNE LOI D'ACCES A L'INFORMATION ADMINISTRATIVE AU BENINAux Etats Unis, la doctrine du «droit de savoir» a permis aux citoyens et aux journalistes, à travers la loi sur l'information (Fredon of Information Act FOIA) renforcée par le Sunshine Act, la loi fédérale sur l'accès du public aux assemblées, de contrôler la gestion des affaires publiques. En Suède, c'est par la loi fondamentale qu'il est permis à tout citoyen et même aux étrangers de prendre connaissance des informations et documents détenus par les services publics. En France, nombre d'informations détenues par les administrations sont à la libre disposition de toute personne, physique ou morale grâce à la loi du 17 juillet 1978. Au Québec au Canada, «la loi sur l'accès aux documents des organismes publics» donne aux citoyens et aux personnes qui résident au Canada un droit d'accès à l'information dans les dossiers de l'Administration publique. Au Bénin, malgré l'affirmation par la Constitution du 11 décembre 1990 et les textes sur la liberté d'expression qui consacrent le «droit à l'information», les journalistes et les citoyens sont éconduits quotidiennement par les fonctionnaires de l'Etat. Cependant, depuis 2000, la volonté politique semble avoir mesuré la gravité de ces comportements sur le développement de la démocratie et du pays. Ainsi, s'achemine t-on au Bénin vers une loi sur l'accès aux documents administratifs. Le processus est en cours et il mérite d'être décrit (Section II). Auparavant, il importe d'analyser les initiatives menées en vue de rendre l'administration publique béninoise transparente, grâce à certaines actions permettant l'accès à l'information administrative, même si au plan pénal, la publication de documents administratifs présente quelques risques juridiques. (Section I). SECTION I : LES EFFORTS VERS LA TRANSPARENCE ADMINISTRATIVE ET LES CONSEQUENCES DE L'ACCES AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS EN MATIERE DE DELITS DE PRESSELa définition des réglementations, de conditions claires et précises qui réduisent l'opacité dans la gestion des deniers de l'Etat, source de corruption appelle à la prise de nouvelles initiatives. Dans ce cadre, le Gouvernement du Bénin a pris, depuis quelques années, certaines mesures allant dans le sens de réduire l'opacité qui entoure le fonctionnement de l'administration publique. Si la loi sur l'accès aux informations publiques reste à prendre, certains efforts allant dans le sens de l'amélioration des rapports entre l'administration et les usagers ont été fournis (Paragraphe 1). Toutefois, l'accès du journaliste aux documents administratifs et leur exploitation présentent quelques risques juridiques en matière pénale (Paragraphe 2). * 122 Propos cité par OUIMET Michèle, journaliste canadienne, dans une communication : « la loi sur l'accès à l'information au Québec », lors du séminaire de Cotonou. * 123 Journaliste à la Gazette ; Article paru dans la revue le 30, CIRCA 1997 * 124 C'est Jean Paré qui a rédigé la loi à la demande du journaliste, premier ministre de l'époque, René Lévesque * 125 OUIMET (Michèle) ; « la loi sur l'accès à l'information au Québec » ; communication présentée lors du séminaire de Cotonou. ; Ces propos de Jean PARE sont cités dans la communication. * 126 Ibidem * 127 OUIMET Michèle ; ibidem. |
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